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29/09/2015 | FRANCE | N°12/07649

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 29 septembre 2015, 12/07649


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 29 Septembre 2015



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/07649



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 Avril 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F 11/03679





APPELANTE

SA SOLVING EFESO INTERNATIONAL

N° SIRET : 328 153 481 00044

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représ

entée par Me Catherine BARBAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0345 substituée par Me Hélène LAM, avocat au barreau de PARIS





INTIME

Monsieur [F] [D]

né le [Date naissance 1] 1953...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 29 Septembre 2015

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/07649

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 Avril 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F 11/03679

APPELANTE

SA SOLVING EFESO INTERNATIONAL

N° SIRET : 328 153 481 00044

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Catherine BARBAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0345 substituée par Me Hélène LAM, avocat au barreau de PARIS

INTIME

Monsieur [F] [D]

né le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

comparant en personne

assisté de Me Eric MANCA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 Juin 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Aleth TRAPET, Conseiller, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Claudine PORCHER, président

Madame Marie-Aleth TRAPET, conseiller

Madame Christine LETHIEC, conseiller

Greffier : Mme Caroline CHAKELIAN, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Christine LETHIEC, conseiller, pour le président empêché et par Madame Caroline CHAKELIAN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [F] [D], entré au service de la société SOLVING EFESO INTERNATIONAL, le 1er avril 1982, en qualité d'ingénieur, également titulaire - de décembre 2000 à juin 2008 - d'un mandat social en qualité de membre du directoire de cette société dont il a été promu directeur puis vice-président, a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 25 février 2011 d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Par lettre du 23 février 2011, Monsieur [D] avait adressé à son employeur une lettre ainsi libellée :

« Cher [Y],

Au regard de la tournure que tu sembles vouloir donner aux événements, je n'ai aujourd'hui d'autre choix que de t'adresser la présente afin d'acter de la situation difficilement tenable qui est la mienne. Tu as tenu à te rapprocher de moi en décembre dernier afin de me faire part, sans plus d'explications, de ton souhait de me voir quitter l'entreprise, « au mieux de nos intérêts respectifs » pour reprendre tes termes. Stupéfait par la brutalité d'une telle annonce après 28 années de bons et loyaux services, j'ai malgré tout tenu à te faire savoir qu'il serait regrettable que cette volonté soudaine de me voir quitter l'entreprise, concomitante à notre changement d'actionnaire, ne trouve également son origine dans ma demande, que je croyais légitime, visant à être rétabli dans mes droits en ce qui concerne ma rémunération.

En effet et comme tu ne l'ignores pas, depuis 2003 ma rémunération contractuelle a été unilatéralement revue à la baisse (- 25%) sans que jamais à ce jour et en dépit de mes demandes, notamment à ton endroit lors de ta prise de fonctions, cette situation n'est trouvée à être discutée et encore moins régularisée. Comme je te l'ai dit et te le confirme encore par la présente, je n'entends pas renoncer à mes droits essentiels.

Je regrette sincèrement le mutisme observé sur le sujet par Solving Efeso.

Je regrette plus encore que la seule réponse qui ait été jugé utile d'apporter, soit, comme tu me l'as fait savoir au mois de décembre dernier, mon départ de l'entreprise.

La motivation première de cette décision est manifestement de satisfaire à la volonté du nouvel actionnaire tout en se débarrassant d'un salarié devenu encombrant de par ses demandes visant simplement à ce que son contrat de travail soit respecté.

Tu ne me laisses donc aujourd'hui d'autre solution que d'aller saisir la juridiction compétente afin que le droit soit appliqué et que toutes les conséquences en soient tirées.

Je tenais à t'en aviser, en espérant que, tout comme moi, tu puisses percevoir toute la mesure du gâchis attaché à des décisions / positions qui me dépassent tant elles s'inscrivent en marge d'une exécution loyale du contrat de travail et des valeurs de notre entreprise que j'ai porté pendant 28 ans »

La société SOLVING EFESO INTERNATIONAL avait convoqué quelques jours plus tôt, par lettre du 16 février 2012, Monsieur [D] à un entretien préalable au licenciement qui s'est déroulé le 4 mars 2010. Monsieur [D] a été licencié pour faute grave par lettre du 8 mars 2011 rédigée dans les termes suivants :

« Monsieur,

Vous avez été convoqué à un entretien préalable qui s'est tenu le 2 mars 2011 dans nos locaux, auquel vous vous êtes présenté seul.

A l'occasion de cet entretien, nous vous avons exposé les raisons qui nous ont conduits à envisager votre licenciement.

Les explications que vous nous avez fournies ne nous ont malheureusement pas permis de modifier notre appréciation des faits.

C'est la raison pour laquelle nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Les motifs de notre décision sont les suivants :

Vous avez intégré notre société en 1982 et êtes devenu, en 2000, membre du Directoire. En sus de votre mandat social, et en tant que Vice-Président, vous aviez en charge la « Practice Slrategy » et le secteur automobile. Vous avez de plus été en charge, concomitamment et en tant que Directeur Financier, des Finances du Groupe, jusqu'en 2005-2006.

Au vu de votre niveau de responsabilité dans notre société, vous représentez l'image de la société auprès de nos clients, du personnel de l'entreprise, de nos concurrents et de nos actionnaires. Votre attitude doit donc être irréprochable et vous devez faire preuve d'un soutien et d'une adhésion totale aux positions de la Direction.

En 2007, un changement de Direction est intervenu lors de la prise de contrôle à100% de la société Efeso Holdings Lid, précédemment détenue à 60%. A cette occasion, la nouvelle direction a souhaité s'assurer de votre fidélité et de votre loyauté dans ce nouveau contexte. Vous vous êtes engagé à poursuivre votre activité au sein de notre société avec la même application;

Toutefois, nous ne pouvons que constater que vous ne respectez votre engagement et manquez gravement à votre obligation de loyauté.

' D'une part, vous faites preuve de défiance et d'opposition à l'égard de la nouvelle Direction.

Vous refusez délibérément de mettre en place les nouvelles orientations stratégiques décidées par la Direction sur les axes de développement de l'entreprise et les marchés à conquérir, à maintenir ou à renforcer.

Ce refus se manifeste par une résistance passive, par l'absence totale d'initiative, aussi bien dans la démarche commerciale, que dans la mise au point des offres et des propositions. Ces désaccords avec la nouvelle Direction décrédibilisent et ralentissent la nécessaire mise en place de la nouvelle politique stratégique. Dans un contexte conjoncturel et économique difficile, cela est préjudiciable à la société qui n'est pas en mesure d'avoir la réactivité qu'impose la forte concurrence actuelle. Les orientations de la Direction imposent leur mise en 'uvre effective par les cadres dirigeants de l'entreprise, dont vous faites partie. Cela implique de votre part une loyauté absolue tant à l'égard du personnel de l'entreprise que des clients et des prospects et une réactivité et une efficacité dans la mise en 'uvre des orientations relevant de votre responsabilité.

Votre comportement manifeste une opposition directe à votre hiérarchie et un refus des instructions de la nouvelle Direction que nous ne pouvons accepter.

Votre comportement, vos absences, bien connus en interne, donnent une image désastreuse à nos consultants, à qui nous demandons des efforts constants et qui se consacrent à leurs interventions avec passion et sans compter leur énergie.

Votre absence totale d'implication et votre opposition systématique décrédibilisent gravement la nouvelle Direction et portent atteinte à son image. Plus important encore, votre attitude porte atteinte au fonctionnement de l'entreprise en ralentissant voire entravant la mise en 'uvre de décisions clés,

' Par ailleurs, vous refusez d'appliquer les procédures internes.

Vous refusez catégoriquement de rendre compte de votre travail. Nous ne disposons donc d'aucune information sur votre activité depuis des mois, et ce malgré nos demandes à ce titre.

Vous refusez d'utiliser le système de gestion des temps, qui nous permet de facturer nos prestations aux clients, d'identifier et de quantifier le taux d'activité (ou d'inactivité) de chaque salarié du groupe, variable stratégique de notre secteur d'activité.

Cette procédure s'applique à l'ensemble du personnel en relation avec les clients, quel que soit le niveau de responsabilité. Ainsi, votre statut de cadre de direction ne vous permet pas de vous abstenir d'utiliser ce dispositif et encore moins de vous dispenser d'obligations applicables à tous. Une telle attitude empêche toute visibilité sur votre activité et les échanges sur votre travail sont impossibles. Depuis des mois, vous ne nous avez fourni aucune information sur la nature, la quantité et consistance du travail que vous avez effectué pour le compte de notre société. Cette volonté de ne pas rendre compte vise à couvrir la réalité, qui est celle d'une absence de travail effectif de votre part pour notre société. Enfin, nous avons constaté des irrégularités dans l'utilisation des services ou moyens matériels mis à votre disposition paria société, et dans les remboursements de frais que vous avez présentés.

Ces faits caractérisent une violation des procédures applicables au sein de notre société, que nous ne pouvons tolérer.

' Surtout, vous manifestez un désintérêt patent pour la société en ne fournissant plus aucune activité pour le compte de la société.

Vous n'avez facturé aucune prestation depuis 2008 où vous avez facturé environ 25 000 euros, ce qui est extrêmement faible. Vous n'avez eu aucune activité facturable, donc aucun chiffre d'affaires en 2009, 2010 et 2011, Vous délaissez nos clients et permettez ainsi à nos concurrents de gagner du terrain.

Vous êtes très peu présent et, lorsque vous êtes présent, il apparaît très clairement que vous ne travaillez pas pour notre société. Vous vous consacrez à d'autres activités professionnelles, en utilisant le matériel de la société à des fins personnelles et totalement étrangères à notre société. Vous ne prenez aucune initiative en vue de trouver de nouveaux contrats, n'entreprenez aucune action commerciale dans les domaines de votre spécialité.

Vous ne prenez aucune initiative en vue de faire évoluer l'offre de services de la société, dans les « practices » et secteurs qui sont de votre compétence.

Vous n'entretenez aucun contact téléphonique, n'organisez ni ne vous rendez à aucun rendez-vous de prospection. Vous ne remplissez plus depuis des années votre rôle d'apporteur d'affaires. Vous ne participez à aucune réunion interne, n'avez aucun contact avec les autres membres de la Direction, ni avec les consultants.

Votre attitude est très préjudiciable à l'entreprise. Votre absence d'activité génère un manque à gagner considérable pour la société. C'est ainsi que la part de marché de la société dans les « Practice » et secteur de votre compétence a fortement décliné.

Au vu de ces préjudices, nous ne pouvons tolérer plus longtemps votre comportement et votre attitude.

' Enfin nous vous rappelons que conformément aux dispositions de votre contrat de travail, vous devez réserver l'exclusivité de votre activité professionnelle à notre société. Or vous exercez manifestement d'autres activités professionnelles au détriment de vos fonctions au sein de notre société.

Nous vous rappelons que, sauf autorisation expresse de notre part, vous ne pouvez pas exercer une autre activité. Il apparaît clairement que les activités qui sont les vôtres, tant lorsque vous êtes présent dans nos bureaux que pendant les heures que vous êtes sensé consacrer à notre société mais où vous êtes absent, ne se limitent pas à une simple fonction d'administrateur de société mais que vous exercez de manière active des fonctions de conseil, de direction et d'animation au profit d'autres sociétés ayant pour certaines une activité similaire voire concurrente à celle de notre société.

Un tel comportement constitue une violation caractérisée de vos obligations contractuelles et de votre obligation de loyauté. Ceci est totalement inacceptable, a fortiori de la part d'un cadre de votre niveau et ce d'autant que vous développez celte activité parallèle au moyen du temps de travail payé par notre entreprise.

Nous sommes extrêmement déçus de votre attitude qui porte atteinte à l'activité et aux intérêts de notre société alors que vous avez fait partie de l'équipe dirigeante.

Cette attitude est d'autant plus inacceptable qu'elle porte directement atteinte aux intérêts de l'entreprise et que vous mettez au service d'une activité concurrente le savoir-faire, les moyens humains et techniques de notre entreprise.

L'ensemble de ces faits caractérise incontestablement des manquements professionnels et contractuels graves justifiant la rupture de nos relations contractuelles.

En conséquence, nous sommes dans l'obligation de vous notifier par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Votre préavis d'une durée de trois mois, que nous vous dispensons d'effectuer, prendra effet à compter de la première présentation de cette lettre. Celui-ci vous sera néanmoins rémunéré aux échéances habituelles ».

Les parties ont été convoquées devant le bureau de conciliation le 26 juillet 2011 et devant le bureau de jugement le 22 mars 2012.

Par jugement du 23 avril 2012, le conseil de prud'hommes de Paris, en sa section Encadrement, a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail au jour du licenciement et condamné la société SOLVING EFESO INTERNATIONAL à lui payer :

- 139 596 € à titre de rappel de salaire,

- 13 959,60 € au titre des congés payés afférents,

- 6 945 € à titre de rappel de préavis,

- 694,50 € au titre des congés payés afférents,

- 20 391,46 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 2 263,95 € à titre de rappel de congés payés,

avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation,

- 55 554 € à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle ni sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement,

outre 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [D] a été débouté du surplus de ses demandes.

Cette décision a été frappée d'appel par la société SOLVING EFESO INTERNATIONAL qui conclut en demandant que soit jugée mal fondée la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et légitime le licenciement prononcé à l'encontre de Monsieur [D], de sorte que l'ancien salarié devrait être débouté de toutes ses demandes mais condamné à lui payer 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

Monsieur [D] a pour sa part conclu à la confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire de son contrat de travail et prononcé des condamnations pécuniaires. Il a cependant formé un appel incident sur le quantum de l'indemnité qui lui a été allouée, sollicitant sa fixation à la somme de 366 000 euros, et réclamant en outre :

- 40 308,79 euros à titre de rappel sur indemnité conventionnelle de licenciement,

- 4 832,51 euros à titre de remboursement de frais de déplacement,

- 4 500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées lors de l'audience des débats.

SUR QUOI, LA COUR,

Sur la rupture du contrat de travail

Considérant que lorsque le salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail à raison des faits qu'il reproche à son employeur tout en continuant à travailler à son service et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit rechercher si la demande était justifiée ; que si tel est le cas, il fixe la date de la rupture à la date d'envoi de la lettre de licenciement, dès lors que c'est la notification du licenciement qui a mis fin aux relations contractuelles ; qu'il y a donc lieu d'apprécier si la demande de résiliation judiciaire présentée par Monsieur [D] et admise par le conseil de prud'hommes de Paris était justifiée, en examinant les reproches articulés par le salarié à l'encontre de son employeur.

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail

Monsieur [D] reproche à la société SOLVING EFESO INTERNATIONAL d'avoir modifié unilatéralement son contrat de travail en diminuant de 25 % sa rémunération mensuelle de base passée en mars 2004 de 9 259 € à 6 944 €, et de n'avoir pas assuré une égalité de traitement entre les salariés, les autres membres du directoire ayant vu leur rémunération fixe rétablie dès 2007 tandis que la sienne ne l'avait jamais été.

La société SOLVING EFESO INTERNATIONAL conteste avoir commis le moindre manquement à ses engagements contractuels, soutenant que la modification intervenue, loin d'avoir été imposée à Monsieur [D] avait été proposée à son initiative ' en sa qualité de membre du directoire chargé en particulier des finances ' aux autres membres du directoire et au président du conseil de surveillance qui l'avaient acceptée et appliquée à leur propre contrat, ce qu'il admettrait dans les écritures adoptées devant la cour. L'employeur souligne que la modification effectivement intervenue de la rémunération de Monsieur [D] n'avait pas empêché l'exécution du contrat de travail puisqu'il s'en était accommodé durant sept années avant de saisir la juridiction prud'homale, au demeurant après avoir été convoqué à un entretien préalable au licenciement.

Considérant qu'il résulte de l'article 1184 du code civil que la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté a le choix, ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts ; qu'en application de ce texte, la résiliation du contrat de travail peut être prononcée aux torts de l'employeur en cas de manquement à ses obligations contractuelles d'une gravité suffisante et qui rend impossible la poursuite du contrat de travail ;

Considérant que Monsieur [D] reconnaît dans ses écritures et à l'audience que c'est en raison d'une situation de trésorerie tendue qu'à compter de mars 2004, « dans un effort voulu solidaire », il a « acquiescé à ce que sa rémunération mensuelle de base soit temporairement ramenée de 9 259,00 euros bruts mensuels (soit 111 108,00 euros annuels brut) à 6 944,00 euros bruts mensuels (soit 83 328,00 euros annuels brut) » ; qu'il ne rapporte nullement la preuve de ce qu'il aurait été « assuré sur le fait que cette baisse de l'ordre de 25 % n'était que temporaire, et que la perte de salaire enregistrée sur cette période serait rattrapée » ; qu'à cet égard, le document établi le 15 juillet 2004 par M. [E], vice président de la société, selon laquelle sa rémunération était bien de 111 108,00 euros bruts annuel, est insuffisant à justifier d'un engagement de l'employeur de rétablir le salarié dans ses droits antérieurs, alors surtout que l'auteur de ce document a établi une attestation pour préciser que pour établir les « attestations » relatives à la rémunération des salariés de l'entreprise, il lui arrivait de multiplier le salaire de janvier par douze, ajoutant : « il est clair que cette façon de procéder pouvait induire dans certains cas des distorsions par rapport à la situation exacte constatée en fin d'année, ceci étant sans conséquence compte tenu de l'objet de ces attestations. Dans le cas de l'attestation faite pour Monsieur [D] le 15 juillet 2004, cette manière de faire a conduit à surévaluer le montant de la rémunération indiquée dans la mesure où lors d'un Directoire en mars 2004, nous avions tous décidé d'un commun accord de réduire notre rémunération face à une situation économique difficile » ;

Considérant que la réalité des difficultés économiques rencontrées par la société SOLVING EFESO INTERNATIONAL résulte d'un communiqué du 7 avril 2005 portant sur les résultats consolidés 2004 et établi par Monsieur [D] lui-même, aux termes duquel il indiquait : « L'exercice 2004 s'est déroulé dans l'environnement certainement le plus difficile que la société ait jamais connu », soulignant que « la flexibilisation des ressources s'était traduite par une baisse de la masse salariale à même proportion que le chiffre d'affaires ['], la baisse ayant été de 34,2 % » ;

Considérant que Monsieur [D] n'établit pas que la santé financière de la société se serait améliorée avant la rupture de son contrat de travail ; qu'il ne verse au contraire au débat qu'un article de presse de mars 2012, faisant état de ce que la société aurait connu une « croissance de 8,5 % au cours de l'année 2011 », alors que lui-même a initié une procédure de résiliation judiciaire de son contrat de travail en février 2011 et que la société SOLVING EFESO INTERNATIONAL justifie que la baisse du chiffre d'affaires s'est toujours situé entre 20 % et 50 % entre 2004 et 2010 ;

Considérant que Monsieur [D] soutient qu'il aurait « repris » dans son courrier du 23 février 2011 « les demandes visant à voir sa rémunération rétablie » sans pourtant justifier de la moindre réclamation antérieure à cette lettre au demeurant expédiée quelques jours après la notification d'une convocation de l'employeur à un entretien préalable au licenciement ;

Considérant que la qualité d'actionnaire de Monsieur [D], devenu membre du directoire de la société le 22 décembre 2000 et ayant conservé ce statut jusqu'au 26 juin 2008, spécialement chargé des finances sociales de 2000 à 2005, et assumant la responsabilité de la « Practice » Stratégie et du secteur automobile de 2000 à 2011, honoré du titre de vice président de la société qui l'employait, enlève tout crédit à ses allégations de modification unilatérale de sa rémunération de base, dont il est constant qu'il était à l'origine de cette mesure qui concernait l'ensemble des membres du directoire dont il reconnaît que leur rémunération a été diminuée, comme la sienne de 25 %, celle de M. [X], président du conseil de surveillance, ayant même été réduite de 40 % ;

Considérant qu'il importe peu que la rémunération des autres membres du directoire ait pu augmenter en 2007, la preuve de ce que l'augmentation de leurs revenus dont rendent compte les rapports annuels de la société résulterait du rétablissement de leur rémunération fixe n'étant pas rapportée, Monsieur [D] n'ayant par ailleurs jamais dénoncé l'inégalité de traitement dont il aurait été victime et dont il aurait eu nécessairement connaissance du fait de ses responsabilités avant la saisine du conseil de prud'hommes quatre années plus tard ;

Considérant que Monsieur [D] ne rapporte pas la preuve de ce que la société SOLVING EFESO INTERNATIONAL aurait manqué à ses obligations contractuelles ; que la diminution de sa rémunération fixe, qu'il avait lui-même proposée à raison des difficultés économiques rencontrées par la société et qu'il reconnaît avoir acceptée temporairement jusqu'à ce que la société revienne à meilleure fortune ' situation qui n'est advenue qu'après son départ de l'entreprise ', ne rendait pas impossible la poursuite de la relation contractuelle, Monsieur [D] ayant poursuivi ses activités durant sept années après la diminution initiale de son salaire fixe ;

Considérant que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail formée par Monsieur [D] est rejetée, le jugement étant infirmé sur ce point ;

Sur la demande de rappel de salaire

Monsieur [D] forme une demande de rappel de salaire à hauteur de la somme de 139 596,00 euros, augmentée des congés payés afférents. Cette somme correspond à la différence de salaire entre la rémunération initialement fixée à 9 259,00 euros bruts mensuel et la somme de 6 944,00 euros bruts mensuels qui lui a été servie, sur la période non prescrite du 25 février 2006 au 9 mars 2011, date de veille du préavis.

La société SOLVING EFESO INTERNATIONAL s'oppose à cette demande en faisant valoir que Monsieur [D] avait pleinement accepté la baisse de sa rémunération en 2004.

Considérant que l'attestation établie par M. [E] faisant état, en juillet 2004, d'une « rémunération fixe annuelle de 111 108 €/an » au profit de Monsieur [D], ne peut s'analyser en un engagement de la direction de la société SOLVING EFESO INTERNATIONAL de lui assurer une « garantie de rémunération » de ce montant, alors qu'au contraire, il est établi et admis par Monsieur [D] qu'il avait « acquiescé à ce que sa rémunération mensuelle de base soit temporairement ramenée de 9 259,00 euros bruts mensuels (soit 111 108,00 euros annuels brut) à 6 944,00 euros bruts mensuels (soit 83 328,00 euros annuels brut) », les conditions de retour à la santé financière de la société n'étant nullement justifiées avant le départ de Monsieur [D] de la société ;

Considérant que, dans ces conditions, Monsieur [D] ne peut solliciter de rappel de salaire ; que le jugement est infirmé en ce qu'il a accueilli ce chef de demande ;

Sur le licenciement de Monsieur [D]

Monsieur [D] souligne la surprise avec laquelle il a découvert qu'après plus de vingt-huit années de « bons et loyaux services », il lui était soudainement reproché une insuffisance caractérisée, ainsi que des manquement contractuels caractérisant un comportement déloyal, sans qu'aucun reproche, mise en garde ou avertissement préalable n'ait jamais été formulé à son encontre.

Le salarié produit la lettre qu'il avait adressée le 4 mars 2011 au président du directoire, à la suite de l'entretien préalable au licenciement, par laquelle il contestait fermement les motifs fantaisistes dont l'objet premier était, comme il lui avait déjà fait savoir dans son courrier du 23 février, de satisfaire à la volonté du nouvel actionnaire tout en se débarrassant d'un salarié devenu encombrant de par ses demandes visant simplement à ce que son contrat de travail soit respecté, et disait attendre, résigné, sa lettre de licenciement.

La société SOLVING EFESO INTERNATIONAL soutient, pour sa part, que le licenciement a été rendu nécessaire par le désinvestissement croissant de Monsieur [D] à l'égard de Solving Efeso, désinvestissement qui s'expliquerait par l'exercice d'une autre activité professionnelle révélée par quatre éléments objectifs, étayés par des exemples précis dans la lettre de licenciement.

Monsieur [D] aurait mis au service d'autres sociétés, et notamment de l'entreprise de biscuiterie « La Romainville », ses compétences en matière de conseil en stratégie, et ce à titre personnel alors qu'il aurait dû dispenser de telles prestations pour le compte de Solving et en les facturant.

Considérant que, selon l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; que si un doute subsiste, il profite au salarié ; qu'ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables ;

Considérant que la société SOLVING EFESO INTERNATIONAL ne verse au débat aucune pièce de nature à établir la réalité des griefs relatifs à la défiance et à l'opposition qu'auraient manifestées Monsieur [D] à l'égard de la nouvelle direction, ni davantage sonefus d'appliquer les procédures internes ;

Considérant que si, comme l'employeur le soutient, Monsieur [D] n'avait plus fourni aucune activité depuis plusieurs années, il n'aurait pas manqué de le rappeler à l'ordre plus tôt ; que la preuve du désintérêt patent de Monsieur [D] pour la société au service de laquelle il s'était investi depuis de très nombreuses années n'est pas rapportée ;

Considérant que la société SOLVING EFESO INTERNATIONAL ne peut davantage reprocher à Monsieur [D], en mars 2011, sa qualité d'administrateur de la holding La Romainville à compter du 5 juin 2007, alors que cette activité était notoirement connue notamment des autres membres du directoire, lesquels assumaient eux aussi des mandats auprès d'autres sociétés en plus de leurs fonctions au sein de la société SOLVING EFESO INTERNATIONAL ;

Considérant que Monsieur [D] justifie, par la production des bilans et comptes de résultats de la société HL Développement, que cette société à responsabilité limitée au capital de 1 000 euros, qu'il reconnaît avoir créée en 2007, n'a jamais connu aucune activité ;

Considérant que le licenciement de Monsieur [D] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ;

Considérant que, compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise (plus de dix salariés), des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Monsieur [D] (en fonction d'un revenu moyen mensuel de 6 944 €), de son âge (cinquante-sept ans), de son ancienneté (plus de vingt-huit années), de sa capacité à trouver un nouvel emploi et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, une somme de 80 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Sur la demande de remboursement de frais de déplacement

Monsieur [D] réclame une somme de 4 832,51 euros à titre de remboursement de frais de déplacements qu'il aurait engagés entre janvier 2010 et mars 2011 et qui ne lui auraient pas été réglés.

La société SOLVING EFESO INTERNATIONAL soutient qu'elle ne justifie pas que ces frais auraient bien été engagés pour son compte, tout « portant à penser » que ces frais ont été effectués au profit d'autres sociétés.

Considérant que selon l'article 8 du contrat de travail de Monsieur [D] relatif aux frais professionnels : « Les frais de déplacement et de séjour occasionnés par les missions confiées à l'ingénieur par la Société sont remboursés selon les règles en vigueur » ;

Considérant que Monsieur [D] justifie avoir engagé des frais de déplacement à hauteur de 4 832,51 ; qu'il produit les bordereaux établis selon la pratique de l'entreprise, un relevé mensuel d'activité ayant alors été annexé à chacun des bordereaux pour justifier que les frais ont été engagés dans le cadre d'une mission accomplie pour le compte de la société SOLVING EFESO INTERNATIONAL ;

Considérant que Monsieur [D] ayant produit des éléments précis susceptibles d'être discutés par l'employeur ; qu'il appartient à l'employeur de contester la réalisation de la mission visée ; qu'en ne faisant que soutenir que « tout porte à penser », dans le contexte de la rupture, que les frais auraient été engagés pour des missions réalisées au profit d'autres sociétés, l'employeur ne conteste pas sérieusement le bien-fondé de la demande présentée par le salarié dans le respect des règles applicables au sein de l'entreprise ;

Considérant que la demande de Monsieur [D] est accueillie, le jugement étant infirmé sur ce point.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions :

Statuant à nouveau et ajoutant,

REJETTE la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [D] ;

DIT que le licenciement de Monsieur [F] [D] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société SOLVING EFESO INTERNATIONAL à payer à Monsieur [F] [D] :

- 80 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 4 832,51 euros à titre de remboursement de frais de déplacement ;

DEBOUTE Monsieur [F] [D] du surplus de ses demandes ;

CONDAMNE la société SOLVING EFESO INTERNATIONAL à payer à Monsieur [D] une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE la société SOLVING EFESO INTERNATIONAL de sa demande sur le même fondement ;

CONDAMNE la société SOLVING EFESO INTERNATIONAL aux dépens.

LE GREFFIER POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 12/07649
Date de la décision : 29/09/2015

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°12/07649 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-09-29;12.07649 ?
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