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08/09/2015 | FRANCE | N°13/01550

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 08 septembre 2015, 13/01550


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 08 Septembre 2015



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/01550



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Septembre 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY RG n° 11/01536





APPELANTE

Association ARPAD (ASSOCIATION DE RESIDENCES POUR PERSONNES AGEES DEPENDANTES)

N° SIRET : 341 373 819 00133<

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[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Alexandre PECQUEUR, avocat au barreau de LILLE, toque : 271







INTIMEE

Madame [W] [M]

née le [Date naissance 1] 1969 à [...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 08 Septembre 2015

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/01550

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Septembre 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY RG n° 11/01536

APPELANTE

Association ARPAD (ASSOCIATION DE RESIDENCES POUR PERSONNES AGEES DEPENDANTES)

N° SIRET : 341 373 819 00133

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Alexandre PECQUEUR, avocat au barreau de LILLE, toque : 271

INTIMEE

Madame [W] [M]

née le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 1] (TURQUIE)

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Gregory MENARD, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : PB267

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Mai 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Aleth TRAPET, Conseiller, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Claudine PORCHER, président

Madame Marie-Aleth TRAPET, conseiller

Madame Christine LETHIEC, conseiller

Greffier : Mme Caroline CHAKELIAN, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Christine LETHIEC, conseiller, pour le président empêché et par Madame Caroline CHAKELIAN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [W] [M] a été engagée en qualité de comptable par l'association ARPAD (Association de résidences pour personnes âgées dépendantes), par contrat à durée indéterminée ayant pris effet le 3 septembre 2009, à temps partiel. Par avenant du 1er janvier 2010, l'horaire mensuel de travail de Mme [M] a été porté de 75,84 heures à 113,75 heures.

Mme [M] a été licenciée pour faute grave par lettre du 28 janvier 2011 énonçant le motif du licenciement dans les termes suivants :

« Madame,

Vous occupez le poste de comptable au sein de la résidence [Adresse 3], établissement géré par l'ARPAD, selon un contrat de travail à durée indéterminée du 3 septembre 2009.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 15 Décembre 2010, nous vous avons convoquée à un entretien préalable, initialement prévu le mercredi 5 janvier 2011 à 16 heures» en vue d'un éventuel licenciement, puis reporté suite à un arrêt maladie allant du 18 décembre 2010 au 05 janvier 2011 inclus. C'est pourquoi, nous vous avons à nouveau convoquée par lettre recommandée avec AR le 30 décembre 2010 pour un entretien fixé au Mardi 18 Janvier 2011 à 16 heures. Vous vous êtes présentée à cet entretien, accompagnée de Mme [Z], comptable et représentante syndicale au Comité d'entreprise de l'ARPAD.

Au cours de cet entretien, M, [H], Directeur, et Mme [F], Directeur des Ressources Humaines de l'ARPAD, vous ont exposé les éléments fautifs qui vous sont reprochés et ont pris bonne note des observations que vous leur avez fournies.

Après analyse approfondie des griefs que nous avons retenu à votre égard et examen de vos arguments, nous vous Informons par la présente que nous avons décidé de vous licencier pour faute grave en raison des manquements décrits ci-après.

La résidence [Établissement 1] est un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de statut associatif, habilité complètement à l'aide sociale, ayant ouvert ses portes en avril 2009 et dont le statut de gestion est celui d'une association à but non lucratif. En phase d'ouverture, un tel établissement dispose d'une santé financière extrêmement précaire puisqu'il doit assumer d'un côté des dépenses incompressibles de montée en charge, sans recevoir d'un autre côté des recettes, du fait des entrées progressives de résidents. A cet effet, il est à noter que l'établissement n'a atteint sa pleine capacité qu'à la moitié de l'année 2010.

Un établissement associatif habilité complètement à recevoir des personnes ressortissantes à l'aide sociale (AS) puise en grande majorité ses ressources de celle-ci et de l'aide personnalisé à l'autonomie (APA) que les départements lui distribuent, moyennant la présentation mensuelle précise et rigoureuse par le biais du comptable de l'établissement, d'une part de tableaux dits de ressources, puisque les personnes bénéficiant de l'AS doivent reverser 90 % de leurs revenus au département par l'intermédiaire de l'établissement, et de tableaux de présence pour la prestation APA, cette dernière n'étant versée que si le résident est dans les locaux et se voit donc effectivement bénéficiaire d'une prestation d'accompagnement vis-à-vis de sa dépendance.

En d'autres termes, l'établissement perçoit en lieu et place des résidents les prestations des départements, sources de revenus, à la condition de fournir un état de facturation précis et selon les normes départementales,

Dans un contexte de recettes déficitaires, la gestion financière de rétablissement se doit d'être extrêmement scrupuleuse, et il faut pour la comptable fournir ces états aux différents départements. Le principal financeur est par ailleurs celui autorisant par arrêté l'ouverture mais aussi les budgets de fonctionnement de l'établissement [Établissement 1] est le Conseil général de Seine-Saint- Denis.

Ce dernier vous a contacté a plusieurs reprises au cours du mois de juillet 2010, afin que vous effectuiez des modifications sur les tableaux d'APA du trimestre 2010 qui étaient erronés, alors que les états du 1er trimestre avaient été envoyés en temps et en heure et n'avaient pas été l'objet de rectifications.

Tardivement, le 22 septembre 2010, même s'il est vrai que vous avez pris des congés annuels du 3 au 30 août 2010, les services du département ont reçu de votre part les états sans qu'aucune modification n'ait été effectuée.

Le 30 septembre 2010, ils ont décidé de contacter directement M. [H], Directeur, afin d'intervenir dans le dossier, puisque le tableau du 2ème trimestre n'était toujours pas dressé correctement, et qu'ils étaient également désormais dans j'attente de celui du 3ème trimestre. Celui-ci a pris l'engagement, en accord avec le département, que Mme [M] enverrait par mail les deux tableaux afin de gagner du temps.

Vous étiez arrêtée pour maladie du lundi 10 octobre au 29 novembre 2010 et n'avez repris le dossier qu'à cette date.

Le 3 décembre 2010, après votre retour, vous avez envoyé des tableaux des 2ème et 3ème trimestres 2010 représentant l'AS au service de l'APA, qui n'est absolument pas en charge de l'Aide Sociale. Le 15 décembre 2010 dernier, ce service entrait de nouveau en contact avec le Directeur de l'établissement afin de l'informer du fait que l'établissement ne serait pas réglé des trimestres 2, 3 et 4 en 2010, en raison du retard et des erreurs commises par la comptabilité de rétablissement [Établissement 1].

Par mail du 20 décembre 2010, le responsable de l'APA du Conseil Général a formalisé le fait qu'exceptionnellement, il se déplacerait sur la résidence début janvier 2011 afin de clarifier ses attentes en matière de facturation.

Lors de l'entretien, vous avez argué d'abord du fait que vous êtes entrée à un moment difficile dans cet établissement puisque la facturation n'était pas correcte en 2009 et qu'il a fallu « tout remettre à plat », qu'ensuite, votre poste étant à trois-quarts de temps, il vous était difficile d'exécuter toutes les tâches qui vous incombaient et qu'enfin vous ne connaissiez par le secteur médico-social à votre arrivée en 2009.

Nous vous avons répondu que le siège de l'association vous est venu en soutien appuyé depuis votre prise de fonction, par le biais du réfèrent paie, de la responsable comptable et financière qui s'est déplacée à de très nombreuses reprises (fréquence de deux jours par mois) et des différents comptables du siège qui ont pu saisir avec votre concours l'arriéré de comptabilité qui existait.

En tout état de cause, il a été ajouté que les éléments fautifs reprochés concernaient la période 2010 et qu'il était évidemment entendu que les difficultés de 2009 ne s'entendaient pas comme des faits fautifs qui vous étaient dus.

Par ailleurs, vous avez bénéficié de formations personnalisées mises en place par cette même responsable comptabilité vous permettant d'exécuter au mieux votre mission .

Vous avez contredit ces points en indiquant que la responsable ne travaillait pas en début de journée et ne commençait la saisie que vers 11 heures du matin et terminait tard dans la journée.

Ces éléments ont été démentis par la Direction de l'établissement qui a précisé qu'elle travaillait à chacune de ses venues et qu'il était malvenu de critiquer une responsable hiérarchique, qui de surcroît venait suppléer à votre travail de comptable,

S'agissant du fait fautif le plus sérieux à nos yeux, à savoir le manquement dans l'envoi des tableaux d'APA à destination des services du département de Seine-Saint-Denis, vous nous avez seulement indiqué que si vous étiez passée à une trimestrialisation, et que c'était en accord avec ces services.

En revanche, vous ne vous êtes pas exprimée sur le caractère extrêmement tardif de votre envoi, ni sur les erreurs répétitives commises dans l'élaboration des tableaux, mais avez indiqué que les derniers, envoyés par mail au département de Seine-Saint-Denis le 3 décembre 2010 avaient été contrôlés par le Directeur de l'établissement.

Ce dernier a contesté vigoureusement ce point lors de l'entretien du 18 janvier 2011, en indiquant qu'en outre il n'avait pas même été mis en copie de ce mail.

Ces manquements traduisent le caractère grave d'un comportement fautif puisqu'ils mettent l'établissement dans une situation financière extrêmement bancale vis-à-vis de notre autorité de tutelle qu'est le Conseil général de Seine-Saint-Denis.

De plus, l'image de l'établissement vis-à-vis de cette collectivité territoriale est fortement dégradée, alors que le fonctionnement même de la structure est conditionné par l'arrêté d'autorisation périodique fournie par elle.

En effet, l'irresponsabilité dont vous avez fait preuve, alors que la Direction de l'établissement et le siège associatif vous avaient allégé de nombreuses tâches et vous avaient fourni toutes les formations nécessaires à une prise en main optimale de votre poste, entraîne pour l'établissement un manque à gagner très lourd et contraint l'association entière, c'est-à-dire les autres établissements sur lesquels pèsent désormais cette dette inacceptable, à faire une avance de trésorerie sur deux années.

Lors de l'entretien du 18 janvier 2010 dernier, vous n'avez apporté aucun élément tangible permettant d'infléchir notre position.

En conséquence, et malgré les explications fournies, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave.

En effet, les faits qui vous sont reprochés rendent votre maintien au sein de l'Association impossible et justifient la rupture immédiate de votre contrat de travail sans préavis, ni indemnité de rupture. Aussi, vous cesserez de faire partie de l'Association à la date d'envoi de cette lettre. »

Par jugement du 4 septembre 2012, le conseil de prud'hommes de Bobigny, en sa section Activités diverses, a jugé sans cause réelle et sérieuse le licenciement de Mme [M] et condamné l'association ARPAD (Association de résidences pour personnes âgées dépendantes) à lui payer :

- 2 868,68 € à titre d'indemnité de préavis,

- 938,31 € à titre d'heures supplémentaires,

ces sommes avec intérêts au taux légal à compter du 12 avril 2011,

- 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

- 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

ces sommes avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision.

Mme [M] a été déboutée du surplus de ses demandes et l'employeur condamné aux dépens.

Cette décision a été frappée d'appel par l'association ARPAD qui demande à la cour de débouter Mme [M] de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer une somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

Mme [M] a conclu à la confirmation du jugement en ce qu'il avait jugé son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle a formé un appel incident sur le quantum des sommes qui lui ont été allouées.

Mme [M] sollicite le paiement des sommes suivantes :

- 25 000 € de dommages et intérêts pour rupture abusive,

- 6 519,68 € au titre de l'indemnité de préavis conventionnelle,

- 651,97 € au titre des congés payés sur préavis,

- 502,50 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 1 103 € au titre d'heures complémentaires non payées,

- 110,30 € au titre de l'incidence des congés payés.

Mme [M] forme par ailleurs une demande nouvelle devant la cour tendant au paiement d'une somme de 3 000 € à titre de dommages-intérêts pour défaut de visite médicale.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées lors de l'audience des débats.

SUR QUOI, LA COUR,

Sur le caractère disciplinaire du licenciement de Mme [M]

L'association ARPAD fait valoir que Mme [M] a présenté, au fur et à mesure de la procédure, des arguments différents afin de s'efforcer de contester la légitimité de son licenciement, abandonnant successivement la « thèse » de l'imputabilité des erreurs à une autre salariée, celle selon laquelle le conseil général de Seine-Saint-Denis n'aurait jamais réglé à l'établissement [Établissement 1] les tableaux APA des deuxième, troisième et quatrième trimestres 2010, celle consistant à soutenir que des changements tarifaires seraient intervenus entre les premier et deuxième trimestres 2010, enfin, celle tendant à prétendre que M. [H] aurait transmis lui-même au conseil général concerné les tableaux qu'elle avait réalisés.

L'employeur souligne également que, contrairement à ce que soutient Mme [M], son licenciement n'a pas été prononcé pour insuffisance professionnelle ' laquelle n'aurait pu justifier un licenciement pour faute grave ', mais en raison de négligences fautives caractérisées.

Selon l'association ARPAD, les fautes reprochées à la salariée ne pourraient être justifiées par des difficultés rencontrées au niveau de la comptabilité de l'établissement en 2009 ni davantage par le fait que son poste était à trois quart temps, alors que lorsque Mme [M] avait pris son poste, elle avait bénéficié du soutien du réfèrent paie, du responsable comptable et financier et de différents comptables afin de remédier aux arriérés de comptabilité qui existaient à cette époque. En outre, Mme [M] avait bénéficié de formations personnalisées pour lui permettre d'exécuter au mieux sa mission.

L'association conteste encore la prescription alléguée par Mme [M] des faits commis le 22 septembre 2010, soulignant que les fautes reprochées s'inscrivaient dans une logique de persistance et de répétition explicitement visée dans la lettre de licenciement.

Enfin, l'employeur dénie toute valeur probante à l'attestation « collective » produite par Mme [M] dès lors qu'elle devrait être analysée en une attestation de complaisance, rédigée par des amies et/ou membres de sa famille. Quant au procès-verbal de constatations qui retranscrirait des conversations qu'elle aurait eues sur son lieu de travail avec M. [H], enregistrées avec son téléphone mobile, il devrait être écarté des débats, s'agissant d'un moyen de preuve illicite.

Mme [M], qui demande confirmation de la décision qui a jugé son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, soutient que, lorsqu'il est reproché au salarié son insuffisance professionnelle, il appartient à l'employeur de fournir à la juridiction les éléments permettant d'apprécier la réalité de l'insuffisance invoquée, à savoir des faits objectifs, précis et vérifiables, imputables au salarié et que l'employeur ne pourrait légitimement licencier un salarié pour insuffisance professionnelle dès lors qu'il ne lui fournit pas les moyens matériels et humains nécessaires à une bonne exécution du travail. Or, à son arrivée en septembre 2009, elle aurait été contrainte de « redresser » une comptabilité présentant de nombreuses lacunes, erreurs ou omissions et, pour cela, d'accomplir un grand nombre d'heures supplémentaires qui ne lui auraient pas été réglées, alors qu'elle avait été engagée sur la base d'un contrat de travail à temps partiel. Sa santé en aurait d'ailleurs pâti puisqu'elle aurait développé une maladie professionnelle au niveau des canaux carpiens des poignets et qu'elle aurait été longuement arrêtée de ce fait. La salariée démontrerait l'insistance avec laquelle sa direction avait cherché à se séparer d'elle, de crainte que la maladie déclarée en octobre 2010 l'éloigne de manière prolongée de son poste. L'association aurait en outre diffusé sur internet une offre d'emploi de comptable à durée indéterminée alors qu'elle avait refusé les propositions de rupture conventionnelle de licenciement formulées par l'employeur,

Les deux faits reprochés auraient été « isolés », le premier étant au demeurant prescrit, le second consistant à ses yeux en une « inadvertance liée à un état de stress et d'inquiétude provoqué par l'employeur lui-même ».

Considérant qu'il résulte des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement ; que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve ;

Considérant qu'en matière disciplinaire, le point de départ de la prescription édictée par l'article L. 1332- 4 du code du travail est de deux mois à partir du jour où l'employeur a eu connaissance du fait fautif et, lorsqu'une enquête interne est diligentée, du jour où les résultats de cette enquête lui sont communiqués ; qu'en outre, un fait antérieur à deux mois peut être pris en considération dans la mesure où le comportement du salarié s'est poursuivi dans ce délai ;

Considérant que les poursuites disciplinaires se trouvent engagées à la date à laquelle le salarié concerné est convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire ;

Considérant que prononcé pour faute grave, le licenciement de Mme [M] était nécessairement un licenciement disciplinaire, l'insuffisance professionnelle ne constituant pas une faute ; que la lecture de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige ne laisse au demeurant aucun doute sur la nature du licenciement ; qu'il y a lieu, dans ces conditions, de rechercher si Mme [M] a commis les fautes qui lui ont été reprochées et d'en apprécier la gravité ;

Considérant qu'il est reproché à Mme [M] d'avoir tardivement adressé au conseil général de Seine-Saint-Denis le 22 septembre 2010, des tableaux d'APA [aide personnalisée à l'autonomie] du second trimestre 2010, non rectifiés selon la demande de la collectivité, puis d'avoir adressé, le 3 décembre 2010, les tableaux des deuxième et troisième trimestre de l'année 2010 de l'aide sociale [AS] au service de l'APA, laquelle n'était pas en charge de cette aide ;

Considérant que la seconde faute reprochée s'inscrit dans un phénomène répétitif, la dernière faute constatée ayant été commise moins de deux mois avant la convocation de Mme [M] à un entretien préalable au licenciement ; que la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la faute et soulevée pour la première fois devant la cour est rejetée ;

Considérant que les premiers juges ont écarté avec raison des débats la pièce n° 26 [selon le bordereau de pièces produit en cause d'appel], constituée par un procès-verbal de constatation du 10 mai 2012, dès lors que l'enregistrement d'une conversation téléphonique effectué par un salarié à l'insu de son correspondant est un procédé déloyal qui rend la preuve ainsi obtenue irrecevable en justice ;

Considérant que Mme [M] ne conteste pas être l'auteur de la transmission des fichiers ne correspondant pas à la légitime attente du service compétent du conseil général de Seine-Saint-Denis ;

Considérant que l'employeur produit le courrier par lequel Mme [B], chef du bureau du soutien à domicile au sein du conseil général de Seine-Saint-Denis, s'est plaint d'avoir reçu, le 22 septembre 2010, les mêmes avis de sommes à payer que ceux transmis plus de trois mois plus tôt, sans qu'aucune correction n'ait été effectuée, en dépit des sollicitations du secteur comptable de l'association « dès juillet 2010 », pour que soient apportées les « corrections indispensables » sur la facturation du deuxième trimestre 2010 ; que Mme [M] avait attendu le 22 septembre 2010, soit trois semaines après la reprise de ses fonctions à la suite de sa période de congés annuels ' pris du 3 au 30 août 2010 ', pour transmettre les mêmes états de facturation erronés sans qu'ait été apportée la moindre rectification aux documents initiaux ; que cette attitude était fautive ;

Considérant que, si l'arrêt maladie de Mme [M], sur la période du 10 octobre au 29 novembre 2010, justifie qu'elle n'ait transmis qu'à son retour, le 3 décembre 2010, les tableaux des deuxième et troisième trimestres 2010, seule une nouvelle négligence fautive de la salariée l'a amenée à adresser au service de l'APA du conseil général, les états afférents à l'Aide sociale ;

Considérant que l'association ARPAD produit le courriel adressé le 20 décembre 2010 à M. [H], son directeur, par M. [I] [P], responsable du secteur de l'ADPA en établissement au conseil général de Seine-Saint-Denis, ainsi rédigé :

« Je vous confirme notre rendez-vous du Jeudi 6 janvier 2011 à 10h00 dans vos locaux, afin de faire le point sur tes difficultés rencontrées pour la liquidation de vos états de sommes à payer, au titre de l'A.D.P.A. en établissement pour l'exercice 2010. En effet, à de multiples reprises, Mlle [Q] a contacté votre agent comptable afin de réunir les pièces nécessaires au paiement de vos factures. Nous avons sollicité ses services en juillet 2010 afin d'apporter des corrections sur la facturation du 2ème trimestre 2010 et avons reçu le 22 septembre 2010, le même état de sommes à payer sans que les corrections attendues soient effectuées. Mademoiselle [Q] vous a contacté téléphoniquement le 30/09/2010 en l'absence de votre comptable. A votre demande, nous vous avons faxé les factures avec modifications.

Votre agent comptable s'était engagé à se rapprocher de vous et de nous adresser par mail les états modifiés. Les exemplaires reçus ne correspondent pas à de l'A.D.P.A mais à de l'Aide Sociale à l'Hébergement pour la partie ticket modérateur (GIR5-6) et ce, malgré les informations complètes fournies par Mademoiselle [Q] à ce sujet. Notre rencontre de début janvier nous permettra de clarifier nos attentes mutuelles en matière de facturation.

La demande d'associer un responsable et un comptable de l'Aide Sociale à l'Hébergement à notre rendez-vous de janvier est dans l'attente de réponse de leur part en fonction de leurs agendas respectifs.

Je reste à votre disposition pour toute information complémentaire » ;

Considérant que Mme [M] a commis des fautes dans l'exécution de ses missions, l'erreur commise dans l'envoi de documents à un service incompétent de la collectivité ne s'analysant pas, comme le prétend la salariée, en une « une erreur d'adressage tout à fait mineure qui peut se rectifier par l'envoi, soit du tableau correspondant, soit au service compétent », en raison du contexte rappelé et de l'importance des échanges entre une association de résidences pour personnes âgées dépendantes et le conseil général qui verse d'importances prestations pour financer les services permettant aux personnes âgées de conserver une certaine autonomie ou au contraire d'être prises en charge dans des établissements spécialisés ;

Considérant que le manque d'attention fautif de Mme [M] dans l'exécution d'une tâche relevant de ses fonctions, comme les conséquences des erreurs commises, légitimaient la rupture du contrat de travail de la salariée ; qu'en revanche, le défaut de contrôle des supérieurs hiérarchiques de Mme [M], conscients de l'importance de la transmission à opérer pour tenir compte des exigences des services compétents du conseil général de Seine-Saint-Denis, lesquels avaient appelé directement le directeur de l'association, atténue la responsabilité de la salariée ; que les fautes commises ne justifiaient pas la rupture immédiate du contrat de travail de Mme [M], ne rendant pas impossible son maintien dans l'établissement ;

Considérant que le jugement entrepris est infirmé en ce qu'il a jugé le licenciement de Mme [M] sans cause réelle et sérieuse et lui a alloué des dommages et intérêts pour rupture abusive ; qu'il est en revanche confirmé en ce qu'il a rejeté la notion de faute grave et a condamné l'association ARPAD à payer à la salariée une indemnité de préavis ;

Sur le calcul des indemnités de rupture

Mme [M] soutient qu'elle avait le statut de cadre (du fait d'une mention figurant sur ses bulletins de paie), ce qui l'autoriserait à revendiquer le versement d'un préavis de quatre mois, comme le prévoit la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation.

Elle réclame par ailleurs, pour la première fois devant la cour, l'indemnité de licenciement.

L'association ARPAD conteste la qualité de cadre de Mme [M], qui ne résulterait ni de son contrat de travail, ni des dispositions conventionnelles applicables qui rattachent le métier de comptable au statut d'employé et agent de maîtrise, ni davantage de la fiche métier relative au poste de comptable dûment signée par l'intéressée et visant son statut d'employé administratif. L'employeur insiste sur le fait que Mme [M] n'a jamais prétendu pouvoir bénéficier du statut de cadre pendant l'exécution de son contrat travail, ni davantage dans le cadre de la procédure tenue devant le conseil de prud'hommes de Bobigny, qu'elle avait d'ailleurs saisi en sa section activités diverses. L'existence d'une mention erronée sur le bulletin de paie de la salariée ne pourrait lui conférer ce statut, alors surtout qu'elle n'avait jamais cotisé au titre des régimes applicables aux cadres.

Considérant que la qualification professionnelle d'un salarié se détermine par les fonctions réellement exercées ;

Considérant qu'il résulte des pièces et des débats que Mme [M] exerçait la fonction de comptable ; qu'elle ne remplissait pas les conditions prévues par la convention collective applicable pour bénéficier de la qualification de cadre ; que la mention « CDI cadres article 36) » - au demeurant énigmatique, d'autant que ni la convention collective nationale applicable ni les annexes relatives au classement des salariés ne comportent d'article 36 ', fût-elle apposée sur ses bulletins de paie, ne pouvait, à elle seule, justifier la prétention de Mme [M] qui ne soutient d'ailleurs pas avoir exercé des fonctions d'encadrement ; que le jugement est infirmé en ce qu'il a retenu la qualité de cadre de Mme [M] tout en lui accordant une indemnité de préavis ne correspondant qu'à deux mois de salaire ;

Considérant qu'en fonction d'un salaire mensuel de référence de 1 675 €, non subsidiairement contesté par l'employeur, il y a lieu de condamner l'association ARPAD à payer à Mme [M] une indemnité de préavis de ce montant, représentant un mois de salaire, par application de l'article 15.02.2.1 de la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, fixant la durée du préavis à un mois pour les « non-cadres » ;

Considérant que le bénéfice de l'indemnité légale de licenciement est réservé aux salariés justifiant d'une année d'ancienneté ininterrompue dans l'entreprise, en application de l'article L. 1234-9 du code du travail ; qu'il est fait droit à la demande de la salariée, présentée pour la première fois devant la cour ; qu'il lui est alloué la somme de 502,50 € justement calculée ;

Sur la demande de rappel d'heures complémentaires

Considérant qu'aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; que le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ;

Considérant que, si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande ;

Considérant qu'en l'espèce, Mme [M] expose qu'elle a été contrainte d'effectuer de nombreuses heures complémentaires, dont elle a tenu le compte détaillé entre le 1er février et le 7 octobre 2010 ; qu'elle réclame ainsi le paiement de 74 heures complémentaires qui ne lui auraient pas été payées ; que pour étayer ses dires, Mme [M] produit un relevé des heures effectuées tenu au jour le jour ; qu'il s'ensuit que la salariée produit ainsi des éléments préalables qui peuvent être discutés par l'employeur et qui sont de nature à étayer sa demande ;

Considérant que l'employeur conteste l'exécution d'heures complémentaires mais ne produit au débat aucun élément susceptible de justifier les horaires réalisés par la salariée, alors pourtant que sa carence à cet égard avait motivé la condamnation prononcée de ce chef par les premiers juges ;

Considérant qu'il y a lieu, dans ces conditions, de confirmer le jugement entrepris sur ce point, la somme allouée étant de 1 103 euros, outre les congés payés afférents, la salariée ayant modifié le quantum de sa demande du fait du calcul rectifié de son salaire ;

Sur la demande de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale

Mme [M] sollicite, pour la première fois devant la cour, la condamnation de l'association ARPAD à lui payer une somme de 3 000 €, du fait de la violation par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat de la présenter aux examens obligatoires auprès de la médecine du travail.

L'association ARPAD ne conteste pas formellement le défaut d'organisation de la visite médicale obligatoire.

Considérant qu'en vertu de l'article R. 4624-10 du code du travail, le salarié bénéficie d'un examen médical avant l'embauche ou au plus tard avant l'expiration de la période d'essai par le médecin du travail ;

Considérant que l'employeur étant tenu d'une obligation de sécurité de résultat dont il doit assurer l'effectivité, l'absence de visite médicale cause nécessairement un préjudice au salarié qui en est privé ; qu'il y a lieu d'allouer à Mme [M] une somme de 500 € à ce titre.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

INFIRME partiellement le jugement entrepris ;

STATUANT À NOUVEAU ET AJOUTANT,

CONDAMNE l'association ARPAD (Association de résidences pour personnes âgées dépendantes) à payer à Mme [W] [M] :

- 1 675 € à titre d'indemnité de préavis conventionnelle,

- 167,50 € au titre des congés payés afférents,

- 502,50 euros au titre de l'indemnité de licenciement

- 1 103 € au titre d'heures complémentaires non payées

- 110,30 € au titre de l'incidence des congés payés,

- 500 € à titre de dommages-intérêts pour défaut de visite médicale ;

DIT que les sommes de nature salariale produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'association ARPAD de sa convocation devant le bureau de conciliation et que les autres sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

DEBOUTE Mme [W] [M] du surplus de ses demandes ;

CONDAMNE l'association ARPAD (Association de résidences pour personnes âgées dépendantes) à payer à Mme [W] [M] une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE l'association ARPAD de sa demande sur le même fondement ;

CONDAMNE l'association ARPAD (Association de résidences pour personnes âgées dépendantes) aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 13/01550
Date de la décision : 08/09/2015

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°13/01550 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-09-08;13.01550 ?
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