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20/05/2015 | FRANCE | N°14/07016

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 20 mai 2015, 14/07016


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 20 Mai 2015



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/07016



Décision déférée à la cour : jugement rendu le 19 mai 2014 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section encadrement - RG n° 13/02652





APPELANTE

Madame [U] [E]

[Adresse 3]

[Adresse 2]

née le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 1]

représentée

par Me Claire ARGOUARC'H, avocate au barreau de PARIS, C0486







INTIMEE

SAS OPTIC DUROC

[Adresse 1]

[Adresse 2]

N° SIRET : 319 176 749 00210

représentée par Me Corinne FAJGENBAUM, avoca...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 20 Mai 2015

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/07016

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 19 mai 2014 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section encadrement - RG n° 13/02652

APPELANTE

Madame [U] [E]

[Adresse 3]

[Adresse 2]

née le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 1]

représentée par Me Claire ARGOUARC'H, avocate au barreau de PARIS, C0486

INTIMEE

SAS OPTIC DUROC

[Adresse 1]

[Adresse 2]

N° SIRET : 319 176 749 00210

représentée par Me Corinne FAJGENBAUM, avocate au barreau de PARIS, D1638

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 mars 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Christine ROSTAND, présidente de la chambre et Madame Aline BATOZ, conseillère, chargées du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Christine ROSTAND, présidente

Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller

Madame Aline BATOZ, vice présidente placée faisant fonction de conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 02 septembre 2014

Greffier : Madame Marion AUGER, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Christine ROSTAND, présidente et par Madame Marion AUGER, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Mme [U] [E] a été engagée par la SARL Rien que pour vos yeux le 23 avril 2005 en qualité d'opticienne, agent de maîtrise, coefficient 235. Le contrat a débuté le 21 juin 2005.

La convention collective applicable dans l'entreprise est celle de l'optique lunetterie de détail.

Le 30 août 2007, le magasin a été repris par la société Optic Duroc via une convention de cession de fonds de commerce stipulant la reprise du personnel salarié conformément aux dispositions de l'article L.1224-1 du code du travail.

Mme [E] a été licenciée pour faute grave par lettre recommandée du 4 novembre 2010 reçue le 5 novembre 2010.

Contestant le bien fondé de son licenciement, Mme [E] a saisi le 4 mars 2013 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 19 mai 2014, l'a déboutée de toutes ses demandes et a rejeté la demande reconventionnelle de la société Optic Duroc.

Mme [E] a régulièrement relevé appel de cette décision et, à l'audience du 25 mars 2015, reprenant oralement ses conclusions visées par le greffier, demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de condamner la société Optic Duroc à lui verser les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes :

' 2.340,42 € à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied

' 10.837,23 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

' 1.083,72 € au titre des congés payés afférents

' 4.854,17 € au titre de l'indemnité de licenciement

' 32.500 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

' 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral

' 728,53 € à titre de rappel de salaire fixe pour la période de septembre 2007 à septembre 2010

' 26.573,53 € à titre de rappel de salaire sur prime variable pour les années 2007 à 2010

' 615,36 € à titre de rappel de salaire sur la période d'arrêt maladie du 24 septembre au 10 octobre 2010

' 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Optic Duroc a repris oralement à l'audience ses conclusions visées par le greffier et sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [E] de toutes ses demandes, ainsi que la condamnation de celle-ci à lui verser la somme de 1.300 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS

Sur le rappel de salaire pour la période de 2007 à 2010

Aux termes de l'article L.1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.

Le nouvel employeur doit appliquer au personnel de l'entité économique transférée les usages et engagements unilatéraux en vigueur au jour du transfert.

Mme [E] fait valoir que, par avenant du 1er janvier 2007, sa rémunération a été portée de 2.000 € à 2.710 € brut et la durée du travail de 169 à 170 heures, mais qu'après le rachat de la société Rien que pour vos yeux par la société Optic Duroc le 30 août 2007, elle n'a plus été rémunérée que pour 169 heures par mois à hauteur de 2.690,31 € alors qu'elle a continué à travailler au même rythme.

La société Optic Duroc soutient que la durée du travail était contractuellement prévue par l'avenant du 1er janvier 2007 à hauteur de 169 heures par mois, et que Mme [E] ne démontre pas avoir effectué une heure supplémentaire par mois sur la période considérée.

Au soutien de ses allégations, Mme [E] verse aux débats son contrat de travail, mentionnant une rémunération de 2.000 € brut pour 169 heures de travail par mois, ainsi qu'un avenant daté du 1er janvier 2007, prévoyant qu'elle bénéficiera du statut cadre à compter du 1er janvier 2007 et fixant sa rémunération à 2.710 € brut pour 170 heures de travail. Il convient toutefois de relever que ce dernier document n'est signé que par la salariée, et pas par l'employeur.

La société Optic Duroc communique un avenant conclu entre la société Rien que pour vos yeux et Mme [E] le 1er janvier 2007, annexé à la convention de cession de fonds de commerce, mentionnant qu'elle passe au statut cadre à compter du 1er janvier 2007, moyennant une rémunération de 2.565 € brut pour 169 heures de travail. Ce document n'est toutefois signé par aucune des parties.

S'il ressort des bulletins de salaire de Mme [E] qu'elle a été payée, entre janvier et août 2007, sur la base de 170 heures par mois, cette heure de différence est mentionnée comme une heure supplémentaire majorée à 125%. Il n'est pas établi que l'employeur se soit engagé à modifier la durée du travail de Mme [E] contractuellement pour la porter à 170 heures par mois. Il n'est pas davantage démontré que cela résultait d'un usage en vigueur au sein de l'entreprise. La société Optic Duroc n'avait donc pas à la rémunérer sur la base de 170 heures par mois lorsqu'elle a repris son contrat de travail dans le cadre des dispositions de l'article L.1224-1 du code du travail.

Aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

En l'espèce, si Mme [E] soutient avoir continué à travailler 170 heures par mois à compter du mois de septembre 2007 en n'étant rémunérée que pour 169 heures, force est de constater qu'elle ne produit aucune pièce, et notamment aucun décompte d'heures, pour étayer ses prétentions.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de rappel de salaire pour la période de septembre 2007 à septembre 2010.

Sur les primes sur objectifs

Mme [E] fait valoir que son contrat de travail prévoyait le versement d'une prime sur objectifs de 8,5% du chiffre d'affaires annuel TTC excédant le chiffre d'affaires fixé par objectif à 360.000 € en 2005, lequel n'a jamais été modifié. Elle affirme qu'aucune prime ne lui a plus été versée à compter de la cession du fonds de commerce en 2007, alors qu'elle lui avait été réglée en 2006 par son précédent employeur.

La société Optic Duroc souligne qu'aucune prime n'a jamais été versée à Mme [E] ni par elle, ni par son précédent employeur, car elle n'a jamais atteint l'objectif de 360.000 € de chiffre d'affaires sur le magasin de [Localité 2]. Elle soutient que les primes de 1.083 € et 1.170 € figurant sur ses bulletins de salaire d'octobre et décembre 2006 correspondent à une prime exceptionnelle, et non à une prime sur objectifs.

Il ressort du bilan de la société Rien que pour vos yeux qu'en 2006, le chiffre d'affaires s'est élevé à la somme de 272.859 € hors taxes, soit 326.339,36 € toutes taxes comprises, ce qui correspond à un montant inférieur au seuil de déclenchement de la prime d'objectifs. Les sommes versées à Mme [E] en octobre et décembre 2006 correspondent donc nécessairement à des primes d'une autre nature, et sont d'ailleurs libellées comme "primes exceptionnelles" sur les bulletins de salaire.

En ce qui concerne l'année 2007, le bilan de la société Rien que pour vos yeux fait état d'un chiffre d'affaires hors taxes pour la période de janvier à août inclus de 174.008 €, soit la somme de 208.113,57 € toutes taxes comprises. L'expert comptable atteste que le chiffre d'affaires, TVA comprise, de la société Optic Duroc pour le magasin de [Localité 2] s'est élevé à la somme de 98.749,55 € pour la période de septembre à décembre 2007, soit une somme totale de 306.863,12 € pour toute l'année 2007.

Pour les années 2008 à 2010, Mme [E] verse aux débats des tableaux de bord reprenant mois par mois les ventes et encaissements effectués au sein du magasin de [Localité 2]. Il convient de relever que pour calculer le chiffre d'affaires annuel du magasin, elle additionne les ventes mensuelles, auxquelles elle ajoute 19,6% de TVA, alors que le document ne précise pas que les sommes mentionnées au titre des encaissements et des ventes correspondent au montant hors taxes.

La société Optic Duroc communique l'attestation d'un expert comptable indiquant que les encaissements figurant chaque mois dans les tableaux de bord produits par Mme [E] correspondent aux chiffres d'affaires toutes taxes comprises qui ont été réalisés sur ce point de vente, et qu'il faut donc additionner les montants de la colonne "Encaissements" de chaque mois pour obtenir le chiffre d'affaires annuel TVA comprise de [Localité 2].

Aucun élément ne permet de remettre en question ces explications de l'expert comptable.

L'addition des encaissements pour l'année 2008 équivaut pour 11 mois à la somme de 301.188,99 €, le tableau correspondant au mois d'août n'étant pas communiqué. En rapportant cette somme à 12 mois, cela correspond à un chiffre d'affaires annuel de 328.569,8 €.

Pour l'année 2009, l'addition des encaissements permet de retenir un chiffre d'affaires annuel de 347.892,27 €.

En ce qui concerne l'année 2010, les tableaux de bord ne sont produits que pour la période de janvier à août inclus. Il en ressort un chiffre d'affaires sur cette période de 283.402,2 €, soit une moyenne de 35.425,27 € par mois. La société Optic Duroc, qui prétend qu'aucune vente et aucun encaissement n'ont été effectués pour les mois de septembre à décembre 2010, ne communique aucune pièce permettant d'en justifier. Toutefois, dès lors que Mme [E] a été licenciée le 4 novembre 2010, il convient de calculer le chiffre d'affaires sur l'année 2010 sur 10 mois, ce qui aboutit à la somme de 354.252,75 €.

Au regard de ces éléments, il apparaît que le magasin de [Localité 2] n'a jamais atteint le chiffre d'affaires de 360.000 € correspondant au seuil de déclenchement de la prime de 8,5% prévue au contrat de travail de Mme [E]. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de rappel de salaire au titre de la prime d'objectifs.

Sur le maintien du salaire correspondant aux périodes d'absences pour maladie

L'article 5 de l'annexe IV de la convention collective de l'optique lunetterie prévoit que les périodes d'indemnisation prévues à l'article 37 de la convention sont portées, pour les cadres ayant au moins un an d'ancienneté à 100% du salaire pendant deux mois.

L'article 37 de la convention collective dispose qu'en cas de maladie dûment constatée par un certificat médical et contre-visite s'il y a lieu, les ouvriers et employés bénéficieront lorsqu'ils toucheront des indemnités journalières au titre des assurances sociales et éventuellement de tout autre régime obligatoire ou facultatif dans l'entreprise, d'une indemnité complémentaire calculée de façon qu'ils reçoivent, à compter du quatrième jour, après an de présence :

' pendant 1 mois 100 % de leurs appointements ;

' pendant 1/2 mois 75 % de leurs appointements ;

' pendant 1/2 mois 66 % de leurs appointements.

Mme [E] affirme avoir été arrêtée 7 jours au mois de septembre 2010 mais que son salaire n'a été maintenu que pendant quatre jours, et avoir été arrêtée pendant neuf jours au mois d'octobre 2010 mais que son salaire n'a été maintenu que pendant six jours.

La société Optic Duroc fait valoir que la convention collective de l'optique lunetterie prévoit trois jours de carence non payés par la sécurité sociale ou par l'employeur pour tous les salariés, cadres ou non.

Il convient de relever que l'article 37 précité prévoit expressément un délai de carence de trois jours, qui n'est pas repris par l'article 5 de l'annexe IV, lequel ne renvoie pas non plus à l'article 37 sur ce point.

En conséquence, il n'y a pas lieu d'appliquer le délai de carence de trois jours pour les cadres, de sorte que Mme [E] aurait dû être indemnisée pour la totalité de ses périodes d'arrêt maladie.

En conséquence, il convient de condamner la société Optic Duroc à verser à Mme [E] la somme de 615,36 € à titre de rappel de salaires sur ses périodes d'arrêt maladie en septembre et octobre 2010.

Sur le licenciement

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Aux termes de la lettre de licenciement, il est reproché à Mme [E] :

' d'avoir adressé au siège de l'entreprise, le 8 octobre 2010, un courrier recommandé dans lequel elle affirme que le dirigeant de la société lui aurait demandé de démissionner lors de l'entretien individuel du 7 septembre 2010, l'aurait menacée de brimades en cas de refus, et qu'il aurait tenu à son égard des propos inconvenants de nature sexuelle, étant précisé qu'elle n'a pas mentionné de destinataire sur ce courrier, de sorte qu'il a été lu par différents salariés du siège social, plaçant le dirigeant dans une situation humiliante vis à vis du personnel, cet écrit constituant une injure publique ;

' de ne pas avoir traité ni transmis au siège les courriers de la mutuelle Santé Clair reçus les 19 mars, 28 avril, 7 mai et 20 mai 2010, ce qui a entraîné la perte du partenariat avec cette mutuelle et engendré une perte de chiffre d'affaires de plus de 30.000 € par an ;

' d'avoir enregistré au sein du magasin de [Localité 2] une perte de chiffre d'affaires de 28% en mai 2010 et de 20% en juin 2010 (pourtant considéré comme le meilleur mois de l'année) ;

' d'avoir, à compter du mois de juillet, laissé le magasin dans un désordre anormal, d'avoir laissé des fiches clients accrochées sur des portes de placard sans ordre ni suivi, et de ne pas avoir remis en banque des chèques de clients datant de plus de trois semaines, sans en informer M. [N] qui a du faire ce travail dans les semaines qui ont suivi son arrivée ;

' d'avoir laissé dans une enveloppe des dossiers mutuelle de ses ventes, datant de plusieurs mois lorsque M. [N] l'a découvert au mois de juillet 2010, sans demandes de paiement alors que ces demandes doivent être traitées le jour même ou les jours suivant la vente, obligeant M. [N] à remettre de l'ordre dans ses dossiers pour encaisser les sommes exigibles, qui risquaient ainsi d'être perdues, ces manquements désorganisant la boutique et nuisant tant au bon fonctionnement de l'entreprise qu'à sa rentabilité ;

' de ne pas s'intégrer à l'équipe et aux nouveaux arrivants, ayant réservé un très mauvais accueil à M. [H], qui n'a pu supporter ses réflexions blessantes et a démissionné ;

' de refuser d'appliquer la politique de la direction sur la politique commerciale de l'entreprise Optic Duroc avec les partenaires verriers, en décidant de vendre des verres Essilor, société avec laquelle Optic Duroc n'a aucun accord commercial.

En ce qui concerne le premier grief, il convient de relever que Mme [E] ne conteste pas avoir écrit un courrier pour faire suite à un entretien du 7 septembre 2010, sans préciser le nom du destinataire, dans lequel elle reproche à son employeur d'avoir fait pression sur elle pour l'inciter à démissionner, et indique : "il n'est pas admissible que vous m'indiquiez souhaiter que je dégrafe mon décolleté pour, je cite, "faire bander les clients quand ils viennent acheter des lunettes dans le magasin". Je suis particulièrement choquée par une telle attitude à mon égard." Elle soutient toutefois qu'elle n'est pas responsable de la publicité qui a été donnée à son courrier, ce d'autant qu'il débute par "Monsieur" et qu'elle y évoque très vite l'entretien du 7 septembre 2010, ce qui permettait de désigner le dirigeant comme destinataire. Mme [E] ajoute qu'en se plaignant du comportement de son employeur, elle n'a fait qu'user de sa liberté d'expression, et qu'elle s'est contentée de reprendre par écrit des propos qui lui ont été tenus oralement par son supérieur, qui ne les a jamais démentis.

La société Optic Duroc, qui souligne le caractère humiliant et attentatoire à la réputation de son dirigeant des reproches formulés par Mme [E] dans son courrier, ne conteste pas pour autant l'existence de pressions exercées sur la salariée pour la contraindre à démissionner, ni les remarques déplacées à connotation sexuelle qu'elle dénonce.

Par ailleurs, il n'est pas établi que Mme [E] ait intentionnellement omis de préciser le nom du destinataire de son courrier, celle-ci reconnaissant avoir pu l'oublier étant sous le coup de l'émotion. En outre, il ressort de l'attestation de la comptable ayant ouvert le courrier que c'est elle qui a décidé de le faire lire à l'une de ses collègues, de sorte que la "publicité" donnée à ce courrier n'est pas imputable à Mme [E]

En tout état de cause, il ne saurait être reproché à la salariée de dénoncer le comportement de son supérieur, ayant consisté en des menaces et des propos à caractère sexuel particulièrement déplacés, non contesté sur ce point.

En ce qui concerne la baisse du chiffre d'affaires en mai et juin 2010, il convient de relever que la société Optic Duroc ne précise pas par rapport à quelle période de référence cette baisse a pu être constatée, et ne verse aux débats aucun élément probant à ce titre, permettant d'imputer à Mme [E] la baisse alléguée.

S'agissant des deuxième, quatrième, cinquième et sixième griefs, la société Optic Duroc fait valoir que Mme [E], qui était responsable du magasin en sa qualité d'opticienne diplômée, bénéficiant du coefficient 250 qui correspond aux opticiens directeurs de magasin, aurait du relayer au siège les courriers de la mutuelle Santéclair pour qu'ils soient traités. Elle produit les courriers adressés par la mutuelle à Mme [M] du magasin de [Localité 2], le 19 mars 2010 pour lui demander d'envoyer un bordereau de livraison de verres, le 26 avril et 7 mai 2010 pour réitérer cette demande, ainsi que les 20 et 27 mai 2010 pour faire part de son souhait de résilier l'accord de partenariat compte tenu des multiples manquements constatés.

La société Optic Duroc produit par ailleurs des reçus de commandes de clients, ainsi qu'un tableau récapitulatif des dates de traitement des dossiers au sein de la boutique de [Localité 2] entre avril et juillet 2010, comportant les initiales des salariés en charge des dossiers. Il en ressort qu'il existait souvent un décalage entre la date de demande de prise en charge par la mutuelle et l'envoi de la facture, mais que c'était le cas tant pour les dossiers gérés par Mme [E] que par M. [P], l'autre salarié de la boutique de [Localité 2], et que M. [N] a envoyé les factures pour la plupart des dossiers à compter du mois de juillet 2010.

La société Optic Duroc communique en outre des photos non datées afin d'établir que le magasin était en désordre, ainsi qu'une attestation de M. [N].

La société précise que tous ces faits n'ont été découverts qu'au mois de juillet 2010, lorsque M. [N] a pris ses fonctions.

Elle produit également une attestation de M. [H] dénonçant le comportement de Mme [E] à son égard lorsqu'il a travaillé au sein de la boutique de [Localité 2] du 4 septembre au 25 novembre 2009 dans le cadre d'un contrat de professionnalisation.

Mme [E] soulève la prescription de ces faits.

Il ressort des termes mêmes de la lettre de licenciement que M. [N] a découvert les prétendus manquements de Mme [E] au mois de juillet. Il est par ailleurs établi que le comportement susceptible d'être reproché à Mme [E] à l'encontre de M. [H] date de 2009. La lettre de convocation à entretien préalable datant du 12 octobre 2010, la prescription de deux mois prévue à l'article L.1332-4 du code du travail était acquise lors du déclenchement de la procédure de licenciement, de sorte que ces faits ne pouvaient plus être sanctionnés, en l'absence de démonstration de la réitération d'un même comportement fautif dans le délai de deux mois.

En ce qui concerne le dernier grief, non daté, il y a lieu de souligner que la société Optic Duroc ne verse aux débats aucun élément susceptible de justifier qu'elle avait défini une politique commerciale visant à favoriser certains fournisseurs pour le choix des verres, ni qu'elle ait donné quelque instruction que ce soit à Mme [E] en ce sens. Il en résulte que le comportement prétendument fautif de la salariée n'est pas établi.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, dont il ressort qu'aucun des griefs visés à la lettre de licenciement n'est fondé, il convient d'infirmer le jugement déféré et de retenir que le licenciement de Mme [E] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Aux termes de l'article L.1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

A la date du licenciement, Mme [E] percevait une rémunération mensuelle brute moyenne de 2.690,31 €, avait 31 ans et bénéficiait d'une ancienneté de cinq ans, quatre mois et 16 jours au sein de l'entreprise. Il convient d'évaluer à la somme de 24.212 € le montant de l'indemnité allouée au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L.1235-3 du code du travail.

L'application de l'article L.1235-3 du code du travail appelle celle de l'article L.1235-4 concernant le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de la totalité des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de six mois.

Seul le licenciement fondé sur une faute grave ou lourde dispense l'employeur de son obligation de paiement du salaire afférent à la période de mise à pied. Dès lors que le licenciement de Mme [E] ne repose pas sur une faute grave, il convient de faire droit à sa demande en paiement de salaire sur la période du 12 octobre au 5 novembre 2010 pendant laquelle elle a été mise à pied, à hauteur de 2.323,44 €.

En l'absence de faute grave commise par Mme [E], l'employeur, qui l'a licenciée à tort sans préavis, se trouve débiteur envers elle d'une indemnité compensatrice de préavis dont il est tenu de lui verser le montant intégral pour toute la période où elle aurait dû l'exécuter. L'article 12 de la convention collective de l'optique lunetterie prévoyant un délai de préavis de trois mois, il convient donc de condamner la société Optic Duroc à lui verser la somme de 8.070,93 €, outre 807,09 € au titre des congés payés afférents.

En application des dispositions de l'article 6 de l'annexe IV à la convention collective, et compte tenu de son ancienneté, la société Optic Duroc sera condamnée à verser à Mme [E] la somme de 3.615,10 € à titre d'indemnité de licenciement.

Sur le préjudice moral

Mme [E], qui sollicite la réparation du préjudice moral qu'elle indique avoir subi du fait du comportement de son employeur, ne verse aux débats aucune pièce étayant cette demande.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande à ce titre.

La société Optic Duroc sera condamnée à verser à Mme [E] la somme de 3.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

INFIRME partiellement le jugement déféré ;

Statuant à nouveau,

CONDAMNE la société Optic Duroc à verser à Mme [E] les sommes suivantes :

' 2.323,44 € à titre de rappel de salaire sur la période de mise à pied

' 8.070,93 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 807,09 € au titre des congés payés afférents

' 3.615,10 € à titre d'indemnité de licenciement

avec intérêts au taux légal à compter du 11 mars 2013

' 24.212 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

CONDAMNE la société Optic Duroc à rembourser à Pôle Emploi la totalité des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de six mois ;

CONFIRME le jugement pour le surplus ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Optic Duroc à verser à Mme [E] la somme de 615,36 € à titre de rappel de salaires sur ses périodes d'arrêt maladie en septembre et octobre 2010 ;

CONDAMNE la société Optic Duroc à verser à Mme [E] la somme de 3.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Optic Duroc aux dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 14/07016
Date de la décision : 20/05/2015

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°14/07016 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-05-20;14.07016 ?
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