RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 24 Juin 2015
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/00579
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 26 juin 2012 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section activités diverses - RG n° 11/06335
APPELANTE
ASSOCIATION CROIX ROUGE FRANCAISE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Thibaut CAYLA, avocat au barreau de PARIS, C2417
INTIME
Monsieur [Z] [N]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Tamara LOWY, avocate au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, 141
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 20 mai 2015, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Christine ROSTAND, présidente
Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller
Madame Aline BATOZ, vice présidente placée faisant fonction de conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 02 septembre 2014
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Marion AUGER, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Christine ROSTAND, présidente et par Madame Marion AUGER, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 26 juin 2012 ayant':
' condamné l'association Croix-Rouge française à payer à M. [Z] [N] les sommes de 2'000 € d'indemnité pour défaut de suivi médical ainsi que 14'284,18 € (+ 1'428,14 €) de rappel de primes, avec intérêts au taux légal
' débouté M. [Z] [N] de ses autres demandes
' condamné l'association Croix-Rouge française aux dépens';
Vu la déclaration d'appel de l'association Croix-Rouge française reçue au greffe de la cour le 21 janvier 2013';
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 20 mai 2015 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de l'association Croix-Rouge française qui demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ses dispositions de condamnation au profit de M. [Z] [N] qui sera débouté de ces chefs, et de le confirmer en ce qu'il a rejeté les autres prétentions de ce dernier';
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 20 mai 2015 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de M. [Z] [N] qui demande à la cour':
' d'infirmer la décision déférée en toutes ses dispositions
' statuant à nouveau, de condamner l'association Croix-Rouge française à lui régler les sommes de':
' 6'055 € (+ 605 €) de rappel au titre des majorations pour heures supplémentaires ou subsidiairement 5'000 € d'indemnité pour violation de la durée maximale hebdomadaire conventionnelle de travail
' 15'000 € de dommages-intérêts pour recours au travail de nuit (demande nouvelle)
' 14'168,16 € à titre principal ou 3'110 € subsidiairement d'indemnité pour repos compensateurs
' 2 000 € d'indemnité pour dépassement de la durée hebdomadaire maximale de travail
' 14'338 € d'indemnité à titre principal pour violation de la durée maximale quotidienne légale de travail ou 3'536 € subsidiairement s'agissant de la durée maximale conventionnelle
' 10'000 € d'indemnité pour violation des prescriptions légales en matière de visite médicale
' 14'816 € (+ «1'416 €») de rappel de primes
' 1'749 € de rappel au titre des tickets-restaurants
' 2 000 € d'indemnité pour violation du principe d'égalité de traitement
' 2'000 € à titre de dommages-intérêts pour absence de pause effective
' 2'500 € en application de l'article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991.
MOTIFS
M. [Z] [N] a été initialement recruté par l'association Croix-Rouge française dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée à temps plein sur la période du 13 octobre 2003 au 2 avril 2004 en qualité d'animateur socio-éducatif (groupe E2-3ème échelon-indice 391) à la permanence d'accueil d'urgence humanitaire sur le site de l'aéroport de [Localité 1], la relation s'étant poursuivie au-delà du terme pour une durée indéterminée suivant un avenant du 3 avril.
Dans le dernier état de la relation contractuelle de travail toujours en cours, M. [Z] [N] occupe un emploi à temps complet de médiateur interprète relevant de la catégorie technicien qualifié au coefficient 435 de la convention collective du personnel salarié de la Croix-Rouge française, avec une rémunération en moyenne de 2'366 € bruts mensuels.
Sur le rappel au titre des majorations pour heures supplémentaires
Comme le soutient à bon droit l'association Croix-Rouge française, dès lors que le temps de travail est aménagé en continu sur la base d'un cycle de dix jours prévu conventionnellement, cycle qui excède par hypothèse la semaine, la demande de ce chef NE peut concerner que les heures supplémentaires effectuées au-delà de 1'607 h annuelles ou de la limite annuelle inférieure fixée par voie conventionnelle dans les conditions rappelées à l'article L.3122-4 du code du travail. Or, force est de constater que M. [N] n'étaye pas sa demande de manière suffisante.
La décision critiquée sera ainsi confirmée en ce qu'elle a rejeté la réclamation de l'intimé s'y rapportant.
Sur le travail de nuit
Concernant sa demande en paiement d'une indemnité au titre du repos compensateur pour travail de nuit, M. [Z] [N] indique avoir effectué à l'époque considérée bien plus que les 270 heures de nuit légalement autorisées dans l'année, considère que l'accord collectif de branche du 17 avril 2002 étendu par voie réglementaire le 3 février 2004 ne pouvait être mis en 'uvre en l'absence d'une consultation préalable à cette fin des représentants élus du personnel et estime en toute hypothèse que le ledit accord collectif est inapplicable aux salariés médiateurs qui ne rentrent pas dans l'une des catégories professionnelles y expressément visées, ce qui l'autorise à solliciter à titre principal le paiement d'une somme de 14'190 € - si l' accord est jugé non applicable par la cour qui doit dans ce cas fixer la durée du repos compensateur lui semblant équitable -, ou subsidiairement celle de 3'110 € - si l'accord est jugé applicable.
Nonobstant ce que soutient M. [Z] [N], et comme le relève à bon droit l'appelante, l'accord collectif de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale du 17 avril 2002 sur le travail de nuit - extension le 3 février 2004 -, accord suivi d'un avenant le 19 avril 2007 - extension le 18 mars 2008 -, s'applique notamment aux «personnels éducatifs» visés à son article 2 dont la définition exacte nécessite de se reporter à la classification des emplois de la convention collective du personnel salarié de la Croix-Rouge française qui fait figurer le médiateur interprète dans la sous-catégorie «Assistants aux personnels éducatifs et sociaux» relevant de la catégorie plus générale des «Personnels éducatifs et sociaux», ce report étant conforme à l'article 1.2 de la convention collective rappelant que ces dispositions «complètent ' celles de la Branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif».
L'article 6.3.5 de la convention collective prévoit que «Les heures de travail effectif accomplies de nuit entre 21 heures et 6 heures incluses donnent lieu à une majoration de salaire de 2,65 points par nuit pour 5 heures au moins de travail effectif», texte à rapprocher de l'article 5.1 de l'accord collectif de branche en son avenant du 19 avril 2007 qui précise que pour les établissements soumis à des conventions collectives prévoyant déjà des contreparties salariales au travail de nuit, «un repos de compensation de 2 jours par an est octroyé aux travailleurs de nuit ' (et que) la durée des repos de compensation est égale au temps travaillé la nuit au titre des horaires habituels».
C'est donc tout aussi à bon droit que l'appelante estime qu'en sus de la majoration salariale prévue par la convention collective du personnel salarié de la Croix-Rouge française, M. [Z] [N], si on fait une application stricte de ces mêmes dispositions conventionnelles, peut seulement prétendre à un repos compensateur pour travail de nuit de deux jours par an.
Or, en l'espèce, l'association Croix-Rouge française produit aux débats l'ensemble des plannings de travail sur la période concernée permettant de constater que l'intimé a été entièrement rempli des ses droits conventionnels au titre des «repos de compensation» pour travail de nuit se cumulant avec les majorations salariales afférentes.
Au surplus, le fait que les représentants élus du personnel n'aient pas été préalablement consultés ne constitue pas en soi un manquement de nature à faire obstacle à la mise en 'uvre du travail de nuit au sein de l'association Croix-Rouge française suivant les normes conventionnelles dont elle relève.
Pour l'ensemble de ces raisons, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté l'intimé de sa demande indemnitaire au titre des repos compensateurs.
*
L'appelante étant autorisée au travail de nuit en vertu des normes lui étant applicables tant légale que conventionnelle, M. [Z] [N] sera en conséquence débouté de sa demande nouvelle en paiement d'une indemnité de 15'000 € «pour recours au travail de nuit».
Sur le rappel de prime d'assiduité et de ponctualité
L'avenant du 3 avril 2004 au contrat de travail initial du 23 août 2000 stipule que M. [Z] [N] - sa pièce 2 - percevra un salaire de base de 1'676,34 € bruts mensuels auquel s'ajoutera notamment «une prime d'assiduité et de ponctualité de 7,50% de la rémunération annuelle brute».
Contrairement à ce que prétend l'association Croix-Rouge française dans ses écritures pour s'opposer à cette demande, dès lors que cette prime n'est pas mentionnée dans l'avenant précité avec une référence expresse à la convention collective applicable, la commune intention des parties a été de la contractualiser.
Ne peut trouver à s'appliquer en l'espèce l'annexe III de juin 1988 à la convention collective du personnel salarié de la Croix-Rouge française dont se prévaut l'appelante, annexe qui en son «§I Prime d'assiduité», prévoit le versement d'«une prime annuelle, tenant compte de l'assiduité et de la ponctualité (qui) sera versée en une ou deux fois», dès lors que la demande de M. [Z] [N] porte sur une période au titre de laquelle il y a lieu de retenir comme norme conventionnelle pertinente la convention collective dans sa dernière version révisée de juillet 2003.
C'est donc à bon droit que l'intimé entend opérer la seule comparaison possible entre la prime d'assiduité et de ponctualité d'origine contractuelle et la prime de fin d'année de nature conventionnelle.
Nonobstant ce qu'affirme l'association Croix-Rouge française, l'article 4.2.5 de cette même convention collective qui prévoit le paiement d'une prime de fin d'année au profit des salariés «ayant travaillé pendant au moins un mois en continu», présente par nature un objet distinct de celui de la prime d'assiduité et de ponctualité qui est liée au comportement attendu de la part de ses bénéficiaires.
Infirmant la décision déférée sur le quantum, l'appelante sera en conséquence condamnée à payer à M. [Z] la somme à ce titre de 14 816 € (+ «1'416 €»), avec intérêts au taux légal partant du 7 mai 2009, date de réception par l'employeur de la convocation en bureau de conciliation.
Sur le dépassement de la durée maximale quotidienne de travail en régime de nuit
Cette demande de M.[Z] [N] est motivée par le fait que jusqu'au mois de février 2009, l'appelante lui a imposé de travailler au cours de permanences de nuit durant 11 heures consécutives de 21 heures le soir à 8 heures le lendemain matin , au-delà du maximum fixé à 8 heures en application de l'article L.3122-34 du code du travail, de sorte que cela appelle une indemnisation qu'il évalue à titre principal à la somme de 14 338 € - dépassement de la durée légale maximale - et subsidiairement à celle de 3'536 € - dépassement de la durée conventionnelle maximale.
Nonobstant ces indications sur lesquelles le salarié fonde sa réclamation, et comme le rappelle à bon droit l'association Croix-Rouge française, l'article R.3122-9 du code du travail autorise des dérogations conventionnelles aux durées maximales quotidiennes de travail, dérogations prévues en l'espèce par l'article 3 de l'accord collectif de branche étendu du 17 avril 2002 applicable au litige, disposition conventionnelle fixant la durée maximale quotidienne du travail de nuit à 12 heures.
S'agissant d'une dérogation conventionnelle à la durée maximale quotidienne du travail de nuit, ce qui ne permet pas de considérer qu'il y aurait eu un «dépassement non autorisé» comme l'affirme à tort l'intimé, le jugement querellé sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande à ce titre.
Sur les autres demandes indemnitaires
1/ Dépassement des durées maximales hebdomadaires de travail tant légale que conventionnelle
Contrairement à ce que prétend M. [Z] [N], c'est de manière pertinente que l'association Croix-Rouge française rappelle que l'article 6.2.3 de ladite convention collective permet un aménagement du temps de travail par cycles, ce qui signifie concrètement que les horaires excédant les durées maximales certaines semaines se compensent avec des horaires réduits les semaines suivantes, ce mode d'organisation du temps de travail apparaissant comme une nécessité au sein de la structure qui fonctionne avec une permanence d'accueil d'urgence humanitaire 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
La décision entreprise sera ainsi confirmée en ce qu'elle a débouté l'intimé de sa demande s'y rapportant.
2/ Non respect des temps de pause
D'une manière générale, les dispositions de l'article L.3171-4 du code du travail sur la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre les parties au contrat de travail ne sont pas applicables à la preuve du respect des temps de pause dont la charge pèse exclusivement sur l'employeur.
Pour s'opposer à cette réclamation de l'intimé, l'association Croix-Rouge française se contente de renvoyer à «chaque planning (qui) prévoit expressément le principe d'un temps de pause, à prendre par roulement, compte tenu de la permanence à assurer», tout en considérant qu'«il n'établit en rien qu'il aurait été empêché de le prendre», sans elle-même démontrer qu'elle l'a bien mis en situation de pouvoir de manière effective prendre ses 20 minutes de pause après 6 heures de travail effectif en application de l'article 4.1 de l'accord collectif de branche précité.
Après infirmation de la décision critiquée sur ce point, l'appelante sera en conséquence condamnée à payer à M. [Z] [N] la somme indemnitaire à ce titre de 2'000 € avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt.
3/ Défaut de suivi médical spécifique
Au-delà des pièces produites par l'association Croix-Rouge française concernant d'autres salariés ayant été examinés par les services de la médecine du travail courant 2011 et 2012, la cour relève qu'elle ne démontre pas avoir fait bénéficier le salarié d'une surveillance médicale périodique dans le respect des articles R.4624-16 et suivants du code du travail.
Il en résulte un préjudice subi par M. [Z] [N], en sorte que la décision querellée sera confirmée en ce qu'elle a condamné l'appelante à lui payer la somme indemnitaire de ce chef de 2'000 € majorée des intérêts au taux légal à compter de son prononcé.
Sur les tickets restaurant
En vertu d'une décision prise en interne, jusqu'en décembre 2009, les salariés en service de nuit ne bénéficiaient pas de tickets restaurant contrairement à leurs collègues travaillant en journée.
Faute d'expliquer en quoi objectivement une telle différence de traitement pouvait se justifier à l'époque, étant rappelé qu'il y sera mis fin à compter du mois de janvier 2010, la Croix-Rouge française sera condamnée à payer à M. [Z] [N], d'une part, la somme indemnitaire de 1'000 € en réparation de son préjudice avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt et, d'autre part, celle de 1'749€ en équivalence, avec intérêts au taux légal partant du 7 mai 2009.
Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
L'association Croix-Rouge française sera condamnée en équité à verser au conseil de l'intimé, bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle, la somme de 2'000 € en application de l'article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991, ainsi qu'aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
CONFIRME le jugement entrepris sauf en ses dispositions sur le rappel de prime d'assiduité et de ponctualité, les temps de pause et les tickets restaurant';
Statuant à nouveau sur ces chefs de demandes,
CONDAMNE l'association Croix-Rouge française à payer à M. [Z] [N] les sommes de':
' 14'816 € de rappel de prime d'assiduité et de ponctualité ainsi que 1 416 € de congés payés afférents
' 1'749 € au titre des tickets restaurant
avec intérêts au taux légal partant du 7 mai 2009
' 2'000 € de dommages-intérêts pour non respect des temps de pause
' 1'000 € d'indemnité pour violation du principe général d'égalité de traitement dans l'octroi des tickets restaurant
avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt';
Y ajoutant,
DÉBOUTE M. [Z] [N] de sa demande indemnitaire pour recours au travail de nuit;
CONDAMNE l'association Croix-Rouge française à payer à Me Tamara Lowy, conseil de M.[Z] [N], la somme de 2'000 € sur le fondement de l'article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991';
CONDAMNE l'association Croix-Rouge française aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE