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03/07/2015 | FRANCE | N°11/21576

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 11, 03 juillet 2015, 11/21576


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 11



ARRET DU 03 JUILLET 2015



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 11/21576



Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Octobre 2011 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2010044566







APPELANTES





SAS MTU FRANCE agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants

légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PAR...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 11

ARRET DU 03 JUILLET 2015

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 11/21576

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Octobre 2011 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2010044566

APPELANTES

SAS MTU FRANCE agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Représentée par Me Eric HARM de la SCP COUTARD & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : G0173

Société MTU FRIEDRICHSHAFEN GMBH société de droit allemand, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Représentée par Me Eric HARM de la SCP COUTARD & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : G0173

INTIMEE

SA SMP EXPRESS, ARMATEUR DU NAVIRE ATLANTIC JET agissant poursuites et diligences de son directeur domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA- GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Représentée par Me Michel QUIMBERT, avocat au barreau de NANTES

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 07 Mai 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Janick TOUZERY-CHAMPION, Président de chambre, chargée du rapport

Monsieur Paul André RICHARD, Conseiller hors classe

Madame Marie-Annick PRIGENT, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Patricia DARDAS

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Paul-André RICHARD, Conseiller Hors Hiérarchie, aux lieu et place de Madame Janick TOUZERY-CHAMPION, Président, empêché, et par Madame Patricia DARDAS, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

Le 27 février 2004 la société anonyme SPM EXPRESS a confié au chantier naval norvégien [Établissement 1] la construction d'un catamaran de transport de passagers dénommé 'L'Atlantic Jet' pour un montant de 6.500.000€, en vue d'assurer, dans le cadre d'une délégation de service public obtenue le 20 juin 2003, la desserte des îles de l'archipel de [Localité 1]. Ce bateau est équipé de deux moteurs MTU (396 TE 74 L) d'une puissance de 4.000 KW qui ont été fabriqués et vendus par la société de droit allemand MTU Friedrichshafen Gmbh (par abréviation MTU Allemagne) et dont la société par actions simplifiée MTU de droit français (dite MTU France) est en France chargée de la maintenance ; les injecteurs de ces moteurs ont été fournis par la société à responsabilité limitée de droit allemand Robert Bosch Gmbh.

En mars et en avril 2009, au titre des opérations de maintenance des 4.000 heures, les injecteurs d'origine sur les moteurs bâbord et tribord commandés par la société SPM EXPRESS à la société MTU France ont été remplacés par des injecteurs neufs.

Le 27 juin 2009 lors du trajet de [Localité 1] les deux moteurs tribord, puis bâbord ont présenté des dysfonctionnements, auxquels il n'a pas été possible de remédier.

Le 7 août 2009, la société SPM Express a fait assigner les sociétés MTU France et MTU Allemagne, le Chantier Naval [Établissement 1] devant le Président du Tribunal de commerce de PONTOISE, lequel a désigné, par ordonnance du 14 août suivant, un expert judiciaire M.[A], remplacé le 2 septembre 2009 par M.[O] ; par ordonnance du 17 décembre 2009 les opérations d'expertise ont été étendues à la société BOSCH et la mission de l'expert a été complétée. Le 10 avril 2010 M.[O] a déposé son rapport en retenant que l'avarie est due à la livraison par le société MTU à la société SPM Express d'un mauvais lot d'injecteurs.

Par acte d'huissier des 15 décembre 2009 et 11 janvier 2000, la société SPM Expresse a fait assigner les sociétés MTU France et Allemagne aux fins de remise en état du navire et de paiement de dommages et intérêts devant le Tribunal de commerce de PONTOISE, lequel par jugement du 18 mai 2010 s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de PARIS. Les sociétés MTU ont alors appelé en garantie le 14 mai 2010 la société BOSCH.

Selon jugement du 27 octobre 2011, le Tribunal de commerce de PARIS, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- s'est déclaré incompétent pour connaître du litige opposant la société MTU Allemagne et la société BOSCH et a renvoyé la première société à mieux se pourvoir,

- a débouté la societé SPM EXPRESS de ses demandes dirigées à l'encontre de la société MTU Allemagne,

- a condamné la société MTU FRANCE à payer à la société SPM EXPRESS les sommes de 436.800€au titre de l'immobilisation du navire, 638.650€ pour la remise en état du bateau, 351.536€ pour l'homologation, outre intérêts au taux légal à compter du 27 juin 2009 à capitaliser, 50.000€ en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés MTU France, MTU Allemagne et SPM EXPRESS ont interjeté appel de cette décision.

Les appels des sociétés MTU contre la décision d'incompétence pour trancher le litige à l'égard de la société BOSCH ont été déclarés irrecevables par deux ordonnances du conseiller de la mise en état du 27 septembre 2012 (laquelle a été confirmée par arrêt de la Cour d'Appel du 8 mars 2013) et du 25 avril 2013.

Suivant arrêt du 22 février 2013, la Cour d'appel de PARIS a rectifié une omission de statuer figurant dans le jugement susmentionné et a désigné comme juridiction de renvoi appelée à connaître du litige opposant les sociétés MTU Allemagne et BOSCH le 'Tribunal de Première Instance statuant en matière commerciale de Saint Pierre et Miquelon'. Enfin, les sociétés MTU France et Allemagne ont formé un contredit, dont elles se sont désistées par arrêts des 9 et 31 octobre 2013.

Devant le Tribunal de Saint Pierre et Miquelon, par actes des 18 et 21 mars 2013 la société SPM EXPRESS a diligenté une action en responsabilité délictuelle à l'encontre des sociétés BOSCH et MTU FRANCE pour obtenir leur condamnation.

Par deux premiers jugements du 14 mai 2011, cette juridiction a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- dans l'affaire opposant les sociétés SPM Express à la société Bosch et à la société MTU France :

rejeté les exceptions de nullité de l'assignation délivrée à l'encontre de la société BOSCH,

rejeté la fin de non recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de la société SPM EXPRESS,

accueilli l'exception de litispendance pour le litige opposant la société SPM EXPRESS à la société MTU France, en a ordonné le dessaisissement et l'a renvoyé devant la Cour d'appel de Paris, chambre 5-11, saisie du même litige,

constaté que l'action de la société SPM EXPRESS en responsabilité délictuelle à l'égard de la société Bosch est subsidiaire, d'une part, à l'action principale en responsabilité contractuelle de la société SPM EXPRESS contre les sociétés MTU en cours devant la Cour d'appel de Paris, d'autre part, à l'action en garantie de la société MTU France à l'encontre de la société BOSCH,

ordonné le sursis à statuer sur l'action en responsabilité délictuelle intentée par la société SPM EXPRESS à l'encontre de la société BOSCH dans l'attente de son propre jugement sur l'action en garantie et/ou de l'arrêt de la Cour d'Appel de Paris,

rejeté la demande de provision formée par la société BOSCH.

- Dans l'affaire opposant les sociétés MTU France et Bosch :

rejeté la demande de sursis à statuer présentée par la société Bosch,

rejeté la demande de provision présentée par la société MTU France,

ordonné la jonction des deux procédures susénoncées,

ordonné le renvoi à l'audience du 18 juin 2014 pour qu'il soit statué sur l'action en garantie de la société MTU France contre la société Bosch et sur l'action subsidiaire en responsabilité délictuelle.

Selon une seconde décision du 17 septembre 2014, le Tribunal de première instance de Saint Pierre et Miquelon a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

dit que les actions des sociétés SPM Express et MTU France dirigées à l'encontre de la société Bosch sont des actions directes de nature délictuelle exercées par les sous-acquéreurs contre le fabricant et que la loi française, lieu du dommage, leur est applicable,

rejeté les moyens tirés par la société Bosch, d'une part de l'atteinte au principe du contradictoire dans la conduite du procès, d'autre part de la nullité du rapport d'expertise,

rejeté la demande de complément d'expertise,

condamné la société Bosch à verser à la société MTU France la somme de 1.560.940,69€ à titre de dommages et intérêts , majorée des intérêts au taux légal à compter du 27 février 2012, la somme de 54.300€ en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,

ordonné le sursis à statuer sur l'action de la société SPM Express dirigée contre la société Bosch dans l'attente de l'arrêt de la Cour d'Appel de Paris.

Suivant conclusions signifiées le 30 mars 2015, la société MTU France, appelante :

sollicite la nullité du jugement du 27 octobre 2011, et à titre subsidiaire la nullité du rapport d'expertise et en conséquence la condamnation de la société SPM Express à lui rembourser les sommes déjà réglées au titre de l'exécution provisoire,

à titre très subsidiaire, soulève la partialité du rapport d'expertise, les erreurs d'interprétation commises par le tribunal,

estime que ses Conditions générales de vente excluent sa responsabilité au titre du manque à gagner et de la perte de jouissance,

réclame l'infirmation du jugement entrepris, le rejet des demandes relatives au titre d'un préjudice d'immobilisation, de perte de valeur, de frais financiers ainsi que le remboursement des sommes qu'elle a déjà réglées,

souhaite le rejet des 400 pièces inexploitables, le rejet des prétentions visant les travaux de remise en état, le remboursement des sommes déjà versées par elle,

à titre infiniment subsidiaire, excipe de la clause limitative de garantie à hauteur de la somme de 500.000€,

sollicite le rejet du jugement querellé, le débouté des demandes excédant la somme de 500.000€, le remboursement du trop perçu, l'organisation d'une mesure d'expertise comptable,

encore plus subsidiairement, demande la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a fixé le montant des travaux de remise en état à la somme de 638.650€ mais son infirmation en ses autres dispositions, à propos de l'homologation du bateau,

considère que le montant du préjudice lié à cette homologation s'élève à la somme de 20.114,87€ et que la société SPM doit lui rembourser la différence entre cette somme et celle payée,

sollicite la condamnation de la société SPM Expresse à lui rembourser le trop perçu en vertu de l'article 700 du code de procédure civile et à lui verser à ce titre une somme de 40.000€.

Selon des écritures signifiées le 1er avril 2015 quasiment identiques, hormis le paragraphe 6 du dispositif, la société MTU Allemagne, appelante, forme des demandes similaires à celles de la société MTU France.

Par conclusions signifiées le 31 mars 2015, la société SPM Express, intimée formant appel incident :

- souhaite une déclaration de compétence à l'égard des sociétés MTU,

- estime que la sociétés MTU sont responsables des avaries survenues sur les moteurs de 'l'Atlantic Jet',

- réclame le rejet de toutes leurs prétentions,

-sollicite la condamnation 'conjointe et solidaire' (sic) des sociétés MTU à lui payer les sommes suivantes :

coût des réparations et frais générés par le bris des moteurs : 1.401.902,67€

préjudice d'immobilisation :

pour l'année 2009 654.500,00€

pour l'année 2010 1.277.500,00€

pour l'année 2011 1.015.000,00€

perte sur la valeur du navire 1.000.000,00€

frais financiers 168.000,00€

frais en vertu de l'article 700 du code de procédure civile 100.000,00€

majorées des intérêts au taux légal à compter du 27 juin 2009, intérêts à capitaliser dans les conditions de l'article 1154 du code civil.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nullité du jugement du 27 octobre 2011 :

Les deux sociétés MTU France et MTU Allemagne excipent de la nullité du jugement du 27 octobre 2011 pour absence de motivation en application des dispositions des articles 455 et 458 du code de procédure civile, pour insuffisance de motifs à fortiori hypothétiques et pour motifs contradictoires.

Mais à tort, ces deux sociétés soulèvent une absence de motivation de la décision des premiers juges, qui peut être lue de la page 8 jusqu'à la page 12, aux termes de laquelle ils ont statué tant sur la compétence du tribunal parisien que sur la nullité du rapport d'expertise, sur la responsabilité et sur le préjudice, en expliquant -fût-ce succintement- pour chaque paragraphe les raisons de leur décision.

Dans l'évaluation du préjudice, l'utilisation du verbe 'pouvoir' par les premiers juges pour retenir le coût journalier d'immobilisation ne peut nullement être analysée comme un motif hypothétique ; de surcroît les sociétés MTU ne justifient nullement avoir remis aux premiers juges des pièces leur permettant d'asseoir leur estimation, dont il n'aurait pas été tenu compte.

Enfin il n'est pas relevé dans la motivation de motifs contradictoires, car si les premiers juges ont bien invoqué en dernière ligne de la page 11 du jugement la limitation de garantie dont se prévaut la société MTU France, ils ont retenu qu'en réalité elle n'en justifiait pas, de sorte qu'aucune contradiction ne peut être retenue.

Dans ces conditions le moyen tiré de la nullité du jugement rendu le 27 octobre 2011 est inopérant.

Sur la nullité du rapport d'expertise de M. [O] :

Les deux sociétés MTU soulèvent la nullité du rapport d'expertise pour non respect du principe du contradictoire en application des articles 16 du code civil, 276 du code de procédure civile et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ; à cet effet, elles soutiennent que l'expert a refusé la demande de la société Bosch visant des investigations

sur les injecteurs incriminés, leur propre réclamation tenant à l'analyse de la graisse employée par le personnel de bord, n'a pas répondu aux dires déposés par les parties et a esquivé la décision du juge chargé du contrôle de l'expertise en date du 11 février 2010.

Il convient de relever qu'outre le fait que les sociétés MTU ne sont pas le conseil de la société Bosch, qui serait seule fondée à se plaindre d'un non respect du principe du contradictoire à son égard, elles ne précisent nullement quels sont les arguments avancés par elles auxquels l'homme de l'art n'aurait pas répondu. Il est constant que ce dernier a tenu 3 réunions d'expertise dont la première a duré 3 jours à [Localité 1] sur le bateau, la seconde a eu lieu à [Localité 2] et la troisième d'une journée à [Localité 3] chez la société MTU réunissait les sociétés MTU, SPM Express et Bosch. Au cours de cette dernière réunion, M. [O] a mis l'accent sur le respect du principe du contradictoire suite à la nouvelle mise en cause de la société Bosch ; il a expliqué dans son rapport que cette journée a été partagée en trois temps, le premier consacré à l'historique, aux demandes et observations des parties, le deuxième relatif aux démontages demandés par l'expert et les parties sur le moteur tribord, le troisième visant l'examen visuel et les essais des injecteurs des moteurs bâbord et tribord. Il a relevé qu'aucun démontage supplémentaire n'a été demandé par les parties ; par ailleurs il ressort du rapport que l'expert judiciaire s'est heurté en réalité au refus des sociétés MTU et Bosch de fournir les pièces nécessaires à la mise en oeuvre des analyses supplémentaires, de poursuivre les investigations auprès de laboratoires indépendants. Enfin, l'expert a rédigé au cours des opérations expertales 9 notes communiquées à l'ensemble des parties par lesquelles il a répondu à leurs questions sur la qualification du personnel de la société SPM, la maintenance des moteurs, l'absence de pollution des fluides et combustibles utilisés, le montage et le tarage des injecteurs, l'examen et le test des injecteurs. Dans la note du 9 mars 2010, il a rappelé que les parties n'ont pas fait suite à sa proposition de nouvelles analyses dans un des deux laboratoires proposés par lui, quelles ont été ses investigations sur les injecteurs ou les fluides (gazole et huile) et ses conclusions et a souligné qu'aucune des parties ne demande des analyses complémentaires, de sorte que c'est à bon droit M. [O] a refusé de se prêter à un protocole interne aux sociétés n'obéissant pas au principe d'impartialité. Il résulte de ces différents éléments que les parties ne font nullement la démonstration que l'expert n'aurait pas respecté le principe du contradictoire.

Dans ces conditions faute d'apporter la preuve qu'un vice quelconque aurait entaché l'exécution de cette mesure d'instruction, ce moyen de nullité ne peut être accueilli.

Sur la responsabilité de l'avarie :

Les deux sociétés MTU estiment, en premier lieu, que M. [O] n'a pas accompli sa mission avec conscience, objectivité et impartialité, conformément aux dispositions de l'article 237 du code de procédure civile et en tirent pour conséquence que son rapport doit être écarté des débats.

Toutefois il ne ressort pas de la lecture du rapport que ce dernier ait fait preuve de partialité à l'égard des sociétés MTU ou qu'il ait outrepassé sa mission, dès lors qu'il s'est contenté de tirer des conséquences de ses simples constatations. Le seul fait que ces sociétés ne partagent pas l'avis de l'expert ne saurait fonder une accusation de partialité de ce dernier à leur égard ; en tout état de cause en application de l'article 246 du code de procédure civile le juge n'est pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien, dont l'avis demeure soumis à son appréciation et peut être librement critiqué et discuté par les parties.

Cet argument est en conséquence dénué de toute portée.

En second lieu, la société SPM Express recherche, sur le fondement de l'article 1641 du code civil et sur la garantie contractuelle, la responsabilité 'conjointe et solidaire'(sic) des deux sociétés MTU France et MTU Allemagne, qui lui ont fourni des injecteurs défectueux, cause de l' avarie des moteurs.

Il est acquis que la société MTU France était chargée en France du service-après-vente des moteurs fabriqués par la société MTU Allemagne sur lesquels ont été montés 32 injecteurs fournis par la société Robert Bosch.

Pour conclure que la cause de l' avarie des moteurs a pour seule origine la fourniture d'injecteurs défectueux, l'expert judiciaire a d'abord examiné toutes les autres causes possibles pouvant conduire à ce mauvais fonctionnement des moteurs.

Il a exclu un mauvais contrôle des injecteurs dans les règles de l'art par le chef mécanicien M.[M] du bateau l'Atlantic Jet, qui a reçu une bonne formation prodiguée par la société MTU France et obtenu une certificat d'aptitude, ainsi que tout l'équipage, dont les réactions aux avaries sont bonnes ; il a considéré que les comptes-rendus de l'équipage sont complets et rapides, que les interventions pour la maintenance des moteurs ont été faites dans les règles de l'art, conformément aux notices de la société MTU. Par ailleurs sur le banc de la société MTU à Pégonas, l'expert n'a trouvé aucun injecteur surtaré (mal réglé) ; enfin un surtarage des injecteurs n'aboutirait pas aux dégradations qui ont été observées .

Cet homme de l'art a également exclu l'utilisation d'un mauvais gazole ou huile défecteuse ou inadaptée, car les prélèvements de juillet 2009 ont donné de bons résultats d'analyse, sans aucune pollution.

Enfin sur les tests des 32 injecteurs effectués à Pégonas le 22 janvier 2010, neuf d'entre eux ont montré une mauvaise pulvérisation et quatre une pulvérisation moyenne, ce qui confirme selon l'expert les dégradations observées (glaçage des chemises) ; par ailleurs plusieurs nez d'injecteurs neufs ont révélé des difficultés de grippage d'aiguille, ce qui conduit à une pulvérisation insuffisante. Il a constaté de surcroît qu'aucun résultat de contrôle des injecteurs ne lui a été communiqué, en dépit de ses multiples demandes.

Il a recommandé l'instrumentation des moteurs qui permet de prévenir les avaries, mais qui n'existe pas sur les moteurs du bateau en cause.

Il a encore relevé que les mécaniciens de la société MTU France sont arrivés en juillet 2009 à Saint Pierre avec un jeu d'injecteur neuf complet comme s'ils connaissaient déjà l'origine de la panne.

En définitive , l'expert judiciaire a estimé que dans le cadre des opérations de maintenance la société MTU France a reçu un mauvais lot d'injecteurs (qui constitue une pièce vitale sur un moteur) fabriqués par la société Bosch, en ce qu'ils ont présenté un défaut de pulvérisation.

Pour s'exonérer de leur garantie, les société MTU ont mis en cause le savoir faire du chef mécanicien du bateau M.[M] qui n'aurait pas utilisé la graisse adéquate entre la douille raccord et la douille de protection et qui aurait pu se tromper dans le montage des injecteurs.

Toutefois, cette argumentation n'est pas pertinente dans la mesure où ce dernier a suivi les recommandations figurant dans la documentation versée aux débats, et où surtout, selon les croquis de l'expert, cette graisse n'est nullement en contact avec le nez de l'injecteur, n'est jamais en contact avec la chambre à combustion. Par ailleurs, les certificats de formation produits démontrent que la société MTU avait qualifié M.[M] pour ces opérations. En tout état de cause la conception des injecteurs empêche un mauvais montage des injecteurs.

Enfin la détermination du point de savoir si les sociétés MTU devaient ou non contrôler les pièces avant leur livraison n'a pas d'incidence sur leur responsabilité de vendeur de produits défectueux ou affectés de vices. En effet, il a été démontré que les injecteurs, fournis par la société Bosch, présentaient un grave vice les rendant impropre à l'usage auquel on les destine au moment de leur vente à la société MTU Allemagne, laquelle les a cédés à la société MTU France, qui les a elle-même revendus à la société SPM Express en remplacement des injecteurs dont la maintenance exigeait le remplacement ; le sous-acquéreur (société SPM Express) est recevable à exercer l'action en garantie des vices cachés contre le vendeur intermédiaire et originaire. Dans ces conditions, la responsabilité solidaire des sociétés MTU France et MTU Allemagne à l'égard de la société SPM Express doit être retenue.

Sur le préjudice :

La société SPM Express sollicite l'indemnisation des préjudices suivants :

- le coût des réparations et des frais générés par le bris des moteurs : 1.401.902,67€

- le dommage résultant de l'immobilisation du bateau pendant 28 mois :

pour l'année 2009 : 654.500€

pour l'année 2010 : 1.277.500€

pour l'année 2011 : 1.015.000€

- la perte sur la valeur du bateau : 1.000.000€

- les frais financiers : 168.000€

Les sociétés MTU opposent d'abord une clause limitative de responsabilité.

Elles versent aux débats un devis comportant 12 pages correspondant à la commande DDP M. [R] du 5 mars 2009 adressée à la société SPM Express sur la quelle il est précisé en première page 'nous vous remercions de votre demande et avons le plaisir de vous soumettre l'offre suivante sur la base de nos conditions générales de maintenance, de réparation , autres services et pièces de rechange dont la copie est ci-jointe' ; de même pour la commande du 23 mars 2009, il est fait référence en page 12 aux Conditions générales de vente et de facturation auxquelles sont soumises toutes les ventes.

Si dans les documents précités les sociétés MTU évoquent effectivement leurs conditions générales de vente ou s'y réfèrent, elles ne justifient par aucune pièce les avoir réellement adressées à leur cliente comme le démontre la numérotation des pièces. Ainsi pour la première facture les pièces sont numérotées de 1 à 12 et ne comprennent pas les Conditions générales de vente lesquelles ne figurent qu' en annexe sans numérotation de page ; il en est de même pour toutes les autres factures produites.

Dans ces conditions, les sociétés MTU, sur lesquelles pèse la charge de cette preuve, ne justifient pas avoir informé de la teneur de ses Conditions générales de vente la société SPM Express qui conteste expressément en avoir reçu notification, de sorte que les sociétés MTU ne sauraient se prévaloir de la clause limitative de responsabilité.

Pour le coût de réparation du navire, il ressort du rapport de l'expert, que la remise en état du moteur bâbord s'élève à la somme de 218.350€ HT et celle du moteur tribord à la somme de 405.300€ HT, après s'être référé aux devis et pièces de la société MTU, de sorte que cette demande n'est pas contestable. Il en est de même du coût du transport du bateau évalué par l'expert à la somme de 15.000€.

Les autres frais à savoir la somme de 1.401.902,67€ dont à déduire la somme susmentionnée de 623.650€ sont pour l'essentiel des frais engagés 'pour assurer les procédures judiciaires en cours, pièces 24 et 47 à 55' selon la société SPM Express.

Or, les frais relatives à d'autres procédures ne sauraient être réglés que dans le cadre desdites procédures et non dans la présente instance (référé, arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 27 juillet 2010, arbitrage en Norvège), les frais d'avocat et de traduction seront compris dans la demande en vertu de l'article 700 du code de procédure civile. Les frais d'expertise et d'assignation seront inclus dans les dépens de la présente instance. En revanche, les frais de maintenance du bateau, de nettoyage de la coque, de réaménagement ou d'amélioration des équipements du bateau, de factures EDF, repas des mécaniciens, les

frais de secrétariat, les salaires des employés et tous autres frais, qui auraient du en tout état de cause être assumés par la société SPM.Express, si aucune avarie n'était survenue, ne peuvent être pris en compte. Il en est de même de toutes les pièces non traduites en langue étrangère, qui ne sauraient être prises en considération.

Le coût du passage du navire aux contrôles pour avoir l'autorisation de naviguer est estimé par M. [O] à la somme de 351.536,49€, au vu de la propre évaluation de la société SPM Express. Toutefois il convient d'observer, à l'instar des sociétés MTU, que la somme de 43.066,75€ doit être déduite de ce montant car elle ne correspond pas à la procédure d'homologation necessaire (pièce 24 de l'intimée), qui ne peut comprendre que la cale sèche à [Localité 4] (110.291,97€), le remorquage du bateau (149.635,03€), l'hébergement à Courtyard Hotel (22.980,19€), deux visites de classification du bureau Veritas pour 12.234,50€ (la facture invoquée par les sociétés MTU sera écartée comme datant de 2008), la visite pour le permis de navigation du CSN [Localité 5] (9.996,09€), enfin la visite Code ISPS de P. Ouzou du Havre (3.332,03€). Les sociétés MTU ne versent aucun autre document contraire pour légitimer leur contestation. La somme de 308.469,74€ devra en conséquence être payée par la sociétés MTU.

Pour l'immobilisation du bateau depuis le 27 juin 2009, il n'est pas contesté que la délégation de service public de la société SPM Express devait prendre fin le 30 novembre 2009 et qu'elle ne lui sera plus jamais octroyée, puisque le Conseil territorial de [Localité 1] a repris la régie de la desserte maritime en passagers (comprenant d'ailleurs l'obligation de reprendre les salariés précédemment employés) et acquis un nouveau bateau. Il appartenait à la société SPM Express d'entreprendre les réparations de son bateau dans le délai le plus bref possible pour pouvoir reprendre ses activités ; l'expert ayant évalué la durée de l'immobilisation à deux mois, la société SPM ne justifie pas d'une immobilisation imposée par des tiers pendant 28 mois et uniquement pour la réparation de l'avarie, puisqu'elle pouvait faire exécuter la décision du tribunal assortie de l'exécution provisoire. Si le préjudice d'immobilisation d'un moyen de transport s'apprécie au regard d'un loyer de location et non de la rentabilité du navire, la société SPM Express a ainsi perdu la chance de pouvoir le louer pendant 156 jours, car il n'est pas absolument sûr qu'elle aurait trouvé un locataire pour tous les jours de cette période. Au vu de ces éléments la Cour estime le préjudice subi par cette dernière à la somme de 280.000€.

Les intérêts au taux légal courront sur ces sommes à compter de l'assignation en première instance valant mise en demeure ; la capitalisation desdits intérêts sera ordonnée dans les conditions de l'article 1154 du code civil; .

La perte sur la valeur du bateau n'est pas établie, ainsi que l'ont retenu à juste titre les premiers juges ; en effet la perte de la valeur vénale correspondant à l'ancienneté aurait existé en l'absence de toute avarie.

En conséquence, l'organisation d'une mesure d'expertise est inopportune.

Enfin la société SPM Express sollicite le paiement de frais financiers à hauteur de la somme de 168.000€ sans aucunement expliciter ce chef de demande et sans verser la moindre pièce pour l'étayer ; cette réclamation ne saurait donc prospérer.

L'équité commande d'allouer à la société SPM Express une indemnité de 35.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'y a pas lieu de prononcer d'autres condamnations pour des frais d'exécution forcée hypothétiques et dont le montant n'est pas connu.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement,

Infirme le jugement rendu le 27 octobre 2011 par le Tribunal de commerce de Paris,

Statuant à nouveau,

Rejette l'exception de nullité du jugement du 27 octobre 2011 invoquée par la sociétés MTU France et MTU Friedrichshafen Gmbh (par abréviation MTU Allemagne),

Rejette l'exception de nullité du rapport d'expertise de M. [O] formée par les mêmes sociétés ,

Dit les sociétés MTU France et MTU Friedrichshafen Gmbh (par abréviation MTU Allemagne) responsables de l'avarie survenue le 27 juin 2009 sur le bateau Atlantic Jet,

Condamne solidairement les sociétés MTU France et MTU Friedrichshafen Gmbh (par abréviation MTU Allemagne) à verser à la société SMP Express la somme globale de 1.227.119,74€, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation de première instance,

Dit que la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l'article 1154 du code civil,

Condamne in solidum les sociétés MTU France et Friedrichshafen Gmbh (par abréviation MTU Allemagne) à payer à la société SMP Express une indemnité de 35.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne in solidum les sociétés MTU France et Friedrichshafen Gmbh (par abréviation MTU Allemagne) aux dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise, avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier, Pour le Président empêché,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 11/21576
Date de la décision : 03/07/2015

Références :

Cour d'appel de Paris J2, arrêt n°11/21576 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-07-03;11.21576 ?
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