RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 04 Juin 2015
(n° 892, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/12097 - S 14/04833
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 Septembre 2013 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de PARIS RG n° 12-05230
APPELANT
Monsieur [C] [N]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représenté par Me Blandine ARENTS, avocat au barreau de MEAUX
INTIMEES
Madame [Y] [L]
[Adresse 4]
[Localité 2]
comparante en personne, assistée de Me Michèle DURAND, avocat au barreau de PARIS, toque : A0501
CPAM DE PARIS
[Adresse 5]e
[Adresse 5]
[Localité 4]
représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901 substituée par Me Marine CHAMBOULIVE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 1]
[Localité 3]
avisé - non comparant
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 26 mars 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller
Madame Marie-Ange SENTUCQ, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Fatima BA, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président et par Madame Fatima BA, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS- PROCÉDURE
Madame [Y] [L], employée en qualité d'assistante dentaire par le docteur [C] [N], chirurgien-dentiste, depuis le 2 janvier 2009 a été victime d'un urticaire généralisée avec 'dème de Quincke géant, le 9 janvier 2010.
Cet accident ayant été pris en charge au titre de la législation professionnelle , une rente a été allouée à Mme [L] suite à une date de consolidation fixée au 31 mai 2012 et une IPP de 40% lui a été reconnue.
Le 24 mai 2012, Mme [L] a engagé une procédure en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et faute de conciliation, a saisi à cette fin la juridiction des affaires de sécurité sociale.
Par jugement du 16 septembre 2013, cette juridiction a notamment :
- reconnu la faute inexcusable de monsieur [N],
- fixé au maximum la majoration de la rente,
- débouté Mme [L] de sa demande au titre du préjudice professionnel économique
- avant dire droit sur les divers chefs de préjudices, ordonné une expertise confiée au docteur [X] avec mission d'évaluer les différents postes de préjudices personnels de la victime: pretium doloris, déficit fonctionnel temporaire, préjudice d'agrément,
Monsieur [C] [N] ainsi que Madame [Y] [L] ont interjeté appel du jugement .
Monsieur [N], par l'intermédiaire de son conseil qui a déposé des écritures développées à la barre, conclut :
' à titre principal à l'infirmation du jugement qui a reconnu à tort l'existence d'un faute inexcusable qu'il aurait commise , indiquant qu'il n'a constaté aucune manifestation cutanée, aucun 'dème de la face ni aucune gène respiratoire , le 9 janvier 2010, que la notification de la prise en charge comme accident du travail parait très contestable eu égard au certificat peu rigoureux du docteur [D], que de nombreuses publications démontrent que des résines acryliques à usage dentaire ne donnent pas d'accident allergique, qu'il n'avait aucune raison de suspecter les difficultés pouvant être rencontrées sur ce point; enfin qu'il a mis en place toutes les mesures d'hygiènes et de préventions nécessaires, aucun accident n'étant à déplorer en 35 ans d'exercice .
' à titre subsidiaire au débouté des demandes indemnitaires de la salarié qui n'apporte au dossier aucun élément justificatif de ses préjudices .
Mme [L], par l'intermédiaire de son conseil qui a déposé des écritures développées à la barre demande à la cour de:
' à titre principal de confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu la faute inexcusable de monsieur [N] et fixé la majoration de la rente à son taux maximum,
' infirmer le jugement pour le surplus,
' fixer son préjudice comme suit :
- 15.000 euros : préjudice d'agrément,
- 20.000 euros : souffrances physiques endurées,
- 15.000 euros : préjudice moral,
- 30.000 euros : déficit fonctionnel temporaire :
- 30.000 euros : préjudice résultant de l accident du travail et perte d'emploi.
' à titre subsidiaire d'ordonner une expertise afin de déterminer la quantum des préjudices subis, mais sollicite que l'appréciation soit effectuée pour chaque chef de préjudice à savoir préjudice d'agrément, souffrances physiques endurées, préjudice moral, déficit fonctionnel temporaire, préjudice résultant de l'accident du travail.
- en tout état de cause :
' dire que les sommes octroyées au titre des différents préjudices pourront être récupérées par la caisse primaire d'assurance maladie ,
' condamner monsieur [C] Monsieur [N] à lui verser la somme de 2.000
euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La caisse primaire d'assurance maladie, par la voix de son conseil qui a déposé des écritures développées à la barre, demande à la cour de :
- lui donner acte qu'elle s'en rapporte sur les mérites de l'appel tendant au principe de la reconnaissance de la faute inexcusable ainsi que sur la majoration de la
rente
- dans l'hypothèse où la cour confirmerait le jugement :
- à titre principal,
' confirmer le jugement qui a ordonné une expertise médicale judiciaire avant dire droit sur la liquidation des préjudices de Madame [L]
' renvoyer l'examen de ce dossier en ce qui concerne la liquidation des préjudices.
- à titre subsidiaire sur l'indemnisation des préjudices de Madame [L],
' débouter Mme [L] de toutes ses demandes.
- à titre infiniment subsidiaire;
' les ramener à de plus justes proportions.
' rappeler que la caisse qui procède à l'avance des condamnations prononcées dont elle récupérera le montant sur l'employeur.
Vu les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile et les conclusions des parties régulièrement communiquées, oralement soutenues et visées par le greffe à l'audience du 26 mars 2015 , conclusions auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé de leurs demandes, moyens et arguments.
SUR CE, LA COUR :
Considérant qu'il est d'une bonne administration de la justice de joindre les deux procédures d'appel enregistrées sous les numéros 13/12097 et 14/04833 ;
sur la faute inexcusable
Considérant qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers ce dernier d'une obligation de sécurité de résultat notamment en ce qui concerne les accidents du travail ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver;
Qu'il appartient au salarié qui s'en prévaut de démontrer l'existence de la faute inexcusable qu'il invoqué à l'encontre de son employeur;
Et considérant qu'il résulte de la déclaration d'accident du travail établi par l'employeur et du certificat médical initial, que Mme [L] a été victime le 9 janvier 2010 , d'un "urticaire géant généralisé avec oedème de Quincke, dyspnée post contact cutané et inhalation de produit stomatologique: résine" après avoir manipulé de la "practic résine", utilisée pour la réalisation de bridges ou de couronnes provisoires;
Que selon la documentation versée aux débats, ce produit est un méthacrylate de méthyle connu comme responsable d'asthme professionnel chez les personnels de santé dans le cadre le plus souvent d'une manipulation du produit en poudre ou pulvérisé;
Considérant que monsieur [N] conteste, en vain, le lien entre l'inhalation de cette résine et les lésions dont a été atteinte Mme [L] ; qu'en effet comme le soulignent les premiers juges , il a tout d'abord indiqué lui même , dans la déclaration d'accident du travail, remplie sans réserve, que les lésions présentées par Mme [L] étaient la conséquence de l'inhalation de la résine litigieuse;
Qu'ensuite , ses contestations tardives se heurtent aux conclusions des médecins spécialistes qui ont examiné Mme [L];
Que le docteur [I], allergologue a confirmé, en effet, en septembre 2010, la responsabilité des vapeurs de résine dans la constitution de la pathologie respiratoire que la salariée a présentée au cours d'un épisode aigu; qu'ensuite le docteur docteur [T], pneumologue , chargé de se prononcer dans le cadre d'une l'expertise médicale sur la date de consolidation, a relevé, après avoir examiné toutes les pièces médicales, que Mme [L] avait manipulé une résine utilisée dans la fabrication d'une prothèse dentaire et présenté, à l'issue, a présenté un prurit oculaire, urticaire généralisée, un érythème facial , se généralisant par un 'dème de Quincke avec dyspnée progressive et angoissante; qu'elle avait consulté en urgence son médecin traitant lequel avait mis en place le traitement sous forme corticoïdes injectables et oraux ;
Que les différents praticiens qui l'ont examinée ont noté que Mme [L] n'avait jamais fumé , de sorte que la tabagie alléguée doit être écartée et qu'elle ne présentait aucun antécédent respiratoire ;
Considérant enfin, que monsieur [N] a admis que la salariée était amenée à manipuler du "practic résine" trois ou 4 fois par semaine , qu'elle était donc en contact régulier avec ce produit; qu'il ne verse toutefois aucun élément pour démontrer que l'urticaire géant que Mme [L] a présenté, avait une origine autre que l'inhalation, médicalement attestée, de ce produit ;
Considérant que le tribunal des affaires de la sécurité sociale a donc à bon droit retenu que la lien de causalité entre les lésions constatée et la manipulation du méthacrylate de méthyle était établie ;
Qu'il a également avec justesse, aux termes d'une motivation pertinente qui doit être adoptée, retenu la faute inexcusable de l'employeur dans la survenance de cet accident du travail;
Considérant en effet que le docteur [N], dentiste expérimenté, praticien hospitalier, mais également maître de conférences à l'université [Établissement 1] à [Localité 5], faculté de
chirurgie dentaire, avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé sa salariée puisqu'il n'ignorait pas les dangers du méthacrylate, l'une des composantes de la "practic resine" entrant dans la fabrication de prothèses, en particulier en chirurgie dentaire et inscrite depuis 1987 au tableau n° 82 de maladie professionnelle, comme susceptible de provoquer des manifestations respiratoires chroniques comme l'asthme;
Que ces facteurs de risque étaient mentionnées et explicitées sur les fiches descriptives et les notices d'utilisation du produit et plus globalement, sur de nombreuses brochures à destination des praticiens , ce qu'il ne pouvait ignorer ;
Que peu important que ce produit ait reçu une autorisation de mise sur le marché, il appartenait à monsieur [N] de prendre toute mesures pour préserver Mme [L] du risque encouru et garantir sa santé et sa sécurité ;
Que force est de constater qu'il a été défaillant dans ses obligations puisqu'il ne démontre pas avoir mis à la disposition de la salariée, un local ventilé pour effectuer ses préparations allergènes, des masques , gants et protections oculaires ;
Que s'il produit le témoignage de Mme [Q], sa collaboratrice de 2004 à 2010 , attestant que gants, masques et blouses étaient à disposition au sein du cabinet , les factures qu'il verse pour asseoir ce témoignage sont insuffisantes puisqu'elles s'arrêtent en 2008, ne concernent que l'achat de 8 masques, que Mme [L] verse une attestation d'une ancienne patiente du médecin, Mme [W] témoignant de l'absence de ventilation dans la pièce où Mme [L] manipulait la résine , celle ci dégageant une odeur forte;
Considérant que l'ensemble de ces éléments démontrent que la faute inexcusable de l'employeur est établie;
Que le jugement sera donc confirmé sur ce point ;
sur les conséquences financières de la faute inexcusable
Considérant qu'en vertu de l'article L.452-2 du Code de la sécurité sociale, la victime d'un accident du travail dû à une faute inexcusable bénéficie d'une majoration de la rente d'accident du travail ; que les premiers juges l'ont fixé à bon droit au taux maximum ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.452-3 du Code de la sécurité sociale, indépendamment de cette majoration, Mme [L] a également le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elles endurées, de son préjudice d'agrément et la réparation du déficit fonctionnel;
Que ne disposant toutefois pas des éléments suffisants pour évaluer ces postes de préjudice, le tribunal des affaires de la sécurité sociale a, avec justesse, ordonné la mise en oeuvre d'une expertise que la cour confirme ;
Considérant que s'agissant du "préjudice résultant de l'accident du travail" ou préjudice économique professionnel et économique" tel que Mme [L] l'a qualifié et réclamé devant les premiers juges ,force est de constater que la perte de gains professionnels est indemnisée par les indemnités journalières versées jusqu'à la date de consolidation et au delà, par l'attribution d'une rente fondée sur un taux d'IPP de 40%;
Que Mme [L] ne saurait donc obtenir cette indemnisation complémentaire que le juge de première instance a , à bon droit rejeté ,
Considérant sur la mission de l'expert , et celle ci ne s'inscrivant pas dans le champ d'application de l'article L141-1 du code de la sécurité sociale, elle sera révisée comme précisé dans le dispositif ;
Considérant qu'eu égard à l'ancienneté des faits , la cour évoquera l'affaire sur l'indemnisation des préjudices au retour de l'expertise ;
Considérant que Mme [L] dont les autres demandes sont rejetées , se verra allouer 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Ordonne la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 14/04833 et 13/12097,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions à l'exception de la mission de l'expert,
Statuant à nouveau de ce seul chef,
Et évoquant sur les préjudices,
Dit que le docteur [X] [Adresse 3] tel XXXXXXXXXX après avoir consulté le dossier, entendu les parties en leurs dires et observations, examiné les documents médicaux et s'être entouré de tous renseignements utiles, aura pour mission de:
- procéder à l'examen de la victime et recueillir ses doléances ;
- décrire et évaluer les différents postes de préjudice personnel de Mme [L] tels que prévus à l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale : souffrances physiques et morales et préjudice d'agrément ,
- donner son avis sur l'existence et l'étendue du déficit fonctionnel temporaire : décrire la durée et le degré d'incapacité, du fait du déficit fonctionnel temporaire éprouvé par la victime, et déterminer l'étendue de ce préjudice ;
Dit que l'expert pourra s'adjoindre tout spécialiste de son choix ,
Dit que l'expert devra de ses constatations et conclusions établir un rapport qu'il adressera au greffe social de la cour dans les 6 mois de sa saisine par Mme le greffier, saisine correspondant à l'avis de consignation ;
Ordonne la consignation par la caisse primaire d'assurance maladie auprès du régisseur de la Cour dans les 30 jours de la notification du présent arrêt de la somme de 800 euros à valoir sur la rémunération de l'expert ;
Dit que la caisse primaire d'assurance maladie récupérera auprès de l'employeur le montant de cette consignation ainsi que les sommes qui seront fixées ultérieurement au titre des préjudices allouées à Mme [L],
Désigne le président de cette chambre ou le cas échéant l'un ou l'autre conseiller la composant pour suivre les opérations d'expertise et le cas échéant procéder au remplacement de l'expert sur simple requête ;
Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [L] au titre du préjudice professionnel économique ,
Déboute Mme [L] de ses autres demandes,
Renvoie l'affaire à l'audience du 24 mars 2016 à 13h30 et dit que la notification de la présente décision vaudra convocation des parties à cette audience ;
Alloue à Mme [L] une indemnité de1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit n'y avoir lieu de statuer sur les dépens.
Le Greffier, Le Président,