Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 5
ARRET DU 02 JUILLET 2015
(n° , 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/02679
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Décembre 2013 - Tribunal de Commerce de PARIS - 4ème chambre - RG n° 2011055247
APPELANTES
SA ÉLECTRICITÉ RÉSEAU DISTRIBUTION FRANCE (E.R.D.F.)
ayant son siège social [Adresse 6]
[Adresse 6]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
SA HELVETIA ASSURANCES SA venant aux droits de la SA GROUPAMA TRANSPORT
ayant son siège social [Adresse 1]
[Adresse 1]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Société ALLIANZ GLOBAL CORPORATE & SPECIALTY SE venant aux droits de la Société ALLIANZ GLOBAL CORPORATE & SPECIALTY AG
société de droit allemand ayant son siège social [Adresse 4]
[Adresse 4]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Société WAGRAM INSURANCE COMPANY LTD
société de droit irlandais [Adresse 5]
[Adresse 5]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentées par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065
Assistées Me Henri JEANNIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0480
INTIMEES
SAS GROUPE CAYON
ayant son siège social [Adresse 2]
[Adresse 2]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
SA AXA FRANCE IARD
ayant son siège social [Adresse 3]
[Adresse 3]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentées par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151
Assistées de Me Patrick EVRARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0132
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Mars 2015, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Colette PERRIN, Présidente de chambre, chargée du rapport, et Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Colette PERRIN, Présidente de chambre
Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président
Madame Françoise LUCAT, Conseillère
Greffier, lors des débats : Monsieur Bruno REITZER
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Colette PERRIN, Présidente et par Monsieur Bruno REITZER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
****
Faits et procédure
La société Cayon s'est vu confier, entre les mois de mai et juin 2010, deux expéditions en convois exceptionnels sur un trajet identique entre les entrepôts de la société JST à [Localité 3] et le poste ERDF de [Localité 1] dans la banlieue de [Localité 5] de deux transformateurs;
Une première expédition sous couvert d'un arrêté d'autorisation du 28 avril 2010 s'est déroulée sans problème.
L'autorisation concernant celle-ci précisait que la traversée de la ville de [Localité 2] se ferait en empruntant la nationale D943 alors que celle relative au second transport indiquait que celui-ci se ferait par le centre ville. Le chauffeur a commis une erreur, prenant pour le deuxième transport l'itinéraire du premier.
Lors du second transport réalisé le 24 juin 2010, le chauffeur a heurté le tablier d'un pont provoquant des dégâts important au transformateur.
La société ERDF a été indemnisée de son préjudice matériel par ses assureurs les sociétés Groupama Transports (ci après Groupama), Allianz Global Corporate Speciality (ci après Allianz) et Wagram lnsurance Company Ltd (ci après Wagram), qui demandent le remboursement de leurs débours tandis que la société ERDF demande, outre le remboursement de la franchise demeurée à sa charge, le remboursement d'un préjudice immatériel, au transporteur et à l'assureur de ce dernier, la société Axa. Face au refus exprimé par ces derniers, les sociétés requérantes ont engagé la présente action.
C'est dans ces conditions que, par acte. extra judiciaire du 24 juin 2011, les sociétés Groupama, Allianz, Wagram et ERDF ont demandé au tribunal de commerce de Paris de condamner in solidum les sociétés Cayon et Axa.
Par jugement rendu le 5 décembre 2013, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris a :
- écarté la faute inexcusable imputée à la société Cayon ;
- appliqué les limites légales de responsabilité prévues par la convention type et condamné la société Groupe Cayon et la société Axa France IARD in solidum à payer à la société ERDF et à ses assureurs la société Groupama transport, la société Allianz Global Corporate & Speciality et la société Wagram insurance compagny ltd, la somme de 60.000 euros en réparation du préjudice matériel et 54860 euros en réparation du préjudice immatériel ;
- condamné la société Groupe Cayon et la société Axa France lARD in solidum à payer à la société ERDF et à ses assureurs la société Groupama transport, la société Allianz Global Corporate & Speciality et la société Wagram Insurance compagny ltd la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté la société ERDF, la société Groupama transport, la société Allianz Global Corporate & Speciality et la société Wagram insurance compagny ltd de leurs autres demandes.
Vu l'appel interjeté par les sociétés Helvetia assurance, venant aux droits de la société Groupama transport, Allianz Global Corporate & Speciality, Wagram insurance company ltd et ERDF, le 06 février 2014 contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées par ces sociétés le 4 mars 2015, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- dire et déclarer la société ERDF, Helvetia Assurance SA (aux droits de Groupama transport), Allianz et Wagram lnsurance recevables en leur appel et en leurs demandes ;
- dire et déclarer que la société Groupe Cayon a commis une faute inexcusable ;
En conséquence :
- réformer le jugement entrepris et statuant à nouveau :
- condamner in solidum la société Groupe Cayon et la société Axa France lARD à payer aux compagnies d'assurance Helvetia assurances SA, Allianz Global Corporate & Speciality et Wagram insurance :
' la somme de 187 666,89 euros outre intérêts légaux à compter de l'assignation délivrée le 24.juin 2011, qui devront être capitalisés année par année en application de l'article 1154 du code civil ;
'la somme de 25 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner in solidum la société Groupe Cayon et la société Axa France lARD à payer à la société ERDF :
' la somme de 193 861,05 euros, outre intérêts légaux à compter de l'assignation délivrée le 24 juin 2011, qui devront être capitalisés année par année en application de l'article 1154 du code civil ;
' la somme de 25 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Subsidiairement :
- condamner in solidum la société Groupe Cayon et la société AXA France lARD à payer aux compagnies d'assurance Helvetia Assurances SA (aux droits de Groupama Transport), Allianz GCS SE et Wagram lnsurance :
'la somme de 187 666, 89 € outre intérêts légaux à compter de l'assignation délivrée le 24 juin 2011, qui devront être capitalisés année par année en application de l'article 1154 du Code Civil ;
'la somme de 25 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner in solidum la société Groupe Cayon et la société AXA France lARD à payer à la société ERDF :
'la somme de 193 861, 05 €, outre intérêts légaux à compter outre intérêts légaux à compter de l'assignation délivrée le 24 juin 2011, qui devront être capitalisés année par année en application de l'article 1154 du Code Civil ;
' la somme de 25 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Les appelantes font d'abord valoir que la société ERDF ne saurait être considérée comme prescrite en son action contre le transporteur routier au motif qu'elle aurait assigné la société Groupe Cayon dans le délai de la prescription annale, et qu'il importait peu qu'elle ait indemnisé la société postérieurement à l'échéance de la prescription de l'action contre le transporteur routier ;
Les sociétés appelantes soutiennent que le transporteur a commis une faute inexcusable en n'empruntant pas le chemin imposé, et en improvisant son itinéraire. Il ne serait dès lors pas fondé à bénéficier de la limitation légale du contrat-type transport de masse indivisible ;
Elles ajoutent que l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société Groupe Cayon relative à l'indemnisation des préjudices immatériels de la société ERDF devra être écartée, les dommages résultant de la faute exclusive de la société Groupe Cayon. Celle-ci devra donc indemniser les surcoûts de prolongation du chantier facturés par les divers fournisseurs à la société ERDF ;
Subsidiairement, elles soutiennent que dans l'hypothèse ou la cour considérerait que la société ERDF n'aurait pas eu qualité à agir contre le transporteur routier Groupe Cayon faute d'avoir été partie au contrat de transport, elle n'en devrait pas moins considérer alors que la société ERDF et ses assureurs sont fondés à exercer une action délictuelle contre le transporteur et une action directe contre son assureur Axa.
Vu les dernières conclusions signifiées par les sociétés Axa France lARD et Groupe Cayon le 3 mars 2015 par lesquelles il est demandé à la Cour :
A titre principal de :
- confirmer partiellement le jugement rendu le 5 décembre 2013 par le tribunal de commerce de Paris ;
En conséquence :
- dire et juger qu'aucune «faute inexcusable » ne peut être reprochée au transporteur routier Groupe Cayon dans la réalisation de l'opération litigieuse ;
- dire et juger, en conséquence, que l'indemnisation des dommages causés au transformateur devant être versée par les sociétés Groupe Cayon et Axa France lARD doit être fixée à la somme globale et forfaitaire, de 60.000 euros conformément au contrat type transports exceptionnels ;
- dire et juger que les réclamations formulées pour les préjudices immatériels allégués par la société ERDF ne peuvent donner droit à l'indemnisation dans le cadre de l'opération de transport litigieuse et qu'ils sont, en tout état de cause, injustifiés tant dans leur réalité que dans leur quantum ;
- en conséquence, modifier le jugement attaqué sur ce point et rejeter les demandes formées pour les préjudices immatériels allégués par la société ERDF.
A titre subsidiaire :
- si, par impossible, la cour venait à considérer que la société ERDF pourrait valablement solliciter l'indemnisation d'un préjudice immatériel, il lui est alors demandé de dire et juger que le montant de l'indemnisation qui serait mise à la charge des sociétés Groupe Cayon et Axa France lARD doit être limitée au double du prix du transport, soit à la somme globale et forfaitaire de 54.860 euros, conformément au contrat type transports d'objets indivisibles.
En tout état de cause :
- constater le caractère exagéré et surévalué des demandes formées par les sociétés demanderesses en première instance puis en cause d'appel et rejeter en conséquence, l'ensemble de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dire et juger que les concluantes ont dû supporter des frais pour faire valoir leurs droits face aux demandes exagérées formulées par les sociétés demanderesses ;
- condamner, en conséquence, solidairement les sociétés Groupama transport, Allianz global et Wagram Insurance Company et ERDF à payer une somme d'un montant de 10.000 euros au profit des sociétés Groupe Cayon et Axa France lARD conformément à l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
Les intimées soutiennent que les limitations légales de responsabilité sont applicables à l'opération litigieuse, au motif qu'aucune faute inexcusable de nature à en écarter l'application n'a été commise. Le chauffeur aurait commis une erreur, sans commettre une faute délibérée et sans avoir conscience qu'un dommage pourrait en résulter ;
Elles ajoutent que les demandes formulées par la société ERDF relatives à l'indemnisation du préjudice immatériel sont irrecevables. Tout d'abord, selon elles, les demandes formées par ERDF seraient prescrites car la procédure aurait été régularisée plus d'un an après l'action litigieuse. De plus, le préjudice n'était pas prévisible lors de la formation du contrat au sens de l'article 1150 du code civil, la demande serait dès lors irrecevable ;
Elles exposent enfin que les préjudices allégués sont injustifiés et surévalués. Les frais d'installations engagés l'auraient été indépendamment du retard dans l'expédition du matériel. L'appelante n'apporterait pas la preuve réelle et certaine des coûts supplémentaires qui auraient été engendrés ou effectivement supportés et qui seraient consécutifs à la livraison tardive du transformateur ;
La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la faute du transporteur
Considérant que la société Groupe Cayon et son assureur La société Axa font état de ce que si le sinistre résulte d'une erreur du chauffeur qui se fiant à l'habitude n'a pas bien vérifié le plan de route indiqué sur l'avis d'autorisation sous couvert duquel il a réalisé la deuxième opération, ayant réalisé très peu de temps auparavant pour le même client un autre transport aussi qualifié de transport exceptionnel dans le cadre duquel il avait emprunté la D943 dans son intégralité lors du contournement de [Localité 2], cette erreur ne constitue pas une faute inexcusable ;
Considérant qu'en reprenant un itinéraire précédent, le chauffeur ne pouvait avoir conscience qu'un dommage en résulterait probablement ; que de plus le pont emprunté ne comportait aucune signalisation qui aurait pu alerté le chauffeur sur sa hauteur ;
Considérant que c'est à bon droit par des motifs que la Cour adopte que les premiers juges ont écarté le caractère inexcusable de la faute commise par la société Cayon ;
Sur les préjudices
Considérant que s'agissant du préjudice matériel, il y a lieu de faire application des limitations de responsabilité prévues par le contrat type ; que c'est donc à bon droit que le tribunal a fixé celle-ci à 60 000€ ;
Considérant que la société ERDF fait valoir qu'elle a dû en raison du sinistre attendre la réparation du transformateur ce qui a retardé d'une année la mise en service du poste de Doulon, initialement prévue en juin 2010 ; que des surcoûts lui ont été facturés par ses divers fournisseurs, par l'entrepreneur et par l'architecte qu'elle chiffre ce préjudice immatériel à la somme de 178361,05€ ;
Considérant que s'agissant des demandes au titre du préjudice immatériel la société Cayon soutient qu'elles ont irrecevables car soumises à la prescription annale de l'article L133-6 du code de commerce et au demeurant injustifiées ;
Considérant que la société ERDF a par acte. extra judiciaire du 24 juin 2011 assigné les sociétés Cayon et Axa alors que le sinistre est intervenu le 24 juin 2010 soit dans le délai d'un an ; que si alors elle n'avait pas encore indemnisé son co contractant la société RTE qui construisait un poste à Doulon et qui lui avait commandé le transformateur, elle produit à l'appui de sa demande une facture émise en décembre 2011 d'un montant de 178 361,05€ qu'elle a réglée le 2 janvier 2012, soit avant le prononcé du jugement ;
Considérant que la société Cayon fait valoir que seul le dommage immatériel prévisible au titre du contrat de transport est réparable ; qu'en l'espèce le contrat n'avait pour seul objet que le transport du transformateur ; qu'elle invoque enfin le document intitulé « offre de prestation « annexé au contrat de transport, qui indique qu' « en cas de décalage de la prestation du fait des conditions climatiques, d'un accident de la circulation intervenu sur l'itinéraire ou d'un cas de force majeure, les parties conviennent d'abandonner tout dédommagement mutuel » ;
Considérant que, d'une part, l'immobilisation d'un chantier du fait d'un défaut de livraison dans le délai convenu et les surcoûts pouvant en résulter sont des éléments prévisibles, d'autre part, l'exclusion concerne l'hypothèse d'un accident causé par un tiers et non par la faute du transporteur ;
Considérant que seuls les préjudices immatériels certains et en lien direct avec le dommage sont indemnisables ; qu'en l'espèce la société ERDF invoque un devis intitulé « Plus valus engendrées par le retard de l'installation du 2ème transformateur » de la société SPIE portant sur la construction d'un poste à [Localité 4] d'un montant de 107 621,27€ ; que le détail de celui-ci démontre que si certains postes correspondent aux frais d'installation du transformateur qui auraient été engagées antérieurement s'il n'y avait pas eu le sinistre, d'autres visent expressément des plus valus pour des interventions différées et sont donc en lien direct avec le sinistre ;
Considérant toutefois que le contrat type prévoit une indemnisation limitée au double du prix du transport ; que le prix du transport peut être fixé à 27 430€, montant de la facture pour le transport du transformateur réparé pour un trajet identique, le transport au cours duquel le sinistre est intervenu n'ayant pas été facturé ; qu'il y a lieu en conséquence de retenir que l'indemnisation des préjudices immatériels doit être limitée à la somme de 54 860€ (27 430€ x2) ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Considérant que les sociétés Groupe Cayon et Axa France IARD ont dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement déféré.
CONDAMNE solidairement les sociétés Helvetia Assurance, venant aux droits de la société Groupama Transport, Allianz Global Corporate & Speciality, Wagram Insurance Company ltd et ERDF à payer aux sociétés Groupe Cayon et Axa France IARD la somme 6 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE solidairement les sociétés Helvetia Assurance, venant aux droits de la société Groupama Transport, Allianz Global Corporate & Speciality, Wagram Insurance Company ltd et ERDF aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le GreffierLa Présidente
B.REITZER C.PERRIN