RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRÊT DU 26 Février 2015
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/10118
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Avril 2012 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS - RG n° 10/16764
APPELANT
Monsieur [P] [L]
[Adresse 1]
non comparant, représenté par Me Oleg KOVALSKY, avocat au barreau de PARIS, toque : C0679
INTIMEE
ASSOCIATION ADIAM
[Adresse 2]
représentée par Me Dahlia ARFI ELKAIM, avocat au barreau de PARIS, toque : C1294
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Décembre 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Luce CAVROIS, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Luce CAVROIS, Présidente
Madame Evelyne GIL, Conseillère
Madame Isabelle DOUILLET, Conseillère
Qui en ont délibéré
Greffier : Melle Flora CAIA, lors des débats
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Luce CAVROIS, Présidente et par Mademoiselle Flora CAIA, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [P] [L] a été engagé le 3 mai 2007 en qualité d'aide-soignant diplômé, par un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel en date du 27 septembre 2007 par l'association ADIAM.
La moyenne des 3 derniers mois de salaire s'élève à 1 812,79 euros pour 130h mensuelles.
La convention collective applicable est la convention collective nationale des Établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951.
M. [L] a reçu un avertissement le 18 septembre 2009 pour avoir pris son temps pour se rendre d'un patient à un autre et n'avoir pas bipé la surveillante. Il conteste cet avertissement par un courrier du 28 septembre 2009 et dénonce comme discriminatoire la mesure l'obligeant à biper la surveillante à son arrivée et à son départ du domicile des patients.
Alertée par un usager du grand état de fatigue et de nervosité du salarié sur son lieu de travail, l'ADIAM le soupçonne de cumuler deux emplois. Par un courrier du 4 août 2010, la clinique privée de la DHUYS confirme employer M. [L] en tant qu'aide-soignant, à temps plein, de nuit.
Ce courrier parvient au cabinet de l'avocat de l'ADIAM alors qu'il est fermé et que l'avocat est en arrêt maladie de sorte que l'ADIAM n'a pris connaissance de cette information que le 13 septembre 2010.
Par un courrier du 7 octobre 2010, l'ADIAM informe M. [L] que sa situation de cumul d'emplois est en contradiction avec l'article 6 de son contrat de travail et la législation de la durée maximale du temps de travail dans le cadre d'un cumul d'emplois. En conséquence, elle lui demande de réduire son temps de travail auprès de la clinique privée de la DHUYS, n'ayant pas elle-même un contrat aux horaires plus restreints à lui proposer.
L'ADIAM convoque M. [L] à un entretien préalable à un licenciement pour le 12 novembre 2010 par un courrier du 29 octobre 2010.
Par un courrier du 2 novembre 2010, M. [L] rappelle à l'ADIAM qu'il lui a indiqué qu'il travaillait de nuit dès l'entretien d'embauche et ne précise pas qu'il réduira ses horaires.
M. [L] ne s'est pas rendu à l'entretien préalable au licenciement le 12 novembre 2010.
Par un courrier du 26 novembre 2010, l'ADIAM notifie à M. [L] son licenciement pour faute grave sans préavis et sans indemnités, pour violation de la législation relative à la durée légale du travail.
Contestant son licenciement, M. [L] a saisi le Conseil de prud'hommes de Paris, qui le déboute de l'ensemble de ses demandes et le condamne au paiement des dépens par un jugement du 12 avril 2012.
M. [L] interjette appel le 23 octobre 2012.
À l'audience du 19 décembre 2014, M. [L], représenté par son avocat, demande à la Cour d'infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes et, statuant à nouveau,
-d'annuler les avertissements du 27 avril 2008 et du 18 septembre 2009,
-de dire et juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-de condamner l'ADIAM au paiement de
-2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour comportement discriminatoire ;
-2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour sanctions illicites ;
-3 625,58 euros au titre de l'indemnité de préavis ;
-362,55 euros au titre des congés payés afférents ;
-1 812,79 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;
-10 876,74 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
-d'ordonner la remise de bulletins de paie et d'une attestation Assedic rectifiée sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard,
-de condamner l'ADIAM au versement de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
-de condamner l'ADIAM au paiement des intérêts légaux sur le montant des dommages et intérêts alloués à compter du jour de l'introduction de l'instance, à titre de réparation complémentaire conformément aux dispositions de l'article 1153 du Code civil,
-et de dire et juger qu'il sera fait application de l'article 1154 du Code civil.
L'ADIAM demande la confirmation du jugement du Conseil de prud'hommes de Paris du 12 avril 2012 et que M. [L] soit débouté de l'ensemble de ses demandes.
À titre subsidiaire, elle demande que le licenciement soit jugé comme ayant une cause réelle et sérieuse.
En tout état de cause, l'ADIAM demande la condamnation de M. [L] à lui verser 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
SUR CE LA COUR
Sur l'annulation des avertissements
M. [L] demande l'annulation de deux avertissements qu'il a reçu le 27 avril 2008 et le 18 septembre 2009. À l'appui de sa demande, il invoque notamment l'irrégularité du règlement intérieur sur lequel ces sanctions sont fondées.
L'article L. 1321-4 alinéa 3 du Code du travail dispose que "en même temps qu'il fait l'objet des mesures de publicité, le règlement intérieur, accompagné de l'avis du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel et, le cas échéant, du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, est communiqué à l'inspecteur du travail". Il en résulte que l'employeur qui ne justifie pas avoir préalablement consulté les représentants du personnel et communiqué le règlement à l'inspecteur du travail ne peut reprocher à son salarié un manquement aux obligations édictées par ce règlement.
Si le règlement intérieur de l'ADIAM précise, en son article 21-2, que le règlement a été soumis aux membres du comité d'entreprise, il n'est cependant pas justifié de la communication à l'Inspection du travail.
Dès lors, l'ADIAM ne pouvait se fonder sur son règlement intérieur pour sanctionner M. [L] et les avertissements litigieux seront annulés.
Le fait pour un salarié de se voir notifier des avertissements entraîne nécessairement un préjudice, en l'absence de justifications particulières, il sera alloué en réparation à M. [L] la somme de 200 euros .
Sur la mesure discriminatoire
M. [L] allègue que l'obligation qui lui a été faite de biper la surveillante à son arrivée et à son départ du domicile de ses patients est discriminatoire car il est le seul à y être tenu, ses collègues n'y étant pas soumis.
Il n'apporte cependant pas la preuve d'un préjudice causé par cette obligation, de sorte que sa demande de dommages et intérêts pour comportement discriminatoire sera rejeté.
Sur le licenciement
Sur le pouvoir du signataire de la lettre de licenciement
M. [L] allègue que le pouvoir de licencier appartient au Conseil d'administration en vertu de l'article 13 des statuts de l'association et qu'il appartient au Président de l'association d'exécuter les décisions du Conseil. Bien que l'intimée produise une délégation de pouvoir du Président à la Directrice générale, elle ne justifie pas d'une délibération du Conseil d'administration concernant le licenciement de M. [L], de sorte qu'il se trouve dénué de cause réelle et sérieuse.
Cependant, aucune disposition n'exige que la délégation du pouvoir de licencier soit donnée par écrit. Elle peut être tacite et découler des fonctions du salarié qui conduit la procédure de licenciement.
En l'espèce, la procédure de licenciement de M. [L] a été conduite par la Directrice générale de l'ADIAM dont la mission est notamment la gestion du personnel.
La directrice générale avait donc pouvoir, du fait de ses fonctions, pour conduire valablement cette procédure.
Sur la prescription des faits
M. [L] affirme qu'il avait informé son employeur de sa situation de cumul d'emplois dès l'entretien d'embauche soit plus de 2 ans avant son licenciement, de sorte que les faits reprochés étaient prescrits en vertu de l'article L. 1332-4 du Code du travail.
L'ADIAM déclare n'avoir eu connaissance des faits que le 13 septembre 2010.
Cependant, l'article L. 1332-4 du Code du travail ne fait pas obstacle à la prise en considération de faits antérieurs à 2 mois dans la mesure où le comportement du salarié s'est poursuivi dans ce délai.
La situation de cumul irrégulier d'emplois s'étant poursuivie tout au long de la relation de travail, les faits reprochés à M. [L] ne sont pas prescrits et pouvaient dès lors faire l'objet d'une sanction.
Sur le délai restreint
M. [L] indique que la procédure de licenciement a été engagée le 29 octobre 2010, soit plus d'un mois après que l'employeur affirme avoir eu connaissance de la situation. Or, ce délai de plus d'un mois serait en contradiction avec l'obligation d'engager la procédure de licenciement pour faute grave dans un délai restreint.
Cependant il y a lieu d'observer que l'ADIAM a invité M. [L] à se conformer aux prescriptions légales relatives à la durée du travail avant d'entamer toute procédure de sanction, ce qui justifie le délai raisonnable de plus d'un mois.
Sur l'absence de cause réelle et sérieuse du fait des avertissements précédents
L'appelant affirme que l'annulation judiciaire des avertissements antérieurs au licenciement rend celui-ci sans cause réelle et sérieuse en application de l'article 05.03.2 de la convention collective applicable.
Cependant, cet article stipule que deux sanctions préalables sont nécessaires à une mesure de licenciement, "sauf en cas de faute grave". Il n'est donc pas applicable à l'espèce.
Sur la gravité de la faute
Il incombe à l'employeur qui a licencié pour faute grave de rapporter la preuve que les faits invoqués constituaient une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant le préavis.
Les articles L. 3121-34 à L. 3121-37, L. 8261-1 à L. 8261-3, D. 8261-1 et D. 8261-2, et R. 8261-1 et R. 8261-2 du Code du travail relatifs à la législation en matière de durée maximale du travail indiquent que la durée maximale de travail dans le cadre d'un cumul d'emplois est de 48h par semaine ou 44h par semaine calculées sur une période de 12 semaines consécutives.
Le non-respect de ces dispositions fait encourir au salarié et à l'employeur une amende pour contravention de cinquième classe.
De plus, l'article 7 du contrat de travail liant M. [L] à l'ADIAM stipule que M. [L] "s'engage en cas de cumul d'emplois à respecter les dispositions légales relatives à la durée du travail" et que "le non-respect du présent article serait susceptible de remettre en cause les présentes relations contractuelles".
Il est constant que M. [L] cumulait deux emplois, l'un à temps partiel à hauteur de 30h par semaine auprès de l'ADIAM et l'autre à temps plein auprès de la clinique privée de la [1]. Il travaillait donc 65h par semaine au minimum.
Sa durée hebdomadaire de travail était bien supérieure à la durée légale autorisée, ce qui constitue à la fois une violation de la législation du travail et des dispositions de son contrat de travail.
Mis en demeure par l'ADIAM de régulariser sa situation, M. [L] n'a pas réduit ses horaires, maintenant la violation de la durée légale du travail et le risque de sanction pénale pour lui-même et son employeur.
Génératrice de stress et de fatigue, cette situation constituait un danger pour la santé et la sécurité du salarié mais aussi pour celle des patients car elle risquait d'affecter la qualité de son travail d'aide-soignant.
Il en résulte que le maintien du salarié dans l'entreprise était illégal et créateur d'insécurité. Le maintien du salarié était dès lors impossible, même pendant le préavis. La faute grave est donc caractérisée.
La décision de première instance doit donc être confirmée sur ce point.
Sur les incidences financières du licenciement
La demande de l'appelant relative au licenciement étant rejeté, M. [L] sera débouté de ses demandes d'indemnités.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Au regard des circonstances et des situations respectives des parties les demandes fondées sur l'article 700 du Code d procédure civile seront rejetées et chaque partie conservera à sa charge les dépens exposés par elle en appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme partiellement le jugement du Conseil de prud'hommes de Paris du 12 avril 2012 en ce qu'il a jugé les avertissements valides et rejeté la demande de dommages et intérêt de ce chef,
Confirme le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Annule les avertissements prononcés le 27 avril 2008 et le 18 septembre 2009,
Condamne l'ADIAM à verser à M. [P] [L] la somme de 200 € en réparation du préjudice subi,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Dit que chaque partie conservera à sa charge des dépens exposés par elle en appel.
Le Greffier,La Présidente,