Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRÊT DU 15 AVRIL 2015
(n° 222 , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/22328
Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Octobre 2013 -Tribunal de Grande Instance de paris - RG n° 11/06695
APPELANTE
Société civile SCI [Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 2]
Rep légal : M. [G] [P] (gérant)
Représentée par Me Ophélie BERTRAND-DELAPORTE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0058, substituant Me Vincent OLLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0846
INTIMEE
Madame [M] [W]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par Me Jean-michel HOCQUARD de la SCP HOCQUARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0087 et ayant pour avocat plaidant Me Vincent PERRAUT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0087
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 Mars 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Jacques BICHARD, Président de chambre
Madame Sylvie MAUNAND, Conseillère
Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Elodie PEREIRA
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Jacques BICHARD, président et par Mme Elodie PEREIRA, greffier.
La société civile immobilière du [Adresse 2] (la SCI) a sollicité l'assistance et les conseils de Maître [W], avocate, dans trois dossiers, les deux premiers l'opposant à deux de ses locataires et le troisième au syndicat des copropriétaires du [Adresse 2].
Dans les deux premiers dossiers, l'avocate était mandatée pour faire délivrer un commandement de payer les loyers dus depuis plusieurs années puis engager, le cas échéant, une procédure aux fins de résiliation du bail et expulsion des locataires. Le troisième dossier visait l'annulation de deux décisions d'assemblée générale de copropriétaires adoptées le 11 octobre 2006 par l'ensemble des copropriétaires pour la première et pour ceux du bâtiment A pour la seconde.
Estimant que Maître [W] avait commis des fautes dans la gestion de ces dossiers, la société civile immobilière l'a faite assigner en responsabilité et indemnisation devant le tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 23 octobre 2013, a :
- dit que Madame [W] a manqué à ses obligations ;
- condamné Madame [W] à payer à la société civile immobilière [Adresse 2] la somme de 410,54 euros à titre de dommages intérêts ;
- condamné Madame [W] à payer à la société civile immobilière [Adresse 2] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
La société civile immobilière [Adresse 2], appelante, par conclusions du 27 mars 2014, sollicite l'infirmation du jugement, la condamnation de Madame [W] à lui payer les sommes suivantes :
- 74.500 euros au titre des préjudices subis dans l'affaire l'opposant à la SARL Studio MARCADET avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance et capitalisation par année en cours ;
- 16.000 euros en réparation du préjudice subi dans l'affaire l'opposant à M.[B] avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance et capitalisation par année en cours ;
- 68.000 euros en réparation des préjudices subis dans l'affaire l'opposant au syndicat des copropriétaires du [Adresse 2] et au syndicat secondaire des copropriétaires du bâtiment A avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance et capitalisation par année en cours ;
le débouté des prétentions adverses et la condamnation de Madame [W] à lui régler la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Madame [W], par conclusions du 17 février 2014, souhaite voir la cour confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a condamnée au paiement de diverses sommes au profit de l'appelante et statuant à nouveau, débouter cette dernière de toutes ses demandes et la condamner à lui payer la somme de 3.500 euros au titre des frais irrépétibles.
SUR CE, LA COUR
Considérant que l'avocat est tenu d'une obligation de diligence et de vigilance dans le cadre du mandat qui lui a été confié par son client ;
Considérant que la société civile immobilière émet des griefs à l'encontre de son
avocat dans trois dossiers ;
Dossier société civile immobilière président Wilson c/studio Marcadet :
Considérant que la société civile immobilière reproche à l'avocat d'avoir fait délivrer un commandement de payer nul car fondé sur un décompte erroné et d'avoir choisi la voie du référé alors que le juge des référés est celui de l'évidence et que le dossier revêtait des aspects complexes ;
Considérant que la Cour constate que l'avocat a, comme il est procédé habituellement en matière de défaut de paiement de loyers et lorsque le bail comporte une clause résolutoire, fait délivrer un commandement de payer les loyers visant celle-ci ;
Considérant que le commandement de payer litigieux n'a pas été versé aux débats par l'appelante ;
Considérant que cet acte n'ayant pas été suivi d'effet, l'avocat a fait délivrer une assignation en référé visant les sommes dues par la société locataire ;
Considérant que l'ordonnance de référé en date du 27 octobre 2010 a dit n'y avoir lieu à référé à raison d'une contestation sérieuse liée à l'imprécision des causes du commandement de payer, l'imbrication des patrimoines des deux porteurs de parts dans la société bailleresse et la société locataire ainsi que les divergences entre les deux gérants tant sur la gestion que sur la liquidation de leur patrimoine commun apparues au dernier trimestre de l'année 2005 et non résolues depuis ;
Considérant que le commandement n'a pas été annulé comme le prétend la société civile immobilière ; que le fait que l'avocat ait mentionné un loyer inexact ne suffisait pas en soi à rendre sans effet le commandement qui vaut toujours pour le montant des sommes effectivement dues ;
Considérant que le rejet des demandes résulte du litige existant entre les associés des deux sociétés locataire et bailleresse qui sont les mêmes et sur lequel l'avocat pouvait difficilement influer ;
Considérant d'ailleurs que la Cour note que l'ordonnance qui a dit n'y avoir lieu à référé à raison d'une contestation sérieuse, a été rendue le 27 octobre 2010 après qu'une mesure de médiation ordonnée le 14 janvier 2009 a échoué, l'association chargée de celle-ci ayant le 9 octobre 2009 constaté le défaut d'accord entre les parties ;
Considérant que si l'avocate devait analyser la situation et adopter la stratégie la plus à même d'obtenir un résultat et si elle devait éventuellement éviter de recourir à la procédure de référé dans ce cadre, le préjudice résultant du défaut de paiement des loyers ne peut résulter de cette erreur mais est bien la conséquence du différend entre les deux sociétés constituées des mêmes associés ;
Considérant enfin que la Cour relève que lors de l'audience de référé succédant à l'échec de la médiation, l'avocat de la société civile immobilière était Maître [O] et non Maître [W] ; que la nouvelle avocate de la société a maintenu les demandes présentées par la société initialement les actualisant ; qu'elle ne s'est pas désistée de la demande ainsi engagée avalisant la procédure lancée par sa consoeur ;
Considérant qu'il s'ensuit que Maître [W] ne peut voir sa responsabilité engagée du chef de cette procédure poursuivie par un autre conseil dans les mêmes conditions et alors que le préjudice invoqué par l'appelante résulte du comportement de ses associés ;
Considérant que la délivrance d'un nouveau commandement de payer ne peut être imputée à Maître [W] dès lors que l'erreur sur les loyers n'est pas la seule cause du rejet de la demande par le juge des référés ;
Considérant qu'il y a lieu d'infirmer le jugement qui a retenu la responsabilité de Maître [W] dans ce dossier ;
Dossier société civile immobilière du [Adresse 2] c/ [B] :
Considérant que la société civile immobilière fait grief à l'avocate d'avoir, après qu'un commandement de payer a été délivré au locataire, saisi le juge des référés sans respecter les prescriptions de la loi du 6 juillet 1989 qui l'obligeait à notifier l'assignation au représentant de l'Etat dans le département ;
Considérant que même si le bail contenait des dispositions équivoques laissant douter de l'application de la loi du 6 juillet 1989, la prudence exigeait que l'avocat respecte la formalité prescrite par la loi afin d'éviter tout risque de rejet de la demande par le juge des référés ;
Considérant que la faute commise par l'avocate de ce chef est avérée et n'a pas permis d'obtenir le prononcé de l'acquisition de la clause résolutoire, le paiement provisionnel des loyers arriérés et l'expulsion de M.[B] dès l'ordonnance du 12 octobre 2009 ;
Considérant que la société civile immobilière estime avoir ainsi perdu une chance de voir le locataire quitter les lieux rapidement ;
Considérant que la seconde procédure a été diligentée par assignation du 20 avril 2010, qu'un jugement a été rendu le 16 mai 2011 constatant l'acquisition de la clause résolutoire, condamnant M.[B] à payer une somme de 21.006,52 euros au titre des loyers arriérés et ordonnant l'expulsion de M.[B] ; qu'un commandement de quitter les lieux a été délivré le 18 octobre 2011 qui a révélé que l'intéressé était parti sans laisser d'adresse ;
Considérant que relativement aux loyers impayés, la société civile immobilière a obtenu une condamnation globale qui ne la prive pas du recouvrement de ceux-ci ; qu'il convient de relever que l'appelante a mis en place une procédure d'exécution à l'encontre de ce dernier ; que le départ de M.[B] des lieux antérieurement aurait sans doute permis de limiter le montant de la dette ;
Considérant toutefois que la société civile immobilière ne justifie pas avoir reloué les locaux et ne démontre pas que le départ plus précoce de l'intéressé lui aurait permis de donner à bail son bien à un locataire solvable ;
Considérant qu'il convient, en outre, de noter que la première ordonnance ayant été rendue en octobre 2009, le locataire aurait bénéficié de la trêve hivernale jusqu'au 15 mars de l'année suivante, qu'en suite la procédure d'expulsion aurait été soumise à l'accord de la préfecture et qu'il y aurait eu peu de chance que celle-ci n'intervienne avant l'été 2010 réduisant ainsi le délai perdu du fait de l'erreur de l'avocat ;
Considérant qu'il s'ensuit que la perte de chance subie du fait de la faute de l'avocate peut être évaluée à la somme de 4.000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision fixant le montant des dommages intérêts ;
Dossier relatif au litige opposant la société civile immobilière au syndicat des copropriétaires :
Considérant que la société civile immobilière est propriétaire du bâtiment F de la copropriété du [Adresse 2] composée de six bâtiments, que des panneaux publicitaires sont posés sur le pignon du bâtiment A qui procurent des recettes substantielles ;
Considérant que l'assemblée générale des copropriétaires s'est tenue le 11 octobre 2006 ainsi qu'une assemblée générale de copropriétaires du bâtiment A à la suite ;
Considérant que l'assemblée générale des copropriétaires a voté diverses résolutions dont celle de poursuivre la société civile immobilière en justice pour la démolition de constructions non autorisées et celle relative à la création d'un syndicat secondaire pour le bâtiment A (résolution 18);
Considérant que la seconde assemblée générale des seuls copropriétaires du bâtiment A a voté outre sa création, la clé de répartition des charges spéciale à ce bâtiment telle que prévue au règlement de copropriété ;
Considérant que Maître [W] a été chargée de solliciter l'annulation des deux assemblées générales ; qu'aux termes de l'assignation, la nullité de la première assemblée est motivée par un abus de majorité de copropriétaires et celle de la seconde assemblée au motif qu'un syndicat secondaire ne pouvait pas exister à raison de l'imbrication des lots ;
Considérant que, par jugement du 17 février 2009, le tribunal a déclaré recevable mais mal fondée l'action en contestation de l'assemblée générale des copropriétaires en date du 11 octobre 2006 présentée par la société civile immobilière mais l'a déclarée irrecevable en son action contre la seconde assemblée générale des copropriétaires du bâtiment A faute de l'avoir dirigée contre le syndicat secondaire ;
Considérant que la société civile immobilière fait grief à l'avocat de ne pas avoir assigné le syndicat secondaire et de ne pas avoir développé une argumentation en fait et en droit au soutien de la demande d'annulation de la première assemblée générale ;
Considérant que pour l'assemblée générale de la copropriété du [Adresse 2], il a été donné partiellement gain de cause sur une des résolutions votées mettant à la charge de la société civile immobilière des travaux de réparation d'un portail en cause d'appel ; qu'en effet, la Cour d'appel, à l'exception du point susvisé, dans son arrêt du 8 septembre 2010, a confirmé le jugement en ce qu'il a rejeté l'existence d'un abus de majorité ayant présidé aux décisions prises lors de l'assemblée générale du 11 octobre 2006 et déclaré irrecevable la demande d'annulation de l'assemblée générale du syndicat secondaire du 11 octobre 2006 ;
Considérant qu'il convient de relever que le nouvel avocat n'a pas été totalement suivi en appel alors que les développements de ses conclusions reprenaient l'argumentation déjà développée par Maître [W] ;
Considérant que la Cour constate que l'avocat a manqué de prudence en sollicitant l'annulation de l'assemblée générale du 11 octobre 2006 sur le fondement de l'abus de majorité sans demander de manière expresse celle de la résolution 18 qui créait le syndicat secondaire et sans développer au regard de cette résolution, le moyen selon lequel un tel syndicat secondaire ne pouvait exister dès lors que les bâtiments étaient imbriqués ;
Considérant que l'annulation de l'assemblée générale ayant été rejetée par la Cour d'appel à l'exception du point relatif au portail, il s'ensuit que la création du syndicat secondaire est désormais définitive ;
Considérant que l'erreur commise par l'avocat qui n'a pas assigné le syndicat secondaire pour lequel il était demandé l'annulation de son assemblée générale est patente ;
Considérant que la résolution 4 de cette assemblée prévoyait la création du syndicat secondaire et le fait que la clé de répartition des charges était la reprise de la clé spéciale du bâtiment A inscrite dans le règlement de copropriété de l'immeuble ;
Considérant toutefois que comme l'ont justement rappelé les premiers juges, les copropriétaires du syndicat principal qui ne sont pas membres du syndicat secondaire, ne sont pas soumis au délai de deux mois prévu par l'article 42 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1965 pour contester les assemblées générales spéciales du syndicat secondaire ; qu'ils disposent d'un délai de dix ans tel que prévu à l'article 42 alinéa 1 de cette même loi ;
Considérant que même si la création du syndicat secondaire n'appartient qu'aux copropriétaires intéressés, il n'en demeure pas moins qu'il existe une décision de l'assemblée générale des copropriétaires qui a ratifié cette création ; que celle-ci est devenue définitive, la contestation de l'assemblée générale ayant été rejetée par la Cour d'appel ;
Considérant dès lors que la société civile immobilière qui s'était bornée à demander l'annulation des décisions de l'assemblée générale du syndicat secondaire conserve éventuellement la possibilité d'agir en vue de demander la modification de la clé de répartition adoptée susceptible de porter atteinte à ses droits ; que cette demande différente de la précédente ne risquerait pas de se voir opposer ainsi le principe de concentration des moyens et peut être présentée dans le délai de dix ans précité ;
Considérant dès lors qu'elle ne perd pas la chance de voir répartir les recettes et les charges différemment de ce chef ;
Considérant que la société civile immobilière peut, en revanche, avoir perdu une chance de voir supprimer le syndicat secondaire sous réserve que celle-ci soit réelle et sérieuse ;
Considérant qu'en l'état pour établir qu'un syndicat secondaire n'aurait pas pu être créé du fait de l'imbrication des bâtiments de la copropriété, il est produit un procès-verbal de constat en date du 24 mars 2010 d'où il ressort qu'il existe six bâtiments A, B, C, D, E et F ; que le bâtiment A est sur rue et que, pour accéder aux autres bâtiments, il faut traverser le porche et la voûte sous ce premier bâtiment ; que les autres bâtiments sont dans la cour;
Considérant que les photographies figurant dans ce constat laissent apparaître la possibilité d'entrer dans les différents bâtiments par des portes distinctes ; que la description correspond à celle du règlement de copropriété ;
Considérant que le fait de passer sous la voûte d'un bâtiment pour accéder aux autres n'implique qu'ils soient nécessairement imbriqués et non distincts ;
Considérant qu'il résulte des seuls éléments versés aux débats que la chance d'obtenir l'annulation du syndicat secondaire n'était ni réelle ni sérieuse ;
Considérant que dès lors le préjudice subi du fait de la perte de chance liée aux fautes commises par Maître [W] n'est pas démontré ;
Considérant, en conséquence, que le jugement est confirmé en ce qu'il a retenu des manquements commis par Madame [W] mais infirmé relativement à la réparation de ceux-ci ;
Considérant que l'équité ne commande pas de faire droit à la demande des parties présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Considérant que Maître [W] doit supporter les dépens d'appel ayant succombé partiellement ;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a dit que Madame [W] avait commis des manquements à ses obligations ;
Statuant à nouveau :
Condamne Madame [W] à payer à la société civile immobilière [Adresse 2] la somme de 4.000 euros à titre de dommages intérêts ;
Rejette le surplus des demandes de la société civile immobilière du [Adresse 2] ;
Rejette toute demande des parties présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Madame [W] aux entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés par l'avocat de la société civile immobilière du [Adresse 2] conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT