RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 7
ARRÊT DU 01 Octobre 2015
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/03946
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 22 janvier 2013 par le tribunal de grande instance de BOBIGNY - RG n° 11/00167
APPELANTE
OFFICE PUBLIC DE L'HABITAT [Localité 4] HABITAT
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentée par Me Didier Guy SEBAN de la SCP SEBAN ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0498
Ayant pour avocat plaidant Me Marie-Céline PELE de la SCP SEBAN ET ASSOCIES, avocate au barreau de PARIS, toque : P0498
INTIMÉS
Monsieur [K] [R]
né le [Date naissance 2] 1934 à [Localité 5] (ALGÉRIE)
C/ J. [U],
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté et ayant pour avocat plaidant Me Blaise GUICHON, avocat au barreau de PARIS, toque : D0573
Madame [P] [O]
née le [Date naissance 1] 1936 à [Localité 7] (30)
c/o [W],
[Adresse 2]
[Localité 2]
Comparante en personne
Représentée et ayant pour avocat plaidant Me Blaise GUICHON, avocat au barreau de PARIS, toque : D0573
DIRECTION DÉPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES DE LA SEINE ST DENIS - COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT
France domaine
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Monsieur [X] [Y], commissaire du gouvernement, en vertu d'un pouvoir spécial
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 18 juin 2015, en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Christian HOURS, président de chambre, spécialement désigné pour présider cette chambre par ordonnance de Madame le premier président de la cour d'appel de PARIS,
Monsieur Paul André RICHARD, conseiller hors classe, désigné par Madame le premier président de la cour d'appel de PARIS,
Madame Isabelle SUBRA, juge de l'expropriation au tribunal de grande instance d'EVRY désignée conformément aux dispositions de l'article L. 13-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique
GREFFIÈRES : Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, lors des débats
Madame Isabelle THOMAS, lors du délibéré
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Christian HOURS, président et par Madame Isabelle THOMAS greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel formé par l'Office public de l'habitat [Localité 4] Habitat ([Localité 4] Habitat) d'un jugement du juge de l'expropriation de Bobigny en date du 22 janvier 2013, fixant à la somme de 80 000 euros, l'indemnité totale de dépossession due à M.[K] [R] et à Mme [P] [O], au titre de l'expropriation des lots 1, 2 et 25 leur appartenant du bien situé [Adresse 4] sur la parcelle I n°[Cadastre 1] de 322 m² et leur allouant la somme de 3 000 euros pour compenser les frais non compris dans les dépens, à la charge de l'expropriant.
Pour l'exposé complet des faits, de la procédure des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux écritures :
- de l'appelante, reçues au greffe les 25 avril 2013 et 21 juillet 2014 , aux termes desquelles [Localité 4] Habitat demande à la cour d'infirmer le jugement précité et, statuant à nouveau, de fixer l'indemnité à revenir à M.[R] et Mme [O] à la somme de 8 380 euros, tous chefs de préjudices confondus et de condamner ces derniers à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- des expropriés, reçues les 12 juin 2013 et 18 mai 2015, aux termes desquelles M.[R] et Mme [O] demandent à la cour de confirmer le jugement sauf sur le montant l'indemnisation qu'il veulent voir porter à 260 000 euros, sollicitant en outre la condamnation de [Localité 4] Habitat à leur payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- du commissaire du gouvernement reçues le 21 mai 2013, aux termes desquelles il propose à la cour de fixer les indemnités revenant aux consorts [R]/[O] comme suit :
- dans le cas où les dispositions de l'article 18 de la loi 70-612 du 10 juillet 1970, modifiée relative à la lutte contre l'habitat insalubre s'appliquent, à la somme de 12 600 euros ;
- dans le cas où elles ne s'appliquent pas, à une valeur unitaire de 1 200 euros le m² ;
Il sera seulement rappelé que l'immeuble abritant les lots des intimés était sur le terrain situé [Adresse 4] (parcelle cadastrée I n°[Cadastre 1]), concerné par une opération de requalification urbaine de l'îlot [Localité 6] sur la commune de [Localité 4]. L'immeuble a fait l'objet d'un arrêté de péril, le 18 mars 1982, puis d'un arrêté de péril imminent, le 25 septembre 1985. Il a été démoli par la commune de [Localité 4], à la suite de quoi, faute de cession amiable à son profit des droits réels immobiliers des copropriétaires, une procédure d'expropriation a été engagée.
Par arrêté du 24 octobre 2007, le préfet a déclaré d'utilité publique l'acquisition par [Localité 4] Habitat des lots de copropriété situés dans l'immeuble sis [Adresse 4], puis a déclaré, le 19 novembre 2007 (arrêté validé sur le recours de M.[R] et Mme [O] par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, le 29 décembre 2010), immédiatement cessibles pour cause d'utilité publique les droit réels immobiliers nécessaires pour parvenir à l'exécution de l'arrêt déclaratif d'utilité publique.
L'ordonnance d'expropriation a été rendue le 16 janvier 2008.
Faute d'accord de M. [R] et Mme [O] sur ses offres (en définitive 8 330 euros), [Localité 4] Habitat a saisi, le 6 décembre 2011, le juge de l'expropriation près le tribunal de grande instance de Bobigny, qui a rendu la décision attaquée.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Considérant que [Localité 4] Habitat fait valoir que :
- l'immeuble en litige, déjà détruit, était vétuste, s'étant en outre dégradé de manière importante à la suite de travaux importants engagés par un copropriétaire sans autorisation, nécessitant sa démolition ;
- la ville de [Localité 4] avait sollicité une expertise devant le tribunal d'instance et c'est au vu des rapports établis en février et mars 1982 que l'arrêté de péril a été pris, le 18 mars 1982 ;
- les copropriétaires n'ayant pas mis en oeuvre les travaux de chaînage et d'ancrage pour consolider l'immeuble, l'arrêté de péril imminent a été pris, le 25 septembre 1985, après que le maire eut, la veille, interdit l'occupation, de jour comme de nuit, du bâtiment A ;
- aucun travaux n'ayant été entrepris par les copropriétaires, il a été nécessaire, pour assurer la sécurité publique, de démolir l'immeuble en 1990 ;
- la procédure d'expropriation a été mise en oeuvre pour purger la situation au regard des droits réels immobiliers qui perduraient et qui devaient, en application d'un accord qui n'a pas été respecté, être transférés gratuitement à la ville ;
- il a été décidé de créer des logements sociaux sans aucun souci de promotion immobilière ;
- la date de référence est le 22 septembre 2011 ;
- le jugement est vicié d'une contradiction flagrante puisque si, d'une part, il est indiqué que les éléments comparatifs doivent correspondre à des terrains sur lesquels serait élevée une copropriété grevée d'un arrêté de péril imminent, il apparaît d'autre part que la détermination réelle du prix unitaire par le premier juge n'a été opérée qu'au vu de ventes portant sur des terrains nus, sur l'ensemble du territoire de la ville, notamment sur des secteurs éloignés du terrain en cause, sans que l'existence d'un arrêté de péril imminent soit relevé, ce qui a eu pour conséquence d'augmenter sensiblement le montant de l'indemnité ;
- la valorisation de la construction qui a été faite n'est pas acceptable car celle-ci était très dégradée, ce qui justifiait sa démolition, de sorte qu'un abattement pour encombrement aurait dû être opéré à partir de la valeur du terrain nu ;
- rien ne justifiait qu'en sens inverse la valeur du terrain nu soit rehaussée de 20 % ;
- c'est la méthode de la récupération foncière qui doit être appliquée ;
- les expropriés ont fait preuve d'un comportement dilatoire et agressif, bien qu'ils n'étaient nullement impuissants, ayant d'ailleurs diligenté un recours contre l'arrêté de cessibilité ;
- les demandes d'indemnisation des intimés ne sont aucunement justifiées ;
- la perte alléguée de revenus commerciaux afférents à l'activité de M.[R] (réparation d'appareils électroménagers) est imputable au copropriétaire fautif qui a réalisé les travaux ayant amené à déclarer l'immeuble en péril ; ce préjudice ne peut être indemnisé par l'expropriant, puisqu'il a précédé de plusieurs années l'opération d'expropriation ; il n'est pas établi que M.[R] ait cessé son activité au moment de la démolition de l'immeuble en 1990 alors que la date de cessation d'activité mentionnée sur le certificat de radiation est le 14 avril 1991 ; aucun document proche de l'année 1990 n'a été versé ;
- l'offre faite était satisfaisante au vu des éléments de comparaison versés aux débats ;
Considérant que M. [R] et Mme [O] font valoir que :
- ils étaient propriétaires indivis des lots n°1 (commerce), 2 (logement) et 25 (cave) dans la copropriété du [Adresse 4], où ils ont habité de 1968 à 1990, date où ils en ont été expulsés en 1990, sans avoir reçu aucune indemnisation pendant 20 ans ;
- une intervention immédiate de la collectivité aurait permis d'éviter un enlisement à la suite de la réalisation non autorisée de travaux par un copropriétaire, qui ont dégradé l'immeuble ;
- l'immeuble a été démoli sans qu'aucune cession de droits n'ait été opérée, ce qui leur a fait perdre leur logement familial et leur seule source de revenus ;
- la proposition d'indemnisation faite est dérisoire et ne prend pas en compte la perte du fonds de commerce ni la perte de revenus qui en découle ;
- il convient en effet de retenir les biens tels qu'ils existaient avant la démolition (appartement de 75 m² et fonds de commerce de réparateur-vendeur de matériel hifi) et non un terrain nu, [Localité 4] Habitat ne pouvant se prévaloir de la démolition réalisée sans avoir préalablement acquis le bien;
- la méthode de la récupération foncière doit être écartée, étant précisé que la famille [R] avait son domicile dans les locaux depuis le 20 février 1968 jusqu'au jour de la destruction de l'immeuble en 1990 et que M.[R] y exploitait son fonds de commerce ;
- ils ont justifié de leur préjudice avec les moyens dont il ont pu disposer aussi longtemps après les faits (210 000 euros pour le bien immobilier, 50 000 euros pour le fonds de commerce) ;
Considérant que le commissaire du gouvernement fait deux propositions selon que l'on applique ou non la valeur de la récupération foncière ; dans le premier cas, il détermine une valeur du terrain, puis en fonction du nombre de millièmes détenus par les intimés, aboutissant à une indemnité totale de 12 600 euros et dans le second cas, selon la valeur vénale, de 1 200 euros au m², sous réserve que les parties fournissent la surface utile des locaux ;
Considérant que la méthode de la récupération foncière pour le calcul de l'indemnité proposée par [Localité 4] HABITAT ne saurait être retenue dès lors que cette méthode suppose que sur le terrain convoité est édifiée une construction sans valeur au regard de celle du terrain et que dans ce cas , seule la valeur du terrain nu est prise en compte diminuée du coût de la démolition à intervenir ;
Considérant en outre que cette méthode ne saurait être appliquée, les consorts [R]/[O] occupant les locaux démolis deux ans avant l'arrêté d'insalubrité comme le démontre notamment le certificat de radiation du répertoire des métiers de M [R] en date du 10/4/199I ;
Considérant que l'indemnité devra tenir compte du prix du marché de l'immobilier à la date du jugement ; que selon les termes de comparaison versés aux débats , le prix moyen du m² de terrain s'élève à la somme de 1 090 € ; qu'en conséquence, la superficie du terrain étant de 322 m² soit un total de 350 980 € ou 25 972 € pour les consorts [R] / [O] qui n'étaient propriétaires que de 74/000èmes ;
Que la Cour ne retiendra pas l'augmentation de 20 % retenue par le premier juge alors que les frais de démolition ont été pris en charge par la puissance publique ;
Considérant que la Cour retenant les motifs pertinents du premier juge confirmera la somme de 4 000 € allouée au titre du préjudice lié à la perte du fonds de commerce ;
Considérant que la Cour confirmera le mode de calcul de l'indemnité de remploi ce qui donne une indemnité accessoire de 3 997 € soit une indemnité totale de 33 969 € ;
Considérant que le premier juge a justement évalué le préjudice au titre de la perte de revenus à la somme de 40 000 €, aucune pièce nouvelle de nature à permettre une autre évaluation n'étant soumise à la Cour , l'indemnité sera confirmée de ce chef ;
Considérant que les consorts [R]/[O] soutiennent avoir subi un préjudice moral ;
Mais, considérant que l'article L 13-13 du code de l'expropriation exclut l'indemnisation du préjudice moral dès lors qu'il dispose que ' les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel, et certain causé par l'expropriation .' ;
Considérant que l'indemnité totale de dépossession s'élève donc à la somme globale de 73 969 € arrondi à la somme de 74 000 € ;
Considérant qu'il sera fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort
RÉFORME le jugement uniquement du chef de l'indemnité ;
Statuant à nouveau,
FIXE à 74 000 € l'indemnité totale de dépossession due par [Localité 4] HABITAT à M [R] et Mme [O] dans le cadre de l'opération d'expropriation du bien situé [Adresse 4] sur la parcelle 1 n° [Cadastre 2] d'une superficie de 322 m², lots 1,2 et 25 ;
CONDAMNE [Localité 4] HABITAT à verser la somme de 3 000 € au visa de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE [Localité 4] HABITAT aux dépens.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT