RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRÊT DU 29 Septembre 2015
(n° , 06 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/10371
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Février 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 13/00472
APPELANTE
Madame [Z] [J]
née le [Date naissance 1] 1966 à LAOS
[Adresse 2]
[Adresse 2]
comparante en personne
assistée de Me Nathan IFERGAN, avocat au barreau de PARIS, toque : E 0318
INTIMEE
SAS SOCIETE DES PETROLES SHELL
N° SIRET : 780 130 175 14035
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Stéphane FREGARD, avocat au barreau de NANTES
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Juin 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Christine LETHIEC, Conseiller, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Claudine PORCHER, président
Madame Marie-Aleth TRAPET, conseiller
Madame Christine LETHIEC, conseiller
Greffier : Mme Caroline CHAKELIAN, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Christine LETHIEC, conseiller, pour le président empêché et par Madame Caroline CHAKELIAN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société des Pétroles Shell (SPS) a embauchée Madame [Z] [J], à compter du 1er août 1989, par un contrat de travail à durée déterminée de 12 mois. L'intéressée a été titularisée dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée le 1er juin 1990, en qualité d'agent comptable, 1er degré.
Son dernier statut dans l'entreprise était celui d'ingénieur cadre, position 3A1, coefficient 460, en application de la convention collective nationale du pétrole et en contrepartie d'une rémunération mensuelle moyenne de 5 918,73 euros.
Au cours de l'année 2008, la société des Pétroles Shell a élaboré un plan global de réorganisation économique dit « France One ».
La consultation des représentants du personnel a eu lieu dans le cadre d'un accord de méthode signé le 19 décembre 2008 par la direction et les organisations syndicales représentatives de la société des Pétroles Shell, étant observé que la méthode de restructuration globale a été convenue à l'unanimité des organisations syndicales.
Cet accord de méthode prévoyait un plan de sauvegarde de l'emploi ayant vocation à s'appliquer à tout licenciement économique susceptible d'intervenir pendant la période courant du 1er septembre 2009 au 31 décembre 2011, dans le cadre du projet global de réorganisation «France-One » mené au niveau du groupe Shell en France ; parmi les mesures de ce plan figurait une mesure d'indemnisation complémentaire dite MSA 3.
Par courrier du 28 novembre 2011, Madame [Z] [J] était informée de la suppression de son poste à compter du 1er octobre 2010, date de mise en 'uvre du plan de sauvegarde de l'emploi, et de la fin de sa mission temporaire au 31 décembre 2011 qui lui avait été confiée pour 14 mois, en qualité de «Finance Advisor France», en vue d'accompagner les formalités financières et comptables nécessaires au déploiement du projet de désinvestissement des stations services de proximité initié par la société des Pétroles Shell.
Par courrier recommandé daté du 26 juin 2012, un licenciement pour motif économique a été notifié à Madame [Z] [J] et le contrat de travail a pris fin à l'issue du congé de reclassement de 9 mois, accepté par la salariée, dans les conditions stipulées au plan de Sauvegarde de l'Emploi.
La salariée acceptait le congé de reclassement de neuf mois, en bénéficiant de l'intégralité des stipulations visées dans le plan de sauvegarde de l'emploi.
Estimant ne pas être remplie de ses droits, Madame [Z] [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, lequel, par jugement rendu le 12 février 2014, a jugé fondé le motif économique du licenciement invoqué par la société des Pétroles Shell, en déboutant la salariée de ses demandes en indemnisation pour licenciement abusif et frais irrépétibles.
Le 29 septembre 2014, Madame [Z] [J] a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions visées par le greffe le 17 juin 2015 et soutenues oralement, Madame [Z] [J] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la société des Pétroles Shell à lui verser la somme de 118 374,60 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions visées par le greffe le 17 juin 2015 et soutenues oralement, la société des Pétroles Shell réfute les moyens et l'argumentation de l'appelante.
L'intimée sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a jugé que le licenciement de Madame [Z] [J] était fondé sur un motif économique sérieux de sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise et qu'il repose sur une cause réelle et sérieuse.
Elle conclut au rejet des prétentions indemnitaires de la salariée et elle forme une demande reconventionnelle de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées oralement lors de l'audience des débats.
SUR QUOI, LA COUR,
Sur le licenciement
Le motif économique
Aux termes de l'article L1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié et résultant d'une suppression ou d'une transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutive à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
Même s'il peut être tenu compte d'éléments postérieurs, le motif économique doit s'apprécier à la date du licenciement, étant observé que la seule existence de la concurrence ne caractérise pas une cause économique de licenciement et que lorsqu'une entreprise fait partie d'un groupe, les difficultés économiques de l'employeur doivent s'apprécier tant au sein de la société qu'au regard de la situation économique du groupe de sociétés exerçant dans le même secteur d'activité, sans qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux sociétés ou entreprises situées sur le territoire national.
En outre, il est constant que les mesures de réorganisation économique constituent un motif économique de licenciement lorsqu'elles sont nécessaires pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou, si celle-ci appartient à un groupe, le secteur d'activité concerné au sein du groupe.
Les motifs économiques sont ainsi exposés dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige :
« Suppression du poste de « Billing and Card Reconciliation France », suite à l'arrêt d'une partie des activités de la finance en France et à leur transfert dans un centre de services partagés.
Cette réorganisation a été rendue nécessaire pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise.
Elle s'inscrit dans un cadre à la fois global et local.
Le groupe Ryal Dutch Shell doit faire face à un contexte économique de plus en plus concurrentiel.
La pérennité du groupe Shell passe par le développement des activités amont nécessitant des investissements très lourds.
Ceci implique de renforcer la compétitivité du secteur aval, en particulier par une optimisation des coûts par une adaptation de l'organisation aux nouvelles contraintes économiques, au travers de la mise en place de centres de services partagés au niveau global,
Localement, la vente récente des trois raffineries Shell en France conduit à adapter les fonctions support et particulièrement l'activité Finance au nouveau périmètre d'activité Shell en France. En parallèle, la part des coûts des fonctions supports supportée par les business de la Société des Pétroles Shell ne cesse d'augmenter depuis 2005 passant de 23% à 67% de leur marge commerciale avant frais généraux.
De plus, concernant le marché français, les activités commerciales traditionnelles sont confrontées à une concurrence de plus en plus vive nécessitant une réduction des coûts de structure des business.
Le recours aux centres de services partagés mis en 'uvre par le groupe répond à deux contraintes.
Ces structures permettent en effet la mutualisation et l'optimisation des ressources techniques et humaines grâce à leur taille critique, la standardisation des processus, des lignes de contrôle simplifiées et la synergie des compétences.
Ceci a pour conséquence la suppression du poste de « Billing and Card Reconciliation France »».
Cette lettre de licenciement qui invoque une nécessité de réorganisation pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, satisfait aux exigences légales de motivation et il convient d'apprécier la réalité des justifications économiques susceptibles d'être invoquées.
La salariée conteste le motif économique de son licenciement, en faisant valoir que le groupe Royal Dutch Shell a connu une croissance exceptionnelle au cours de la période 2009 à 2011 et qu'il arrive 1er, en termes de chiffre d'affaires générés dans le classement 2012 des plus grandes entreprises mondiales et 7ème, en termes de montant des bénéfices.
Cependant, la réorganisation d'une entreprise qui entraîne des suppressions de poste ou des transferts géographiques, lorsqu'elle n'est pas liée à des difficultés économiques ou des mutations technologiques, peut constituer une cause économique du licenciement, à condition qu'elle soit effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou pour prévenir des difficultés économiques liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences d'emploi.
En l'espèce, le licenciement de Madame [Z] [J] est intervenu dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, défini par l'accord de méthode signé de toutes les organisations syndicales représentatives de la société des Pétroles Shell.
Les autorités administratives chargées spécifiquement de contrôler les dispositifs du plan de sauvegarde de l'emploi, leurs applications ainsi que la validité juridique de ces mesures ne se sont pas manifestées pour émettre un avis défavorable aux mesures envisagées.
La société des Pétroles Shell verse aux débats le rapport Syndex de l'expert comptable auprès du comité d'entreprise en date du 12 novembre 2009 qui relève un contexte économique en déclin sur l'ensemble des segments clients, une baisse progressive du portefeuille clients en France depuis l'année 2000, phénomène aggravé en 2008/2009 sous l'effet de la crise ainsi qu'une perte de parts de marché et un déclin du marché de 2% par an.
Du fait de ces données comptables certifiées, la société des Pétroles Shell s'est vue contrainte d'établir un plan global de réorganisation économique dit «France One» afin de rationaliser les activités aval, en améliorant la compétitivité de ce secteur dans la perspective de dégager les capacités de financement nécessaires pour les investissements à réaliser sur la partie amont, concernant les activités d'exploration production.
La volonté de la société des Pétroles Shell de maintenir son rang mondial, en privilégiant les secteurs prioritaires dans un environnement en déclin traduit un choix de gestion qu'il n'appartient pas au juge de contester dès lors que les institutions représentatives du personnel ont, régulièrement, été consultées et informées sur les mesures de restructuration envisagées ainsi qu'il ressort du Livre IV qui leur a été présenté, et que les organisations syndicales ont signé, à l'unanimité, un accord de méthode, le 19 décembre 2008, prévoyant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi.
Madame [Z] [J] n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause l'impératif pour la société des Pétroles Shell de sauvegarder sa compétitivité, eu égard à sa place sur le marche français et mondial.
La salariée conteste le principe de la suppression de son poste.
Il ressort de l'examen des éléments d'information contenus dans le document Livre IV soumis à la consultation des représentants du personnel que l'axe fondamental de la restructuration envisagée passe par la réorganisation des activités aval, parmi lesquelles les fonctions supports, notamment celles relatives à la finance.
Madame [Z] [J] qui occupait un poste de « Billing Card & Reconciliation France » au sein de la fonction support dans l'entité française a, nécessairement constaté la suppression de son poste dans les organigrammes présentés au comité d'entreprise et transférant cette activité au « customer service » situé à Manille.
D'ailleurs, la salariée a bénéficié d'une mission de 14 mois en qualité de «Finance Advisor France» pour effectuer les dernières migrations de comptes sur le logiciel Oracle dans le cadre de la mise en place de ce centre de services partagés.
Il en résulte que la suppression du poste de Madame [Z] [J] s'inscrit dans le cadre d'une réorganisation de l'entreprise rendue nécessaire pour la sauvegarde de sa compétitivité et qu'en conséquence le licenciement économique de la salariée est justifié.
L'obligation de reclassement
Selon l'article L.1233-4 du code du travail, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi d'une catégorie inférieure ; les offres de reclassement proposées au salarié devant être écrites et précises.
Le manquement par l'employeur à son obligation de reclassement préalable au licenciement prive celui-ci de cause réelle et sérieuse et ouvre droit au profit du salarié au paiement de dommages-intérêts.
Les possibilités de reclassement doivent être recherchées au sein de l'entreprise et, le cas échéant, du groupe auquel elle appartient, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel et il appartient à l'employeur de démontrer qu'il s'est acquitté de son obligation de reclassement, laquelle est de moyens.
Il convient d'apprécier si l'employeur a respecté l'obligation de reclassement qui lui incombe, étant observé que l'appréciation des possibilités de reclassement doit se faire sur une période concomitante à celle du licenciement.
En l'occurrence, le plan de sauvegarde de l'emploi, applicable à compter du 1er septembre 2009, précise les modalités selon lesquelles les collaborateurs menacés de licenciement sont informés des postes disponibles au sein du groupe Shell, tant en France qu'à l'étranger et, notamment, par la mise en place d'un dispositif d'« open ressourcing adapté ».
La société des Pétroles Shell justifie avoir adressé à la salariée des courriels datés des 24 septembre, 9 et 13 octobre 2009 et 24 novembre 2010, l'informant des postes vacants sur lesquels elle pouvait postuler ainsi que des précisions sur le fonctionnement de ce dispositif d'« open ressourcing » et des coordonnées des personnes susceptibles de l'aider dans ses démarches.
Il est établi que Madame [Z] [J] s'est abstenue de se porter candidate pour les postes proposés en interne dans l'entreprise, tant au niveau national qu'international.
L'employeur a proposé une mission temporaire de reclassement de 14 mois que la salariée a acceptée pour effectuer les formalités financières et comptables nécessaires au déploiement du projet de désinvestissement des stations services de proximité initiée et au transfert des opérations comptables vers le centre de services partagés de Manille.
Cette mission a eu pour conséquence de retarder l'échéance du licenciement qui n'a été notifié que le 26 juin 2012.
En outre, la société des Pétroles Shell justifie avoir eu recours à un cabinet de recrutement, le cabinet Algoe, pour aider les salariés, dont les postes étaient supprimés, à retrouver un nouvel emploi.
A cet égard, il convient de relever que ce cabinet a adressé le CV de Madame [Z] [J] à plus de 40 entreprises, que les recruteurs ont constaté des prétentions salariales trop hautes, une absence de mobilité de l'intéressée, des difficultés de communication et un défaut de maîtrise de la langue anglaise, en préconisant, notamment, une formation en anglais pour gagner en aisance lors d'entretiens.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société des Pétroles Shell justifie, par des éléments objectifs des recherches entreprises, de son impossibilité de procéder au reclassement de la salariée tant en interne qu'au sein des entreprises du groupe, à vocation internationale.
La cour estime que les premiers juges, par des motifs pertinents qu'elle adopte, ont fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties en déboutant l'appelante de sa demande en dommages et intérêts pour licenciement abusif.
Sur la demande au titre des frais irrépétibles
L'équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses frais non répétibles, Madame [Z] [J] dont l'argumentation est écartée supportant la charge des dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires.
Condamne Madame [Z] [J] aux dépens.
LE GREFFIER POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ