RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRÊT DU 16 Juin 2015
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/00611
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Octobre 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 11/11496
APPELANT
Monsieur [V] [I]
[Adresse 1]
[Adresse 4]
né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 1]
comparant en personne,
assisté de Me Clélie DE LESQUEN-JONAS, avocat au barreau de PARIS, toque : A0006
INTIMEE
SAS SODEXO ENTREPRISES
[Adresse 5]
[Adresse 2]
[Adresse 3]
N° SIRET : 338 253 230 22013
représentée par Me Philippe THIVILLIER, avocat au barreau de PARIS, toque : G0119 substitué par Me Benjamin SAIDON, avocat au barreau de PARIS, toque : G0119
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mai 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Roselyne NEMOZ, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Daniel FONTANAUD, Président
Madame Isabelle VENDRYES, Conseillère
Madame Roselyne NEMOZ, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Claire CHESNEAU, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Daniel FONTANAUD, Président et par Madame Claire CHESNEAU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur [V] [I] a été embauché par la société SODEXO FRANCE ADMINISTRATION ET SERVICES le 4 juillet 2005, en qualité de responsable de restauration et services.
Le 1er décembre 2008, son contrat de travail a été transféré à la société SODEXO ALTYS, désormais société SODEXO ENTREPRISES, et il est devenu Service Manager.
Le 6 avril 2010, il a été nommé au poste de Facility Manager, affecté aux pôles Société Générale et Crédit du Nord, sous la responsabilité hiérarchique de madame [Q], sa rémunération étant portée à 3.150 Euros, outre une prime d'objectif de 15%.
Du 13 avril au 20 juin 2011, monsieur [I] a été en arrêt de travail. Il a été en congés jusqu'au 24 juin, date à laquelle il a été déclaré apte à la reprise sur un poste équivalent par le médecin du travail, dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique.
Le 4 juillet 2011, la société SODEXO a notifié à monsieur [I] un avenant à son contrat de travail pour une nouvelle affectation sur un poste situé à GIF SUR YVETTE, poste refusé par l'intéressé. Par lettre du 25 juillet, la société SODEXO a maintenu la nouvelle affectation à compter du 26 juillet, en précisant les nouveaux horaires de travail compte tenu du mi-temps thérapeutique et en précisant que les autres éléments du contrat de travail restaient inchangés. Monsieur [I] a réitéré son refus, en raison des trajets et considérant qu'il était rétrogradé.
Le 27 juillet 2011, monsieur [I] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement prévu le 8 août, auquel il ne s'est pas présenté. Il a été licencié pour refus de changement géographique d'affectation conforme à la clause de mobilité figurant dans son contrat de travail par lettre du 11 août.
Le 25 août 2011, monsieur [I] a saisi le Conseil de Prud'hommes de PARIS pour contester son licenciement et en paiement de diverses sommes, notamment dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Par jugement du 30 octobre 2012, notifié le 4 janvier 2013, le Conseil de Prud'hommes a condamné la société SODEXO à payer à monsieur [I] la somme de 3.200 Euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, 500 Euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile. Elle l'a débouté du surplus de ses demandes.
Le 21 janvier 2013, monsieur [I] a fait appel de cette décision.
Par conclusions visées par le greffe le 6 mai 2015 au soutien de ses observations orales, et auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, monsieur [I] demande à la Cour d'infirmer le jugement, de dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et qu'il a été victime de harcèlement moral, de condamner la société SODEXO à lui payer, avec intérêts au taux légal à compter de la convocation devant le bureau de conciliation et anatocisme :
- 70.000 Euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 9.600 Euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents ;
- 50.000 Euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral ;
Il a sollicité condamnation de la société SODEXO à lui payer 3.000 Euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile.
Par conclusions visées par le greffe le 6 mai 2015 au soutien de ses observations orales, et auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, la société SODEXO demande à la Cour de confirmer le jugement sur le caractère réel et sérieux du licenciement, de l'infirmer sur l'indemnité de préavis et les congés payés afférents, en conséquence de condamner monsieur [I] à lui rembourser la somme de 3.250 Euros qu'elle a payée en exécution du jugement.
Elle demande la Cour de débouter monsieur [I] de l'intégralité de ses demandes et de le condamner à lu payer 2.000 Euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile.
MOTIFS
Sur le licenciement
En vertu des dispositions de l'article L 4624-1 du code du travail, le médecin du travail est habilité à proposer des mesures individuelles telles que mutations ou transformation de poste, justifiées par des considérations relatives notamment à l'état de santé physique et mentale des travailleurs.
En l'espèce, le médecin du travail, dont l'avis s'impose aux parties, a déclaré monsieur [I] apte dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique sur un poste équivalent et de préférence sur un autre site, si bien que celui-ci ne peut reprocher à la société SODEXO d'avoir modifié son lieu de travail, modification au demeurant conforme à la clause de mobilité prévue par son contrat ;
La contrainte tirée de l'allongement de son temps de transport ne peut suffire à légitimer son refus du poste proposé, s'agissant d'un site situé en région parisienne où l'intéressé, célibataire et sans enfants, a son domicile, et accessible par les transports en commun ; s'il reproche à l'employeur de s'être abstenu de solliciter l'avis du médecin du travail sur la compatibilité de ce poste avec son état de santé, il convient d'observer que dans son dossier médical, qu'il a versé aux débats, le médecin du travail a noté, lors d'une visite médicale effectuée le 4 juillet 2011 à la demande du salarié, " conversation avec le salarié sur sa situation professionnelle et sur la nouvelle proposition lui ayant été faite par son employeur ; pas de modification par rapport à la fiche d'aptitude" ; le médecin du travail ainsi informé du site d'affectation n'a pas considéré qu'il était incompatible avec l'état de santé de monsieur [I] ;
Le courrier du 25 juillet 2011 précise que, à l'exception de ses horaires de travail, conformes au mi-temps thérapeutique, "les qualifications, statuts et autres éléments du contrat "restent inchangés ; monsieur [I] restait donc nécessairement responsable de site, dont il connaissait les fonctions pour les avoir précédemment exercées, si bien qu'il ne peut reprocher à la société SODEXO de les avoir mal définies ; quant à la rétrogradation alléguée, s'il est exact qu'il existait déjà un responsable de site, la société SODEXO explique que monsieur [I] devait être affecté aux opérations de démarrage du bâtiment "Nano Innov" et le courrier précité précise expressément que le supérieur hiérarchique est le responsable régional, et non pas le responsable du site déjà en place ;
En conséquence le refus de monsieur [I] d'accepter le poste proposé par la société SODEXO, conforme aux préconisations du médecin du travail qui l'a déclaré apte à la reprise dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique, n'apparaît pas légitime ; le jugement du Conseil de Prud'hommes sera donc confirmé en ce qu'il a jugé que le licenciement procède d'une cause réelle et sérieuse ;
En revanche, il n'est pas contesté que monsieur [I] n'a pas exécuté son premier mois de préavis dont l'employeur ne l'avait pas dispensé, si bien que le jugement du Conseil de Prud'hommes, qui a condamné la société SODEXO à payer monsieur [I] ce premier mois de préavis, doit être infirmé sur ce point ;
Sur le préjudice lié au harcèlement moral
Les agissements de harcèlement moral du Crédit du Nord vis-à-vis de l'ensemble de l'équipe SODEXO et notamment vis-à-vis de monsieur [I] sont établis par les attestations versées aux débats et ne sont d'ailleurs pas contestés par la société SODEXO, laquelle, précisément, souligne que ces attestations ont été établies à sa demande, dans le cadre de l'enquête qu'elle a diligentée ; il est également constant et non contesté que ces agissements ont été la cause de la dépression de monsieur [I] et de son arrêt de travail consécutif le 13 avril 2011 ;
Certes la société SODEXO n'est pas responsable des agissements de son client ni du personnel de celui-ci, sur lequel elle n'a aucun pouvoir disciplinaire ; il reste que l'employeur est tenu, vis-à-vis de ses salariés, à une obligation de sécurité de résultat, et il lui appartient d'apporter la preuve qu'il a pris toutes les mesures, notamment préventives, pour éviter ce harcèlement ; or il ressort des pièces produites que la société SODEXO a été informée des difficultés avec le Crédit du Nord bien avant le 29 mars 2011, date à laquelle monsieur [U] a employé le terme de harcèlement ; suite à ce mail, monsieur [F] écrit à ses collaborateurs ayant travaillé sur le site qu'il a été alerté "depuis plusieurs semaines" sur leurs conditions de travail avec le client Crédit du Nord, et il ajoute "j'ai joint aussi les envois de [V] de janvier dernier reflétant la situation. Pour mémoire, nous avons déjà rencontré plusieurs fois nos interlocuteurs de CDN avec ceux de la Société Générale afin de leur faire part de la situation, en novembre, en janvier, et dernièrement le 8 mars" ;
La responsable du groupe, madame [Q] qui a été en arrêt pour dépression dès le mois d'octobre 2010, après avoir décrit les pressions, la surcharge de travail et le stress subi par les salariés, spécialement monsieur [I] précise dans son attestation : "Nous étions convoqués pour des réunions de crise régulièrement, soit chez nos clients, soit par la direction et des multiples plans d'action étaient définis, mais sans les ressources nécessaires pour les mettre en oeuvre";
Dans son attestation du 6 décembre 2010, le DRH de la société SODEXO, monsieur [H] explique avoir organisé une réunion sur le site de la Société Générale avec les collaborateurs concernés qui lui ont "expliqué les difficultés de fonctionnement qu'ils avaient avec [nos] clients Crédit du Nord." en ajoutant que monsieur [I] lui avait indiqué ne plus être l'interlocuteur du Crédit du Nord, mais monsieur [U] ; il reste que contrairement à ce que prétend la société SODEXO, les pièces produites font apparaître que jusqu'à son arrêt maladie en avril, monsieur [I] était toujours en contact avec le client Crédit du Nord, ainsi que cela ressort d'abord des attestations de madame [S] et de madame [O] qui relatent des incidents survenus les 18 et 19 janvier 2011 sur le site, impliquant monsieur [I], et du mail de monsieur [U] qui écrit à monsieur [F] le 29 mars 2011 : "la pression exercée depuis trop longtemps sur certains collaborateurs les conduit dans un état de stress et dépression inacceptable. (...) Malgré son retour de congés, [V] est à bout et je ne pense pas qu'il tienne encore longtemps " ;
Il résulte de ce qui précède que la société SODEXO avait été alertée à plusieurs reprises, et ce dès le mois de novembre 2010, de la situation très difficile dans laquelle se trouvaient les salariés travaillant sur le site du Crédit du Nord, situation qui n'a cessé de s'aggraver au fil du temps ; or, elle ne justifie pas des mesures qu'elle a prises pour y mettre un terme, en dehors de réunions manifestement inefficaces, et ce n'est qu'au mois d'avril, sur injonction de monsieur [U], qu'elle a décidé de convoquer monsieur [I] et de réaliser une enquête ;
S'il est exact que monsieur [I] a été déclaré apte le 7 février 2011 par le médecin du travail la société SODEXO, en agissant plus tôt, aurait pu précisément éviter l'aggravation de son état qui l'a conduit, deux mois plus tard à un arrêt de travail pour dépression, lequel a duré plus de deux mois et a été suivi d'un mi-temps thérapeutique défavorable à sa carrière ;
Le préjudice subi par monsieur [I] de ce chef sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 15.000 Euros ;
Du fait de la compensation de plein droit, la société SODEXO sera déboutée de sa demande de remboursement de l'indemnité compensatrice de préavis dont elle est créancière;
Il apparaît équitable de condamner la société SODEXO à payer à la somme de 2.000 Euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile au titre des frais irrépétibles qui ont été engagés tant devant le Tribunal que devant la Cour ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement du Conseil de Prud'hommes en ce qu'il a jugé le licenciement de monsieur [V] [I] fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
L'infirme sur le surplus et statuant à nouveau ;
Condamne la société SODEXO à payer à monsieur [I] une somme de 15.000 Euros en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral ;
Dit que les intérêts seront capitalisés dans les conditions prescrites par l'article 1154 du code civil ;
Condamne la société SODEXO à payer à monsieur [I] la somme de 2.000 Euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile ;
Déboute les parties de leurs autres demandes, plus amples ou contraires ;
Met les dépens la charge de la société SODEXO.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT