Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 5
ARRÊT DU 18 MARS 2015
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/12752
Décision déférée à la Cour :Jugement du 10 Juin 2014 -Tribunal de Commerce de Paris - RG n° 2013037248
APPELANTES
SAS SODEC COMMERCIALISATION ET GESTION agissant en la personne de ses représentants légaux
N° SIREN : 479 810 707
[Adresse 2]
[Localité 2]
SAS SODEC agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés au dit siège
N° SIREN : 500 651 484
[Adresse 2]
[Localité 2]
et
SAS JSC INVESTISSEMENTS
agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés au dit siège
N° SIREN : RCS PARIS 419 342 332
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentées et Assistées par Me Xavier LAGARDE de la SELARL PEISSE DUPICHOT LAGARDE BOTHOREL et Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : J149
INTIMÉE
SA AEROPORTS DE [Localité 3] - ADP agissant en la personne de ses représentants légaux
N° SIREN : RCS PARIS 552 016 628
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125
Assistée de Me Silvana MORANDI, avocat au barreau de PARIS (WEIL, GOTSHAL & MANGES LLP)et par Me Laurent AYACHE, avocat au barreau de PARIS (Mc DERMOTT WILL & EMERY), toque : Paris P0062
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 16 Décembre 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Agnès CHAUMAZ, Présidente de chambre
Monsieur Claude TERREAUX, Conseiller
Madame Maryse LESAULT, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame Jacqueline BERLAND
ARRÊT :
- contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Agnès CHAUMAZ, président et par Madame PUECH Coline, greffier présent lors du prononcé.
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FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES
Au début des années 2000, Aéroports de [Localité 3] a émis le souhait de faire construire un édifice commercial sur une partie du terrain dont elle était propriétaire en bordure de l'aéroport [1].
Par contrat du 23 juillet 2003, Aéroports de [Localité 3] a confié aux sociétés JSC INVESTISSEMENT et SOGEPROM, filiale de la Société Générale, le soin de conduire le projet en ce qui concerne le lancement et la suite des opérations.
L'occupation du terrain devait se faire sous la forme d'une autorisation occupation temporaire (AOT), mode d'occupation habituel des terrains relevant du domaine public de l'Etat, des collectivités et établissements publics et autres personnes publiques.
Le projet a pris du retard, Aéroports de [Localité 3] tardant à faire délivrer l'AOT.
Par courrier du 25 mars 2005, le directeur de l'Immobilier de Aéroports de [Localité 3] a décidé de proroger le délai.
Il est constant que des sociétés concurrentes de JSC INVESTISSEMENT et SOGEPROM se sont intéressées au projet.
Le 20 avril 2004, JSC INVESTISSEMENT et SOGEPROM ont signé un avenant prévoyant une nouvelle consultation pour ce projet. Elles soulignent dans leurs écritures que pour des raisons de délais elles n'étaient pas à même de présenter un projet de façon sérieuse et font valoir que ce n'était pas le cas de leurs rivales, qui étaient au courant du projet.
L'offre d'UNIBAIL a été retenue et elles furent évincées.
Finalement ce fut un projet encore différent qui fut adopté et un centre commercial, nommé AEROVILLE, a été ouvert en octobre 2013.
Il convient de rappeler ici que par application de la loi n° 2005-357 du 20 avril 2005 entrée en vigueur le 22 juillet 2005, Aéroports de [Localité 3], devenue à cette occasion société Aéroports de [Localité 3] a été transformée en une personne privée et ses propriétés immobilières furent désaffectées et relèvent désormais de son domaine privé.
Par jugement entrepris du 10 juin 2014, le tribunal de commerce de Paris a ainsi statué:
"- Se déclare incompétent pour connaître du présent litige au profit du Tribunal administratif de PARIS;
- Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;
- Condamne les sociétés JSC INVESTISSEMENT, SODEC et SODEC COMMERCIALISATION ET GESTION à payer chacune à la société AEROPORTS DE [Localité 3] la somme de 5000 €, déboutant pour le surplus, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne les sociétés JSC INVESTISSEMENT, SODEC et SODEC COMMERCIALISATION ET GESTION aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 72,52 € dont 11,70 de TVA."
Par conclusions du 3 novembre 2014, la société JSC INVESTISSEMENT, la société SODEC et la société SODEC COMMERCIALISATION et GESTION, appelantes, demandent à la Cour de :
-JUGER que la cour de PARIS a été valablement saisie par la voie de l'appel du jugement rendu le 10 juin 2014 par le tribunal de commerce de PARIS;
Vu l'article 96 du code de procédure civile,
-JUGER que le jugement rendu par le tribunal de commerce de PARIS le 10 juin 2014 est entaché de nullité;
EN TOUT ETAT DE CAUSE, et pour les motifs ci-avant exposés,
-REFORMER ledit jugement en toutes ses dispositions ;
Vu le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui,
Vu le principe de la séparation des pouvoirs
Vu l'article L. 721-3 du code de commerce
-JUGER que la Société AEROPORTS DE [Localité 3] est irrecevable à soulever l'incompétence du tribunal de commerce de PARIS au profit de la juridiction administrative
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
-JUGER que l'exception d'incompétence soulevée par la société AEROPORTS DE [Localité 3] est infondée et que les juridictions de l'ordre judiciaire sont seules compétentes pour connaître des demandes articulées par les sociétés JSC INVESTISSEMENT, SODEC et SODEC COMMERCIALISATION ET GESTION
Vu l'article 568 du code de procédure civile,
- PRONONCER l'évocation du fond de l'affaire ;
Vu l'article L. 110-4 du code de commerce
Vu l'article 2224 du code civil
Vu l'article 1 er de la loi du 31 décembre 1968
-JUGER que l'action des sociétés JSC INVESTISSEMENT, SODEC et SODEC COMMERCIALISATION ET GESTION n'est pas couverte par la prescription;
Vu les articles 1134, 1137 et 1147, 1149, 1178 et 1184 du Code Civil,
-JUGER qu'ADP n'a pas respecté les engagements pris aux termes du protocole d'accord du 23 juillet 2003 ;
-JUGER qu'ADP n'a pas respecté les termes de l'avenant du 20 avril 2004 ;
-PRONONCER la résolution dudit avenant ;
-CONDAMNER la société ADP, au titre de sa responsabilité contractuelle à indemniser les sociétés JSC INVESTISSEMENT, SODEC, SODEC COMMERCIALISATION ET GESTION à concurrence de l'intégralité de leurs préjudices consécutifs à l'inexécution du protocole d'accord du 23 juillet 2003,
-CONDAMNER en conséquence la société ADP à verser à la société JSC INVESTISSEMENT la somme de 237.755.000 € au titre de la perte de sa marge promoteur;
-CONDAMNER en conséquence la société ADP à verser à la société SODEC la somme de 50.790.000 € à titre d'honoraires de la maîtrise d'ouvrage déléguée;
-CONDAMNER en conséquence la société ADP à verser à la société SODEC COMMERCIALISATION ET GESTION des honoraires d'un montant total de 23.516.000€;
- CONDAMNER en conséquence la société ADP à verser à la société JSC INVESTISSEMENT la somme de 100.000.000 € au titre de son préjudice de développement;
-DONNER ACTE aux sociétés concluantes de ce qu'elle se réserve de parfaire l'évaluation de l'ensemble de ses demandes indemnitaires ;
-JUGER que l'ensemble des condamnations indemnitaires porteront intérêt au taux légal à compter de l'assignation du 13 juin 2013, outre capitalisation.
SUBSIDIAIREMENT, sur le montant des demandes indemnitaires
-ORDONNER une expertise judiciaire aux fins de chiffrer le montant de l'ensemble des chefs de préjudices dont les sociétés JSC INVESTISSEMENT, SODEC, SODEC COMMERCIALISATION ET GESTION réclament l'indemnisation du fait de l'inexécution du protocole du 23 juillet 2003 ;
-ALLOUER une somme de 50.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 30 octobre 2014, la société ADP, intimée, demande à la Cour de:
Vu l'article 84 du Code du domaine de l'Etat, devenu l'article L. 2331-1 du Code général de la propriété des personnes publiques,
Vu les articles 73,74 et 96 du code de procédure civile,
- CONFIRMER le jugement du tribunal de commerce de Paris du 10 juin 2014 en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître de l'action engagée par la société JSC Investissement, la société Sodec et la société Sodec Commercialisation et Gestion à l'encontre de la société Aéroports de [Localité 3] (ADP), selon assignation du 13 juin 2013 et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir;
- CONDAMNER les sociétés JSC INVESTISSEMENTS, SODEC et SODEC COMMERCIALISATION ET GESTION à payer chacune à la société Aéroports de [Localité 3] la somme de 20.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNER les sociétés JSC INVESTISSEMENTS, SODEC et SODEC COMMERCIALISATION ET GESTION aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ceux le concernant au profit de Maître TEYTAUD, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Les parties ont fait parvenir postérieurement aux plaidoiries des notes en délibéré qui seront écartées.
SUR CE ;
Considérant que, sur la nullité du jugement entrepris au motif qu'il s'est dans son dispositif déclaré incompétent au profit du tribunal administratif de paris, il convient de dire que le moyen est inopérant ; que cette indication a été précisée pour répondre à l'exception soulevée; que le tribunal de commerce n'a pas renvoyé les parties à se pourvoir devant une juridiction déterminée, mais les a renvoyées à mieux se pourvoir ; qu'aucune nullité n'est encourue de ce chef;
Considérant que, sur la recevabilité de la société ADP à se prévaloir du caractère public du contrat, les sociétés appelantes font valoir que l'intimée s'est prévalu, pour échapper aux demandes de la CADA, de sa qualité de personne privée et qu'elle en a fait également ainsi lors d'instances judiciaires;
Mais considérant que si nul ne peut se contredire au détriment d'autrui, cette règle ne trouve à s'appliquer qu'envers une même personne au cours d'une même instance ; que tel n'est pas le cas en l'espèce et que la société ADP a toujours et uniquement, tant devant les premiers juges que devant la Cour, argué de ce qu'elle était une personne publique lors de la signature du contrat; que le moyen est irrecevable;
Considérant que les explications soulevées eu égard à la compétence des juridictions judiciaires et tendant à dire que la société ADP n'a pas respecté ses engagements ne sont pas de nature à permettre de considérer que l'affaire relève de la juridiction judiciaire;
Considérant que l'examen des pièces fournies par les parties révèle que c'est par la convention du 28 juillet 2003 que le projet de construction du centre commercial régional a été confié aux sociétés SOGEPROM et JSC INVESTISSEMENT ; que ce projet constituait un accord qui prévoyait notamment dès son préambule puis dans son article 2 que 'les biens visés par le présent protocole sont soumis au régime de l'occupation temporaire du domaine public'; que les modalités et le régime de la publicité foncière de l'AOT sont prévues dans ce même texte; que sont également fixés le montant des redevances, la nature des biens mis à disposition, l'emprise et la prise en charge des travaux ; qu'il n'est pas discuté que la réalisation des travaux nécessitait une prise de possession matérielle par le bénéficiaire;
Considérant qu'il convient de rappeler qu'à cette époque ADP était une personne de droit public;
Considérant qu'enfin ladite convention prévoyait que les juridictions de l'ordre administratif étaient compétentes pour connaître des litiges y afférents;
Considérant que ce n'est que bien ultérieurement à la passation de ce contrat que ADP deviendra la société ADP et que son terrain relèvera de son domaine privé ; que la loi du 20 avril 2005 dispose, dans son article 4, que :
' Sous réserve des dispositions de l'article 2, l'ensemble des biens, droits, obligations, contrats, conventions et autorisations de toute nature de l'établissement public Aéroports de [Localité 3], en France et hors de France, sont attribués de plein droit et sans formalité à la société Aéroports de [Localité 3].
Cette attribution n'a aucune incidence sur ces biens, droits, obligations, contrats, conventions et autorisations et n'entraîne, en particulier, pas de modification des contrats et des conventions en cours conclus par Aéroports de [Localité 3] ou les sociétés qui lui sont liées au sens des articles L. 233-1 à L. 233-4 du code de commerce, ni leur résiliation, ni, le cas échéant, le remboursement anticipé des dettes qui en sont l'objet. Les conventions d'occupation temporaire du domaine public restent soumises jusqu'à leur terme au régime applicable précédemment au déclassement des biens concernés. La transformation en société anonyme n'affecte pas les actes administratifs pris par l'établissement public à l'égard des tiers. »
Considérant que la convention du 28 juillet 2003 valait promesse d'AOT et à ce titre obéissait au régime même de l'AOT ; que cette promesse est un contrat de droit public et est donc soumise au même régime et relève de la compétence des juridictions de l'ordre administratif;
Considérant que l'appréciation de la responsabilité contractuelle résultant de l'inexécution de ce contrat public relève pareillement des juridictions de l'ordre administratif;
Considérant que le fait que par la suite ADP soit devenu une personne privée, et le terrain concerné devenu propriété privée, n'est pas de nature à influer sur la nature publique ou privée de la responsabilité encourue, le régime de celle-ci ne pouvant dépendre du gré des parties ou des variations législatives, mais de la date de la convention dont elle dépend et des textes applicables à ce moment;
Considérant qu'enfin, et pour les mêmes motifs, il ne saurait être sérieusement soutenu que c'est le régime des transactions, avenants et protocoles ultérieurs qui commande la compétence des juridictions dès lors qu'il est constant que c'est bien le contrat 28 juillet 2003 qu'il est reproché à la société ADP de n'avoir pas respecté;
Considérant qu'enfin les conventions ultérieures n'ont fait que reprendre et aménager la convention initiale; qu'il n'y a jamais eu novation;
Considérant qu'enfin les explications des appelantes sur le caractère commercial de l'activité exercée sur les lieux sont inopérantes, le seul critère à prendre en compte étant, ainsi qu'il l'a été rappelé ci-dessus, celui du caractère public ou non du domaine et la qualité des contractants, et ce à la date du contrat ainsi qu'il l'a été appelé plus haut;
Considérant qu'il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement entrepris;
Considérant que ni l'équité ni la situation économique respective des parties ne justifient qu'il soit prononcé de condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
La cour,
-CONFIRME le jugement entrepris;
-CONDAMNE les sociétés JSC INVESTISSEMENTS, SODEC et Sodec COMMERCIALISATION ET GESTION aux dépens d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE