Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 04 NOVEMBRE 2015
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/20484
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Septembre 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 11/06015
APPELANTE
SCI DU 20 AVENUE DE CLICHY prise en la personne de ses représentants légaux et venant aux droits de Mesdames [P] [E] et [F] [I]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480, avocat postulant
Assistée de Me Jean PICHAVANT de la SELARL PICHAVANT-CHETRIT, avocat au barreau de PARIS, toque : K0179, avocat plaidant
INTIMÉE
SARL SALEM prise en la personne de ses représentants légaux
20 avenue de Clichy
[Localité 2]
Représentée par Me Chantal-rodene BODIN CASALIS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 Septembre 2015, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Caroline PARANT, conseillère, chargée d'instruire l'affaire, laquelle a été préalablement entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Chantal BARTHOLIN, présidente
Madame Brigitte CHOKRON, conseillère
Madame Caroline PARANT, conseillère
Greffier : lors des débats : Madame Orokia OUEDRAOGO
ARRÊT :
- contradictoire,
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Chantal BARTHOLIN, présidente, et par Madame Orokia OUEDRAOGO, greffière.
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EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte sous seing privé du 19 mars 2002, Mme [P] [E], aux droits de laquelle se trouve la SCI du 20 avenue de Clichy, a consenti à M. [R] [O], aux droits duquel vient la société Salem, à effet au 1er octobre 2001, un bail commercial portant sur un local à usage de boulangerie, pâtisserie, confiseur, glacier, cuisine, situé [Adresse 2], pour une durée de neuf années à compter du 1er octobre 2001, moyennant un loyer annuel principal de 28 725,92 €.
Par exploits des 25 et 29 juin 2010, la SCI du 20 avenue de Clichy a fait délivrer à la société Salem un congé au 1er janvier 2011, avec offre de renouvellement moyennant un loyer porté à la somme annuelle de 105 000 € en principal.
Par jugement mixte du 11 octobre 2011, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris, saisi par assignation du 22 mars 2011, a constaté que, par l'effet du congé, le bail se trouvait renouvelé à compter du 1er janvier 2011, désigné M. [Q] en qualité d'expert afin d'estimer la valeur locative des lieux à cette date et fixé le loyer provisionnel au montant du loyer contractuel en principal.
L'expert a déposé son rapport le 11octobre 2012, concluant à l'absence d'éléments permettant d'écarter le principe du plafonnement du loyer à la somme de 38 735,31 € en principal et proposant une valeur locative de 92 000 € au 1er janvier 2011.
Par jugement du 11 septembre 2013, le juge des loyers du tribunal de grande instance de Paris a :
- fixé à 38 735,31 € en principal, par an, à compter du 1er janvier 2011, le loyer du bail renouvelé depuis cette date, toutes autres clauses et conditions du bail expiré demeurant inchangées,
- condamné la société Salem à payer à la SCI du 20 avenue de Clichy les intérêts au taux légal sur les arriérés à compter du 22 mars 2011,
- débouté la SCI du 20 avenue de Clichy de sa demande de capitalisation des intérêts,
- ordonné l'exécution provisoire,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes et condamné chacune pour moitié aux dépens.
La SCI du 20 avenue de Clichy a relevé appel de ce jugement le 23 octobre 2013.
Par dernières conclusions du 22 avril 2014 au visa des articles L 145-34, L 145-33 et R 145-3 du code commerce et 1134 du code civil, elle demande à la cour de :
- fixer le loyer renouvelé à une somme annuelle hors taxes et charges de 105 000 €, à effet au 1er janvier 2011,
- condamner la société Salem au paiement dudit loyer à compter du 1er janvier 2011, avec intérêts légaux à compter de chaque échéance contractuellement due et bénéfice de la capitalisation de ces intérêts pour ceux dus depuis au moins un an, à compter des conclusions, ainsi qu'aux entiers dépens qui comprendront le cas échéant les frais d'expertise,
- la condamner au paiement d'une somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la SCP Bolling Durand Lallement en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions du 28 février 2014, au visa des articles L. 145-33, L. 145-34 , la société Salem demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris ce qu'il a débouté la SCI du 20 avenue de Clichy de ses demandes, à son encontre,
- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Salem à la moitié des dépens qui incluront les frais de l'expertise,
- condamner la SCI du 20 avenue de Clichy à lui régler la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens qui incluront les frais d'expertise de première instance et d'appel, dont distraction.
MOTIFS
Sur la demande de déplafonnement
La SCI du 20 avenue de Clichy sollicite le déplafonnement du loyer en arguant en premier lieu de l'existence des modifications notables suivantes des facteurs locaux de commercialité :
- la fréquentation des stations de métro [Localité 5] et [Localité 4] situées à proximité qui a augmenté de 16 % en moyenne ; bien que cette augmentation soit inférieure à celle observée sur l'ensemble du réseau, elle considère qu'elle est notable en ce qu'elle entraîne un flux complémentaire de chalands et qu'elle présente un intérêt pour le commerce considéré,
- de nouvelles constructions ont été édifiées durant la période, notamment 51 immeubles neufs, agrandis ou rénovés, l'ouverture en 2003 du jardin [Localité 3] d'une superficie de 3 500 m² qui attire un flux de passants notamment d'enfants, et la création de l'espace d'exposition café librairie « [Établissement 1] » au [Adresse 3].
Elle fonde également sa demande de déplafonnement sur la modification des obligations respectives des parties et des caractéristiques du local à savoir :
- la prise en charge par la locataire, au cours du bail expiré, des travaux de mise en conformité avec les règles de sécurité ou d'hygiène ou de travail ainsi que les nouvelles règles qui pourraient être édictées en ces différents domaines,
- la transformation par la locataire de 34,90 m² de locaux situés au premier étage en appartement d'habitation directement relié au magasin ainsi que du garage en réserve commerciale fermée par une porte à double vantaux et surélevée d'une marche, courant 2004, (sans accord préalable), le tout caractérisant une modification notable des lieux et une amélioration de leurs conditions d'exploitation.
La société Salem conclut à la confirmation de l'absence de réunion des conditions de déplafonnement ; en effet, si la société Salem s'est engagée, en achetant le fonds au précédent exploitant en liquidation judiciaire, à procéder à la réalisation des travaux de mise en conformité prescrits par l'arrêté préfectoral du 27 septembre 2002, aucune modification des obligations des parties n'a été mentionnées au bail.
Sur les autres critères de déplafonnement, elle s'en remet à l'appréciation de l'expert judiciaire et sollicite la confirmation du jugement entrepris : la rénovation de l'appartement du premier étage n'a pas modifié l'assiette du bail, est sans incidence sur les surfaces de vente et ne concerne qu'une partie infime des locaux ; le garage reste un garage à usage d'abri pour les véhicules des salariés ; les constructions nouvelles n'ont pas modifié de façon notable le flux des chalands et aucune enseigne nationale ne s'est installée à proximité des locaux.
SUR CE,
Il résulte des constatations faites par l'expert judiciaire M. [Q], non discutées par les parties, que les locaux dépendent d'un immeuble situé [Adresse 5]n, courte voie secondaire à sens unique qui relie l'[Adresse 4] de commercialité nulle.
L'expert décrit une assez bonne situation pour une boutique, dans un quartier à vocation essentiellement résidentielle mais populaire, sur une voie de forte commercialité avec peu d'enseignes nationales mais une dominante d'enseignes indépendantes et de commerces de proximité. Les stations de métro [Localité 5] et [Localité 4] sont situées respectivement à 200 et 300 m des locaux.
Les locaux considérés dépendent d'un immeuble ancien de bonne qualité de construction , en bon état d'entretien apparent, comportant une aire de vente ; la boutique et le premier étage sont en bon état et le sous - sol et les 2e et 3e étages sont en état d'usage.
Les surfaces utiles sont de 199, 80 m2 au rez - de - chaussée, de 119, 40 m2 au sous - sol, de 128, 60 m2 au 1er étage, de 43, 80 m2 aux 2e et 3e étage, soit, au total une surface de 535, 40 m2.
Au rez-de-chaussée se trouvent la boutique composée d'une vaste aire de vente, une pièce en longueur permettant l'accès à la cour et à l'escalier conduisant au sous - sol, une pièce sans jour, un ancien garage aménagé en réserve , une réserve, deux vestiaires, une salle de repos , des sanitaires, une petite salle d'archives et deux bureaux ;
au sous - sol se développent un vaste compartiment, un laboratoire traiteur, un local de lavage, un laboratoire pâtisserie, une réserve et un fournil ;
au 1er étage, accessibles depuis l'arrière boutique, un palier cuisine, un séjour, un petit sanitaire et une chambre et, accessibles depuis les parties communes, un appartement de plusieurs pièces, au 2ème et 3ème étages deux petits appartements.
L'article L 145 - 34 du code de commerce prévoit le plafonnement du loyer lors du renouvellement du bail, sauf en cas de modification notable des caractéristiques du local considéré, de la destination des lieux, des obligations respectives des parties ou des facteurs locaux de commercialité, et il appartient au bailleur d'en rapporter la preuve.
S'agissant de la transformation par la SCI du 20 avenue de Clichy de 34,90 m² de locaux situés au premier étage, anciennement chambre à farine, en appartement d'habitation directement relié au magasin, l'expert expose que cette transformation ne modifie pas la surface accessible à la clientèle, n'affecte que 34, 90 m2 sur les 12, 60 m2 du 1er étage et ne représente que 6, 52 % de la surface totale des locaux ; la cour estime, comme le tribunal que cette modification des caractéristiques du local existe puisqu'une chambre à farine a bien été transformée en appartement mais qu'il ne s'agit pas d'une modification notable de ces caractéristiques, compte tenu du faible pourcentage de surface des locaux affectés par ces travaux et de l'absence de modification notable des conditions d'exploitation du local ; qu'en effet, si cet appartement permet un accès direct à l'arrière cuisine, accès qui n'existait pas avant 2004, l'accès au 1er étage existait déjà depuis la surface de vente par les parties communes de sorte que l'exploitant pouvait déjà, avant l'exécution desdits travaux, disposer d'une habitation située au dessus du local de vente, et s'y déplacer en dehors des heures d'ouverture au public.
La transformation du garage en réserve avec une marche et des portes battantes a bien été constatée par l'expert mais l'expert indique que l'accès du garage à une voiture de petit ou moyen gabarit reste possible de sorte qu'il ne s'agit pas d'une modification notable des caractéristiques du local telles que définies à l'article R 145 - 3 du code de commerce.
Sur l'acte de cession du fonds de commerce versé aux débats, figure un rappel des conditions du bail cédé renouvelé le 19 mars 2002, et notamment la prise en charge par le preneur des travaux de conformité avec les règles de sécurité ou d'hygiène. La difficulté vient du fait que cette clause ne figure pas au bail sus désigné, et qu'aucun avenant n'a été signé mettant ces travaux à la charge du preneur, ce dernier reconnaissant simplement qu'il avait effectivement exécuté, lors de son entrée dans les lieux, les travaux prescrits par arrêté préfectoral du 27 septembre 2002. En tout cas, la preuve n'est pas faite de la modification des obligations du preneur, la simple exécution par lui de certains travaux de conformité ne créant pas la modification des obligations contenues dans le bail.
S'agissant de la modification prétendue des facteurs locaux de commercialité, il est rappelé que, selon l'article R 145 - 6 du code de commerce, les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire.
Le premier juge a justement considéré que la hausse de 16 % de la moyenne de fréquentation des stations de métro [Localité 5] et [Localité 4] n'est pas une modification notable des moyens de transport permettant l'accès au local puisqu'elle est inférieure à l'augmentation moyenne de la fréquentation du métro parisien qui s'établit à 28, 14 % pour la période considérée.
L'édification ou la restructuration au cours du bail expiré de 256 logements et de 3 305 m2 de locaux divers dans un rayon de 400 mètres des lieux loués, dont 167 appartements et 2067 m2 de locaux divers en constructions neuves, sont des éléments susceptibles d'avoir apporté un flux supplémentaire de chalands favorables au commerce concerné de boulangerie, pâtisserie, confiseur, glacier, cuisine mais ces seuls éléments ne constituent pas une modification notable de la commercialité bien que s'y ajoute la création du jardin [Localité 3] d'une superficie de 3 500 m2 ouvert au public en 2003 qui apporte à la société locataire de nouveaux clients, et notamment des enfants et des familles fréquentant ce nouveau jardin; mais celle-ci n'influe pas notablement sur la commercialité, étant précisé qu'une autre boulangerie située, comme les lieux loués, à proximité d'une des entrées du jardin, profite également de ces nouveaux chalands. La création d'un espace d'exposition café librairie dénommé [Établissement 1] au [Adresse 3] est sans impact notable sur la commercialité dans la mesure où cet espace est lui même doté d'un espace café.
Il s'ensuit que n'est pas rapportée la preuve d'une modification notable des caractéristiques du local considéré, des obligations respectives des parties ou des facteurs locaux de commercialité au cours du bail expiré, de sorte que le jugement entrepris qui a rejeté la demande de déplafonnement et fixé le loyer dû à compter du 1er janvier 2011 à la somme de 38 735, 31 € en principal sera confirmé.
Le surplus du jugement sera confirmé, y compris sur les intérêts au taux légal qui courront à compter de l'assignation du 22 mars 2011, et en ses dispositions sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens, qui ont justement été partagés entre les parties, la procédure et l'expertise ayant été nécessaires pour fixer les droits respectifs des parties, à l'exception de la capitalisation des intérêts qui sera autorisée conformément à l'article 1154 du code civil.
En cause d'appel, la SCI du 20 avenue de Clichy qui succombe sera condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, avec distraction.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris, à l'exception de la capitalisation des intérêts qui est autorisée dans les conditions de l'article 1154 du code civil,
Y ajoutant, condamne la SCI du 20 avenue de Clichy à payer à la société Salem la somme de 3000 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
Condamne la SCI du 20 avenue de Clichy aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE