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25/06/2015 | FRANCE | N°14/11542

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 25 juin 2015, 14/11542


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRÊT DU 25 Juin 2015

(n° 299 , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/11542



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Septembre 2014 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY - Section commerce - RG n° 11/00357





APPELANTE

SA AIR FRANCE

[Adresse 3]

[Localité 3]

N° SIRET : 552 043 002 01607

représenté

e par Me Jean-Pascal THIBAULT, avocat au barreau de VERSAILLES







INTIME

Monsieur [I] [M]

[Adresse 1]

[Localité 1]

représenté par Me Eric MOUTET, avocat au barreau de PARIS, ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRÊT DU 25 Juin 2015

(n° 299 , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/11542

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Septembre 2014 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY - Section commerce - RG n° 11/00357

APPELANTE

SA AIR FRANCE

[Adresse 3]

[Localité 3]

N° SIRET : 552 043 002 01607

représentée par Me Jean-Pascal THIBAULT, avocat au barreau de VERSAILLES

INTIME

Monsieur [I] [M]

[Adresse 1]

[Localité 1]

représenté par Me Eric MOUTET, avocat au barreau de PARIS, toque : E0895

PARTIE INTERVENANTE :

POLE EMPLOI

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 2]

représenté par Me Véronique DAGONET, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE,

toque : PC 3 substitué par Me Ingrid LEROY, avocat au barreau de VAL DE MARNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 mai 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Martine ROY-ZENATI, Présidente

Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère

Madame Murielle VOLTE, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : M. Franck TASSET, lors des débats

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Martine ROY-ZENATI, Présidente et par M. Franck TASSET, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

M. [I] [M], qui avait été engagé le 6 mars 2001 par la société Air France en qualité de steward, s'est vu notifier le 10 juin 2009 par son employeur la résiliation de son contrat de travail du fait du refus de renouvellement par la Préfecture de son titre d'accès à la zone réservée des plates-formes aéroportuaires.

Il a saisi la juridiction prud'homale le 27 janvier 2011 d'une demande de paiement de diverses indemnités au titre de la rupture.

Par jugement du 12 septembre 2014 notifié le 14 octobre, le conseil de prud'hommes de Bobigny statuant en formation de départage a condamné la société Air France avec exécution provisoire à lui payer les sommes de :

- 6 090,46 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 609,40 € au titre des congés payés sur préavis

- 7 118,89 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement

avec intérêts au taux légal à compter du 8 février 2011

- et 36 500 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- outre 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

et condamnée aux dépens.

La société Air France a interjeté appel de cette décision le 20 octobre 2014.

A l'audience du 29 mai 2015, elle demande à la Cour d'infirmer le jugement et de débouter M. [M] de l'intégralité de ses demandes en le condamnant à lui rembourser les condamnations exécutées provisoirement de 12440,77 € et de 38156,77 €, et à lui payer 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que les conditions du 'fait du prince' invoqué dans la lettre de licenciement, c'est-à-dire de la force majeure, étaient bien remplies, dès lors que le retrait de l'habilitation du salarié de circuler en zone aéroportuaire rendait automatiquement et nécessairement impossible la réalisation de l'objet du contrat, au sens civiliste du terme, lequel était un emploi de steward pour lequel ladite habilitation était nécessaire. Elle considère donc que le juge ne saurait s'immiscer dans le pouvoir de gestion de l'employeur en imposant une forme de reclassement qui n'a, dans le cas d'espèce, aucun fondement légal, conventionnel ou contractuel, alors que l'objet du contrat était rendu impossible par une autorité extérieure à l'entreprise. Elle souligne à cet égard qu'il ne peut lui être demandé que d'adapter le salarié aux évolutions de son emploi, non de le reclasser ou de le former à un autre emploi, et qu'il ne peut davantage lui être fait grief de ne pas avoir exécuté le contrat de travail de bonne foi quand l'autorité administrative a jugé que la moralité ou le comportement du salarié ne présentait pas les garanties requises au regard de la sécurité publique.

M. [M] demande pour sa part la confirmation du jugement et la condamnation de la société à lui payer la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il soutient que les éléments constitutifs du 'fait du prince' ne sont pas réunis, la décision administrative de refus de renouvellement de son titre de circulation en zone aéroportuaire n'étant ni imprévisible ni insurmontable, dès lors que Air France dispose d'autres postes ne nécessitant pas d'autorisation administrative d'accès. Il considère en effet que par application de l'article L.6321-1 du code du travail, l'employeur doit assurer l'adaptation des salariés à leur poste de travail, que la convention d'entreprise PNC prévoit également expressément en son chapitre 7 des hypothèses permettant le reclassement au sol des personnels navigants commerciaux, tout comme l'accord triennal de gestion prévisionnel de l'emploi 2006/2009, et que Air France ne peut donc soutenir qu'aucune obligation de reclassement ne lui est imposée. Il estime donc que la compagnie ne peut prétendre échapper à ses obligations légales et conventionnelles en prétextant une décision préfectorale qui ne rendait manifestement pas impossible la poursuite du contrat de travail qu'il lui appartenait d'exécuter de bonne foi, et que la rupture ne peut s'analyser que comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Pôle Emploi est intervenu volontairement pour demander l'application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail et demander à la société Air France le remboursement des allocations de chômage versées à hauteur de 1867,95 € outre le paiement d'une somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS

Attendu qu'aux termes de l'article L 213-2 du code de l'aviation civile :

'La police des aérodromes et des installations aéronautiques, tels qu'ils sont définis à

l'article précédent, est assurée, sous réserve des pouvoirs de l'autorité militaire à l'égard des aérodromes et installations dépendant de la défense nationale, par le préfet qui exerce, à cet effet dans leur emprise, les pouvoirs impartis au maire par l'article L.2212-2 du code général des collectivités territoriales (...)' ;

Que selon l'article R. 213-2 du même code :

' L'emprise des aérodromes affectés à titre principal ou secondaire à l'aviation civile comprend :

- une zone réservée, non librement accessible au public, dont l'accès à certaines parties peut être réglementé ;

- une zone réservée, non librement accessible au public, dont l'accès est soumis à la possession des titres spéciaux prévus à l'article R 213-4 (...)' ;

que l'article R 213-4 du même code dispose que :

'I. - L'accès en zone réservée d'un aérodrome mentionné au I de l'article R. 213-1-1, des personnes autres que celles mentionnées aux II, III et IV du présent article est soumis à la possession d'une habilitation valable sur l'ensemble du territoire national et d'un titre de circulation permettant la circulation dans un ou plusieurs secteurs de cette zone.(...)' ;

Que l'article R 213-5 du même code ajoute :

'I. - L'habilitation mentionnée au I de l'article R. 213-4 est délivrée par le préfet exerçant les pouvoirs de police sur l'aérodrome sur lequel le bénéficiaire exerce son activité à titre principal.

(...)

V. - L'habilitation est valable pour une durée qui ne peut excéder trois ans.

VI. - L'habilitation peut être refusée, retirée ou suspendue par le préfet territorialement compétent lorsque la moralité ou le comportement de la personne titulaire de cette habilitation ne présentent pas les garanties requises au regard de la sûreté de l'Etat, de la sécurité publique, de la sécurité des personnes, de l'ordre public ou sont incompatibles avec l'exercice d'une activité dans les zones réservées des aérodromes ainsi que dans les installations mentionnées au VI de l'article R. 213-4. Le retrait et la suspension s'effectuent dans les formes édictées à l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 susvisée.

En cas d'urgence, l'habilitation peut être suspendue immédiatement pour une durée maximale de deux mois.' ;

Attendu qu'il résulte des pièces produites au dossier que par décision du 15 octobre 2008, le Préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté la demande de la compagnie Air France tendant à ce que M. [I] [M] soit habilité à accéder à la zone réservée des plates-formes aéroportuaires ; que par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 juin 2009 ayant pour objet la 'résiliation du contrat de travail pour fait du prince', Air France a notifié à M. [M] la résiliation de son contrat de travail aux motifs suivants :

' Par courrier en date du 15 octobre 2008 dont vous nous avez transmis copie par lettre du 30 mai 2009, la Préfecture de la Seine Saint-Denis a pris la décision de refuser le renouvellement de votre titre d'accès à la zone réservée des plates-formes aéroportuaires, titre indispensable à l'exercice de vos fonctions.

Cette décision vous met dans l'impossibilité de reprendre votre activité au sein de notre entreprise et rend impossible la poursuite de votre contrat de travail. Celui-ci sera donc définitivement résilié à la date de première présentation de cette lettre. (...)' ;

Attendu que le 'fait du prince', qui s'entend de tout acte de la puissance publique à caractère général ou individuel de nature à rendre impossible le maintien du contrat de travail, obéit aux même règles que la force majeure et doit donc répondre aux conditions d'imprévisibilité, d'extériorité et d'irrésistibilité ; que la situation résultant du retrait d'une habilitation par l'autorité publique en raison du comportement du salarié titulaire de l'habilitation ne constitue pas un cas de force majeure, dès lors qu'elle n'est ni imprévisible, -pas plus que ne l'est le retrait du permis de conduire d'un chauffeur-, ni irrésistible, les parties pouvant toujours convenir d'une modification des fonctions du salarié ne lui imposant pas l'introduction dans la zone réservée ; que Air France ne peut donc invoquer le fait du prince pour s'estimer non tenue à une quelconque indemnité au titre de la rupture ;

Attendu en revanche qu'il appartient au juge de donner aux actes leur juste qualification ;  que comme le soutient le salarié, la rupture notifiée par Air France ne peut s'analyser qu'en un licenciement puisque son initiative relève de l'employeur ; que le fait que la société Air France ait parlé de 'résiliation du fait du prince' au lieu de licenciement ne rend pas pour autant celui-ci sans cause réelle et sérieuse dès lors qu'elle a notifié la rupture par une lettre énonçant un motif dont il incombe au juge, par application de l'article L.1235-1 du code du travail, d'apprécier le caractère réel et sérieux ;

Or attendu que le retrait du titre d'accès à la zone sécurisée aéroportuaire rendait impossible l'exercice de son emploi de steward par le salarié et qu'en l'absence d'obligation légale ou conventionnelle de reclassement pesant sur l'employeur, dans cette hypothèse où 'l'adaptation' du salarié à un nouvel emploi résulte non pas de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations, comme le prévoit l'article L.6321-1 du code du travail, mais du comportement de celui-ci que l'autorité administrative a jugé non compatible avec les exigences de sécurité publique pour permettre le renouvellement de son habilitation, il ne peut être reproché à la compagnie Air France un quelconque manquement à sa propre obligation contractuelle d'exécuter de bonne foi le contrat de travail ; qu'il convient de rappeler qu'il n'existe pas d'obligation générale de reclassement et que les accords d'entreprise invoqués par le salarié ne s'appliquent pas à l'hypothèse d'un retrait d'habilitation et n'imposaient pas à l'employeur un reclassement au sol qui impliquait une modification du contrat de travail et que le salarié n'a au demeurant pas sollicité ; que le motif invoqué dans la lettre de rupture constituait donc bien une cause réelle et sérieuse de licenciement et que le jugement sera infirmé qui a alloué une indemnité à ce titre à M. [M] ;

que la demande de Pôle Emploi de se voir rembourser, sur le fondement de l'article L.1235-4 du code du travail, les allocations versées à M. [M] n'est pas davantage fondée et sera pareillement rejetée ;

Qu'il résulte de plus de l'article R.213-1 du code de l'aviation civile que les entreprises de transport aérien sont tenues de respecter les mesures édictées en vue de prévenir toute intervention illicite pouvant compromettre la sûreté des vols et des personnes, sous peine de sanctions prévues par l'article R.217-1 ; que le retrait d'habilitation à M. [M] de l'accès à la zone aéroportuaire par la Préfecture ne permettait plus à son employeur de poursuivre l'exécution du contrat de travail sans être en infraction avec la loi, et constituait donc une cause privative de l'indemnité de préavis ; que le jugement sera infirmé qui lui a alloué une indemnité compensatrice à ce titre, outre une indemnité au titre des congés payés afférents ;

Attendu en revanche que l'employeur qui n'a pas invoqué une faute grave reste tenu au paiement de l'indemnité de licenciement par application de l'article L.1234-9 du code du travail, et que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il l'a condamné au paiement de la somme de 7 118,89 € dont le montant n'est discuté par aucune des parties;

Attendu qu'il n'est pas nécessaire d'ordonner le remboursement par M. [M] des sommes versées au titre de l'exécution provisoire du jugement infirmé, le présent arrêt partiellement infirmatif valant titre exécutoire ;

Et attendu qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties ses frais de procédure en appel ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement, sauf en ce qu'il a condamné la société Air France avec exécution provisoire à payer à M. [I] [M] les sommes de :

- 6 090,46 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- et 609,40 € au titre des congés payés sur préavis,

avec intérêts au taux légal à compter du 8 février 2011,

- et 36 500 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;

Statuant de nouveau sur ces points, et y ajoutant,

Déboute M. [M] de ces demandes ;

Rejette le surplus des demandes ;

Condamne M. [M] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 14/11542
Date de la décision : 25/06/2015

Références :

Cour d'appel de Paris K5, arrêt n°14/11542 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-06-25;14.11542 ?
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