La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/04/2015 | FRANCE | N°12/05008

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 2, 01 avril 2015, 12/05008


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 2



ARRÊT DU 01 AVRIL 2015



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 12/05008



Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Février 2012 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 10/02581





APPELANTE



SA KERO AU NOM COMMERCIAL '[1]' agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domicili

és en cette qualité audit siège sis

[Adresse 1]

[Localité 1]



représentée par Me Luc COUTURIER de la SELARL HANDS Société d'Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : L0061
...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 2

ARRÊT DU 01 AVRIL 2015

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 12/05008

Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Février 2012 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 10/02581

APPELANTE

SA KERO AU NOM COMMERCIAL '[1]' agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège sis

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Luc COUTURIER de la SELARL HANDS Société d'Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : L0061

assistée de la SCP BLATTER RACLET & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, toque : P0441

INTIMÉS

SCI SAINT SEVERIN 14, représentée par son gérant, ayant son siège social

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Laurence TAZE BERNARD de la SCP IFL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0042

assistée de Me Isabelle COGNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : R197 pour Me Marie-Françoise CORNILLE, avocat au barreau de PARIS

Syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 1] représenté par son syndic, le Cabinet CRAUNOT, SA ayant son siège social

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Nathalie BUNIAK, avocat au barreau de PARIS, toque : C1260

assisté de Me Laure RYCKEWAERT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1260

PARTIE INTERVENANTE

SCI VIVIANE, représentée par son gérant, ayant son siège social

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Laurence TAZE BERNARD de la SCP IFL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0042

assistée de Me Isabelle COGNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : R197 pour Me Marie-Françoise CORNILLE, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 04 Février 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Dominique DOS REIS, Président, chargée du rapport

Madame Denise JAFFUEL, Conseiller

Madame Claudine ROYER, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Emilie POMPON

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Dominique DOS REIS, Président et par Madame Emilie POMPON, Greffier présent lors du prononcé.

***

L'ensemble immobilier sis [Adresse 1], initialement propriété de la SCI du [Adresse 1], est constitué de deux bâtiments, A et B, séparés par une cour intérieure partie commune. La SCI Paris Saint-Séverin, alors locataire des locaux du rez-de-chaussée (lots n° 17 et 53 devenus 105 et 119) à usage de restaurant ([1]), disposés dans le bâtiment A et dans le bâtiment B, a relié ces locaux par un passage couvert installé dans la cour.

Cet immeuble a été mis en copropriété selon règlement de copropriété du 21 mai 1959 et une assemblée générale des copropriétaires du 15 septembre 1978 a autorisé la société Paris Saint Séverin à maintenir ce passage à travers la cour intérieure pour une durée de trois années, expirant le 15 septembre 1981, moyennant une indemnité d'occupation annuelle de 10.000 F révisable.

En 1979 et 1980, les associés de la SCI du [Adresse 1] ont cédé leurs parts sociales à la SCI Viviane. Lors d'une assemblée générale des copropriétaires du 5 juin 1980, le syndicat des copropriétaires a ratifié la convention passée entre la SCI Paris Saint-Séverin, locataire, et la SCI Viviane, ayant pour objet le transfert au profit de la seconde du droit de jouissance exclusif sur les parties communes détenu par la SCI Paris Saint-Séverin, voté la suppression de la redevance annuelle de 10.000 F et a admis la possibilité d'utiliser le passage couvert à usage de restaurant, mais a refusé de prévoir une prolongation de la durée de la convention exclusive jusqu'au 1er juillet 1989.

Ensuite de diverses cessions intervenues le 24 octobre 1979, 31 janvier 1980, 29 avril 1980, la SCI Viviane s'est trouvée propriétaire des locaux commerciaux du rez-de-chaussée . Le 3 février 2006, deux associés de la SCI Viviane ont cédé, à la SCI Saint-Séverin 14, 113 parts de la SCI Viviane.

La SCI Viviane ayant maintenu, postérieurement au 15 septembre 1981, son occupation de la cour par l'intermédiaire de ses locataires commerciaux successifs, d'abord la société Paris Saint-Séverin, puis la société Kero, l'assemblée générale des copropriétaires, déplorant des troubles anormaux de voisinage causés dans les parties communes par l'exploitation du restaurant, a voté, lors de l'assemblée générale des copropriétaires du 5 février 2009, la résolution suivante :

«L'assemblée générale, à l'unanimité des présents et représentés, vu l'article 55 du décret du 17 mars 1967, autorise le syndic de l'immeuble sis [Adresse 1] à agir en justice contre la SCI Saint-Séverin 14 et éventuellement son locataire, la société Kero ([1]) en vue de demander leur condamnation à supprimer le passage couvert que la SCI Saint-Séverin 14 a maintenu dans la cour de l'immeuble et à restituer ainsi les parties communes qu'elle s'est illicitement accaparées, ainsi qu'à indemniser le syndicat des copropriétaires des différents préjudices subis en raison des différentes nuisances (notamment sonores et olfactives) causées par la SCI Saint-Séverin 14 et la société Kero».

C'est dans ces conditions que le syndicat des copropriétaires a, par acte extra-judiciaire du 10 février 2010, assigné la SCI Saint-Séverin 14 et la SCI Viviane afin de les voir condamner à déposer la construction édifiée dans cette cour et à lui payer une somme de 49.500 € en réparation de « troubles de jouissance ».

Par jugement du 22 février 2012, le tribunal de grande instance de Paris, indiquant que la SCI Saint-Séverin 14 « venait aux droits de la SCI Viviane », a :

- dit l'action du syndicat des copropriétaires recevable,

- condamné la SCI Saint-Séverin 14 et la société Kero à restituer les parties communes,

- condamné la SCI Saint-Séverin 14 à faire déposer la construction édifiée ensuite de l'assemblée générale des copropriétaires du 15 septembre 1978 et maintenue au-delà du 15 septembre 1981, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du jugement, sous le contrôle de l'architecte de la copropriété et sous astreinte de 200 € par jour de retard passé ce délai,

- débouté le syndicat des copropriétaires de ses autres prétentions,

- rejeté toute autre demande,

- condamné la SCI Saint-Séverin 14 aux dépens.

La société Kero a relevé, selon déclaration d'appel du 16 mars 2012, appel de ce jugement dont elle poursuit l'infirmation, demandant à la Cour, par dernières conclusions signifiées le 15 janvier 2015, de :

' au visa des articles 122 et 123 du code de procédure civile, 42 de la loi du 10 juillet 1965, 55 du décret du 17 mars 1967, 1134, 1147, 1166, 1351, 1719 et 1726 du code civil,

- dire l'action engagée par le syndicat des copropriétaires irrecevable, subsidiairement mal fondée à son égard dans l'hypothèse où il serait fait droit aux moyens d'irrecevabilité soulevés par la SCI Viviane,

- dire cette action prescrite,

- dire que la SCI Saint-Séverin 14 ou à tout le moins la SCI Viviane disposent d'un droit de jouissance exclusif sur le passage litigieux,

- subsidiairement, dire que le syndicat des copropriétaires a conféré à la SCI Saint-Séverin 14, à tout le moins à la SCI Viviane, un bail verbal concernant ledit passage,

- à titre infiniment subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que la remise en état par dépose de la construction édifiée dans la cour ne pouvait être dirigée que contre son bailleur,

- confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que le syndicat des copropriétaires ne justifiait pas de l'existence de troubles anormaux de voisinage,

- dire que la demande du syndicat visant à obtenir la somme de 64.500 € à titre d'indemnité d'occupation est irrecevable comme nouvelle en cause d'appel,

- condamner in solidum la SCI Saint-Séverin 14 et la SCI Viviane à la relever et garantir de toutes condamnations qui viendraient à être prononcées contre elle,

- infirmer le jugement en ce qu'il a considéré que le passage litigieux ne faisait pas partie de l'assiette du bail et dire que la SCI Saint-Séverin 14 et la SCI Viviane ont manqué à leur obligation de délivrance à son égard,

- les dire tenues à la garantie d'éviction en application de l'article 125 du code civil,

- dire qu'à supposer que le passage litigieux soit exclu de l'assiette du bail, la SCI Saint-Séverin 14 et la SCI Viviane ont manqué à leur obligation de délivrance, l'exploitation des locaux à usage de restaurant étant alors impossible de l'aveu de la SCI Saint-Séverin 14,

en conséquence, ordonner une mesure d'expertise avec mission de rechercher le préjudice subi par elle, notamment à raison de la privation d'une superficie de 21,1 m² et des capacités d'exploitation correspondantes, les dommages-intérêts devant être appréciés comme en matière d'indemnité d'éviction à raison d'une perte partielle de clientèle, mais également du fait de l'impossibilité d'exploiter une activité de restaurant par suite de la suppression du passage couvert,

- condamner in solidum la SCI Saint-Séverin 14 et la SCI Viviane à la relever et garantir de toutes condamnations qui viendraient à être prononcées contre elle,

- en tout état de cause, débouter la SCI Saint-Séverin 14, la SCI Viviane et le syndicat des copropriétaires de l'ensemble de leurs demandes,

- les condamner in solidum au paiement de la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des entiers dépens.

Le syndicat des copropriétaires du [Adresse 1] prie la Cour, par dernières conclusions signifiées le 2 février 2015, de :

' au visa des articles 122 et suivants, 480 du code de procédure civile, 544 et 2272 du code civil, 9 de la loi du 10 juillet 1965,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SCI Saint-Séverin 14 et la SCI Viviane à lui restituer les parties communes de l'immeuble occupées illicitement,

- condamner de même la SCI Viviane à lui restituer lesdites parties communes,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SCI Saint-Séverin 14 à lui payer la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des entiers dépens,

- infirmer le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau, prononcer une astreinte de 500 € par jour de retard à l'encontre des sociétés Saint-Séverin, Viviane et Kero, pour garantir la restitution des parties communes,

- condamner solidairement la SCI Saint-Séverin 14, la SCI Viviane et la société Kero à déposer la construction qui a été mise en 'uvre ensuite de l'assemblée générale des copropriétaires du 15 septembre 1978 et maintenue au-delà du 15 septembre 1981 sans autorisation, et ce, sous astreinte de 500 € par jour de retard,

- condamner solidairement la SCI Saint-Séverin 14, la SCI Viviane et la société Kero à lui payer la somme de 66.000 € en réparation des troubles anormaux de voisinage subis par la copropriété depuis le 15 septembre 1981, date d'expiration du droit de jouissance concédé par la copropriété,

- condamner la SCI Saint-Séverin 14 et la SCI Viviane à lui payer la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 123 du code de procédure civile et celle de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des entiers dépens d'appel.

La SCI Saint-Séverin 14 prie la Cour, par dernières conclusions signifiées le 1er octobre 2013, de :

' au visa de l'article 42 de la loi du 10 juillet 1965,

- dire la société Kero et le syndicat des copropriétaires mal fondés en leurs appels principal et incident,

- la recevant en son appel incident, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit recevable l'action du syndicat et dire cette action irrecevable contre elle alors qu'elle n'est pas propriétaire des locaux en cause,

- dire cette même action irrecevable comme prescrite,

- subsidiairement, pour le cas où l'action du syndicat serait jugée recevable, confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que le syndicat ne justifiait pas de l'existence de troubles anormaux de voisinage et en ce qu'il a rejeté sa demande de condamnation à dommages-intérêts dirigée contre la société Kero et elle-même,

- condamner la société Kero, pour le cas où, néanmoins, il serait fait droit à la demande de dommages-intérêts du syndicat, à la relever et garantir de toutes condamnations qui viendraient à être prononcées contre elle,

- confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que le passage couvert ne faisait pas partie des lieux loués à la société Kero tels qu'ils résultent du bail du 24 mars 1997 et a rejeté la demande d'indemnisation de la société Kero dirigée contre elle,

- débouter le syndicat de sa demande d'astreinte formée contre elle,

- condamner le syndicat des copropriétaires au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des entiers dépens.

La SCI Viviane, assignée en intervention forcée en cause d'appel par le syndicat des copropriétaires selon acte extra-judiciaire du 19 août 2014, prie la Cour, par dernières conclusions signifiées le 20 janvier 2015, de :

' vu les articles 42 de la loi du 10 juillet 1965 et 555 du code de procédure civile,

- dire le syndicat des copropriétaires irrecevable en son intervention forcée,

- subsidiairement, dire l'action engagée contre elle irrecevable comme prescrite, soit qu'il s'agisse d'une action personnelle soit qu'il s'agisse d'une action réelle,

- subsidiairement au fond, dire irrecevable la demande en paiement du syndicat comme nouvelle en cause d'appel et ne tendant pas aux mêmes fins que la demande originaire,

- subsidiairement, dire le syndicat mal fondé en cette prétention, faute de justifier de son préjudice,

- à titre infiniment subsidiaire, pour le cas où l'action du syndicat serait déclarée recevable et fondée contre elle, débouter la société Kero de ses prétentions,

- pour le cas où il serait fait droit à la demande en paiement du syndicat des copropriétaires, condamner la société Kero à la relever et garantir de toutes condamnations qui viendraient à être prononcées contre elle,

- en tout état de cause, condamner le syndicat des copropriétaires à lui payer une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des entiers dépens.

CECI ETANT EXPOSE, LA COUR

Sur la fin de non recevoir soulevée par la société Kero et la recevabilité de l'intervention forcée en cause d'appel de la SCI Viviane

Devant le premier juge, la SCI Saint-Séverin 14 a déclaré venir aux droits de la SCI Viviane ensuite de la cession des parts de cette dernière, ce qui a été acté par le tribunal ;

Dès ses premières conclusions d'appel, la société Kero a opposé à l'action engagée par le syndicat des copropriétaires en restitution de parties communes une fin de non-recevoir tirée de l'absence à l'instance de la véritable propriétaire et bailleresse du passage couvert, la SCI Viviane ; elle expose que, ensuite de différentes cessions, la SCI Viviane est devenue, à compter de 1980, propriétaire des murs loués à la société Paris Saint-Séverin, que, suivant contrat du 1er juillet 1994, la société Paris Saint-Séverin lui a donné son fonds de commerce en location-gérance dans son état actuel, puis le lui a cédé suivant acte authentique du 24 mars 1997 ; que, par acte sous seings privés du même jour, la SCI Viviane lui a donné à bail les locaux du rez-de-chaussée à usage commercial pour une durée de neuf années renouvelable, qu'en 2006, la SCI Saint-Séverin 14 a pris le contrôle de la SCI Viviane ensuite d'une cession de parts sociales, mais que, juridiquement, la SCI Viviane est restée seule propriétaire des lieux comme en attestent le service des impôts fonciers et le fichier immobilier, en sorte que le syndicat des copropriétaires ne peut agir contre la SCI Saint-Séverin 14, dépourvue de tout droit de propriété sur les lots considérés ;

La SCI Saint-Séverin 14 indique que, « si une erreur a été initialement commise sur sa qualité de propriétaire des locaux du rez-de-chaussée », il n'en reste pas moins que le syndicat des copropriétaires ne pouvait ignorer que seule la SCI Viviane était propriétaire des lots dont s'agit, convoquant celle-ci aux assemblées générales de copropriétaires et, notamment, à celle du 5 février 2009, où elle est mentionnée comme possédant 218 millièmes de copropriété, et la rendant destinataire des appels de fonds ;

Connaissance prise de cette fin de non-recevoir, le syndicat des copropriétaires, après avoir habilité son syndic à cette fin, a appelé en intervention forcée la SCI Viviane, par acte extra-judiciaire du 19 août 2014 ; il fait valoir que la fin de non-recevoir soulevée est dilatoire et justifie l'allocation de dommages-intérêts, ensuite que l'évolution du litige est caractérisée par les écritures de la SCI Saint-Séverin 14 et la nécessité de rendre opposable à la SCI Viviane le présent arrêt ;

La SCI Viviane s'associe à l'argumentation de la SCI Saint-Séverin 14 et conclut à l'irrecevabilité de son appel en intervention forcée en cause d'appel, à défaut de toute évolution du litige ;

Il sera observé, liminairement, qu'aucune partie à l'instance ne soulève le défaut d'intérêt et de qualité de la SA Kero pour soulever une fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'action du syndicat contre une autre partie au litige ;

Il est constant qu'en dépit de la cession des parts de la SCI Viviane à la SCI Saint-Séverin 14, la première a gardé sa personnalité morale et est restée propriétaire des lots n° 17 et 53 ; qu'elle n'était pas partie en première instance ; or, suivant l'article 555 du code de procédure civile, les personnes qui n'étaient ni parties ni représentées en première instance peuvent être appelées devant la Cour, même aux fins de condamnation, quand l'évolution du litige implique leur mise en cause ;

Toutefois, l'évolution du litige suppose l'existence d'un élément nouveau révélé par le jugement ou survenu postérieurement à celui-ci, exigence non satisfaite au cas d'espèce, dès lors que, nonobstant la teneur des déclarations inexactes et trompeuses de la SCI Saint-Séverin 14 relatives à sa qualité de propriétaire «aux droits de la SCI Viviane », réitérées en première instance et lors d'une précédente procédure, il ressort des documents produits que, dès avant l'introduction de l'instance, le syndicat avait la possibilité d'attraire la SCI Viviane en la cause afin d'éclaircir ses liens avec la SCI Saint-Séverin 14, étant observé que le syndic avait continué, après la cession de parts sociales de 2006, à convoquer la SCI Viviane aux assemblées générales de copropriétaires et à lui adresser des appels de fonds afférents aux lots commerciaux du rez-de-chaussée, dans la mesure où aucune mutation de propriété ne lui avait été dénoncée officiellement ;

Au vu de ces éléments qui excluent toute évolution du litige en cause d'appel, il apparaît que l'intervention forcée en cause d'appel de la SCI Viviane par le syndicat des copropriétaires est irrecevable par application du texte précité et cette société sera mise hors de cause ;

Si les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, le juge a néanmoins, en application de l'article 123 du code de procédure civile, la possibilité de condamner à des dommages-intérêts une partie qui se serait abstenue, dans une intention dilatoire et avec intention de nuire, de soulever plus tôt une fin de non-recevoir ;

Or, le syndicat des copropriétaires a appelé en intervention forcée la SCI Viviane ensuite de la fin de non-recevoir tirée du défaut de mise en cause de la propriétaire de l'ouvrage dont la démolition était demandée, laquelle fin de non-recevoir a été soulevée en cause d'appel seulement par la SA Kero ; il peut légitimement être reproché à cette dernière d'avoir attendu la procédure d'appel pour soulever malicieusement cette fin de non-recevoir alors qu'elle savait pertinemment, bien avant l'introduction de l'instance, que la SCI Viviane, qui lui avait consenti un bail sur les locaux commerciaux le 24 mars 1997, avait la qualité de propriétaire des locaux dont s'agit, et non la SCI Saint-Séverin 14, cessionnaire des seules parts de la première ;

S'abstenant de soulever cette fin de non-recevoir devant le tribunal, la société Kero ne l'a faite valoir en cause d'appel qu'à seule fin de tenir en échec l'action du syndicat des copropriétaires engagée contre la propriétaire des lots à elle donnés à bail, ledit syndicat étant parallèlement trompé en première instance et, antérieurement, lors d'une précédente instance (jugement du 8 juillet 2008, arrêt de cette Cour du 13 juin 2012, arrêt de la Cour de cassation du 10 décembre 2013) poursuivie jusque devant la Cour de cassation, par l'affirmation péremptoire de la SCI Saint-Séverin 14 selon laquelle elle venait aux droits de la SCI Viviane ensuite d'une cession de parts ; de ce fait, la SA Kero sera condamnée à payer au syndicat des copropriétaires une indemnité de 5.000 € à titre de dommages-intérêts en raison du caractère tardif et dilatoire de sa fin de non-recevoir ;

Sur la recevabilité de l'action à l'égard de la SCI Saint-Séverin 14

La SCI Saint-Séverin 14 n'étant pas, comme il a été dit, propriétaire des lots dont s'agit, dans la mesure où la détention des parts de la SCI Viviane n'emporte pas cession du patrimoine de cette dernière, non plus que la prise de contrôle de cette société, l'action engagée contre elle par le syndicat des copropriétaires est irrecevable ; la SCI Saint-Séverin 14 sera donc mise hors de cause également ;

Sur la demande de restitution dirigée contre la société Kero

En droit, un syndicat des copropriétaires dispose d'une action directe à l'encontre d'un tiers dont les installations empiètent irrégulièrement sur une partie commune et il est fondé à exiger de ce tiers la restitution de cette partie commune occupée de façon illicite, quel que soit l'initiateur ou l'auteur premier de l'ouvrage matérialisant l'emprise illicite ;

En l'occurrence, la société Kero occupe, depuis le mois de juillet 1994, un passage couvert empiétant sur une cour partie commune de l'immeuble du [Adresse 1], sans justifier pour ce faire d'aucun droit ni titre opposable au syndicat des copropriétaires et elle ne peut objecter, à cet égard, l'absence aux débats de l'initiateur de cet empiétement ou constructeur initial de l'ouvrage illicite, alors qu'il lui appartenait, dans le cadre de sa défense, d'appeler en la cause ce propriétaire ; de ce fait, son argumentation sur l'inclusion à son bail du passage couvert installé dans la cour ou encore de l'existence d'un bail verbal ne sont pas opérantes, étant rappelé que, comme l'a constaté le premier juge, le bail consenti par la SCI Viviane à la société Kero n'évoque pas l'existence dudit passage dans l'énumération des locaux donnés à bail ;

La société Kero ne peut davantage opposer au syndicat des copropriétaires la prescription extinctive décennale alors que l'action destinée à faire cesser l'appropriation illicite d'une partie commune est une action réelle immobilière qui se prescrit par trente ans ; le point de départ de cette prescription se situant à la date du 1er juillet 1994, date à laquelle la SA Kero a occupé les lieux, et l'action en restitution ayant été engagée par acte extra-judiciaire du 10 février 2010, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription extinctive trentenaire ;

Aucun élément ne permet de retenir, comme le prétend la société Kero, que les copropriétaires auraient accordé à la SCI Viviane, sa bailleresse (qui n'est pas dans la cause), un droit de jouissance exclusif sur le passage litigieux, une tolérance n'étant pas constitutive de droit pour celui qui en est l'objet ; quant au souhait de la copropriété, exprimé en 2001, de vérifier l'exécution des travaux définis en 1978, il n'exprime pas davantage un tel accord ou volonté ; enfin, la cession, un temps envisagée en 2000, de l'emprise dudit passage à la SCI Viviane n'a pas été suivie d'effet ; au demeurant, les circonstances ci-dessus révèlent seulement le souhait de la copropriété de mettre fin, éventuellement par une cession de l'emprise du passage couvert et dans un esprit transactionnel d'apaisement, aux diverses nuisances découlant de l'activité de restauration exploitée dans les locaux du rez-de-chaussée ainsi qu'au litige relatif à l'occupation d'une partie de la cour par le restaurant ;

A toutes fins, il sera rappelé qu'un droit de jouissance exclusif sur une partie commune n'emporte aucun droit de construire sur la partie commune qui en est l'objet pour le copropriétaire qui en bénéficie ;

Le jugement étant réformé en ce qu'il a écarté la demande du syndicat des copropriétaires en ce sens, la société Kero, occupante de la construction édifiée dans la cour sans droit ni titre, sera condamnée à la déposer, sous le contrôle de l'architecte de la copropriété et sous astreinte de 200 € par jour de retard passé trois mois de la signification du présent arrêt ;

Sur la demande du syndicat au titre des troubles de jouissance

Dans ses dernières conclusions, qui seules saisissent la Cour, le syndicat des copropriétaires ne demande pas le paiement d'une « indemnité d'occupation » mais une indemnité pour « troubles de jouissance » et il fait valoir au corps de ses conclusions que cette demande est justifiée par l'occupation illicite d'une partie commune ; en première instance, comme en attestent ses conclusions récapitulatives et comme le relate le tribunal, le syndicat réclamait déjà une indemnité pour « troubles de jouissance » fondée sur l'emprise illicite exercée par la société Kero sur les parties communes ;

Cette prétention n'est donc pas nouvelle et est recevable ;

Elle est également recevable au regard de l'habilitation du syndic, dès lors que l'assemblée générale du 19 mars 2013 a voté une résolution n° 24 ainsi libellée :

«L'assemblée générale autorise le syndic à introduire une demande en justice contre les sociétés Kero et Saint-Séverin 14 en vue de demander la condamnation solidaire des sociétés Kero et Saint-Séverin 14 à réparer le préjudice subi du fait de l'occupation et de la captation des parties communes (cour de l'immeuble) et ce sans droit ni titre » ;

C'est à tort que le premier juge a estimé que cette demande de réparation ne pouvait prospérer faute de démonstration de l'existence d'un trouble anormal de voisinage, alors que le syndicat demande réparation du fait d'une occupation illicite et non d'un trouble anormal de voisinage ; que l'occupation de la cour sans droit ni titre par la société Kero depuis son entrée dans les lieux en 1994, soit depuis 16 ans à la date de délivrance de l'assignation et depuis 21 ans à la date du présent arrêt sera donc réparée par une indemnité de 1.000 € par année d'occupation, soit 21.000 € ;

Sur les appels en en garantie et actions récursoires exercées par la société Kero

La société Kero demande à être garantie des condamnations prononcées contre elle, indifféremment par la SCI Saint-Séverin 14 et par la SCI Viviane, alors qu'elle n'a aucun lien de droit avec la SCI Saint-Séverin 14 qui n'est ni sa bailleresse ni ne vient aux droits de la SCI Viviane, comme elle l'a fait d'ailleurs valoir exactement en soulevant une fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité de propriétaire de la SCI Saint-Séverin 14 ;

Pour ce motif, ses prétentions seront déclarées irrecevables à l'encontre de la SCI Saint-Séverin 14, lesdites prétentions étant également irrecevables dès lors que la SCI Saint-Séverin 14 a été mise hors de cause et n'a pas été assignée en appel incident provoqué par la société Kero ;

Ces mêmes prétentions et appels en garantie sont, de même, irrecevables à l'encontre la SCI Viviane, dont l'intervention forcée en cause d'appel a été jugée irrecevable et qui a été mise hors de cause, dans la mesure où la société Kero n'a formé aucun appel incident provoqué, par voie d'assignation comme il se doit entre co-intimés, à l'encontre de la SCI Viviane ;

En équité, la société Kero sera condamnée à payer au syndicat des copropriétaires la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel ;

Les dispositions de ce texte ne sont pas réunies au bénéfice des autres parties au litige ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

Dit irrecevable l'intervention forcée en cause d'appel de la SCI Viviane,

Dit l'action et les demandes du syndicat des copropriétaires irrecevables à l'encontre de la SCI Saint-Séverin 14 qui n'est pas propriétaire des locaux litigieux,

Condamne la société Kero à payer au syndicat des copropriétaires du [Adresse 1] une somme de 5.000 € de dommages-intérêts pour avoir soulevé tardivement et avec intention de nuire la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité de propriétaire de la SCI Saint-Séverin 14,

Met la SCI Saint-Séverin 14 et la SCI Viviane hors de cause,

Infirme le jugement dont appel,

Statuant à nouveau,

Dit l'action du syndicat des copropriétaires du [Adresse 1] recevable et fondée à l'encontre de la société Kero,

Condamne la société Kero à déposer la construction abritant un passage couvert, édifiée dans la cour de l'immeuble du [Adresse 1], sous le contrôle de l'architecte de la copropriété, et à libérer l'emprise du passage correspondant, ce dans les trois mois de la signification du présent arrêt, sous astreinte de 200 € par jour de retard passé ce délai,

Dit recevable la demande du syndicat des copropriétaires tendant au paiement d'une indemnité pour troubles de jouissance, dirigée contre la société Kero,

Condamne la société Kero à payer au syndicat des copropriétaires du [Adresse 1] une somme de 21.000 € de dommages-intérêts pour occupation illicite d'une partie commune,

Dit irrecevables les demandes et appels en garantie dirigés par la société Kero à l'encontre de :

- la SCI Saint-Séverin 14, qui n'est ni sa bailleresse ni la propriétaire des locaux donnés à bail, qui a été mise hors de cause et qui n'a pas été assignée en appel incident provoqué par la société Kero,

- la SCI Viviane qui a été mise hors de cause et qui n'a pas été assignée en appel incident provoqué par la société Kero,

Condamne la société Kero à payer au syndicat des copropriétaires du [Adresse 1] une somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel,

Condamne la société Kero aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 12/05008
Date de la décision : 01/04/2015

Références :

Cour d'appel de Paris G2, arrêt n°12/05008 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-04-01;12.05008 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award