RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRÊT DU 05 Mars 2015
(n° 107 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/07383
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 Mai 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section - Section encadrement -
RG n° 12/05873
APPELANT
Monsieur [K] [W]
[Adresse 1]
[Localité 1]
comparant en personne, assisté de Me Salira HARIR, avocat au barreau de PARIS,
toque : K0168
INTIMEE
GIE TAHITI TOURISME
[Adresse 3]
[Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Me Pierre DUPICHOT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1274
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 22 janvier 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Martine ROY-ZENATI, Présidente
Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère
Madame Murielle VOLTE, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : M. Franck TASSET, lors des débats
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- signé par Madame Martine ROY-ZENATI, Présidente et par M. Franck TASSET, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [K] [W] a été engagé le 30 mai 2008 en qualité de directeur du bureau de [Localité 3] par le GIE Tahiti Tourisme, organisme juridique réunissant le Syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française et la Chambre de commerce et d'industrie des services et des métiers de Polynésie française, constitué aux fins de promouvoir la destination touristique de la Polynésie française et ses produits, et employant une cinquantaine de salariés à son siège à [Localité 2] et une dizaine dans ses quatre bureaux externalisés au Japon, et en Nouvelle-Zélande, Australie et France, dont sept dans son bureau de [Localité 3]. Sur décision de l'autorité politique de la Polynésie française, qui subventionnait à 100% le GIE, il a été procédé à la fermeture des bureaux externalisés au printemps 2012. C'est dans ces conditions que M. [W] a été licencié pour motif économique le 2 avril 2012. Il a accepté un contrat de sécurisation professionnelle le 4 avril 2012. Son dernier salaire s'élevait à 7725 €.
M. [W] a saisi la juridiction prud'homale le 25 mai 2012 d'une demande de paiement de diverses indemnités au titre de la rupture de son contrat de travail.
Par jugement du 28 mai 2013 notifié le 10 juillet suivant, le Conseil de prud'hommes de Paris l'a débouté de l'ensemble de ses demandes.
M. [W] a interjeté appel le 24 juillet 2013 de cette décision.
A l'audience du 22 janvier 2015, il demande à la Cour de condamner le GIE Tahiti Tourisme à lui payer les sommes de :
- 90000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et subsidiairement pour non-respect des critères d'ordre des licenciements
- 15450 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 1545 € au titre des congés payés sur préavis
- 7725 € d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement
- et 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
en ordonnant la remise d'un bulletin de paie, d'une attestation pour Pôle Emploi et d'un certificat de travail conformes sous astreinte de 50 € par document et par jour de retard.
Il expose en premier lieu que la procédure de licenciement n'a pas été respectée car c'est l'avocat du GIE, tiers à l'entreprise, qui lui a remis la convocation à l'entretien préalable, ce qui lui a causé nécessairement un préjudice. Il soutient ensuite que son licenciement se trouve privé de toute cause réelle et sérieuse du fait que le GIE le lui a annoncé avant même sa notification. Il fait valoir également qu'ayant accepté le contrat de sécurisation professionnelle le 4 avril 2012, ce n'est que le 7 avril qu'il a eu connaissance des motifs de son licenciement, ce qui prive également celui-ci de cause réelle et sérieuse. Il considère en outre que la lettre de licenciement n'est pas motivée, qui ne fait état ni de difficultés économiques, ni de mutation technologique ni de réorganisation de l'entreprise, ni de la suppression de son poste, et qu'en tout état de cause, aucun document n'est produit à son appui. Il invoque enfin le non-respect par l'employeur de son obligation de reclassement, aucun poste ne lui ayant été proposé. A titre subsidiaire, soutenant ne pas être seul dans sa catégorie professionnelle, il estime que l'employeur ne rapporte pas la preuve du respect des critères d'ordre. Il fait état enfin de ce que n'ayant pas retrouvé d'emploi, il va se retrouver sans ressources.
Le GIE Tahiti Tourisme demande pour sa part la confirmation du jugement attaqué et la condamnation de M. [W] au paiement de la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il répond que la remise en main propre au salarié de la convocation à l'entretien préalable, fût-ce par un tiers, ne constitue pas une irrégularité de la procédure ; que la rupture du contrat de travail n'est aucunement survenue avant la notification du licenciement, M. [W] ne reprochant en réalité à l'employeur que de l'avoir informé de la fermeture collective du bureau qu'il dirigeait avant qu'elle n'intervienne, ce à quoi correspond d'ailleurs l'information légale du comité d'entreprise à laquelle il a été également procédé; que de manière incohérente avec l'argument précédent, l'appelant prétend également ne pas avoir été informé des motifs de son licenciement avant son acceptation du contrat de sécurisation professionnelle, alors que les motifs économiques figurent dans tous les courriers échangés, et que M. [W], en sa qualité de directeur, a lui-même participé aux opérations de fermeture ; que le motif du licenciement est précisément énoncé dans la lettre de licenciement elle-même. Il considère par ailleurs que le motif économique est parfaitement établi, la fermeture du bureau de [Localité 3] résultant de la délibération de l'autorité politique de l'Assemblée de Polynésie française du 18 août 2011, et qu'il a respecté son obligation de reclassement, M. [W] n'ayant donné aucune suite aux offres de reclassement au siège central de [Localité 2]. Il conteste enfin le préjudice allégué au vu de la situation actuelle de l'intéressé.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS
Attendu en premier lieu que M. [W] a été convoqué à un entretien préalable à son licenciement pour motif économique par lettre du 8 mars 2012 reçue en main propre ; que le fait que cette convocation, signée du directeur général du GIE, lui ait été remise par un tiers à l'entreprise, qui peut être un postier, un huissier ou un avocat comme en l'espèce, ne constitue pas une irrégularité de la procédure, le mode de convocation à l'entretien préalable visé par l'article L.1232-2 du code du travail, par l'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par la remise en main propre contre décharge, n'étant qu'un moyen légal pour prévenir toute contestation sur la date de la convocation ; que la demande d'indemnité à ce titre n'est donc pas fondée ;
Attendu en second lieu que M. [W] considère que la décision de licenciement avait été prise avant sa notification, si bien que le contrat de travail a été rompu avant qu'il ait eu connaissance des motifs de cette rupture ; que cependant, le fait pour l'employeur d'annoncer que des licenciements pour motif économique sont envisagés ne constitue pas la notification de cette décision avant l'envoi de la lettre de licenciement, si bien que les courriers incriminés informant M. [W] de la fermeture du site de [Localité 3] ne privent pas le licenciement de cause réelle et sérieuse ;
Attendu ensuite que M. [W] soutient qu'il a accepté le contrat de sécurisation professionnelle avant d'avoir eu connaissance des motifs du licenciement ; que cependant, il résulte des pièces produites que M. [W] a accepté le contrat de sécurisation professionnelle le 4 avril 2012, et que la lettre de licenciement lui a été notifiée le 2 avril 2012 ; que de surcroît, par courriel du 27 décembre 2011, puis par lettre du 5 janvier 2012, M. [W] a été informé de ce que l'Assemblée de la Polynésie française avait voté une délibération portant approbation du plan de redressement des comptes du pays et que dans ce cadre, la promotion internationale serait déléguée au secteur privé et le bureau de [Localité 3] fermé à la fin du mois de mars 2012 ; qu'il avait donc parfaitement connaissance de la réorganisation invoquée par l'employeur avant même d'avoir accepté le contrat de sécurisation professionnelle ; que ce moyen n'est donc pas davantage fondé ;
Attendu que l'appelant invoque également le défaut de motivation de la lettre de licenciement ; que les termes de la lettre de licenciement fixant les limites du litige, il convient donc de rappeler que M. [W] a été licencié pour motif économique par lettre du 2 avril 2012 aux motifs suivants : '(...) Le GIE Tahiti Tourisme est financé en quasi-totalité par une subvention annuelle du Pays Polynésie française qui doit aujourd'hui faire face à de grandes difficultés financières. Dans le cadre du plan de redressement des comptes du pays, l'Assemblée de Polynésie française a adopté la délibération n°2011-43 APF du 18 août 2011 prévoyant l'externalisation, par le GIE Tahiti Tourisme, d'une partie des missions de promotion à l'international, au profit de prestations de service extérieures incluant la notion de performance. La conséquence directe de cette décision est la fermeture des bureaux, dont celui de [Localité 3].
Afin de contraindre le GIE à réaliser cette externalisation dans les délais assignés, le Pays a lié le versement de la subvention de 2012, - d'ores et déjà réduite à hauteur de 500 000 000 de Fcp par rapport à celle versée en 2011 - à la réalisation de mesures telles que la fermeture précédemment citée. Une convention d'objectifs en cours de signature entre le Pays et le GIE Tahiti Tourisme fait état de ce lien et des obligations qui incombent désormais au groupement sous peine de ne pas percevoir la somme nous permettant de maintenir nos actions et une partie de nos emplois. Pour votre parfaite information, un plan social, dans le respect du droit du travail polynésien, est en cours au siège à [Localité 2] pour les mêmes raisons. Le conseil d'administration du GIE n'a hélas pu qu'acter la restructuration et la fermeture du bureau de [Localité 3] qui devrait intervenir au 30 avril au plus tard.
(...) Vous n'envisagez pas un reclassement au siège situé à [Localité 2], Tahiti, Polynésie française, et la contrainte d'externalisation pesant sur notre filiale et nos autres bureaux ne nous permet pas d'envisager un reclassement au sein de l'un d'entre eux. Nous vous avons proposé de nous transmettre votre curriculum vitae en vue d'un reclassement dans l'entreprise qui serait retenue dans le cadre de la consultation précitée. Après deux relances écrites, nous n'avons rien reçu de votre part ; vous avez par ailleurs lors des entretiens précités, confirmé ce refus d'intégrer une telle entreprise. En revanche vous avez accepté de nous faire parvenir dernièrement votre CV en vue de tentatives de reclassement autres. Hélas aucune possibilité de reclassement n'a pu être trouvée. (...)' ;
que cette lettre de licenciement, qui fait état précisément de la réorganisation de l'entreprise décidée à la suite de la décision politique de l'Assemblée polynésienne, entraînant la fermeture du bureau de [Localité 3] et donc, nécessairement, la suppression du poste de son directeur, est motivée conformément aux exigences des articles L.1233-16 et L.1233-2 et -3 du code du travail ; que le moyen n'est donc pas fondé ;
Attendu par ailleurs que la réalité du motif économique invoqué est amplement démontrée par la délibération n°2011-43 APF du 18 août 2011 portant approbation du plan de redressement des comptes de la Polynésie française, publiée au JO de la Polynésie française du 25 août 2011, et par la convention d'objectifs n°2936 / PR du 13 juin 2012 signée entre le Pays de la Polynésie française et le GIE Tahiti Tourisme qui fait état de la fermeture des bureaux du GIE, moyennant le versement de la subvention annuelle du Pays, dont le commissaire aux comptes vient attester qu'elle constitue l'unique ressource du GIE ; que la contestation de la réalité de ce motif de la part du directeur du bureau qui a été informé, sinon 'associé', de toutes les opérations de sa fermeture est donc purement formelle ;
Attendu enfin que selon l'article L.1233-4 du code du travail, le licenciement ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi d'une catégorie inférieure ; que l'employeur est donc tenu, avant tout licenciement économique, de rechercher toutes les possibilités de reclassement existant dans le groupe dont il relève, parmi les entreprises dont l'activité, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, étant rappelé que cette obligation n'est toutefois qu'une obligation de moyens ;
Attendu qu'il résulte des pièces produites au dossier que dès le premier courriel complet d'information du 26 décembre 2011, M. [W] a été avisé que les agents du bureau de [Localité 3] intéressés par un reclassement au siège devaient le faire savoir par courriel adressé au directeur général ; que celui-ci a reçu M. [W] les 23 janvier et 22 février 2012 au vu des échanges de courriels, sans que l'intéressé se déclare intéressé par un reclassement au siège à [Localité 2], comme l'a rappelé la lettre du 17 février 2012 de convocation à l'entretien préalable; que toutefois, les dispositions de l'article L.1233-4-1 du code du travail, selon lesquelles l'absence de réponse valant refus dispense l'employeur de devoir adresser des offres de reclassement hors du territoire national, ne trouvant pas matière à s'appliquer ici, il reste que d'une part le GIE Tahiti Tourisme n'a formulé aucune offre précise de reclassement à M. [W], d'autre part il ne justifie par aucune pièce, livre d'entrée et de sortie du personnel ou organigramme de l'entreprise, de ce qu'il ne lui était pas possible de lui faire une proposition, alors que ses courriers précités, et la lettre de licenciement elle-même, font ressortir l'inverse ; que l'employeur n'a donc pas respecté son obligation de reclassement légale ;
Attendu en conséquence que par application de l'article L.1235-3 du code du travail, le salarié est en droit de prétendre à une indemnité qui ne saurait être inférieure aux six derniers mois de salaire ; qu'il convient de tenir compte de son âge au moment de la rupture (55 ans), rendant la recherche d'un nouvel emploi plus difficile, et de son ancienneté et de son implication dans l'entreprise aggravant le préjudice moral résultant de l'absence de recherche de reclassement, mais également du fait que M. [W], s'il n'a pas retrouvé un emploi et justifie avoir perçu des allocations d'aide au retour à l'emploi jusqu'en avril 2014, ne donne aucune justification ni explication sur ses revenus réels provenant de son activité de 'destination manager' auprès de la société d'hôtellerie internationale Eyes2 market et de celle de tour operateur spécialisé qu'il a créée sous l'enseigne 'Destinations à Doc', telles qu'elles ressortent de son profil Linkedin ; qu'il ne peut dès lors, sans production de ses déclarations de revenus, déclarer qu'il va se retrouver prochainement sans revenus ; que compte tenu de l'ensemble de ces éléments, c'est une somme de 46350 € qui lui sera allouée en réparation ;
Attendu que s'agissant de l'indemnité compensatrice de préavis, il convient de relever que M. [W], qui a accepté le contrat de sécurisation professionnelle, a bénéficié du paiement de son préavis par Pôle Emploi, financé par son employeur, par application des dispositions de l'article 22 de la convention du 19 juillet 2011 ; qu'en revanche et par là-même, l'article L.1233-67 relatif au contrat de sécurisation professionnelle prévoit que: 'L'adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle emporte rupture du contrat de travail. (...) Cette rupture du contrat de travail ne comporte ni préavis ni indemnité compensatrice de préavis (...)' ; que si, en l'absence de motif économique de licenciement, le contrat de sécurisation professionnelle devient sans cause de sorte que l'employeur est alors tenu au paiement du préavis et des congés payés afférents, tel n'est pas le cas lorsque, en présence d'un motif économique réel et sérieux, le licenciement se trouve invalidé pour non-respect de l'obligation de reclassement, le contrat de sécurisation professionnelle conservant une cause économique; qu'ainsi, si le salarié accepte le contrat de sécurisation professionnelle avant la notification de son licenciement, il délie l'employeur de son obligation de reclassement alors même que le CSP doit avoir une cause économique ;
que les notions sont donc distinctes l'une de l'autre ; que l'appelant ne se trouvant pas dans la situation dont il se prévaut, sa demande n'est pas fondée ;
Attendu que la nature de la décision ne justifie pas la remise de nouveaux documents sociaux ;
Et attendu qu'il se serait inéquitable de laisser à la charge de l'appelant la totalité des frais de procédure qu'il a dû engager ; qu'une somme de 1500 € lui sera allouée à ce titre ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement attaqué, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes d'indemnités compensatrices de préavis et de congés payés incidents et pour non-respect de la procédure de licenciement, ainsi que de remise des documents sociaux ;
Statuant de nouveau sur le surplus,
Condamne le GIE Tahiti Tourisme à payer à M. [K] [W] les sommes de :
- 46350 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour,
- et 1500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne le GIE aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT