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09/06/2015 | FRANCE | N°13/16411

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 09 juin 2015, 13/16411


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRÊT DU 09 JUIN 2015



(n° 317, 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 13/16411



Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Juillet 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n°



APPELANTE



SAS KERRY représentée par son président

[Adresse 3]

[Adresse 3]



Représentée

par Me Bruno REGNIER de la SCP SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

Ayant pour avocat plaidant Me Patricia LEFEVRE-BARBAZANGES de la SELURL Mc NICHOLAS LEFEVRE, avocat au...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRÊT DU 09 JUIN 2015

(n° 317, 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 13/16411

Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Juillet 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n°

APPELANTE

SAS KERRY représentée par son président

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

Ayant pour avocat plaidant Me Patricia LEFEVRE-BARBAZANGES de la SELURL Mc NICHOLAS LEFEVRE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0437

INTIME

Monsieur [F] [O]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Denis TALON, avocat au barreau de PARIS, toque : A0428

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 Avril 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Jacques BICHARD, Président de chambre

Madame Sylvie MAUNAND, Conseillère (rapporteur)

Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Elodie PEREIRA

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Jacques BICHARD, président et par Mme Elodie PEREIRA, greffier.

La société KERRY est propriétaire d'un immeuble sis [Adresse 1], occupé par des squatters dont elle n'a pas pu obtenir l'expulsion. Cet immeuble a fait l'objet d'un arrêté d'insalubrité puis d'une expropriation au profit de la société d'économie mixte de la ville de Paris (SIEMP) par une ordonnance du juge de l'expropriation du 12 septembre 2005.

Par arrêt du 13 novembre 2008, la Cour d'appel a confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 6 novembre 2006, fixant sous une forme alternative les indemnités dues par la SIEMP, soit, au cas où la loi n°70-612 du 10 juillet 1970 tendant à faciliter la suppression de l'habitat insalubre s'appliquerait, à la somme de 2.703.024 euros en valeur libre, ou à la somme de 2.432.822 euros en valeur vénale occupée sans titre soit au cas où la loi précitée ne s'appliquerait pas, à la somme de 3.630.637 euros en valeur libre ou à la somme de 3.268.000 euros en valeur vénale occupée sans titre.

Par arrêt du 13 avril 2010, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la société KERRY.

Estimant ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable au regard des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la société KERRY a chargé le 8 juin 2010, Maître [O] de saisir la Cour européenne des droits de l'homme.

Le 12 octobre 2010, l'avocat a présenté une requête à la Cour en application de l'article 34 de la convention.

La société KERRY a déchargé l'avocat de sa mission le 4 avril 2011.

Par lettre du 30 septembre 2011, le nouveau conseil de la société a été informé que le formulaire de la requête n'ayant pas été complété à la suite de la demande qui en avait été faite le 5 novembre 2010, la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales avait rayé la requête du rôle le 25 mai 2011 et détruit le dossier le 16 août 2011.

Le 17 janvier 2012, la société KERRY a fait assigner Maître [O] en responsabilité et indemnisation devant le tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 10 juillet 2013, a rejeté les demandes de la société KERRY.

Par conclusions transmises le 20 mars 2015, la société KERRY, appelante, demande à la Cour d'infirmer le jugement, de dire que l'avocat a commis une faute et de condamner Maître [O] à lui payer la somme de 5.940.683 euros à titre de dommages intérêts, à restituer ses honoraires à hauteur de la somme de 5.980 euros TTC et à lui régler une somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Maître [O], par conclusions du 13 mars 2015, sollicite la confirmation du jugement et la condamnation de la société KERRY à lui verser la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.

SUR CE, LA COUR

Considérant que la société KERRY reproche à Maître [O] d'avoir manqué à ses obligations en n'établissant pas de projet de requête circonstanciée devant la Cour européenne des droits de l'homme après l'avoir saisie de manière sommaire, de ne pas avoir adressé les pièces réclamées par celle-ci, d'avoir négligé le dossier et de s'être abstenu de prendre les mesures propres à assurer l'efficacité de l'acte introductif d'instance et de ne pas avoir défendu les intérêts de sa cliente;

Considérant que l'avocat est tenu d'une obligation d'information et de conseil à l'égard de son client dans le cadre du mandat qui lui est confié ; qu'il se doit d'accomplir sa mission avec diligence et compétence ;

Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats que :

- par courriel du 16 avril 2010, la société KERRY a interrogé Maître [O] sur la possibilité de former un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme ;

- le même jour, par courriel en réponse, Maître [O] a indiqué que les conditions formelles de saisine étaient remplies ;

- le 8 juin 2010, la société a adressé à l'avocat divers documents relatifs à l'affaire et notamment les décisions judiciaires ;

- le 9 juin 2010, Maître [O] a accusé réception des pièces ;

- par courriels des 3 août, 31 août et 21 septembre 2010, la société a rappelé son envoi et demandé la communication du projet de requête ;

- le 7 octobre 2010, l'avocat a adressé le projet pour signature à la société ;

- le 12 octobre 2010, il a déposé la requête fondée sur une violation de l'article 6§1 et de l'article 1er du protocole additionnel ;

- le 20 octobre 2010, il a indiqué à la société avoir effectué le dépôt et qu'il lui communiquerait la lettre d'enregistrement dès réception ;

- le 5 novembre 2010, la Cour a écrit à Maître [O] accusant réception de sa lettre du 12 octobre 2010 avec les pièces jointes, retenant qu'il n'a pas fourni toutes les informations requises par l'article 47 §1 et 2 du règlement de la Cour et notamment les éventuelles décisions rendues par les juridictions administratives sur le recours contre l'arrêté du 14 avril 2005, l'avisant de la nécessité d'envoyer ces documents complémentaires dans le délai fixé à savoir avant le 28 janvier 2011 afin de permettre l'examen par la Cour et du fait que, faute de réception, le dossier ouvert sera détruit sans autre avertissement ;

- en l'absence de nouvelles de l'avocat, la société l'a dessaisi le 4 avril 2011 ;

- la Cour a indiqué à l'avocat ayant succédé à Maître [O] par courrier du 30 septembre 2011 que la requête déposée a été rayée faute de réponse dans le délai et que le dossier a été détruit le 16 août 2011 ;

- le 21 septembre 2011, la Cour a précisé à ce même avocat que le formulaire dûment complété dans le délai de six mois qui a débuté à la date de la première communication au greffe, n'ayant pas été fourni, les griefs ont été réputés retirés et le dossier ouvert pour la requête détruit ;

- le 5 janvier 2012, Maître [O] a écrit à la Cour pour les informer de ce qu'il n'avait pas reçu la lettre du 5 novembre 2010 et que la décision de destruction portait préjudice à son ancienne cliente ;

- la 13 février 2012, il a adressé une nouvelle lettre à la Cour exposant que s'il avait reçu le courrier, il aurait fourni les pièces complémentaires, qu'il admettait ne pas s'être inquiété outre mesure de l'absence de courrier d'enregistrement, ne pas avoir recontacté le greffe ajoutant que la décision de destruction a porté préjudice à son ancienne cliente alors qu'il n'avait pas manqué à ses obligations ;

- le 30 mars 2012, le greffe de la Cour a donné acte à l'avocat de son courrier, lui a communiqué un exemplaire de la convention et de ses protocoles et un formulaire officiel de requête accompagné d'une notice à l'intention des personnes souhaitant s'adresser à la Cour ;

Considérant qu'il ressort de ces éléments que Maître [O], une fois envoyé la requête, ne s'est pas soucié de la suite donnée à celle-ci ; qu'il devait présenter à la Cour, une requête complète accompagnée de tous les documents au soutien de celle-ci et que tel n'était pas manifestement le cas ; qu'il faisait référence dans les motifs de son recours aux arrêtés préfectoraux et aux instances exercées devant les juridictions administratives sans avoir annexé les décisions rendues à ce titre ;

Considérant qu'il lui appartenait de suivre le dossier et de s'inquiéter de la saisine d'un rapporteur et de la position de l'Etat français ; que l'avocat s'est manifestement désintéressé de l'affaire ce qui l'a privé de la possibilité de pourvoir communiquer dans les délais les documents réclamés ce qui aurait évité la radiation de la procédure puis la destruction du dossier par la Cour ;

Considérant qu'il convient de noter qu'alors que sa cliente le dessaisissait, il ne lui a donné aucune information sur l'état de la procédure ;

Considérant qu'il a donc manqué à ses obligations de diligence et de compétence ;

Considérant qu'il ne saurait s'exonérer en indiquant avoir déposé début 2012 une nouvelle requête alors que la lettre du 30 mars 2012 de la Cour ne lui communique que les documents nécessaires à l'établissement d'une requête et n'enregistre en aucun cas, une nouvelle procédure au nom de la société KERRY ; qu'au surplus, il n'est pas démontré qu'une nouvelle requête aurait pu être déclarée recevable alors que la Cour européenne doit être saisie dans le délai de six mois à compter de la date de la décision interne définitive ;

Considérant que la faute de l'avocat a donc fait perdre à la société KERRY, une chance de voir examiner sa requête et la Cour statuer sur la violation éventuellement commise par l'Etat Français de l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du protocole additionnel ;

Considérant qu'il ressort des décisions de la Cour européenne que celle-ci a déjà sanctionné des Etats sur le fondement de ces textes pour ne pas avoir fait exécuter une décision judiciaire d'expulsion (notamment affaire Maheus) estimant que le droit à l'exécution d'une décision de justice est un des aspects du droit d'accès à un tribunal ; que, de même, des décisions visent l'article 1er du protocole additionnel relatif au droit de propriété rappelant notamment que ' l'exercice réel de ce droit que ce texte garantit ne saurait dépendre uniquement du devoir de l'Etat de s'abstenir de toute ingérence et peut exiger des mesures positives de protection notamment là où il existe un lien direct entre les mesures qu'un requérant pourrait légitimement attendre des autorités et la jouissance effective par ce dernier de ses biens' ;

Considérant qu'eu égard aux circonstances de l'espèce, la chance de la société KERRY d'obtenir une décision favorable de la Cour existait ;

Considérant que, dans un tel cas, en application de l'article 41 de la Convention, la Cour accorde à la partie lésée, une satisfaction équitable ; qu'elle peut estimer que le simple constat de la violation constitue la satisfaction équitable ou indemniser un préjudice patrimonial ou moral ;

Considérant qu'elle examine toutefois le lien de causalité entre la violation alléguée et le préjudice subi ;

Considérant qu'en tout état de cause, la société KERRY estime qu'elle a perdu une somme de plus de 5 millions d'euros entre la somme qui lui a été allouée par la SIEMP à savoir 2.432.822 euros et le montant sollicité en cause d'appel soit 8.375.505 euros ; que toutefois, il n'est pas démontré que l'expropriation n'était pas légitime et dès lors, le juge a régulièrement statué fixant une indemnité alternative, valeur occupée et valeur libre ; que le fait que l'Etat n'ait pas agi pour expulser les squatters a simplement privé la société KERRY d'une indemnité valeur libre ; que la base de calcul pour l'indemnité matérielle éventuelle accordée par la Cour européenne si elle avait admis la violation des articles de la convention aurait été cette somme soit au regard de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris une somme de 270.202 euros ;

Considérant que la présente cour ignore, au vu des éléments patrimoniaux, qu'elle aurait été la décision d'indemnisation prise en cas de reconnaissance de la violation;

Considérant qu'elle ne statue que sur la perte de chance d'avoir vu son affaire examinée et celle d'avoir obtenu une décision favorable de la Cour européenne et une indemnisation ;

Considérant que la chance perdue ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée et que la réparation d'une telle perte de chance d'obtenir satisfaction ne peut qu'être partielle ;

Considérant que la Cour alloue donc à la société KERRY au titre de cette perte de chance, la somme de 15.000 euros ;

Considérant qu'il n'appartient pas à la présente juridiction de condamner Maître [O] à restituer les honoraires qu'il a perçus ; que l'appréciation de leur montant relève d'une procédure particulière prévue par les articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991 prévoyant la compétence exclusive du bâtonnier de l'ordre des avocats ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à la société KERRY une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au paiement de laquelle Maître [O] est condamné et dont le montant est fixé au dispositif de la présente décision ;

Considérant que, succombant, l'intimé ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et doit supporter les entiers dépens de l'instance ;

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau

Condamne Maître [O] à verser à la société KERRY la somme de 15.000 euros au titre de la perte de chance de voir examiner sa requête et d'obtenir une indemnisation pour violation des article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du protocole additionnel ;

Rejette le surplus des demandes présentées par la société KERRY ;

Condamne Maître [O] à payer à la société KERRY la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette la demande de Maître [O] formée au titre des frais irrépétibles ;

Condamne Maître [O] aux entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés par l'avocat de l'appelante conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 13/16411
Date de la décision : 09/06/2015

Références :

Cour d'appel de Paris C1, arrêt n°13/16411 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-06-09;13.16411 ?
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