RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRÊT DU 13 Novembre 2015
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/07721
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 Mai 2012 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS - RG n° 11/11141
APPELANT
Monsieur [E] [X] né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 2]
[Adresse 2]
comparant en personne, assisté de Me Michel HENRY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0099 substitué par Me Karim MAKOUF, avocat au barreau de PARIS, toque : P0099
INTIMEE
SAS EXACOMPTA
[Adresse 1]
représentée par Me Laurence BELLEC, avocat au barreau de REIMS substitué par Me Yannick NERDEN, avocat au barreau de REIMS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Septembre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Jacqueline LESBROS, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Luce CAVROIS, Présidente de chambre
Mme Jacqueline LESBROS, Conseillère
M. Christophe BACONNIER, Conseiller
Qui en ont délibéré
Greffier : Melle Flora CAIA, lors des débats
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Luce CAVROIS, Présidente et par Mademoiselle Flora CAIA, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur [X] a été embauché par la société EXACOMPTA le 30 octobre 2000 par contrat à durée indéterminée en qualité de contrôleur emballeur au salaire moyen brut mensuel de 2.678,23 €.
Il a été muté en 2003 sur le site de [Localité 1].
Il a été victime d'un accident du travail le 11 octobre 2010 et placé en arrêt maladie jusqu'au 11 janvier 2011.
À l'issue de deux visites médicales les 25 novembre et 13 décembre 2010, le médecin du travail l'a déclaré le 13 décembre 2010: « inapte au poste, apte à un autre sans manutention de charges lourdes, sans effort de traction, sans conduite de chariot. 2ème visite d'inaptitude selon l'art R4624-31 du code du travail. Étude de poste faite précédemment. »
Par courrier du 10 février 2011, la société EXACOMPTA a adressé au médecin du travail neuf fiches de postes pouvant être proposés à Monsieur [X] et sollicité son avis sur leur compatibilité avec son état de santé.
Par courrier du 15 février 2011, le médecin du travail répondait à la société EXACOMPTA que parmi les propositions transmises, « seul le poste de margeur sur ligne Kugler correspond si les outils de manutention sont adaptés : réception sur table élévatrice électrique, transpalette électrique ».
Les délégués du personnel ont été consultés le 17 mars 2011 et ont émis un avis défavorable au reclassement. La société EXACOMPTA a proposé ce poste à Monsieur [X] par courrier du 22 mars 2011.
Monsieur [X] a refusé ce reclassement le 7 avril 2011 en invoquant le fait qu'il comportait la conduite de chariot contre-indiquée par le médecin du travail et que le salaire proposé, très inférieur à son salaire actuel, ne lui permettrait pas d'assumer ses charges.
Par courrier du 21 avril 2011, la société EXACOMPTA a informé Monsieur [X] que le poste disposait bien des outils de manutention adaptés conformément à l'avis du médecin du travail et qu'aucun autre poste ne pouvait lui être proposé en l'état actuel ou à brève échéance et de l'impossibilité de procéder à son reclassement suite à son refus du 7 avril.
Par courrier du 9 mai 2011, la société EXACOMPTA a notifié à Monsieur [X] son licenciement pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.
Contestant l'exécution par l'employeur de son obligation de reclassement, Monsieur [X] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 24 mai 2012 notifié le 11 juillet 2012 a :
' dit le licenciement de Monsieur [X] fondé sur une cause réelle et sérieuse
' condamné la société EXACOMPTA à payer à Monsieur [X] les sommes suivantes :
- 518,74 € à titre de rappel de primes de nuit
- 51,87 € à titre de congés payés afférents
' condamné la société EXACOMPTA à payer à Monsieur [X] la somme de 350 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
' débouté Monsieur [X] du surplus de ses demandes
' condamné la société EXACOMPTA aux dépens.
Monsieur [X] a relevé appel le 24 juillet 2012 de ce jugement.
L'affaire a été appelée à l'audience du 11 septembre 2015.
À cette date le conseil de Monsieur [X] a soutenu oralement les conclusions régulièrement déposées et visées par le greffe aux termes desquelles il est demandé à la cour de :
' confirmer le jugement en ce qu'il a accueilli ses demandes au titre du rappel de primes de nuit et des congés payés afférents
' infirmer le jugement pour le surplus et statuant à nouveau condamner la société EXACOMPTA à lui payer les sommes suivantes :
- 34.200 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 893,76 € au titre de l'indemnité conventionnelle de repas
- 89,76 € au titre des congés payés afférents
' ordonner la remise des bulletins de salaire correspondant à la condamnation sous astreinte de 100 € par jour de retard
' condamner la société EXACOMPTA à lui payer la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile
' assortir le montant des condamnations de l'intérêt au taux légal et ordonner la capitalisation.
À l'appui de ses demandes, Monsieur [X] soutient que :
- la société n'a pas rempli loyalement son obligation de reclassement puisque les postes proposés comportaient de la manutention ou étaient sans rapport avec sa qualification professionnelle
- la société n'a pas tenu compte l'avis médical interdisant la conduite de chariot et devait à tout le moins, compte tenu de ses objections sur ce reclassement, solliciter à nouveau le médecin du travail pour vérifier la conformité du poste à ses recommandations, ce qu'elle n'a pas fait
- bien que titulaire d'un diplôme d'installateur thermique depuis 2009, aucun poste en rapport avec cette qualification ne lui a été proposé.
Le conseil de la société EXACOMPTA a développé oralement les conclusions régulièrement déposées et visées par le greffe aux termes desquelles il est demandé à la cour de :
' confirmer le jugement en toutes ses dispositions
' constater que le licenciement de Monsieur [X] repose sur une cause réelle et sérieuse
' débouter Monsieur [X] l'ensemble de ses demandes
' débouter Monsieur [X] de ses demandes au titre du rappel de primes de repas et de congés payés y afférents
' le condamner en tous les frais et dépens de l'instance.
La société EXACOMPTA indique avoir entrepris toutes les démarches nécessaires au sein de la société et du groupe en vue d'assurer le reclassement de Monsieur [X] et s'être précisément conformée à l'avis du médecin du travail dans l'aménagement du poste proposé. Elle fait observer que ce reclassement n'impliquait aucune diminution de salaire, contrairement à ce qu'indique Monsieur [X], le taux horaire étant le même que celui appliqué à son poste actuel avec en outre une prime de rendement.
MOTIFS
Sur les rappels de salaire
Il n'est pas contesté que la société est redevable d'une somme de 518,74 € à titre de rappel de primes de nuit et des congés payés afférents de 10%. Le jugement est confirmé de ce chef.
Monsieur [X] demande le paiement de l'indemnité conventionnelle de repas de 893,76 € pour la période de janvier 2001 au 9 mai 2011.
La société EXACOMPTA s'y oppose.
Mais c'est par des motifs pertinents adoptés par la cour que le conseil de prud'hommes a débouté Monsieur [X] de cette demande en constatant qu'étant en attente de reclassement, le contrat de travail était suspendu et que Monsieur [X] avait pris ses repas à sa résidence habituelle durant la période où il n'était pas astreint à présence dans l'entreprise.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur le licenciement
En application de l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
En application de l'article L.1226-10, lorsqu'à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail, consécutives à un accident du travail, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.
Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise.
En l'espèce, il ressort des pièces produites que :
à la suite de la déclaration d'inaptitude de Monsieur [X] par le médecin du travail, la société EXACOMPTA a effectivement recherché dès le 18 janvier 2011 un poste de reclassement en son sein et dans l'ensemble des sociétés du groupe, en mentionnant à leur attention sa qualification ainsi que les recommandations médicales contenues dans l'avis d'inaptitude du médecin du travail du 13 décembre 2010,
9 profils de poste recensés au sein du groupe ont été transmis le 10 février 2011 au médecin du travail afin de recueillir son avis sur leur compatibilité avec l'état de santé de Monsieur [X] qui en était également destinataire,
le médecin du travail a indiqué par courrier du 15 février 2011 que parmi les postes proposés dont il observait qu'ils comprenaient tous des manutentions en tâches annexes ou des efforts de traction ou de port de charges, « seul le poste de margeur sur ligne Kugler correspond si les outils de manutention sont adaptés : réception sur table élévatrice électrique, transpalette électrique »
Monsieur [X] a fait savoir à la société par courrier du 16 février 2011 qu'il était intéressé par le poste de directeur financier qui figurait parmi les postes disponibles et notait « les autres postes induisent de la conduite de chariot ou des efforts de traction, interdits par le médecin du travail. Je reste à votre disposition pour vos propositions de reclassement »,
la société a adressé le 1er mars 2011 un courrier au médecin du travail lui indiquant que le poste de margeur proposé disposait bien de l'aménagement qu'il recommandait à savoir « des outils de manutention adéquat » et l'informait que ce poste serait proposé à Monsieur [X], sans toutefois solliciter un nouvel avis sur la conformité du poste à l'état de santé de Monsieur [X],
le poste a été proposé à Monsieur [X] par courriers des 22 et 30 mars 2011,
Monsieur [X] a répondu le 1er avril 2011 : «la fiche de poste que vous m'avez transmise indique «Déplace des palettes avec des outils de manutention adaptés. Or ma fiche d'inaptitude précise que je ne dois pas conduire de chariot. Il est donc incompatible avec mon état de santé. Je ne considère pas ce poste comme une proposition de reclassement.»
la société EXACOMPTA lui a confirmé le 6 avril que « les outils de manutention adaptée auxquels il est fait référence dans la fiche de poste que nous vous avons adressé correspondent à des transpalettes électriques et des transpalettes élévateurs. Il ne s'agit donc pas de conduire des chariots »
Monsieur [X] a répondu le 7 avril : « la médecine du travail a précisé que je ne devais pas conduire de chariot. Vous m'indiquez que j'aurais à conduire des transpalettes électriques et transpalettes élévateurs qui sont des chariots. Je suis donc contraint de refuser votre proposition.»
Il ressort de ces échanges que Monsieur [X] a contesté dès le 16 février 2010 le reclassement envisagé en soutenant que les conditions d'exercice effectives du poste aménagé ne tenaient pas compte de l'avis médical interdisant la conduite de chariot et étaient de ce fait incompatibles avec son état de santé. Dans ces conditions, la société EXACOMPTA ne pouvait tenir pour acquise la conformité du poste aménagé selon les recommandations initiales du médecin du travail, sans saisir ce dernier d'une nouvelle demande d'avis.
Il y a lieu de constater dans ces conditions que le reclassement n'a pas été fait conformément aux dispositions de l'article L.1226-10 du code du travail et de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les conséquences financières du licenciement
En application de l'article L. 1226-15 du Code du travail, si un licenciement intervient en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement d'un salarié déclaré inapte prévues à l'article L.1226-10 du même code, il lui est octroyé une indemnité qui ne peut être inférieure à 12 mois de salaires.
Dès lors, il convient d'allouer à M.[X] la somme de 32.138,76 € correspondant à douze mois de salaires.
Sur la remise des bulletins de paie et des documents sociaux
La remise des documents conformes au présent arrêt sera ordonnée, sans qu'il y ait lieu d'ordonner l'astreinte.
Sur le remboursement à Pôle emploi des indemnités versées à M. [X]'
Le licenciement étant intervenu sans cause réelle et sérieuse, par application de l'article L.1235-4 du Code du travail, il y a lieu d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage qui ont été versées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du jugement et ce dans la limite de six mois d'indemnités.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
La société EXACOMPTA succombant en appel, sa demande au titre des frais irrépétibles est rejetée et il est fait droit à celle de M. [X] à hauteur de 2.000 €.
La société EXACOMPTA est condamnée aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 24 mai 2012 en ce qu'il a dit le licenciement de Monsieur [E] [X] fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Statuant à nouveau,
Dit le licenciement de Monsieur [E] [X] dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Condamne la société EXACOMPTA à payer à Monsieur [E] [X] la somme de 32.138,76 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif.
Confirme le jugement pour le surplus.
Ordonne à la société EXACOMPTA de remettre à Monsieur [E] [X] le certificat de travail, les bulletins de paie et l'attestation destinée à Pôle Emploi, tous ces documents devant être établis conformément à ce qui a été jugé par le présent arrêt.
Ordonne le remboursement par la société EXACOMPTA à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à Monsieur [E] [X] dans la limite de six mois.
Dit que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.
Condamne la société EXACOMPTA à payer à Monsieur [E] [X] la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société EXACOMPTA aux entiers dépens.
Le Greffier,La Présidente,