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05/03/2015 | FRANCE | N°13/07339

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 12, 05 mars 2015, 13/07339


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12



ARRÊT DU 05 Mars 2015

(n° 377, 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/07339 - 13/11991



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 Juillet 2013 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de MELUN RG n° 11/00272



APPELANTE

Société SODEXO AFRIQUE

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Franck JANIN, avocat au barreau de LYON>


INTIMÉES

Madame [Y] [G] [C]

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Pierre-Henri D'ORNANO, avocat au barreau de PARIS, toque : P0213



Madame [H] [C]

[Adresse 3]...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12

ARRÊT DU 05 Mars 2015

(n° 377, 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/07339 - 13/11991

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 Juillet 2013 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de MELUN RG n° 11/00272

APPELANTE

Société SODEXO AFRIQUE

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Franck JANIN, avocat au barreau de LYON

INTIMÉES

Madame [Y] [G] [C]

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Pierre-Henri D'ORNANO, avocat au barreau de PARIS, toque : P0213

Madame [H] [C]

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Pierre-Henri D'ORNANO, avocat au barreau de PARIS, toque : P0213,

CAISSE DES FRANÇAIS DE L'ETRANGER

[Adresse 5]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Mme [O] en vertu d'un pouvoir général

Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale

[Adresse 1]

[Localité 2]

avisé - non comparant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 08 Janvier 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président

Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller

Madame Marie-Ange SENTUCQ, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Marion MÉLISSON, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Président et par Madame Fatima BA, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Cour statue sur l'appel et sur le contredit régulièrement interjetés suivant déclarations séparées reçues au greffe social le 24 juillet 2013 par la société SODEXHO AFRIQUE, à l'encontre du jugement prononcé le 9 juillet 2013, par le tribunal des affaires de sécurité sociale de MELUN, dans le litige l'opposant à aux consorts [C] et à la CAISSE DES FRANÇAIS DE L'ETRANGER.

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Monsieur [V] [C] a été embauché au sein de la société UNIVERSAL SODEXO AFRIQUE, le 21 février 1996, puis affecté au poste de Directeur des Opérations Cadre, à FORT DAUPHIN à MADAGASCAR, à compter du 24 avril 2006.

Ses fonctions ont notamment consisté au suivi des opérations de construction de plusieurs espaces de vie destinés au personnel d'une société d'exploitation minière.

Le dimanche 15 juin 2008, Monsieur [C] a été victime à son domicile d'un accident par très grave brûlure dont il est décédé le [Date décès 1] 2008.

Madame [C] a adressé le 9 mai 2010 à la CAISSE DES FRANÇAIS A L'ETRANGER une déclaration d'accident du travail, indiquant que son mari s'est immolé par le feu, à son domicile à MADAGASCAR, le dimanche 15 juin 2008 à 23 heures et qu'il est décédé le [Date décès 1] 2008 .

La CAISSE DES FRANÇAIS A L'ETRANGER a notifié le refus de la prise en charge de l'accident le 3 juin 2010.

Par une décision prise en sa séance du 20 décembre 2010, la commission de recours amiable confirmait la décision de rejet.

Par un jugement du 9 juillet 2013, le tribunal des affaires de sécurité sociale de MELUN':

- a constaté que la demande formée par Madame [Y] [C] au titre de la rupture d'un contrat de travail liant à la société la SODEXO AFRIQUE, relève de la compétence de la juridiction prud'homale';

- s'est déclaré incompétent au profit du conseil des prud'hommes territorialement compétent en application des articles 33 à 48 et 51 du code de procédure civile et L 142-1 du code de la sécurité sociale';

- a constaté que l'action de Madame [C] concernant la reconnaissance de la faute inexcusable de la société SODEXO AFRIQUE, en ce qui concerne l'accident du 15 juin 2008 de Monsieur [V] [C], s'analyse en une demande de reconnaissance d'une responsabilité contractuelle de l'employeur à l'égard de son salarié expatrié assuré volontairement à la CFE';

- s'est déclaré incompétent au profit du conseil des prud'hommes territorialement compétent en application de l'article L 762-8 du s articles 33 à 48 et 51 du code de la sécurité sociale'et 1147 du code civil';

- a dit que Monsieur [V] [C] a été victime le 15 juin 2008 d'un accident du travail au sens de l'article L 411-1 du code de la sécurité sociale ;

- a renvoyé Madame [C] en son nom personnel et en sa qualité de représentante légale de l'enfant [H] née en [Date naissance 1] devant la CFE pour l'application des articles

L 762-1 à L 762-6 et L 762-8, R 762-26 à R 762-33 du code de la sécurité sociale';

- a dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- a ordonné l'exécution provisoire.

La société'SODEXO AFRIQUE fait plaider par son conseil les conclusions visées par le greffe social le 8 janvier 2015 tendant':

Sur le contredit,

- à voir déclarer celui-ci recevable et bien fondé

- à voir juger que le régime d'indemnisation des conséquences de l'accident en cause relève de la compétence du tribunal des affaires de sécurité sociale, si la notion d'accident du travail devait être reconnue, et faire application de l'article 89 du code de procédure civile

- à voir juger que cette compétence s'applique tant en ce qui concerne la prise en charge au titre de la législation professionnelle que le régime de la responsabilité fondé le cas échéant sur le régime de la faute inexcusable dans sa définition et ses conséquences

- à statuer sur la demande de nullité du jugement tiré du non respect du contradictoire

Sur l'appel,

- à voir infirmer le jugement

- avant dire droit, si un doute subsiste sur le caractère privé des blessures,

La société SODEXO demande':

- que soit ordonnée la communication de l'ensemble du dossier de l'organisme de prévoyance PREVINTER ou toute société de nature à détenir des informations sur la déclaration de sinistre au titre du contrat de prévoyance ayant donné lieu au versement d'une rente à la suite du décès de [V] [C]

- que la communication du dossier médical sous pli fermé soit adressé en 4 exemplaires au greffe de la Cour à charge pour le greffe de les adresser au médecin désigné par les parties le Docteur [U] à [Localité 6] pour la société SODEXO sous une astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de l'expiration du délai d'un mois suivant la signification de la décision avant dire droit à intervenir

Sur le fond

Elle demande qu'il soit jugé':

- que l'accident ne relève pas de la législation professionnelle

- de débouter Madame [C] et Mademoiselle [R] [C] de leurs demandes

Subsidiairement,

- elle demande de constater l'absence de faute inexcusable

Plus subsidiairement,

- elle demande de limiter d'éventuelles condamnations à de plus justes proportions

- de rejeter les demandes formulées au titre de la majoration de la rente

- de rejeter les demandes faites au titre du préjudice professionnel

Sur les demandes consécutives à la rupture du contrat de travail,

- de constater l'impossibilité de faire application du pouvoir d'évocation

- de débouter les demanderesses de leurs demandes tendant à voir qualifier l'acte de Monsieur [C] de prise d'acte de la rupture du contrat de travail

- de débouter les demanderesses de leurs prétentions à ce titre

En tout état de cause,

- de constater l'inopposabilité de la décision à intervenir à la société SODEXO AFRIQUE

La société SODEXO AFRIQUE fait valoir que le moyen tiré de l'incompétence de la juridiction de sécurité sociale au profit du conseil des prudhommes a été soulevé d'office par le juge au mépris du principe du contradictoire ce qui entraîne la nullité du jugement.

Elle rappelle que la compétence exclusive des juridictions de sécurité sociale s'applique tant en matière de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident qu'en matière de faute inexcusable y compris en ce qui concerne les travailleurs expatriés.

Toutefois, en l'espèce, elle observe que la matérialité de l'accident du travail n'est pas établie, les éléments produits établissant que Monsieur [C] est décédé par le fait d'un accident à son domicile et que l'hypothèse du suicide n'a pas été évoquée par la famille avant la déclaration d'accident du travail.

Cette matérialité ne peut en tout état de cause pas être caractérisée tant que le dossier médical qui a accompagné la demande adressée par Madame [C] à l'assureur prévoyance qui lui a versé un capital au décès de son époux n'a pas été produit, cet mesure d'instruction étant un préalable indispensable à la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident.

En toute hypothèse elle souligne qu'à supposer même que soit établie la réalité du suicide celui-ci a eu lieu au domicile de la victime et en dehors de ces heures de travail . La présomption d'imputabilité ne s'applique donc pas et les témoignages recueillis caractérisent des difficultés conjugales qui peuvent seules expliquer le geste fatal.

Compte tenu par ailleurs de la démonstration de tous les moyens mis en 'uvre pour accompagner Monsieur [C] dans sa mission de Directeur des Opérations, aucune faute ne peut être reprochée à la société SODEXO.

En tout état de cause la Cour ne pourrait ordonner une expertise médicale qu'à hauteur des préjudices limitativement énumérés par la jurisprudence.

Madame [Y] [C] ,agissant en qualité d'ayant droit de Monsieur [V] [C] son époux, en son nom personnel et en qualité d'administrateur légal des biens de sa fille mineure [R], a développé par l'intermédiaire de son conseil les conclusions visées par le greffe le 25 novembre 2014, tendant'à la confirmation du jugement en ce qu'il a reconnu le caractère professionnel de l'accident survenu à Monsieur [C] le 15 juin 2008.

Elle demande en conséquence que lui soit accordées les sommes de 15 754,80 euros au titre de la rente viagère, égale à 40 % du salaire annuel de base de la victime à compter de la date de l'accident et de 9 486,75 euros au titre de la rente jusqu'à ce qu'elle atteigne l'âge de 20 ans, correspondant à 25 % du salaire annuel de base de la victime.

Elle sollicite qu'il soit fait droit à son action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et que la société SODEXO AFRIQUE soit condamnée à lui régler':

'50 000 euros au titre des souffrances physiques de Monsieur [C]

'60 000 euros au titre du préjudice moral de Monsieur [C]

'12 000 euros en réparation de son préjudice professionnel

'50 000 euros en réparation de son préjudice esthétique

'50 000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail

'26 632,20 euros par an à Madame [C] en qualité d'épouse au titre de la rente lui majorée ou son équivalent en capital sur une période de 45 ans soit la somme de

866 514 euros

'29 540,25 euros par an à [R] [C] leur fille mineure jusqu'à ce qu'elle atteigne l'âge de 20 ans ou son équivalent en capital à titre de dommages et intérêts soit la somme de 538 289 euros correspondant à la majoration maximale de la rente

Elle demande que soit constatée que la tentative de rupture de Monsieur [C] s'analyse en une prise d'acte de son contrat de travail aux torts de la société SODEXO

Et en conséquence,

- de condamner la société SODEXO à verser à Madame [C] en tant qu'ayant droit de Monsieur [C] les sommes suivantes':

'11 854,32 euros à titre d'indemnité légale de licenciement

'7 928,69 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés

'102 594,24 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse

'866 514 euros au titre de la majoration de la rente.

Elle sollicite le débouté des demandes des parties adverses et la condamnation de la SODEXO AFRIQUE à lui verser une indemnité de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Madame [Y] [C], agissant en qualité d'ayant droit de Monsieur [C] son époux, en son nom personnel et en qualité d'administrateur légal des biens de sa fille mineure [R], fait valoir que la tentative de suicide de son époux est incontestable puisqu'elle en a été le témoin direct et qu'il est normal que par simple pudeur, elle n'ait pas tenu à ce que la réalité du suicide soit divulguée auprès des tiers.

Son licenciement de la société SODEXO constitue d'ailleurs la reconnaissance selon elle par la société de la tentative de suicide de Monsieur [C] et de son caractère professionnel.

Ce suicide est la conséquence des graves manquements imputables à l'employeur en raison de la surcharge de travail imposée à son époux confronté à des problèmes de sous effectifs, aux insuffisances de certains collaborateurs, à une ambiance de travail anxiogène, à l'absence de soutien de sa hiérarchie.

Ce sont ces multiples manquements qui caractérisent la faute inexcusable et justifient les demandes indemnitaires tant au titre des préjudices indemnisés au titre du Livre IV que des indemnités demandées au titre de la rupture du contrat de travail provoquée par le comportement de l'employeur.

La Caisse des Français à l'Etranger a développé les conclusions visées par le greffe le 13 mai 2014 tendant à au débouté des demandes.

Elle soutient que la preuve du caractère professionnel de l'accident n'est pas établie': la présomption d'imputabilité ne s'applique pas puisque l'accident a eu lieu hors du lieu et du temps de travail.

Selon la caisse, il aurait été nécessaire pour l'établir que Madame [C] communique le dossier transmis à l'organisme de prévoyance qui a alloué une rente en conséquence du décès de son époux puisque c'est la première déclaration effectuée par Madame [C] concernant cet acccident.

SUR QUOI,

LA COUR':

Sur la jonction du contredit et de l'appel,

Considérant qu'il convient, dans le cadre d'une bonne organisation de la justice, d'ordonner la jonction des actes de contredit et d'appel sous le numéro 13/07339, correspondant à l'acte de contredit premièrement enrôlé';

Sur la nullité du jugement pour violation du principe du contradictoire,

Considérant qu'aux termes de l'article 16 du code de procédure civile le juge doit observer et faire observer en toutes circonstances le principe du contradictoire';

Qu'il ne peut retenir dans sa décision les moyens, explications, et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles ci ont été à même d'en débattre contradictoirement';

Qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations';

Considérant qu'il résulte de ce texte qu'en matière de procédure sans représentation obligatoire, les moyens soulevés d'office par le juge sont présumés, sauf preuve contraire, avoir été débattus contradictoirement à l'audience';

Considérant qu'en l'espèce, il ressort de l'exposé des prétentions et des moyens des parties que le moyen tiré du renvoi devant la juridiction prud'homale a été soulevé à titre infiniment subsidiaire par Madame [C] pour les demandes étrangères à la reconnaissance de l'accident du travail';

Qu'il s'en suit que les premiers juges étaient donc bien saisis de cette demande et que c'est contradictoirement que le jugement s'est prononcé sur l'incompétence, d'où il suit que le moyen tiré de la nullité du jugement ne saurait prospérer';

Sur le contredit,

Considérant les dispositions de l'article 89 du code de procédure civile

dont il résulte que lorsque la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente, elle peut évoquer le fond si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive';

Considérant par ailleurs qu'aux termes des dispositions de l'article L 762-8 du code de la sécurité sociale, l'assurance volontaire accidents du travail et maladies professionnelles donne droit à l'ensemble des prestations prévues par le Livre IV'du code de la sécurité sociale dans les conditions prévues aux articles R 762-23 à R 762-39 du code de la sécurité sociale';

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que la juridiction de sécurité sociale est seule compétente pour connaître des litiges du contentieux général de la sécurité sociale y compris en ce qui concerne les travailleurs salariés désirant bénéficier de l'assurance volontaire des accidents du travail et des maladies professionnelles, évoqués aux termes de l'article L 142-1';

Que ce bénéfice s'étend à l'ensemble des dispositions du Livre IV et concerne tant la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie que l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur';

Qu'il échet en conséquence de faire droit au contredit, d'infirmer le jugement en ce qu'il s'est déclaré incompétent au profit de la juridiction prud'homale pour statuer sur l'action en reconnaissance d'une faute inexcusable'et, sur évocation, de statuer au fond ;

Sur l'appel,

Sur la demande d'instruction,

Considérant que les critères d'allocation d'une rente ou d'un capital, perçus en vertu d'un contrat d'assurance et de prévoyance, relèvent des règles de l'interprétation des contrats et n'ont d'effet qu'entre les parties co contractantes ;

Considérant par ailleurs que le caractère professionnel d'un accident s'apprécie au regard des principes définis en vertu des dispositions de l'article L 411-1 du code de la sécurité sociale dans le cadre du régime juridique spécifique prévu par ce texte ;

Qu'il s'en suit que l'instruction de la demande d'allocation d'une rente ou d'un capital, consécutivement au décès de la personne assurée, est sans incidence sur la procédure de reconnaissance d'un accident au titre de la législation professionnelle, qui obéit à des règles propres';

Que la demande de la société SODEXO, tendant à voir ordonner la communication à son médecin conseil, du dossier d'instruction de la demande d'allocation adressée par Madame [C] à l'organisme de prévoyance PREVINTER, consécutivement au décès de son époux est donc dépourvue de cause au regard du présent litige et qu'il ne saurait y être fait droit';

Sur la reconnaissance du caractere professionnel de l'accident,

Considérant les dispositions de l'article L 411-1 du code de la sécurité sociale dont il résulte que lorsque l'accident n'a pas eu lieu au temps et heure du travail, il appartient à la victime ou à ses ayant droits de rapporter la preuve que l'accident est imputable au travail';

Considérant qu'en l'espèce':

- il ressort de l'attestation de Monsieur [E] [M], collègue et ami de Monsieur [C], que celui-ci, excellent professionnel apprécié de tous, avait la charge de mener à bien la construction de bâtiments sur les différentes bases de vie de SODEXHO, fonction à laquelle il n'était pas formé, étant initialement professionnel de la restauration. Ces fonctions ont, selon le témoin, engendré un surmenage professionnel, Monsieur [C] 'étant confronté à des retards d'exécution de travaux et n'étant pas soutenu par sa hiérarchie, soucieuse de la rentabilité du projet et remettant en cause sa compétence à le mener à bien.'

- Monsieur [A] [F], ami de Monsieur [C], atteste du caractère jovial et dynamique de son ami et de son excellence professionnelle, celui-ci , cuisinier de formation, polyglotte et talentueux, étant parvenu au poste de Directeur de SODEXHO et n'en tirant aucune vanité.

Il témoigne du stress professionnel de son ami et indique que le suicide trouve sa cause dans une montée en pression mal gérée par son employeur'; Monsieur [C] n'étant pas financier, a sollicité du renfort en termes de compétence dans ce domaine auprès de sa hiérarchie et n'a pas été entendu. Il précise qu'une semaine avant les faits, Monsieur [C] avait changé de comportement': d'habitude volubile il était abattu, répétant seulement inlassablement «' ils me font tous chier'» au point que son épouse avait alerté son ami Monsieur [M], pour qu'il vienne chez eux lui remonter le moral.

Monsieur [M] qualifie son ami de «' soldat idéal pour SODEXHO, bon marché, toujours en première ligne, acceptant tout, prenant tout sur lui'» et conclut que c'est «'une faute lourde de la part de l'employeur de ne pas lui avoir apporté les appuis nécessaires.'»

- Monsieur [L] [I], ami de Monsieur [C], témoigne que lors de son mariage il a trouvé celui-ci dans un état d'anxiété et de stress absolu'non pas à cause du mariage mais par rapport à son travail qui le surmenait, n'ayant aucun répit ni durant les week-end ni durant les repas.

- la pression professionnelle ne laissant aucun répit à Monsieur [C] est confirmée par un autre témoignage, celui de Monsieur [W] [J] qui affirme qu' ayant retrouvé'Monsieur [C] pour son mariage au mois d'avril 2008, il passait ses journée au bureau et paraissait très stressé par son travail alors qu'il aurait dû être heureux.

- Monsieur [D] [B] qui affirme': «' Nous avons eu un Directeur Financier qui, à peine embauché, n'a cessé de critiquer ouvertement notre société et de divulguer certaines informations comptables qui à mon sens font partie du droit de réserve de cette profession et se permettait de lancer des allégations de corruption à l'encontre de Monsieur et Madame [C]. Toute l'équipe en place et moi même avons tout de suite mis fin à ces allégations car en tant qu'expatriés nous étions les proches collaborateurs depuis assez longtemps de Monsieur et Madame [C] et à ce titre c'est avec grand plaisir que nous avons travaillé ensemble et participé à leur mariage.'»

- Madame [C], elle-même collaboratrice de son époux en qualité d'Acheteuse au sein de la SODEXHO, précise dans une attestation très circonstanciée, que la semaine précédant le suicide de son époux, une équipe était arrivée de PARIS pour aider Monsieur [C] à répondre à du développement commercial et que cette mission «' s'est transformée en enquête à charge contre [V]. Des bruits couraient à notre encontre pour détournements de fonds privés et corruption.'» Madame [C] indique s'être disputée avec son époux la veille des faits pour une «'broutille'» précisant qu'il était nerveux, agressif et surmené par son travail du fait du manque d'accompagnement de la part de SODEXHO, qu'il craquait et s'en prenait à elle pour se défouler, situation qu'elle a apprécié sur le moment en choisissant de ne pas lui répondre, pour ne pas donner prise à sa colère. Son époux a pris sa voiture ce soir là, alors qu'il était alcoolisé et a passé la nuit chez des amis, qu'elle même avait pris soin de prévenir de son état.

Le lendemain, Madame [C] indique que son mari est revenu épuisé au domicile à 20 heures, ne se souvenant plus des propos tenus la veille et qu'il s'est lancé dans un monologue que son épouse à voulu écourter': elle précise qu'il est alors rentré dans une grande colère tenant des propos injurieux, qu'elle a pris peur et a quitté le domicile pour chercher de l'aide. Revenue à 23 heures elle indique avoir trouvé son époux assis sur le canapé, dans la même position que lorsqu'elle l'avait quitté, et avoir commencé à lui parler. Son mari, en colère, s'est alors levé est allé dans l'arrière cuisine, il en est revenu avec une bouteille à la main. Elle a senti une odeur d'essence, a vu son mari s'asperger et entendu le déclic d'un briquet dont l'étincelle «' a suffi à le transformer en torche humaine.'»

Elle indique avoir immédiatement saisi un jeté de canapé et avoir réussi à étouffer le feu avec peine. Son mari s'est agenouillé devant le canapé prononçant le mot «' douche'».Il s'est levé a couru «'en sautillant de douleur jusqu'à la douche ne pouvant plus plier les articulations.'» Elle l'a emmené jusqu'à la douche, il a pris une douche froide et à la demande de son époux, elle lui a changé ses vêtements et s'est rendu compte que son corps tout entier était carbonisé.

Elle a sollicité son évacuation à l'hôpital par les secours où il a été intubé immédiatement, avant d'être évacué le lendemain en fin d'après midi à l'hôpital de [Localité 5].

Madame [C] conclut que «' Lors des différents échanges avec [L] ([Q]) le manque de moyen sur place et la pression qui pesait sur les épaules de [V] ont été clairement évoqués. Notre couple n'a jamais été remis en question. [V] nous aimait plus que tout et c'était réciproque.'»

Considérant par ailleurs que les échanges de courriel entre Monsieur [C] et sa hiérarchie entre le 4 avril et le 27 mai 2008 caractérisent les évènements suivants':

Monsieur [Z] [X] arrivé en tant que Directeur Financier à SODEXHO à Madagascar le 25 février 2008, collaborateur proche de Monsieur [C]'dénonce, dans un courriel du 2 mai 2008, envoyé à Monsieur [C] et à deux autres collègues, Monsieur [Q] et Monsieur [LX], l'absence de méthode de travail, l'absence de gestion de trésorerie et de nombreuses irrégularités dans la comptabilité ainsi que l'absence totale de moyen humains et matériels et la nécessité urgente de recruter de nouvelles compétences en matière de comptabilité.

Monsieur [X], le 3 mai 2008, dans un message adressé à Messieurs [C] et [Q], fait part de ses soupçons quant à l'honnêteté d'un salarié dénommé Ranto, qui aurait selon lui maquillé les chiffres de la comptabilité et démissionné curieusement après qu'il ait été sommé de s'expliquer sur un certain nombre d'écarts dans la comptabilité.

A plusieurs reprises, le 1er mai 2008, le 2 mai et le 13 mai 2008 Monsieur [Q] a sollicité l'avis de Monsieur [C] sur les écarts comptables' observés par le Directeur Financier': ces demandes d'avis sont écrites en termes respectueux et cordiaux

Monsieur [C] a été confronté à partir du mois d'avril 2008, à d'importants problème de règlement des fournisseurs en raison d'un manque de trésorerie'de la société : le 9 avril, le 19 et le 27 mai 2008, les messages envoyés à sa hiérarchie sont très précis à ce sujet et rendent un compte scrupuleux des états bancaires, situation qui est éclairée par les comptes rendus adressés par courriel du 4 avril 2008 à [DQ] [LX] et [L] [Q] et par le courriel du 3 avril 2008 à [L] [Q]

Monsieur [C] effectuait un compte rendu détaillé de l'exécution des chantiers': son message adressé à [L] [Q] le 20 mai 2008 est particulièrement explicite, précis et détaillé et se termine par des propositions concrètes en terme de management pour gérer les retard d'exécution et faire appel aux compétences de chacun

Monsieur [C] était confronté à des difficultés de management qu'il a dénoncées à plusieurs reprises concernant l'attitude de [Z] [X], Directeur Financier et a été entendu sur ce point par sa hiérarchie, comme en témoigne le mail que Monsieur [Q] lui envoie le 13 juin 2008': «' J'ai conscience que tu traverses une période difficile, avec beaucoup de déception / mauvaises nouvelles sur une courte période. Il faut tenir bon et agir avec le plus de clairvoyance possible. J'ai validé avec Wais le départ de PB. Stand by pour le moment nous devons réfléchir au planning précis. Ce sera un problème de moins.'»

Que ces éléments doivent être rapprochés du témoignage de Monsieur [N] [NZ] , Directeur de SODEXO AFRIQUE, qui indique avoir établi en accord avec Madame [C], une déclaration auprès des salariés de la société dans le souci de préserver la vie privée de [V] [C] et de son épouse, confortant un acte accidentel involontaire et qu'aucune réserve n'a été émise sur ce point par la famille qui à l'époque des faits n'a évoqué aucun lien entre l'acte accompli et l'activité professionnelle';

Que l'hypothèse d'un acte accidentel involontaire est également évoqué par Monsieur [P] [S], cadre de la SODEXO, arrivé à l'hôpital à [Localité 7] dans les heures suivants l'accident';

Considérant qu'en l'absence d'enquête de police diligentée sur les causes du décès, le certificat médical établi par le Docteur [K] [T] ayant accueilli Monsieur [C] lors l'hospitalisation d'urgence, est la seule pièce qui caractérise ainsi que l'a retenu le tribunal, les blessures survenues en conséquence de l'accident du15 juin 2008 comme consécutives d'un suicide par immolation';

Que les témoignages des salariés, des proches de la victime et les nombreux échanges de courriels, permettent donc d'établir que le suicide est intervenu alors que Monsieur [C], Directeur des Opérations sur le site de FORT DAUPHIN, exerçait un niveau de responsabilité élevé dans des conditions particulièrement difficiles, du fait de difficultés de management, de retards répétés dans l'exécution des travaux dont il assurait la direction et du soupçon porté sur les agissements d'un salarié affecté au poste de la comptabilité qui ressortait également de sa responsabilité';

Que ses responsabilités étendues imposaient à Monsieur [C] un rythme de travail très intense, empiétant en permanence sur sa vie privée et les jours de repos et qu'ainsi, la fatigue psychologique et physique accumulée du fait de ce stress professionnel est en lien direct avec le geste suicidaire';

Qu'il échet de constater qu'aucune autre cause ne vient d'ailleurs expliquer le suicide, les difficultés du couple, évoqués par l'employeur, n'étant nullement étayées autrement que par les propres déclarations de Madame [C].

Qu'enfin ce lien avéré entre le suicide et le travail, est compatible avec la volonté de préserver la vie privée du couple mais également la sécurité morale des autres salariés et a ainsi conduit l'employeur et la famille de Monsieur [C] à ne pas révéler aux salariés, dans la suite des faits, le suicide, ce dont l'employeur ne saurait valablement se prévaloir pour en dénier la matérialité';

Sur la faute inexcusable,

Considérant les dispositions de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale dont il résulte que l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité qui est une obligation de résultat en matière d'accident du travail';

Que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger encouru par le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver';

Considérant qu'en l'espèce la lecture des témoignages et des échanges de courriels précités entre Monsieur [C] et sa hiérarchie révèle les exceptionnelles qualités professionnelles de Monsieur [C] et la reconnaissance tant de sa hiérarchie que de ses collègues de travail au regard de son engagement professionnel';

Que les nombreuses difficultés rencontrées par Monsieur [C] dans la direction des opérations qui lui étaient confiées ont toujours fait l'objet d'un suivi par sa hiérarchie qui y a répondu en lui témoignant son soutien ( cf le mail de Monsieur [Q] du 13 juin 2008) mais également en rappelant le Directeur Financier dont les méthodes avaient été dénoncées à plusieurs reprises par Monsieur [C], comme totalement inadaptées ;

Que l'engagement professionnel de Monsieur [C], le dynamisme et la jovialité de son caractère n'ont été altérés de manière visible pour ses proches que dans les quelques heures qui ont précédé son suicide et que rien ne permettait par conséquent à l'employeur, en dépit d'un contexte professionnel certes tendu, de pressentir la mise en danger de son salarié dont les qualités professionnelles et l'engagement sur le terrain étaient unanimement reconnus';

Qu'il s'en suit que la faute inexcusable n'est pas caractérisée à l'égard de l'employeur et que Madame [C] agissant en son nom personnel et es qualité, doit être déboutée de la demande'formée de ce chef ;

Sur l'inopposabilité de la prise en charge,

Considérant que le caractère contradictoire de la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident, exigé par les dispositions de l'article R 411-1 du code de la sécurité sociale, s'évince de la présente instance et rend la procédure opposable à la société SODEXO AFRIQUE qui sera déboutée de sa demande formée du chef de l'inopposabilité';

Sur la demande au titre de la tentative de rupture,

Considérant les dispositions de l'article 142-1 du code de la sécurité sociale selon lesquelles la juridiction de sécurité sociale a une compétence exclusive pour régler les différends auxquels donne lieu l'application des législation et réglementation de sécurité sociale et qui ne relèvent pas par leur nature d'un autre contentieux';

Qu'il en résulte que le tribunal des affaires de sécurité sociale n'est pas compétent pour statuer sur une demande de prise d'acte laquelle relève du contentieux prudhommal, juridiction devant laquelle Madame [C] agissant en son nom personnel et es qualité sera invité à se pourvoir, que le jugement sera confirmé sur ce point ;

Sur les frais irrépétibles,

Considérant que l'équité commande que chacune des parties conserve à sa charge les frais irrépétibles exposés';

PAR CES MOTIFS :

Ordonne la jonction du contredit et de l'appel sous le n° 13/07339 ;

Déclare la société SODEXO AFRIQUE recevable en son contredit';

Infirme le jugement en ce qu'il a constaté que l'action de Madame [C] concernant la reconnaissance de la faute inexcusable de la société SODEXO AFRIQUE, en ce qui concerne l'accident du 15 juin 2008 de Monsieur [V] [C], s'analyse en une demande de reconnaissance d'une responsabilité contractuelle de l'employeur à l'égard de son salarié expatrié assuré volontairement à la CFE'et en ce qu'il s'est déclaré incompétent au profit du conseil des prud'hommes territorialement compétent en application de l'article L 762-8 du s articles 33 à 48 et 51 du code de la sécurité sociale'et 1147 du code civil';

Sur évocation':

Rejette l'exception de nullité soulevée par la SODEXO AFRIQUE';

Déclare la société SODEXO AFRIQUE recevable et partiellement fondée en son appel';

Déboute la société SODEXO de sa demande tendant à voir ordonner une mesure d'instruction';

Déboute Madame [Y] [C] agissant en qualité d'ayant droit de Monsieur [C] son époux, en son nom personnel et en qualité d'administrateur légal des biens de sa fille mineure [R], de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur';

Infirme le jugement en ce qu'il a déclaré sans objet la demande de la SODEXO AFRIQUE tendant à faire constater l'inopposabilité de la procédure de prise en charge';

Statuant à nouveau':

Déboute la société SODEXO de sa demande tendant à lui voir déclarer inopposable la procédure de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident survenu au préjudice de Monsieur [V] [C], le 15 juin 2008';

Confirme le jugement pour le surplus de ces dispositions';

Dit n'y avoir lieu à statuer sur les frais irrépétibles.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 12
Numéro d'arrêt : 13/07339
Date de la décision : 05/03/2015

Références :

Cour d'appel de Paris L3, arrêt n°13/07339 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-03-05;13.07339 ?
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