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04/03/2015 | FRANCE | N°10/23754

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 2, 04 mars 2015, 10/23754


Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 2



ARRÊT DU 04 MARS 2015



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 10/23754



Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Septembre 2010 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 09/08195





APPELANTE



Madame [W] [K]

[Adresse 4]

[Localité 3]



représentée par Me Frédéric INGOLD de

la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

assistée de Me Pierre-Louis ACHOUCH, avocat au barreau de PARIS, toque : B0527





INTIMES



Monsieur [O] [H]

[Adr...

Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 2

ARRÊT DU 04 MARS 2015

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 10/23754

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Septembre 2010 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 09/08195

APPELANTE

Madame [W] [K]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

assistée de Me Pierre-Louis ACHOUCH, avocat au barreau de PARIS, toque : B0527

INTIMES

Monsieur [O] [H]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Madame [I] [H]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentés par Me Patrick BETTAN de la SELARL DES DEUX PALAIS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0078

assistés de Me Stefan SERROR, avocat au barreau de PARIS, toque : E993

S.A. ALLIANZ IARD venant aux droits et obligations de la SA GAN EUROCOURTAGE, pris en la personne de ses représentants légaux, sise

[Adresse 5]

[Localité 1]

représentée par la SELARL HANDS, avocats au barreau de PARIS, toque : L0061

assistée de Me Cécile CAPRON pour Me Patrice PIN, avocats au barreau de PARIS, toque : B0039

S.A.R.L. HDS RENOVATION pris en la personne de son représentant légal, sise

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par la SCP NABOUDET - HATET, avocats au barreau de PARIS, toque : L0046

assistée de Me Dan GRIGUER, avocat au barreau de PARIS, toque : B0005

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Janvier 2015, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Claudine ROYER, Conseiller, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Dominique DOS REIS, Président

Madame Denise JAFFUEL, Conseiller

Madame Claudine ROYER, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Emilie POMPON

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Dominique DOS REIS, Président, et par Madame Emilie POMPON, Greffier présent lors du prononcé et auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

***

Monsieur et Madame [O] et [I] [H] ont acquis le 2 octobre 2007 un appartement au 6è étage d'un immeuble en copropriété sis [Adresse 4] dans lequel ils ont fait réaliser, avant d'y emménager le 5 février 2008, divers travaux d'isolation phonique confiés à une entreprise HDS RENOVATION (suivant devis du 5 novembre 2007).

Madame [W] [K], propriétaire d'un appartement au 6ème étage situé au dessus de celui des époux [H], a participé financièrement à ces travaux à concurrence de 2000 euros.

Malgré cela, Madame [K] s'est plainte de nuisances sonores provenant de l'appartement [H]. Après divers courriers de réclamation, elle a obtenu en référé par ordonnance du 21 mai 2008 la désignation de M. [U] [Q] en qualité d'expert judiciaire.

Après dépôt du rapport de l'expert (le 6 février 2009), Madame [K] a assigné en responsabilité et indemnisation de ses préjudices, Monsieur et Madame [H], la société HDS RENOVATION, et l'assureur de cette dernière la compagnie GAN EUROCOURTAGE IARD, l'action étant fondée sur le trouble anormal de voisinage, sur les dispositions du règlement de copropriété de l'immeuble et de la loi du 10 juillet 1965, ainsi que sur les articles 1792 et suivants, 1134, 1135 et 1142 du code civil.

Par jugement du 8 septembre 2010, le Tribunal de grande instance de Paris (8ème chambre) a :

- déclaré Madame [K] recevable en ses demandes, à l'exclusion des demandes formées à l'encontre de la compagnie GAN EUROCOURTAGE IARD aux fins de condamnation à réalisation sous astreinte de travaux,

- débouté Madame [K] de l'ensemble de ses demandes,

- rejeté les demandes de dommages-intérêts formées par Monsieur et Madame [H] et la société HDS RENOVATION,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- débouté les parties des demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Madame [K] aux entiers dépens, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire de M. [Q],

- dit que le recouvrement des dépens pourrait être effectué par les avocats en ayant fait la demande, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Madame [W] [K] a relevé appel de ce jugement par déclaration d'appel du 8 décembre 2010.

Saisi d'une nouvelle demande d'expertise, le conseiller de la mise en état a, par ordonnance sur incident du 16 mai 2012 :

- constaté la recevabilité des demandes de Madame [K],

- ordonné un complément d'expertise,

- désigné M. [U] [Q] [Adresse 1]) pour y procéder avec mission de faire effectuer des sondages destinés à vérifier la présence effective et la qualité acoustique des matériaux résilients situés sous le carrelage et le parquet flottant de l'appartement des époux [H],

- dit que les époux [H] devront laisser l'accès de leur appartement pour qu'il soit procédé aux sondages sus visés, à la demande de l'expert, à une date qui serait fixée contradictoirement dans les deux mois de cette demande, sous astreinte de 150 euros par jour de retard passé ce délai, pendant deux mois à l'issue desquels le conseiller de la mise en état pourra être saisi pour qu'il soit de nouveau statué sur l'astreinte,

- dit que l'expert devra compléter le rapport précédemment déposé en précisant l'existence et la qualité de l'isolation phonique existante et en cas d'insuffisance, décrire les moyens d'y remédier et leur coût, le rapport complémentaire étant déposé dans les 6 mois du versement de la provision ci-après ordonnée,

- fixé à 1200 euros la provision que Madame [K] devra verser directement entre les mains de l'expert,

- rejeté la demande d'information relative aux débiteurs de charges,

- renvoyé l'affaire à la mise en état du 21 novembre 2012, réservé les dépens.

L'expert a effectué sa mission et déposé son rapport le 13 mai 2013.

Vu les dernières conclusions signifiées par :

- Madame [W] [K] le 5 novembre 2014,

- Monsieur et Madame [H] le 9 décembre 2014,

- la SARL HDS RENOVATION le 10 décembre 2013,

- la compagnie ALLIANZ IARD venant aux droits de la société GAN EUROCOURTAGE le 25 février 2014,

Pour un plus ample exposé des faits de la cause, des procédures, des prétentions, moyens et arguments dont elle est saisie, la Cour fait référence expresse à la décision déférée et aux dernières conclusions d'appel des parties.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 17 décembre 2014.

CELA ÉTANT EXPOSÉ, LA COUR,

Madame [W] [K] demande à la Cour,

- au visa des rapports d'expertise judiciaire des 6 février 2009 et 10 mai 2013, des attestations versées aux débats, des procès-verbaux de constat des 12.05.2011, 16.05.2011, 18.05.2011, 8 décembre 2011, 13 février 2014, du règlement de copropriété,

- mais aussi du principe prétorien selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage, des articles 8 et 9 de la loi du 10 juillet 1965, 1134, 1135, 1142 et 1147 du Code Civil, de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel, et y faisant droit,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a écarté l'exception d'irrecevabilité pour non-cumul des responsabilités, invoquée par les époux [H],

- la déclarer recevable et bien-fondée à agir, à l'encontre de la Société HDS RENOVATION, sur le fondement de la responsabilité de droit commun sanctionnant notamment le non-respect d'une obligation de bien faire, c'est-à-dire de réaliser les travaux, conformément aux règles de l'art,

- la déclarer recevable et bien-fondée à agir, à l'encontre des époux [H], sur le fondement la responsabilité délictuelle, dans le cadre d'un trouble anormal de voisinage, reposant sur les agissements personnels et dommageables de ces derniers,

- l'infirmer en ses autres dispositions lui faisant grief et statuant à nouveau,

- condamner les époux [H] et la Société H.D.S. RENOVATION à réaliser, dans un délai d'un mois, à compter de l'arrêt à intervenir, les travaux préconisés par l'expert dans son rapport, sous astreinte de 150 € par jour de retard,

- condamner les époux [H] à lui payer la somme de 60.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice, eu égard à l'atteinte à son équilibre psychologique et à son sommeil, causée par les nuisances sonores, depuis maintenant 6 ans,

- condamner aussi la Société H.D.S. RENOVATION à lui payer la somme de 30.000 € en réparation de son trouble de jouissance, amplifié par le fait que les travaux réalisés sont inadaptés à la situation,

- condamner aussi la Société H.D.S. RENOVATION à payer la somme de 2000 € en remboursement de sa participation au financement des travaux litigieux et vains,

- condamner les époux [H] à lui payer la somme de 3020 € correspondant aux dépenses exposées pour les interventions de l'huissier instrumentaire, Maître [S] ainsi qu'à celle de 235,40 € correspondant aux frais exposés pour le déplacement de l'entreprise LEMMA qu'elle a missionnée, en vain, pour la réalisation des sondages,

- condamner solidairement les époux [H] et la Société H.D.S RENOVATION à lui payer, avec intérêts de droit à compter de l'assignation des 6 et 14 mai 2009:

* la somme de 6000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* les entiers dépens de première instance et d'appel comprenant notamment les frais d'expertise avancés par elle,

- condamner conséquemment, la Compagnie d'assurance GAN COURTAGE IARD à relever et garantir la Société H.D.S. RENOVATION, son assurée, de toutes les condamnations prononcées à l'encontre de cette dernière,

- débouter la Société H.D.S. RENOVATION de l'ensemble de ses demandes, 'ns et conclusions,

- plus généralement, DEBOUTER les parties intimées de l'ensemble de leurs demandes, 'ns et conclusions plus amples ou contraires.

A l'appui de ces demandes Madame [K] soutient en substance que les époux [H] ont modifié la disposition de leur appartement par changement d'affectation des pièces séjour et chambre, et création d'une cuisine à l'américaine par percement de la cloison séparative entre la cuisine et le séjour; qu'ils ont reconnu la réalité du changement du revêtement de sol dans le séjour (anciennement chambre à coucher) par le remplacement du parquet vieillissant et de la moquette usagée par un parquet flottant ; que les investigations expertales permettaient de retenir une perte d'isolation acoustique de 9 dB(A) à 10 dB(A) environ.

Elle prétend que les témoignages versés aux débats établissent que les époux [H] ne respectent pas les règles les plus élémentaires de comportement paisible à son égard ; que les procès-verbaux de constat dressés par Me [J] [S] apportent la preuve du caractère volontairement et anormalement bruyant des époux [H] dès lors qu'ils savent qu'elle est là; que compte tenu de leur fréquence, leur répétitivité et leur tardiveté, les nuisances sonores qu'elle invoque sont constitutives d'un trouble anormal de voisinage, les constatations expertales établissant par ailleurs suffisamment l'importance de la perte d'isolation phonique.

Elle affirme en outre que les travaux effectués par ses voisins ont entraîné une diminution du niveau de confort acoustique, et que ceux-ci contreviennent aux dispositions de l'article 4 du règlement de copropriété, prévoyant l'obligation contractuelle de veiller à la tranquillité de l'immeuble.

Elle soutient que la pose du parquet flottant n'a pas été effectuée dans les règles de l'art parla Société H.D.S. RENOVATION, faute de désolidarisation en périphérie des murs, ni les travaux en général, eu égard à l'obstruction systématique :

- des époux [H] qui se sont opposés aux sondages que de l'expert,

- et au silence persistant de la Société H.D.S. RENOVATION, opposée aux demandes de l'expert, responsable d'un manquement à son devoir de conseil, de sa légèreté et de sa négligence.

Monsieur et Madame [H] demandent à la Cour à titre principal de:

- déclarer Madame [K] irrecevable en son appel au vu du principe du non cumul entre les responsabilités contractuelle et délictuelle,

- et de confirmer le jugement déféré.

A titre subsidiaire, les époux [H] demandent, sur le fondement du trouble anormal de voisinage, de:

- rejeter dans leur ensemble les demandes de Madame [K] au vu de l'article 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme,

- déclarer Madame [K] responsable sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, des troubles résultant de son comportement à leur égard, Madame [K] et ses occupants ne respectant pas les règles les plus élémentaires de comportement paisible à l'égard de leur voisinage,

- condamner Madame [K] à leur payer la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêt en réparation du préjudice lié au harcèlement matériel et moral exercé par l'appelante et ses proches depuis leur arrivée dans l'immeuble,

- rejeter les conclusions du rapport d'expertise du 6 février 2009 au vu du principe de non rétroactivité, et des arrêtés des 14 juin 1969, 28 octobre 1994 et 30 juin 1999 relatifs à l'isolation et aux caractéristiques acoustiques des bâtiments d'habitation,

- valider les conclusions du rapport d'expertise du 10 mai 2013.

Ils demandent en conséquence à la Cour et en tout état de cause de:

- débouter Madame [K] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- de la condamner à leur payer les sommes de:

* 15 000 € euros à titre de dommages et intérêts pour abus du droit d'agir en Justice ,

* 15 000 € euros en applications des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Madame [K] aux entiers dépens de référé, de première instance et d'appel qui seront recouvrés par leur avocat en application de l'article 699 du code de procédure civile.

La Société HDS RENOVATION demande à la Cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame [K] de toutes ses demandes, et l'a condamnée aux entiers dépens y compris les frais d'expertise,

- l'infirmer pour le surplus,

- condamner Madame [K] à lui payer les sommes de:

* 4.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

* 1.000€ au titre du reliquat de la facture n°0001415,

* 10.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Madame [K] aux entiers dépens avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La Compagnie ALLIANZ IARD, venant aux droits de la société GAN EUROCOURTAGE, demande à la Cour de :

- confirmer le jugement déféré,

- débouter en tout état de cause Mme [K] de sa demande de garantie présentée à l'égard de la compagnie ALLIANZ IARD, venant aux droits du GAN EUROCOURTAGE, dès lors que celle-ci ne correspond à aucun paiement d'indemnité,

- dire que l'existence d'un trouble anormal du voisinage n'est pas démontrée et qu'une police responsabilité décennale n'a pas vocation à garantir le trouble anormal de voisinage,

- débouter en toute hypothèse purement et simplement Mme [K] de l'intégralité de ses demandes, celle-ci n'ayant pas la qualité de maître d'ouvrage lui permettant de solliciter l'application de la garantie décennale, après avoir constaté qu'aucun procès verbal de réception n'a été communiqué et qu'aucun désordre n'est allégué par les époux [H],

- à titre subsidiaire, si par extraordinaire une condamnation venait à intervenir à son encontre, faire application de la franchise égale à 10 % du coût du sinistre avec un minimum de 2 500 € et un maximum de 15.300 €

- condamner Mme [K] à lui payer la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [K] aux entiers dépens avec distraction au profit de son avocat conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.

* * *

Sur la recevabilité de l'action de Madame [K]

Les époux [H] soulèvent comme en première instance l'irrecevabilité de l'action de Madame [K] d'une part en raison du principe du non cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle, et d'autre part de l'atteinte au principe de l'autorité de la chose jugée.

S'agissant de la règle du non cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle, il convient de relever somme l'ont fait les premiers juges, que Madame [K] a agi en responsabilité d'une part contre les époux [H] sur le fondement du trouble anormal de voisinage en les estimant responsables de nuisances sonores qu'elle subirait de leur fait dans son appartement du 5ème étage, d'autre part contre la société HDS RENOVATION sur un fondement contractuel en l'estimant responsable de la mauvaise exécution des travaux effectués chez les époux [H] qu'elle a financés en partie, ce qui a fait d'elle une partie au contrat.

Compte tenu des écritures de Madame [K], il ne peut être soutenu par les époux [H] que l'appelante a cumulé à leur égard les responsabilités délictuelle et contractuelle.

L'action de l'appelante à l'égard tant des époux [H] que de la Société HDS RENOVATION sera donc déclarée recevable.

S'agissant de l'atteinte au principe de l'autorité de la chose jugée, les consorts [H] la tirent de l'inobservation des dispositions de l'article 1351 du code civil en soutenant que la seconde demande d'expertise faite par Madame [K] n'avait pour but que de couvrir sa carence en matière de preuve, et de fausser la qualification juridique des faits et le contrôle juridictionnel.

L'article 1351 du code civil prévoit que « l'autorité de la chose jugé n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même; que la demande soit fondée sur la même cause; que la demande soit entre les mêmes parties et formées contre elle en la même qualité. »

En l'espèce, dès lors que les parties s'opposent dans le cadre d'une procédure d'appel, il ne peut y avoir autorité de la chose jugée du premier jugement, soumis précisément à nouveau à l'examen des juges d'appel. Par ailleurs, si effectivement il ne peut y avoir en appel des demandes nouvelles sous les réserves émises par l'article 564 du code de procédure civile, les parties peuvent toujours invoquer de nouveaux moyens, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves résultant notamment d'une nouvelle expertise (article 563 du code de procédure civile).

Enfin le bien-fondé de l'expertise ne peut plus faire débat, dès lors que cette demande a été examinée et tranchée par le conseiller de la mise en état dans le cadre de la procédure d'appel en ordonnant une mesure d'expertise complémentaire qui a été exécutée et qui est régulièrement soumise à l'examen de la Cour comme la première expertise.

Il y a donc lieu de rejeter les moyens d'irrecevabilité soulevés par les consorts [H] et de confirmer le jugement déféré, observation étant faite que les parties ne discutent plus de l'irrecevabilité de la demande d'exécution de travaux dirigée contre l'assureur de la Société HDS RENOVATION, irrecevabilité qui est acquise et doit être confirmée.

Sur le trouble anormal de voisinage

Madame [K] reproche aux époux [H] d'avoir modifié l'affectation des pièces de leur appartement, d'avoir modifié le revêtement de sol notamment dans la cuisine où a été constatée une insuffisance de la protection acoustique, et dénonce le comportement volontairement sonore des époux [H] à la tombée de la nuit, dès lors qu'ils ont connaissance de sa présence dans son appartement.

Elle fait valoir l'ensemble de ces griefs et s'appuie sur les rapports d'expertise pour soutenir qu'elle subit un trouble anormal de voisinage.

Aux termes de l'article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements.

Ce droit pour un propriétaire de jouir de son bien de la manière la plus absolue est cependant limité par l'obligation de ne causer à la propriété d'autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux de voisinage.

Lorsque le bien est soumis au statut de la copropriété, cette obligation est relayée par l'article 9 de la loi du 10 juillet 1965 prévoyant que chaque copropriétaire jouit et use librement de ses parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires, ni à la destination de l'immeuble.

Enfin le règlement de copropriété de l'immeuble du [Adresse 2] (du 25 octobre 1952) prévoyait en son article 4 de nombreuses dispositions dont les suivantes :

« Les co-propriétaires jouiront et disposeront de leurs appartements et locaux comme des choses leur appartenant en toute propriété, à la condition de ne pas nuire aux droits privatifs, ou communs des autres co-propriétaires et sous les réserves expresses ci-après.

Ils pourront modifier comme bon leur semblera la distribution de leurs appartements ou locaux ( '.)

Toutes modifications, tant des parties communes que des parties privatives, devront être exécutées conformément aux règles de l'art et des lois et règlements en vigueur. (')

Les co-propriétaires devront veiller à ce que la tranquillité de l'immeuble et la jouissance paisible de leurs locaux par les occupants ou les autres occupants, ne soit troublée à aucun moment par leur fait, celui des personnes de leur famille des gens à leur service, de leurs visiteurs, de leurs locataire, sous-locataires, occupants à titre quelconque.(...).

Au vu de ce règlement de copropriété, qui rappelait par ailleurs l'occupation bourgeoise de l'immeuble, les époux [H] étaient parfaitement en droit de modifier la distribution de leurs locaux et de changer leur revêtement de sol à condition de le faire conformément aux règles de l'art et de ne pas porter atteinte à la tranquillité des autres copropriétaires ou occupants de l'immeuble.

Il résulte des pièces produites aux débats et des opérations d'expertise que les travaux effectués par les époux [H] ont consisté à coller dans leur cuisine un carrelage sur le carrelage existant, et dans le séjour attenant à cette cuisine, à faire coller un parquet sur le parquet déjà existant. Il ne s'agissait donc pas d'un parquet flottant, mais d'un parquet collé. Les travaux ont été effectués par la société HDS RENOVATION sur la base d'un devis préalable du 5 novembre 2007.

La question est simplement de savoir si ces travaux ont entraîné pour leur voisine de l'étage inférieur un trouble anormal de voisinage, sachant que la chambre de Madame [K] se trouve sous la cuisine et le séjour-salon des époux [H], peu important qu'auparavant ce séjour ait eu un usage de chambre.

L'expert a rappelé dans son premier rapport qu'aucune étude acoustique n'avait été faite entre les deux logements. Il est toutefois établi par les époux [H] (témoignage de l'agence immobilière notamment) que lorsqu'ils ont acquis leur appartement, il n'y avait pas de moquette. Il ne peut donc être soutenu que le parquet posé a remplacé une moquette.

L'expert a rappelé les normes en matière d'isolation acoustique dans les bâtiments d'habitation, ces normes découlant des arrêtés du 14 juin 1969 , 28 octobre 1994, et 30 juin 1999. Il a cependant précisé que ces normes n'étaient pas applicables dans l'immeuble en cause compte tenu de sa date de construction (début des années 1950). Il a néanmoins établi dans son premier rapport que les mesurages du niveau du bruit de choc entre le 5ème et le 6ème étage étaient conformes aux arrêtés sus-mentionnés pour le parquet du séjour [H], ce qui est une indication intéressante pour évaluer le niveau de bruit. Mais il a reconnu une gêne sonore à l'étage inférieur lors des déplacements effectués dans la cuisine des époux [H].

Dans son second rapport du 13 mai 2013, l'expert, qui n'a finalement exécuté aucun sondage, a précisé que sous le parquet du séjour des époux [H], un résilient avait été placé. Mais il a indiqué qu'aucun résilient n'avait été posé sous le carrelage de leur cuisine, ce qui expliquait selon lui les mesures élevées de 73,0 dB(A) lors du mesurage des bruits de choc.

Les appartements en cause dépendent d'un immeuble avec structure en béton du début des années 1950 dans lequel les normes acoustiques n'étaient pas les mêmes que celles existant actuellement. Les normes actuelles d'isolation acoustiques ne lui sont pas applicables. Il n'y a aucune infraction à la réglementation, mais il présente de fait une isolation acoustique médiocre.

Faute de mesurage antérieur des bruits entre les deux appartements ou d'éléments certains de référence, il ne peut être soutenu que les travaux réalisés à la demande des époux [H] ont aggravé un état de confort acoustique antérieur qui aurait été meilleur. Sur ce point les époux [H] ne peuvent être déclarés responsables de cet état de fait, que chacun des copropriétaires de l'immeuble a accepté en acquérant ses lots.

Ce point étant écarté, il faut alors rechercher si le trouble anormal de voisinage peut résulter d'une exécution de travaux non conforme aux règles de l'art, ou encore du comportement excessivement bruyant des époux [H] ou de leurs occupants.

S'agissant des travaux effectués par la société HDS RENOVATION, et bien que Madame [K] affirme que ces travaux n'ont pas été conformes aux règles de l'art et que l'entreprise a manqué à son obligation de conseil, il ne résulte pourtant ni du premier ni du second rapport de l'expert que ces travaux n'ont pas été conformes aux règles de l'art.

L'expert avait indiqué dans son premier rapport que seuls des sondages lui permettraient de répondre à la question de la conformité de ces travaux aux règles de l'art. Il avait avancé que le trouble de voisinage provenait en grande partie des bruits de choc et d'impact par l'utilisation des matériels sur les meubles de cuisine qui n'étaient pas désolidarisés du plancher support et rappelé qu'en général les meubles de cuisine et appareillages reposaient sur un carrelage désolidarisé du plancher support et comportant des joints souples avec le carrelage mural.

L'expert n'ayant pas procédé aux sondages ordonnés dans le cadre de l'expertise complémentaire, l'absence de conformité aux règles de l'art des travaux exécutés par HDS RENOVATION n'est toujours pas établie. L'expert a seulement proposé dans son second rapport de remédier à l'insuffisance de l'isolation phonique de la cuisine du 6ème étage par la mise en place d'un résilient sous le carrelage de la cuisine avec des joints souples entre les meuble de cuisine et les parois verticales et une pose de colliers anti-vibratiles sur les tuyauteries .

Les premiers juges avaient écarté la responsabilité de l'entreprise sur le fondement de l'article 1792 du code civil en relevant que Madame [K] ne faisait état d'aucun élément compromettant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination. L'appelante a finalement abandonné ce fondement de responsabilité en appel.

Sur le plan de la faute contractuelle, les premiers juges ont noté avec pertinence que la société HDS RENOVATION n'avait fait qu'exécuter les travaux prévus à son devis, et n'était pas tenue de procéder à une étude acoustique préalable. La Cour ajoutera qu'elle n'était pas tenue non plus de conseiller d'autres travaux que ceux acceptés par les parties dans le cadre de son devis.

Il résulte de ces éléments que le trouble anormal de voisinage ne peut donc résulter de l'exécution de travaux non conformes au règles de l'art.

Il ne reste plus à envisager que le comportement excessivement bruyant des époux [H].

Or, bien que l'appelante produise de nombreux procès verbaux de constats d'huissier de nature à établir le comportement excessivement bruyant, voire malveillant des époux [H] (qui selon elle attendraient qu'elle rentre chez elle pour faire du bruit) de même que quelques attestations de proches ou de voisins témoignant avoir constaté à plusieurs reprises des mouvements de meubles, des chutes d'objets, des bruits de pas, des coups de marteau répétés (pièces 10 ,11 ,17,21, 22), ces éléments sont contredits par des attestations contraires de voisins, témoignant de l'occupation paisible des lieux de leur appartement par les époux [H], lesquels justifient par ailleurs être souvent en voyage et inviter leur amis ou relations à l'extérieur de l'immeuble, au restaurant notamment. Ils produisent également une déclaration de main courante déposée par Madame [H] au commissariat du 16ème arrondissement pour se plaindre au contraire du tapage nocturne commis le 28 novembre 2014 par le fils de l'appelante et les insultes proférées par celui-ci, ce qui établit que le bruit monte et que les époux [H] sont également importunés par le tapage provenant de l'appartement de Mme [K].

Il ressort de cet ensemble d'éléments que les troubles dont se plaint Madame [K] sont très subjectifs et ne sont que des bruits de la vie courante dans un immeuble d'habitation ancien, mal insonorisé depuis l'origine, laissant passer les bruits domestiques et le bruit des appareils ménagers. Malgré le désagrément qu'en éprouve l'appelante, ces bruits ne sauraient constituer un trouble dépassant les inconvénients normaux de voisinage au sens des prescriptions de l'article 544 du code civil sus-rappelé.

Il en résulte que le trouble anormal de voisinage dont se plaint Madame [K] n'est pas démontré. L'appelante sera donc déboutée de l'intégralité de ses demandes à l'encontre des époux [H].

Sur les demandes de Madame [K] contre la société HDS RENOVATION

La responsabilité contractuelle de la Société HDS RENOVATION ayant été écartée ci-dessus tant en ce qui concerne la conformité des travaux aux règles de l'art (qui n'ont joué aucun rôle dans le trouble allégué) qu'en ce qui concerne un manquement à une obligation de conseil, l'ensemble des demandes d'indemnisation ou de remboursements formées à l'encontre de cette entreprise ne pourra qu'être rejeté.

Sur les demandes de Madame [K] contre la société ALLIANZ IARD

Aucune responsabilité n'ayant été retenue contre la société HDS RENOVATION, la demande de garantie formée par Madame [K] contre l'assureur de cette entreprise s'avère sans objet.

Madame [K] sera donc déboutée de son appel en garantie contre la société ALIANZ IARD venant aux droits de la société GAN EUROCOURTAGE.

Sur les demandes des époux [H]

Bien que les pièces versées aux débats révèlent des relations de voisinage très dégradées entre les époux [H] et Madame [K] ou ses proches, les époux [H] n'établissent cependant pas le harcèlement matériel et moral dont ils auraient été victimes de la part de l'appelante, ni un préjudice subi à hauteur de 30000 euros. Ils seront donc déboutés de leur demande de dommages et intérêts pour harcèlement.

L'appel étant un droit et faute par les époux [H] de démontrer que Madame [K] en exerçant ce droit a commis une faute qui leur aurait été préjudiciable, ou encore aurait agi avec malice, mauvaise foi ou erreur grossière, leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive sera rejetée.

En revanche il serait inéquitable de laisser à leur charge des frais irrépétibles exposés au cours de cette procédure. Madame [K] sera donc condamnée à payer aux époux [H] une somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Le jugement déféré sera donc partiellement infirmé en ce sens.

Sur les demandes de la société HDS RENOVATION

Faute par la société HDS RENOVATION de démontrer l'abus de procédure commis par Madame [K] dans l'exercice de son droit d'appel, et de la faute qu'elle aurait commise par malice, mauvaise foi ou erreur grossière, sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive sera rejetée.

S'agissant de la demande en paiement d'un solde de facture de 1000 euros, il y a lieu de constater que cette demande, irrecevable pour n'avoir pas été présentée en première instance dans le dispositif des conclusions de HDS, est en outre mal fondée au regard de l'attestation produite aux débats par Madame [K] (attestation WORMSER du 21 février 2008, pièce 5) établissant que le paiement de cette somme a été effectué en espèces le 15 janvier 2008 entre les mains de l'entrepreneur. La société HDS RENOVATION sera donc déboutée de cette demande.

En revanche, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société HDS RENONVATION les frais irrépétibles exposés au cours de cette procédure. Madame [K] sera donc condamnée à lui payer une somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Le jugement déféré sera donc partiellement infirmé en ce sens.

Sur les demandes de la société ALLIANZ IARD

Il serait également inéquitable de laisser à la charge de la compagnie ALLIANZ IARD les frais irrépétibles exposés au cours de cette procédure. Madame [K] sera donc condamnée à lui payer une somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur les dépens

Madame [W] [K] qui succombe supportera les dépens de première instance et d'appel incluant les frais du référé et de la double expertise judiciaire. Ces dépens pourront être recouvrés par les avocats en ayant fait la demande conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne le rejet des demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant sur ce point et ajoutant au jugement déféré,

Condamne Madame [W] [K] à payer sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile les sommes de :

- 3000 euros à Monsieur et Madame [O] et [I] [H],

- 1000 euros à la société HDS RENOVATION,

- 1000 euros à la compagnie ALLIANZ IARD venant aux droits de la société GAN EUROCOURTAGE,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

Condamne Madame [W] [K] aux entiers dépens qui comprendront les frais de la double expertise judiciaire,

Dit que ces dépens pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 10/23754
Date de la décision : 04/03/2015

Références :

Cour d'appel de Paris G2, arrêt n°10/23754 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-03-04;10.23754 ?
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