RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6- Chambre 12
ARRÊT DU 05 Novembre 2015
(no, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/ 09333
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 Juillet 2011 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny-RG no 09-01885
APPELANTE
FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE
Tour Galliéni
36, avenue du Général de Gaulle
93175 BAGNOLET CEDEX
représenté par Mme Aicha X... en vertu d'un pouvoir spécial
INTIMEES
SAS ROBERT BOSCH FRANCE
32 avenue Michelet
93400 SAINT OUEN
RCS no572067684
représentée par Me Benjamin GEVAERT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0312
CPAM 93- SEINE SAINT DENIS (BOBIGNY)
195 avenue Paul Vaillant Couturier
93014 BOBIGNY CEDEX
représenté par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
Madame Ghislaine Y...
Porte 145
50 rue Danièle Casanova
93300 AUBERVILLIERS
non comparante
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
14, avenue Duquesne
75350 PARIS CEDEX 07
avisé-non comparant
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 25 Juin 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Bernadette VAN RUYMBEKE, Présidente de chambre
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller
Madame Marie-Ange SENTUCQ, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Laila NOUBEL, lors des débats
ARRÊT :
- réputé contradictoire
-prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président et par Madame Céline BRUN, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS-PROCÉDURE-PRÉTENTIONS DES PARTIES
Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard ;
Il suffit de rappeler que monsieur Y..., salarié de 1955 à 1986 de la société Bendix devenue Alliedsignal Automotive Europe et rachetée par la société Robert Bosch France en 1996, a déposé une déclaration de maladie professionnelle, le 8 novembre 2006, accompagnée d'un certificat médical initial du 17 juillet 2006 diagnostiquant un cancer broncho pulmonaire ; monsieur Y...est décédé le 8 avril 2007, à l'âge de 77 ans ; que la caisse primaire a reconnu le caractère professionnel au titre de la législation professionnelle de la maladie et du décès ; que monsieur Y...puis, à sa mort son épouse, ont accepté l'offre d'indemnisation du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) se décomposant comme suit :
*monsieur Y...:
-41. 000 euros : préjudice moral
-15. 000 euros : préjudice physique
-13. 000 euros : préjudice d'agrément
-500 euros : prejudice esthétique
* Mme Y...:
-30. 000 euros : préjudice moral
que le FIVA en sa qualité de subrogé dans les droits des consorts Y...a introduit une action en faute inexcusable à l'encontre de la société Robert Bosch France.
Par jugement en date du 27 juillet 2011, le tribunal des affaires de la sécurité sociale de Bobigny a :
- débouté le FIVA, subrogé dans les droits des ayants droit de monsieur Y...de sa demande en reconnaissance de faute inexcusable et de l'ensemble de ses demandes,
- dit que la SAS Robert Bosch France a intérêt à agir s'agissant de sa demande d'inopposabilité des décisions de la caisse primaire d'assurance maladie, de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la maladie déclarée par Roger Y...et du décès de celui ci,
- déclaré inopposable à la SAS Robert Bosch France la décision de la caisse ayant prise en charge la maladie et le décès de monsieur Y...,
- dit que la caisse primaire d'assurance maladie est en conséquence privée de son droit de récupérer sur l'employeur les compléments de rentes et indemnités qui seront versés,
Le FIVA, par l'intermédiaire de son représentant qui a déposé des écritures développées oralement, conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour de :
- juger recevable la demande du Fiva, subrogé dans les droits des ayants droit de monsieur Y...,
- juger que la maladie professionnelle de monsieur Y...est la conséquence de la faute inexcusable de la Société Robert Bosch France
-fixer à son maximum la majoration de la rente servie au conjoint survivant de la victime, en application des dispositions de l'article L. 452-2 du Code de la sécurité sociale, et juger que cette majoration lui sera directement versée par l'organisme de sécurité sociale,
- fixer l'indemnisation des préjudices personnels subis par monsieur Roger Y...comme suit :
*préjudice moral : 41. 000 euros
*souffrances physiques : 15. 000 euros
* préjudice d'agrément : 13. 000 euros
* préjudice esthétique : 500 euros
Total 69. 500 euros
-fixer l'indemnisation des préjudices personnels de Madame Ghislaine Y...à la somme de 30. 000 euros
-juger que la caisse primaire d'assurance maladie devra verser ces sommes au Fiva soit un total de 99 500 euros
-condamner la Société Robert Bosch France Sas à payer au FIVA une somme de 1000 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La SAS Robert Bosch France fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions aux termes desquelles il est demandé à la cour de :
- déclarer le FIVA irrecevable et mal fondé en son action
-subsidiairement le débouter de ses demandes et mettre la société hors de cause
-constater que la Société Robert Bosch France n'a jamais été l'employeur de monsieur Y...
En conséquence,
- dire que 1'action en reconnaissance de faute inexcusable a été diligentée à tort par le Fiva à l'encontre de la Société Robert Bosch France
-plus subsidiairement dire que les décisions de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie et du décès de monsieur Y...par la caisse primaire d'assurance maladie lui son inopposables,
- si par impossible l'action du FIVA était reconnue recevable, dire que la société a un intérêt direct et certain à agir et à invoquer l'inopposabilité à son égard de la décision prise par la caisse primaire d'assurance,
- constater que la caisse n'a pas respecté les dispositions des articles R441 l0 et suivants du code de la sécurité sociale ni le tableau 30 bis des maladies professionnelles
En conséquence,
- lui déclarer inopposable les décisions de prises en charge de la caisse de la maladie et du décès de monsieur Y..., et dire que la caisse conservera à sa charge les conséquences financières de la faute inexcusable,
- dire qu'en raison de cette inopposabilité la preuve préalable du caractère professionnel de la maladie déclarée et du décès doit être rapportée par le Fiva qui ne la rapporte pas et qui devra être débouté,
- dire plus subsidiairement encore que la faute inexcusable invoquée ne peut être reprochée à la société Robert Bosch France,
- dire infiniment subsidiairement que le FIVA ne justifie pas du bien fondé des sommes réclamées au titre de la réparation des préjudices personnels tant de monsieur Y...que de son épouse, en conséquence l'en débouter.
- réduire à de plus justes proportions les demandes d'indemnisations formulées, pour monsieur Y..., au titre des souffrances physiques et morales et du préjudice esthétique ; pour Mme Y...au titre de ses préjudices personnels,
- débouter le FIVA de la demande de préjudice d'agrément,
- condamner le FIVA à lui verser 1. 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
La caisse primaire d'assurance maladie, par l'intermédiaire de son conseil qui a présenté des observations orales, s'en rapporte sur la reconnaissance de la faute inexcusable, et sur les préjudices, demande une réduction à de plus justes proportions, des sommes allouées à l'exception du préjudice d'agrément, non établi dont elle demande le rejet ; enfin elle ne conteste pas l'inopposabilité à l'employeur des décisions de prise en charge, précisant que les conséquences financières de la faute inexcusable étaient inscrites au compte spécial.
Vu les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile et les conclusions des parties régulièrement communiquées, oralement soutenues et visées par le greffe à l'audience du 25 juin 2015, conclusions auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé de leurs demandes, moyens et arguments.
SUR QUOI LA COUR
-sur la recevabilité du recours du FIVA
Considérant que le tribunal des affaires de la sécurité sociale a rappelé, avec pertinence, les dispositions des articles 53 IV et 53 VI de la loi du 23 décembre 2000 stipulant que le FIVA était subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge des dites personnes ;
Que dès lors, il a à bon droit, par une motivation adoptée, dit que le FIVA qui a indemnisé la victime et ses ayants droits, était recevable en sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable visée à l'article L. 452-1 du code la sécurité sociale, et de fixation des majorations et indemnisations prévues par ce code.
- sur la recevabilité de la demande du FIVA à l'encontre de la SAS Robert Bosch France
Considérant que c'est aux termes d'une motivation pertinente qui doit également être adoptée que le tribunal des affaires de la sécurité sociale a dit que l'action du FIVA avait été valablement dirigée à l'encontre de la société SAS Robert Bosch France ;
Qu'en effet, monsieur Y...était salarié de la société Bendix devenue Ducellier-Bendix-Alr Equipement puis Alliedsignal Automotive Europe ; que la branche d'activité de freinage de cette dernière a été cédée à la Société Bosch Systemes de Freinages, suivant apport partiel d'actif du 17 juin 1996 ; que la société Bosch Systemes de Freinages a finalement été radiée du registre du commerce après avoir été absorbée par la société Robert Bosch France SAS ; que la SAS Robert Bosch France est donc bien subrogée à la société Alliedsignal Automotive Europe dans son obligation d'indemniser les ayants droit de monsieur Y...;
- sur la faute inexcusable
Considérant qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers ce dernier d'une obligation de sécurité de résultat notamment en ce qui concerne les accidents du travail ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ;
Considérant, en l'espèce, qu'il est établi par les pièces produites par le FIVA, que monsieur Y..., qui a travaillé du 2 décembre 1955 au 28 février 1986, au sein de la société Bendix en qualité de technicien d'atelier, dans une usine de fabrication des garnitures de friction pour le freinage et l'embrayage, a été exposé aux poussières d'amiante ; que cette entreprise a en effet, utilisé des garnitures de friction comportant de l'amiante, qu'elle incorporait dans les systèmes de freinages destinés à l'industrie automobile ; que ces garnitures étaient fournies par la société Ferodo, sise à Condé-sur-Noireau qui les fabriquait à base de caoutchouc, résine et fibres d'amiante ; que ces garnitures étaient usinées par les ouvriers dont monsieur Y..., pour permettre leur incorporation dans les systèmes de freinages : perçage, rivetage, collage, cuisson au four après collage... ; que monsieur Y...comme les salariés qui travaillaient au service Ferodage était habituellement exposé à l'amiante lors de ces travaux d'usinage ;
Considérant que les différents témoignages indiquent que ce travail se faisait sans protection individuelle ou collective suffisante et efficace et que les vêtements de travail personnel, poussiéreux d'amiante, portés par les salariés, étaient ramenés pour lavage à la maison ; qu'il s'agissait de l'atelier le plus exposé aux poussières d'amiante ;
Considérant, à cet égard, que le site de Drancy au sein duquel monsieur Y...travaillait, a été inscrit sur la liste des établissements ayant fabriqué des matériaux contenant de l'amiante, susceptibles d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ;
Considérant que l'exposition au risque amiante de monsieur Y...est amplement établie ;
Considérant que les effets nocifs de la poussière d'amiante étaient déjà connus avant même le recrutement du salarié ; qu'à cette époque, plusieurs maladies consécutives à l'inhalation de la fibre d'amiante étaient déjà inscrites au tableau des maladies professionnelles ; que, par ailleurs, le risque inhérent à l'inhalation des poussières en général est clairement identifié depuis la fin du XIXème siècle et la protection des travailleurs contre ce risque n'a cessé d'être renforcée par la réglementation ; que de nombreux travaux, colloque et rapports faisaient l'objet de publications et médiatisation sur les dangers de l'amiante sur la santé de travailleurs
Considérant que la société Bendix, aux droits de laquelle vient la SA SAS Robert Bosch France, participait à l'activité industrielle de transformation de l'amiante, puisqu'elle faisait incorporer, par ses ouvriers, de l'amiante dans les produits qu'elle fabriquait ; qu'elle n'a toutefois pas mis en oeuvre des mesures de protection à la hauteur du danger encouru par ses salariés alors même que compte tenu de son taille, de son organisation, de la nature de son activité d'utilisateur d'amiante, elle avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel monsieur Y...était exposé ;
Qu'en ce sens, elle a commis une faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle contractée par Y...et de son décès ;
Que le jugement sera donc infirmé ;
sur les conséquences de la faute inexcusable
Considérant que la rente allouée à Mme Y...sera fixée à son maximum ;
Considérant, ensuite, que monsieur Y..., décédé, le 8 avril 2007, à l'âge de 77 ans des suites d'un cancer broncho-pulmonaire diagnostiqué le 17 juillet 2006 et ayant subi des souffrances non discutables, verra fixer son pretium doloris, comprenant à la fois les souffrances physiques et le préjudice moral, à la somme de 41. 000 euros ;
Que son préjudice esthétique sera évaluée à la somme de 1. 000 euros ; que toutefois l'indemnisation d'un préjudice d'agrément supposant que soit rapportée la preuve de l'impossibilité pour la victime de pratiquer une activité spécifique sportive ou de loisir antérieure à la maladie et cette preuve n'étant pas rapportée, il n'y pas lieu à indemnité de ce chef ;
Considérant que le préjudice allouée à Mme Y...du chef de ses souffrances morales non discutables également, doit être fixée à la somme de 25. 000 euros ;
- sur l'inopposabilité de la prise en charge de la maladie professionnelle et du décès de la victime
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie ne conteste pas que la prise en charge de la maladie professionnelle de monsieur Y...et son décès ne sont pas opposables à la SAS Robert Bosch et que dès lors elle ne pourra exercer à l'encontre de cette dernière son action récursoire ;
Considérant que la SAS Robert Bosch France devra verser au FIVA une somme de 1. 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Infirme le jugement
Statuant à nouveau,
Dit que la maladie de monsieur Y...et son décès sont dus à une faute inexcusable de la SAS Robert Bosch France,
Fixe à son maximum le montant de la rente accordée à Mme Y...,
Fixe le préjudice de monsieur Y...aux sommes suivantes ;
- pretium doloris : 41. 000 euros
-préjudice esthétique : 1. 000 euros,
Rejette la demande du FIVA au titre d'un préjudice d'agrément,
Fixe le préjudice personnel de Mme Y...à la somme de 25. 000 euros,
Déclare inopposable à l'employeur la prise en charge de la maladie professionnelle de monsieur Y...et de son décès,
Dit que la caisse verse au FIVA le montant des indemnités ainsi fixées sans pouvoir les récupérer sur l'employeur,
Rejette toutes autres demandes,
Condamne la SAS Robert Bosch France à payer au FIVA une indemnité de 1. 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT