Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 9
ARRET DU 15 OCTOBRE 2015
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/03986
Décision déférée à la Cour : Ordonnance rendue le 19 Janvier 2015 par le Juge commissaire près le Tribunal de Commerce de MELUN - RG n° 2014M03093 / 2012J00483
LES SOUSCRIPTEURS DU LLOYD'S
pris en la personne de leur Mandataire Général pour les opérations en France, la SAS LLOYD'S FRANCE SAS immatriculée au RCS de Paris sous le n° 422 066 613,
ayant son siège [Adresse 1]
[Localité 1]
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
représentée par Me Manuel RAISON de la SELARL Société d'exercice libéral RAISON-CARNEL, avocat au barreau de PARIS, toque : C2444
INTIMÉE
Madame [V] [C]
demeurant [Adresse 2]
[Localité 2]
n'ayant pas constitué avocat
INTIMÉE
SCP[G] [G] prise en la personne de Me[T] [G]
ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société THIERRY PONTAINE
ayant son siège [Adresse 3]
[Localité 3]
représentée par Me Pascal GOURDAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1205
INTIMÉE
SARL AGENCE THIERRYPONTAINE
immatriculée au RCS de Melun sous le n° 390 449 569
ayant son siège [Adresse 4]
[Localité 2]
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
n'ayant pas constitué avocat
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Septembre 2015, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Michèle PICARD, Conseillère et Madame Christine ROSSI, Conseillère
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Michèle PICARD, Conseillère faisant fonction de Présidente
Madame Christine ROSSI, Conseillère
Monsieur Joël BOYER, Conseiller appelé d'une autre chambre afin de compléter la Cour
qui en ont délibéré,
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Michèle PICARD dans les conditions prévues par l'article 785 du Code de procédure civile,
Greffier, lors des débats : Monsieur Xavier FLANDIN-BLETY
MINISTERE PUBLIC : l'affaire a été communiquée au Ministère Public
ARRÊT :
- par défaut
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Michèle PICARD, Conseillère, aux lieu et place de Monsieur François FRANCHI, Président, empêché, et par Monsieur Xavier FLANDIN-BLETY, Greffier présent lors du prononcé.
*
La société Thierrypontaine a pour objet l'exploitation en location-gérance de fonds de commerce de transaction, acquisition et exploitation de biens immobiliers de la société Century 21 CERIM. Elle a souscrit par l'intermédiaire de la société SEGAP un contrat de garantie financière auprès des Souscripteurs du Lloyd's.
La société Agence Thierrypontaine a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Melun le 19 novembre 2012.
Madame [C] ( le mandant), propriétaire d'un bien géré selon mandat donné à la société Agence Thierrypontaine, a déclaré sa créance qui a été admise pour un montant de 9.215, 95 euros au passif de la société Agence Thierrypontaine au titre des fonds mandants selon l'état des créances du 20 décembre 2013.
Les Souscripteurs du Lloyd's ayant déposé une réclamation auprès du juge commissaire, ce dernier l'a rejetée par ordonnance rendue le 19 janvier 2015.
Le juge commissaire a constaté en premier lieu que les Souscripteurs du Lloyd's avaient un intérêt à former réclamation sur l'état des créances de la société Agence Thierrypontaine, que la créance a été admise au titre des fonds mandants et non au titre d'un préjudice d'anxiété et que les fonds mandants n'avaient pas été déposés sur un compte spécifique dédié et qu'ils étaient donc entrés dans le patrimoine de la société Agence Thierrypontaine.
Estimant que la créance n'aurait pas dûe être admise, s'agissant de fonds mandants n'entrant pas dans le passif de la société Agence Thierrypontaine et craignant que le mandant ne lui oppose l'ordonnance litigieuse pour solliciter la mise en oeuvre de sa garantie financière alors qu'elle n'avait pas été en mesure de vérifier le caractère certain, liquide et exigible de la créance, les Souscripteurs du Lloyds ont interjeté appel de cette ordonnance le 19 février 2015.
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Dans leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 19 juin 2015 les Souscripteurs du Lloyd's demandent à la cour d'appel de :
- Constater que Les Souscripteurs du Lloyd's ont intérêt à former réclamation à l'encontre de l'ordonnance ayant admis la créance du mandant au passif de la société Agence Thierrypontaine ;
- Constater que l'ordonnance ayant admis la créance du mandant au passif de la société Agence Thierrypontaine porte préjudice aux Les Souscripteurs du Lloyd's;
- Déclarer en conséquence les Souscripteurs du Lloyd's recevables en leur demande ;
- Constater que les fonds mandants ne font pas partie du passif de l'administrateur de biens ;
- Constater que le juge commissaire du tribunal de commerce de Melun a statué sur des prétentions qui ne lui était pas soumises ;
En conséquence :
- Infirmer l'ordonnance rendue le 19 janvier 2015 par Monsieur le Juge-commissaire près le Tribunal de commerce de Melun en toutes ses dispositions ;
- Condamner le mandant à payer aux Souscripteurs du Lloyd's une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner le mandant aux dépens.
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Par conclusions transmises par voie électronique le 9 avril 2015 la SCP [G]-[G], ès qualités de liquidatrice de la liquidation judiciaire de la société Agence Thierrypontaine demande à la cour d'appel de :
-Vu l'article 55 du décret du 20 juillet 1972,
- Dire qu'à partir du moment où les fonds du mandat partie ont été intégrés à l'actif circulant de la société Agence Thierrypontaine, le patrimoine de la liquidation judiciaire est devenu le gage du mandat partie comme celui des autres créanciers de la société, le mandant partie étant dès lors recevable et bien fondé à déclarer le montant du détournement dont il a été la victime entre les mains de la SCP [G]-[G] ès qualités ;
- En conséquence, voir confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de Monsieur le juge-commissaire de la liquidation judiciaire de la société Agence Thierrypontaine ;
- Subsidiairement, vu l'article 42 alinéa 3 du décret du 20 juillet 1972,
- Dire que loin d'exclure la possibilité pour la victime d'un administrateur de biens de déclarer au passif de la procédure collective de cet administrateur de biens la somme détournée à son préjudice, ce texte a au contraire lié l'exécution de la garantie financière à la vérification du passif de l'administrateur de biens, donc à la déclaration de créance du mandant abusé ;
- En conséquence, voir confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de Monsieur le juge-commissaire de la liquidation judiciaire de la société Agence Thierrypontaine ;
- Plus subsidiairement, dire qu'il est en tout état de cause toujours loisible au mandant partie de déclarer, sur un autre fondement, son éventuelle créance mais ce, bien évidemment, dans la limite du montant de sa déclaration de créance d'origine ;
- Voir condamner les Souscripteurs du Lloyd's à payer à la SCP [G]-[G] en sa qualité de liquidatrice de la liquidation judiciaire de la société Agence Thierrypontaine la somme de 350 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Voir condamner les Souscripteurs du Lloyd's en tous les dépens dont distraction au profit de Maître Pascal Gourdain, avocat, dans les termes des articles 696 et 699 du Code de procédure civile.
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La déclaration d'appel ainsi que les conclusions des Souscripteurs du Lloyd's ont été régulièrement signifiées à Madame [C] qui n'a pas constitué avocat.
SUR CE,
La cour note en premier lieu que l'intérêt à agir des Souscripteurs du Lloyd's n'est pas contestable ni contesté, les Souscripteurs du Lloyd's, garant de la représentation des fonds confiés à l'agence Thierrypontaine ayant un intérêt à voir évitée une contrariété de décisions relatives au caractère certain liquide et exigible des créances garanties.
Les Souscripteurs du Lloyd's font valoir que la loi Hoguet du 2 janvier 1970 et son décret d'application du 20 juillet 1972 prévoient que lorsqu'un mandant est confronté à une non représentation de fonds il doit déclarer sa créance entre les mains du garant financier qui vérifie alors si la créance est certaine, liquide et exigible. Le garant financier devient donc le seul interlocuteur des mandants dans l'hypothèse d'une non représentation de fonds.
Ces fonds mandants n'entrent pas dans le passif de l'administrateur de biens, les deux procédures étant exclusives l'une de l'autre, sauf à être doublement indemnisés et à gonfler artificiellement le passif de l'administrateur de biens ou à ce que les mandants soient lésés par une répartition au marc le franc.
C'est pourquoi l'inscription des créances des mandants est contraire à la loi et à l'esprit du législateur.
De même, les Souscripteurs du Lloyd's font valoir que si le mandant obtient une créance d'admission au passif de l'administrateur des biens il pourrait ensuite l'opposer au garant financier et s'exonérer ainsi de la preuve du caractère certain liquide et exigible de leurs créances.
Ils ajoutent que ces créances n'ont pas à être déclarées puisqu'elles n'entrent pas dans le patrimoine de l'administrateur, elles ne font que transiter entre ses mains et elles obéissent à une comptabilité autonome.
Enfin Les souscripteurs du Lloyd's soutiennent d'une part qu'il n'est pas établi que les fonds n'avaient pas été déposés sur un compte spécifique dédié et d'autre part que peu importe qu'il n'y ait pas eu de compte spécifique dédié, la jurisprudence ne distinguant pas ces deux hypothèses. Ils reprochent au juge commissaire d'avoir statué ultra petita en relevant cet argument. Par ailleurs, dès lors que les fonds sont détournés ils ne sont plus sur un compte dédié par définition.
La SCP [G]-[G] fait valoir que les fonds mandants doivent être déposés par le mandataire sur un compte dédié et que c'est sur ce fondement qu'il est jugé qu'ils ne font pas partie de l'actif de la procédure collective de l'administrateur de biens. En l'occurrence, l'intimée souligne que les fonds n'ont pas été déposés sur un compte spécifique dédié et qu'ils sont donc entrés dans le patrimoine de la société. Les fonds ne pouvant être individualisés les mandants ne peuvent que déclarer leur créance au passif de la liquidation.
Subsidiairement, la SCP [G]-[G] soutient qu'il doit être déduit de l'article 42 alinéa 3 du décret du 20 juillet 1972 que les mandants ont bien la possibilité de déclarer leur créance au passif de la procédure collective.
Enfin, très subsidiairement, elle soutient que les mandants de la société Thierrypontaine ont la possibilité d'invoquer d'autres créances sur cette société que la somme perçue pour leur compte et qui ne leur a pas été reversée, notamment des créances de dommages et intérêts résultant du préjudice lié aux démarche multiples qu'ils ont dû accomplir ou celui lié à l'anxiété créée par une telle situation.
La cour constate que les sommes que le juge commissaire a inscrites au passif de la liquidation judiciaire de la société Agence Thierrypontaine sont des fonds mandants, soit des loyers payés par les locataires des biens dont l'Agence avait la gestion selon le mandat donné par le propriétaire, en l'espèce Madame [C]. Il ne s'agit en aucun cas de créances de dommages et intérêts comme tente de le faire valoir l'administrateur et il n'appartient pas à cette cour d'imaginer que tel pourrait être le cas en l'absence de demandes.
La loi n°70-9 du 2 janvier 1970 (loi Hoguet) relative au droit applicable aux professionnels de l'immobilier, et son décret d'application du 20 juillet 1972, réglementent l'activité par laquelle une personne physique ou morale se livre ou prête son concours aux opérations portant sur les biens d'autrui et relatives notamment à la location de biens immobiliers. A ce titre, la relation entre les parties reçoit la qualification de mandat, dans la mesure où l'intermédiaire immobilier accomplit des actes juridiques au nom et pour le compte de son client. Dans ce cadre, le mandataire, agent immobilier, recueille des fonds pour le compte de son mandant et par hypothèse, de tels fonds ne figurent pas au passif de son patrimoine. Les fonds récoltés demeurent étrangers au patrimoine de l'agence immobilière et ne font que transiter par ses comptes.
La cour rappelle que par ailleurs, les agents immobiliers sont tenus en vertu de l'article 3 de la loi Hoguet de souscrire une garantie financière dont le but est de couvrir les fonds mandants non représentés, soit les sommes remises par les locataires au gestionnaire mandataire pour le compte du mandant et non restituées après déduction des charges.
La garantie financière couvre toute créance ayant pour origine un versement ou une remise effectués à l'occasion d'une opération mentionnée à l'article 1er de la loi du 2 janvier 1970 (art. 39, al. 1er, D. 20 juillet 1972).
En vertu de l'article 48-5 du décret du 20 juillet 1972 "La garantie intervient sur les seules justifications présentées par le créancier (le mandant de l'agent immobilier défaillant à lui restituer les fonds) à l'organisme garant, établissant que la créance est certaine et exigible et que l'agence garantie est défaillante, sans que le garant puisse opposer au créancier le bénéfice de division et de discussion. La défaillance de l'agent garanti peut résulter soit d'un dépôt de bilan (...)."
Ainsi, le mandant, confronté à la non représentation des fonds par suite notamment d'un dépôt de bilan, doit déclarer sa créance entre les mains du garant financier et ce dernier vérifie si la créance est certaine liquide et exigible.
Il résulte de ces dispositions que le mandant dispose d'un droit de restitution des fonds, peu important que les fonds n'aient pas été déposés sur un compte spécifique dédié, lequel est couvert par une garantie financière et dispose d'une créance directe à l'encontre du garant en restitution de ces fonds détenus par l'agent immobilier.
Cette créance directe, organisée spécifiquement par la loi de 1971, ne constituant pas pour le mandant une créance de somme d'argent à l'encontre du mandataire au sens de l'article L622-24 du code de commerce , elle n'a pas dès lors à donner lieu à une déclaration de créance au passif du mandataire soumis à une procédure collective, les règles de la déclaration de créance lui étant inapplicables.
La cour relève au surplus que l'article 42 du décret du 20 juillet 1972 invoqué par la SCP [G] - [G] ne concerne que le délai de règlement des créances par le garant et qu'il ne peut être déduit de son alinéa 3 que les mandants auraient la possibilité de déclarer leurs créances au passif de la procédure collective.
Il convient en conséquence d'infirmer l'ordonnance entreprise.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Les Souscripteurs du Lloyd's sollicitent le paiement par Madame [C] de la somme de 3.000 euros à ce titre.
La cour rejettera cette demande dirigée à l'encontre du mandant qui n'a été intimé que pour des raisons de pure procédure.
PAR CES MOTIFS,
Infirme l'ordonnance rendue le 19 janvier 2015,
Rejette la créance déclarée au passif de la liquidation judiciaire de la société Agence Thierrypontaine par Madame [V] [C],
Déboute les Souscripteurs du Lloyd's de leur demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
LE GREFFIER, POUR LE PRESIDENT EMPÊCHé,
Xavier FLANDIN-BLETY Michèle PICARD