RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 30 Septembre 2015
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/05811 - S 14/06284
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 13 mai 2014 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section commerce - RG n° 11/12089
APPELANTE à titre principal (14/05811)
INTIMEE à titre incident (14/06284)
SA LES HOTELS BAVEREZ exerçant sous l'enseigne commerciale 'HOTEL REGINA', venant aux droits de la société SA HOTEL REGINA PARIS
[Adresse 1]
[Localité 1]
N° SIRET : 572 158 558 00013
représentée à l'audience du 24 juin 2015 par Me Corinne CANDON, avocat au barreau de PARIS, J61
INTIME à titre principal (14/05811)
APPELANT à titre incident (14/06284)
Monsieur [B] [M]
[Adresse 2]
[Localité 2]
né le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 3]
non comparant à l'audience du 24 juin 2015
ayant pour avocat Me Marie-Paule RICHARD-DESCAMPS, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE, PN 265
COMPOSITION DE LA COUR :
Après avoir été débattue en audience publique et collégiale du 08 avril 2015, l'affaire est revenue au rôle de la cour, à l'audience publique du 24 juin 2015 pour dépôt des dossiers devant Madame Christine ROSTAND, présidente de la chambre, chargée du rapport, en application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Christine ROSTAND, présidente de la chambre
Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller
Madame Aline BATOZ, vice présidente placée
qui en ont délibéré
Greffier : Monsieur Franck TASSET, lors des débats
ARRET :
- réputé contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Christine ROSTAND, présidente et par Madame Marion AUGER, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en formation de départage du 7 mai 2014 ayant':
- dit que le licenciement pour faute grave de M. [B] [M] est fondé
- condamné la SA Hôtel Régina Paris à régler à M. [B] [M] la somme de 88 971,92 € bruts de rappel de rémunération au titre du service de 15% et 8'897,19 € de congés payés afférents, avec intérêts au taux légal partant du 22 septembre 2011 et leur capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil
- ordonné la remise par la SA Hôtel Régina Paris à M. [B] [M] des bulletins de paie conformes
- condamné la SA Hôtel Régina Paris à payer à M. [B] [G] la somme de 1'500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- débouté les parties du surplus de leurs prétentions
- condamné la SA Hôtel Régina Paris aux dépens';
Vu les déclarations d'appel de la SA Les Hôtels Baverez exerçant sous l'enseigne commerciale «Hôtel Régina», venant aux droits de la SA Hôtel Régina Paris, et de M. [B] [M], reçues au greffe de la cour respectivement les 27 mai (RG 14/05811) et 6 juin 2014 (RG 14/06824) ;
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 08 avril 2015 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de la SA Les Hôtels Baverez qui demande à la cour':
.à titre principal, de':
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a jugé bien fondé le licenciement pour faute grave de M. [B] [M]
- l'infirmer en ce qu'elle l'a condamnée à régler la somme de 88'971,92 € (+ 8'897,19 €) à titre de rappel de rémunération correspondant au service de 15% à M. [B] [M] qui sera en conséquence débouté de ce chef ainsi que de ses autres prétentions
- condamner reconventionnellement M. [B] [M] à lui verser la somme indemnitaire de 15'000 € en application de l'article 1382 du code civil pour «le préjudice d'image subi par la société» (demande nouvelle), ainsi que celle de 3'000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
.subsidiairement, si elle venait à juger que le licenciement de M. [B] [M] est sans cause réelle et sérieuse, de dire que l'indemnité lui revenant à ce titre ne peut se cumuler avec une indemnité pour licenciement irrégulier et, en toute hypothèse, de réduire sa réclamation afférente à de plus justes proportions tout en ordonnant la consignation des sommes de nature salariale sur un compte CARPA dans l'attente de l'épuisement des voies de recours';
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du du 08 avril 2015 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de M. [B] [M] qui demande à la cour de':
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a sur le principe dit que le pourcentage de service avec les congés payés afférents lui sont dus
- l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, condamner la SA Les Hôtels Baverez à lui régler les sommes de':
' 5'221,94 € et 522,19 € de congés payés afférents au titre de l'indemnité compensatrice légale de préavis ou 10'620,58 € (+ 1'062,05 €) sur la base d'un salaire reconstitué
' 2'610,97 € d'indemnité légale de licenciement ou 5'310,29 € sur la base d'un salaire reconstitué
' 6'000 € nets d'indemnité au titre des «salaires qu'il aurait dû percevoir pendant toute la durée de la procédure de licenciement pour motif économique»
' 31'330 € nets de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou ' 63'723,49 € sur la base d'un salaire reconstitué
' 20'000 € nets d'indemnité «au titre du manquement à l'obligation de (lui) proposer un contrat de sécurisation professionnelle (CSP) dans le cadre d'un licenciement pour motif économique»
' 20'000 € nets d'indemnité pour préjudice moral
' 109'000 € nets d'indemnité au titre du pourcentage de service de 15% avec les congés payés afférents
' 3'000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile
avec intérêts au taux légal partant de la saisine du conseil de prud'hommes et leur capitalisation
- dire que la SA Les Hôtels Baverez devra lui remettre les bulletins de paie et une attestation Pôle emploi conformes à l'arrêt à intervenir.
MOTIFS
Sur la jonction
Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il sera ordonné en application de l'article 367 du code de procédure civile la jonction de l'instance RG 14/06284 à celle référencée RG 14/05811.
Sur la demande de nature salariale
La SA Les Hôtels Baverez exerçant sous l'enseigne commerciale «Hôtel [G]» a recruté M. [B] [M] en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein (169 heures mensuelles) ayant pris effet le 4 septembre 2006, en qualité de chef de rang-barman, qualification employé-niveau III-échelon 1 de la convention collective nationale des Hôtels-Cafés-Restaurants (HCR), moyennant un salaire de base de 1'411,15 € bruts mensuels «auquel s'ajouteront': les indemnités conventionnelles de nourriture et les indemnités de transport en vigueur pour la région parisienne, ainsi que la répartition éventuelle du service 15% aux ayants droit, selon les accords des 31 mars 1952 et février 1957».
C'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges, au visa des articles L. 3244-1 et L.3244-2 du code du travail et se fondant sur le contrat de travail et l'accord d'entreprise du 31 mars 1952 ainsi que sur les tableaux dressés par la salarié, ont condamné l'appelante à régler à M. [B] [M] la somme de 88'971,92 € bruts correspondant à un rappel de rémunération au titre des commissions dites de service de 15% avec majorations de 10%, ainsi que celle de 8'897,19 € d'incidence congés payés, avec intérêts au taux légal partant du 22 septembre 2011, date de réception par l'employeur de la convocation en bureau de conciliation, sans qu'il soit ordonné la consignation de ladite somme sur un compte CARPA.
Le jugement querellé sera en conséquence confirmé de ce chef.
La demande de consignation des sommes allouées sur un compte CARPA sera rejetée comme non fondée.
Sur les demandes au titre du licenciement
Sans l'avoir convoqué à un entretien préalable, l'appelante a notifié le 7 septembre 2011 à M. [B] [M] son licenciement pour faute grave ainsi motivé : « ' nous avons été informés en interne du fait que vous exerciez une activité parallèle et directement concurrente aux fonctions que vous exercez au sein du Bar du [G]».
Il lui est plus précisément reprochéle fait d'avoir exercé une activité professionnelle concurrente de celle du bar de l'hôtel [G] en rejoignant la société FORMA BAR créée par deux autres collègues de travail en la personne de MM. [C] [F], ancien chef barman, et [K] [Q], premier assistant chef barman, société allant, selon l'appelante, jusqu'à utiliser l'image et le matériel de l'hôtel, «en entretenant une confusion certaine dans l'esprit de (la) clientèle régulière» de l'établissement, ce qui a été de nature à «gravement désorganiser» la société qui «subit un préjudice d'image».
*
A titre liminaire, M. [B] [M] entend contester le bien fondé de son licenciement pour motif disciplinaire qui repose en définitive, selon lui, sur un «motif économique déguisé» dès lors que l'employeur a informé le personnel de l'entreprise en mars 2011 de sa décision de modifier la structure de la rémunération, et que suite au refus de certains des salariés concernés de conclure en ce sens un avenant à leur contrat de travail, il leur sera adressé à chacun en juillet 2011 un courrier en ces termes': «Malgré les contraintes pratiques et juridiques inhérentes à ce refus, nous vous indiquons que nous ne souhaitons pas nous diriger vers une procédure de licenciement pour motif économique».
Sur ce point, l'appelante répond que la situation économique de l'entreprise s'est dégradée depuis les quatre dernières années, que c'est dans ces conditions qu'il a été proposé aux salariés en avril 2011 une modification de leurs contrats de travail «consistant en un passage d'une rémunération au pourcentage de service à une rémunération fixe», que sept salariés dont M. [B] [M] ont exprimé leur refus d'une telle modification, que la procédure prévue en la matière renvoyant à un motif de nature économique a été respectée, et que c'est au cours de celle-ci qu'il a été découvert les faits caractérisés ayant conduit légitimement au licenciement pour faute grave de ce dernier.
*
Des pièces versées aux débats, il ressort que par un courrier du 28 mars 2011 il a été proposé aux salariés concernés «de quitter le système au pourcentage dit 15%» tout en leur précisant qu'ils recevront «la justification économique du changement du système de rémunération, ainsi qu'une proposition d'avenant à (leur) contrat de travail (leur) indiquant les éléments de (leur) nouvelle rémunération»; que M. [B] [M] a ainsi été rendu destinataire le 18 avril 2011 d'une proposition de modification de son contrat de travail concernant son mode de rémunération dans le cadre des dispositions de l'article L.1222-6 du code du travail; que suite à son refus, l'appelante lui a signifié le 12 juillet 2011 qu'elle ne souhaitait pas se «diriger vers une procédure de licenciement pour motif économique» emportant maintien de son contrat de travail puisque non soumis à la nouvelle grille de rémunération, et que sans même l'avoir convoqué à un entretien préalable, l'employeur l'a licencié pour faute grave en septembre 2011 seulement deux mois après qu'il a exprimé son refus.
On ne peut que relever la coïncidence troublante existant entre le refus légitime d'une modification de son contrat de travail dans l'un de ses éléments essentiels, tel qu'exprimé par M. [B] [M], et son licenciement pour faute grave sans respect de la procédure légale qui imposait à l'appelante de le convoquer à un entretien préalable selon les dispositions issues de l'article L.1232-2 du code du travail.
Si l'appelante a pu sur le principe valablement introduire une procédure de modification des contrats de travail de certains des salariés au titre de la rémunération leur étant servie dans sa partie variable en application de l'article L.1222-6 du code du travail, procédure s'inscrivant selon elle dans un contexte de dégradation récurrente de ses performances liée à «une concurrence inexorable sur le marché de l'hôtellerie de luxe, ce qui (l') a conduit(e) afin d'assurer la sauvegarde de la compétitivité de procéder à une réorganisation de ses établissements», initiative en elle-même légitime en vertu de son pouvoir de direction, la cour constatera cependant que c'est de manière totalement opportuniste qu'elle indique avoir pendant cette procédure de restructuration découvert le fait considéré par elle comme fautif, lequel reposerait «incontestablement sur un motif personnel» qualifiable de faute grave «rendant impossible le maintien de la relation contractuelle», faute grave privative des indemnités de rupture.
Dès lors que la cause réelle exacte du licenciement de M. [B] [M] est de nature économique, au-delà de l'apparence résultant de la qualification disciplinaire retenue par l'appelante, infirmant la décision critiquée, il y a lieu de juger son licenciement pour faute grave dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur la base d'une rémunération moyenne en sa partie fixe et variable de 5'310,29 € bruts mensuels que l'appelante ne conteste pas expressément dans ses dernières écritures puisqu'elle se contente de solliciter de la cour une diminution du montant «exorbitant» des prétentions de M. [B] [M], il convient de la condamner à lui régler les sommes de':
' 10'620,58 € d'indemnité compensatrice légale de préavis et 1'062,05 € de congés payés afférents, avec intérêts au taux légal partant du 22 septembre 2011 ;
' 5'310,29 € d'indemnité légale de licenciement avec intérêts au taux légal à compter du 22 septembre 2011';
' 53'000 € à titre de dommages-intérêts sans cause réelle et sérieuse représentant l'équivalent de 10 mois de salaires sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail, compte tenu de son âge (29 ans) et de son ancienneté dans l'entreprise (5 années), avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt.
L'application de l'article L.1235-3 du code du travail appelle celle de l'article L.1235-4 concernant le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de la totalité des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de six mois.
*
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [B] [M] de ses demandes indemnitaires en paiement d'une somme de 6'000 € au titre des salaires qu'il aurait dû, selon lui, percevoir «pendant toute la durée de la procédure de licenciement pour licenciement économique», ainsi que celle de 20'000 € pour un manquement à l'obligation de lui proposer une adhésion au contrat de sécurisation professionnelle (CSP) dans la mesure où, ayant été licencié pour un motif personnel disciplinaire, il est seulement admis à en contester le bien fondé, ce qu'il a fait à bon droit sur le terrain de la cause réelle exacte, mais sans que cela ne l'autorise pour autant à se rattacher au dispositif sur le licenciement pour motif économique qui n'a pas été formellement retenu par son employeur.
La décision de première instance sera également confirmée en ce qu'elle a rejeté la réclamation indemnitaire (20'000 €) de M. [B] [M] qui ne démontre pas la réalité d'un préjudice moral distinct de celui lié à la perte injustifiée de son emploi ayant déjà été réparée par l'indemnité que la cour a fixée à concurrence de la somme de 53'000 €.
Sur la capitalisation des intérêts
Il sera ordonné la capitalisation des intérêts au taux légal dans les conditions de l'article 1154 du code civil.
Sur la délivrance de documents sociaux
L'appelante remettra à M. [B] [M] les bulletins de paie et une attestation Pôle emploi conformes au présent arrêt.
Sur la demande indemnitaire reconventionnelle de la SA Les Hôtels Baverez
L'appelante est mal fondée à invoquer le préjudice d'image que lui aurait causé la publicité faite dans la presse sur la procédure devant le conseil de prud'hommes, l'intimé n'étant nullement responsable des articles publiés sur ce sujet.
La société Les Hôtels Baverez sera déboutée de cette demande.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
L'appelante sera condamnée en équité à payer à M. [B] [M] la somme de 2'000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
ORDONNE la jonction de l'instance RG 14/06284 à celle référencée RG 14/05811';
CONFIRME le jugement entrepris sauf en ses dispositions portant sur la contestation du licenciement pour faute grave';
Statuant à nouveau sur les demandes afférentes';
DIT et JUGE injustifié le licenciement pour faute grave de M. [B] [M] ;
CONDAMNE en conséquence la SA Les Hôtels Baverez à lui régler les sommes de':
' 10'620,58 € d'indemnité compensatrice légale de préavis et 1'062,05 € d'incidence congés payés avec intérêts au taux légal partant du 22 septembre 2011
' 5'310,29 € d'indemnité légale de licenciement avec intérêts au taux légal à compter du 22 septembre 2011
' 53'000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt';
Y ajoutant,
DIT n'y avoir lieu à consignation de la condamnation de nature salariale sur un compte CARPA;
ORDONNE le remboursement par la SA Les Hôtels Baverez aux organismes concernés de l'intégralité des indemnités de chômage versées à M. [B] [M] dans la limite de six mois;
ORDONNE la capitalisation des intérêts au taux légal sur les sommes allouées à M. [B] [M] dans les conditions de l'article 1154 du code civil;
ORDONNE la délivrance par la SA Les Hôtels Baverez à M. [B] [M] des bulletins de paie et d'une attestation Pôle emploi conformes au présent arrêt;
DÉBOUTE la SA Les Hôtels Baverez de sa demande indemnitaire reconventionnelle;
CONDAMNE la SA Les Hôtels Baverez à payer à M. [B] [M] la somme de 2'000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
CONDAMNE la SA Les Hôtels Baverez aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE