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18/02/2015 | FRANCE | N°12/08077

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 18 février 2015, 12/08077


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRÊT DU 18 Février 2015

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/08077 EMJ



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 Mars 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 10/00549





APPELANTE

Madame [F] [Y]

[Adresse 5]

[Localité 2]

comparante en personne, assistée de Me Jérôme WATRELOT, avocat au b

arreau de PARIS, toque : K0100 substitué par Me Myriam ANOUARI, avocat au barreau de PARIS, toque : K 100





INTIMEE

L'ASSOCIATION DES PARENTS D'ELEVES DE L'ECOLE FRANCAISE [1]

[...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRÊT DU 18 Février 2015

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/08077 EMJ

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 Mars 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 10/00549

APPELANTE

Madame [F] [Y]

[Adresse 5]

[Localité 2]

comparante en personne, assistée de Me Jérôme WATRELOT, avocat au barreau de PARIS, toque : K0100 substitué par Me Myriam ANOUARI, avocat au barreau de PARIS, toque : K 100

INTIMEE

L'ASSOCIATION DES PARENTS D'ELEVES DE L'ECOLE FRANCAISE [1]

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Roseline SAUSER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0261

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Décembre 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine BRUNET et Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillères , chargées du rapport.

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente

Madame Catherine BRUNET, Conseillère

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère

Greffier : Mme Lynda BENBELKACEM, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Madame Lynda BENBELKACEM, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

L'association des parents d'élèves de l'école française [1] est une association à but non lucratif régie par la loi du 1er juillet 1901 dont le siège social est fixé au [Adresse 3].

Elle a pour objet de donner la possibilité aux enfants de langue française résidant en Inde de recevoir une instruction conforme aux programmes de l'éducation nationale française et gère l'école française à [Localité 3], devenue lycée français [1], située [Adresse 1] dans l'ambassade de France.

L'école française est un établissement privé homologué par le ministère français de l'éducation nationale. Elle fonctionne dans le cadre d'une convention signée par l'association en décembre 2003 avec l'AEFE qui propose des postes d'expatriés et de résidents à des titulaires de la fonction publique française qui sont détachés sur un contrat auprès de l'agence. A ces recrutements se rajoutent une troisième catégorie de personnel appelés 'recrutés locaux' qui sont pourvus directement par l'association de parents d'élèves.

Madame [Y] a été engagée par l'association des parents d'élèves de l'Ecole Française [1] par 'contrat local' en date du 22 mai 2003 en qualité de professeur de biologie, 3,5 heures par semaine et conseillère d'éducation 35,5 heures par semaine pour la rentrée scolaire 2003.

Son contrat a été renouvelé à 4 reprises, la durée hebdomadaire de travail augmentant à chaque rentrée scolaire.

En dernier lieu elle percevait un salaire mensuel brut de 1537,13 euros en qualité de conseillère d'éducation et 506,33 € en qualité de professeur.

À compter de février 2007, le personnel français de l'école a demandé à la présidente du comité de gestion que soit clarifiée la situation des salariés embauchés sous 'contrat local'qui ne pouvaient payer leurs impôts ni en Inde ni en France, ni cotiser aux ASSEDIC et à une caisse de retraite complémentaire.

Le 18 mars 2007, le président du comité répondait par une note que les contrats locaux étaient soumis au droit indien et que l'école n'avait aucune obligation envers les organismes sociaux de France.

Les 12 et 21 mars 2008 Mme [Y] attirait l'attention de sa hiérarchie sur le défaut de versement de la prime ISOE (indemnité de professeur principal)prévue par ses contrats de travail, et sur la précarité de sa situation.

Par courrier du 21 mai 2008,Mme [F] [Y] a exposé qu'elle ne renouvelait pas son contrat de conseillère d'éducation et de professeur de biologie pour l'année scolaire 2008 2009.

Le 18 juin 2008 elle a réclamé le paiement de la prime ISOE qui lui a été refusée par l'association par courrier du 21 juin 2008.

Le 15 janvier 2010 Mme [F] [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris de demandes visant notamment, à voir juger que la loi française est applicable à son contrat de travail, à voir celui ci qualifié de contrat à durée indéterminée et sa démission requalifiée en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le conseil de prud'hommes de Paris, par jugement en date du 1er mars 2012 auquel la Cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a considéré que le contrat de travail de la salariée était soumis au seul droit indien et a débouté la salariée de toutes ses prétentions si ce n'est qu'elle a condamné l'association à lui payer la somme de 2945,52 euros correspondant à la prime ISOE pour les années 2005 2006 et 2006 2007, outre 700 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [F] [Y] a relevé appel de ce jugement par déclaration parvenue au greffe de la cour le 2 août 2012.

L'affaire a été plaidée à l'audience du 25 novembre 2014.

Mme [F] [Y] reprend toutes ses demandes.

En conséquence, Mme [F] [Y] demande à la cour de confimer le jugement du conseil de prudhommes en ce qu'il lui accorde ses primes ISOE et l'infirme pour le suplus

Elle demande:

'dire que la loi française est applicable au litige,

'qualifier ses contrats en un contrat à durée indéterminée de droit français,

' En conséquence :

'qualifier sa démission en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

'condamner l'association au versement des sommes suivantes :

*indemnités de licenciement : 2166,19 euros,

*dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse : 25 994,28 euros,

*indemnités pour licenciement irrégulier : 2166,19 euros,

*indemnité forfaitaire pour travail dissimulé : 12 997,14 euros,

*dommages et intérêts pour perte de droit à retraite et chômage: 25 994,28 euros

*article 700 : 3000 €,

'ordonner la remise de documents de fin de contrat certifiés conformes, sous astreinte de 15 € par document est jour de retard à compter de la notification du présent jugement,

'condamner l'association aux entiers dépens.

En réponse, l'association des parents d'élèves de l'Ecole Française [1] fait valoir que si elle est domiciliée en France au siège de l'association nationale des écoles françaises à l'étranger 'ANEFE' comme toutes les associations de parents d'élèves gérant des écoles françaises à l'étranger, elle n'exerce directement ou indirectement, aucune activité en France et que la salariée a été recrutée en Inde.

En conséquence, l'association des parents d'élèves de l'Ecole Française [1] demande à la cour de :

' confirmer le jugement du 1er mars 2012 du conseil de prud'hommes de Paris qui a conclu à l'application du droit indien et à la régularité de la démission de la salariée et qui l'a déboutée de toutes ses demandes,

' constater que le bénéfice de l'assurance-chômage ,celui de la retraite complémentaire sont réservés au salarié qui travaille soit en France soit à l'étranger, sur la base d'un contrat de détachement ou d'expatriation,

' confirmer en conséquence le jugement ayant débouté Mme [F] [M] de ses demandes au titre de l'assurance-chômage et de la retraite complémentaire,

' constater que les indemnités de suivi et d'orientations des élèves ont été instituées par un décret du 2 novembre 1971 qui en réserve l'attribution aux seuls enseignants fonctionnaires de l'État français; qu' en prenant l'engagement unilatéral en janvier 2008 de verser les ISOE à une catégorie de salariés non prévue par le texte initial, elle était bien fondée à en limiter la rétroactivité à la seule année scolaire 2007/ 2008,

' En conséquence :

' infirmer le jugement ayant condamné l'association à payer à Mme [F] [Y] la somme de 2945,52 euros et condamner Mme [F] [Y] à lui rembourser cette somme,

' en toute hypothèse :

' debouter Mme [F] [Y] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' la condamner à lui payer la somme de 3000 €.

MOTIFS

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur le droit national applicable

Mme [Y], de nationalité française, a été recrutée directement par l'association des parents d'élève de l'école [1].

Elle a conclu 5 contrats ' de droit local' successifs d'un an entre 2003 et 2008 pour exercer les fonctions de professeur de biologie SVT et de conseillère d'éducation au sein de l'école privée située à [Localité 3] en Inde.

Elle expose que sous la dénomination 'contrat local' l'association a créé des contrats sui generis qui n'étaient soumis ni au droit français, ni au droit indien; que vis-à-vis des autorités indiennes l'employeur présentait l'école comme une French ambassy School dans la mesure où elle était située sur un terrain diplomatique ce qui lui permettait de n'être soumise à aucune sujétion créée par le droit indien comme le paiement d'impôts locaux ou l'obligation de dispenser des cours en anglais et d'accueillir des élèves de nationalité indienne; qu'à l'inverse vis-à-vis des organismes sociaux français, l'école feignait de faire application du droit indien alors même qu'aucune mention de la législation indienne n'a jamais été fait dans aucun contrat.

Elle estime que le conseil de prud'hommes a estimé à tort que la loi indienne devait trouver à s'appliquer et sollicite sur le fondement de la convention de Rome du 19 juin 1989, l'application de la loi française.

L'association répond qu'elle gère un établissement d'enseignement du français à l'étranger et doit à ce titre être homologuée par le ministère de l'éducation nationale et signer une convention avec l'AEFE, établissement public national à caractère administratif qui a pour objet de veiller au bon fonctionnement des établissements scolaires français situés à l'étranger et classés en 3 catégories, dont celle des d'établissements scolaires privés conventionnés, à laquelle elle appartient; que la signature de cette convention aboutit à répartir les rôles entre l'AEPE et l'APE quant à la gestion matérielle et financière de l'école, la gestion pédagogique les aides financières sous forme de prise en charge de certains salaires et divise en outre le personnel enseignant et administratif en 3 catégories dont celle des recrutés locaux qui est à distinguer de celle des expatriés et des résidents rassemblant du personnel embauché et payé directement par l'AEPE ; que les recrutés locaux concluent un contrat local soumis au droit indien.

En l'absence de convention bilatérale entre la France et l'Inde, ou de convention multilatérale liant les 2 Etats, les règles de conflit permettant de déterminer la loi applicable aux contrats de travail internationaux, sont fixées par la convention de Rome du 19 juin 1980, dispositif de coordination universelle.

La convention de Rome du 19 juin 1980 prévoit en cas de conflit de lois des parties sur le droit national applicable :

' en son article 3 l'application de la loi choisie par les parties.

Mais ce choix doit être express ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause, et en l'espèce, aucun choix express n'a été fait par les parties qui n'ont pas désigné la loi applicable .

' en son article 4 l'application de la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits.

Il est présumé que le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit exécuter la prestation au moment de la conclusion du contrat a sa résidence habituelle; que toutefois si le contrat est conclu dans l'exercice de l'activité professionnelle de cette partie, ce pays est celui où est situé son principal établissement ce qui revient à présumer applicable la loi du lieu habituel de travail soit en l'espèce l' Inde.

Mais l'article 6 de la Convention, plus spécialement applicable au contrat individuel de travail précise sous 2, dans sa lecture effectuée par la cour de justice de l'union européenne dans un arrêt du 2 septembre 2013, '..que nonobstant les dispositions de l'article 4 et à défaut de choix exercé conformément à l'article 3, le contrat est régi par la loi du pays où se trouve l'établissement qui a embauché le travailleur, à moins qu'il ne résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de cet autre pays est applicable.'

Il apparaît ainsi que la recherche des circonstances permettant de démontrer que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays que celui du lieu habituel du travail doit permettre au juge d'écarter, à la demande d'une partie, la loi applicable dans ce pays au profit de la loi du pays avec lequel il existe un lien plus étroit car l'objectif poursuivi par la convention est d'assurer une protection adéquate aux travailleurs.

Pour caractériser la notion de 'lien étroit'qui n'est pas définie par la convention de Rome ou le règlement européen du 17 juin 2008 , il faut tenir compte d'un ensemble de critères dégagés par la jurisprudence et notamment de la langue employée dans le contrat, du lieu de conclusion du contrat, de la nationalité des contractants, de l'implantation de l'entreprise, du lieu et de la monnaie de paiement, du tribunal choisi par les parties, du choix fait en matière de sécurité sociale, de l'exclusivité du lieu d'exécution du contrat, du pouvoir de direction, de la provenance des lettres adressées au salarié pendant l'exécution de son contrat.

Par ailleurs la cour de justice de l'union européenne dans son arrêt du 12 septembre 2013 a précisé que devaient également être pris en compte pour déterminer la loi applicable, le pays dans lequel le salarié s'acquitte des impôts et des taxes afférents aux revenus de son activité, celui dans lequel il est affilié à la sécurité sociale et aux divers régimes de retraite, d'assurance-maladie et d'invalidité et des circonstances de l'affaire, tel que notamment, les paramètres liés à la fixation du salaire ou des autres conditions de travail.

Au regard de ces critères il convient de constater :

-qu'un certain nombre des critères sus visés qui avaient motivé les inquiétudes des salariés quant au flou de la situation entourant leurs obligations fiscales et leur affiliation aux caisses d'assurance-chômage et de retraite ne sont pas renseignés

Ainsi si l'association invoque la souscription d'une assurance auprès d'une compagnie d'assurance indienne qui est mentionnée sur le contrat de travail de la salariée, elle n'apporte aucun commencement de preuve permettant de démontrer que ce contrat a bien été conclu et a pour conséquence de permettre l'affiliation du salarié à la sécurité sociale ou au régime de retraite d'assurance-maladie ou d'invalidité en Inde.Par ailleurs la salariée qui prétend payer ses impôts en France, ne justifie pas plus qu'elle se serait acquittée dans l'un ou l'autre pays des impôts et des taxes afférents aux revenus de son activité et du paiement des impôts.

-que certains critères se rattachent aux 2 pays.

Ainsi les contrats sont rédigés en langue française et d'autres en langue anglaise et contiennent des références à la monnaie locale.

Les bulletins de salaire sont établis à [Localité 3] et prévoient une rémunération en euros et en roupies.

De même si l'établissement privé est à [Localité 3] en Inde, il occupe des locaux loués, dans le cadre de convention d'occupation précaire et dans son enceinte, par l'ambassade de France.

-qu'en revanche le rattachent exclusivement à la France:

*un contexte particulier privilégié dans le cadre duquel s'exerce le contrat puisque:

. l'objet même de l'association est de donner la possibilité aux enfants de langue française résidant en Inde de recevoir une instruction conforme aux programmes de l'éducation nationale française,

.son mode de fonctionnement lui impose l'homologation de l'établissement par le ministère français de l'éducation nationale,

. la nomination et la rémunération du chef de cet établissement privé qui a signé le contrat de la salariée sont assurées par l'agence pour l'enseignement français à l'étranger en application de la signature d'une convention,

.de nombreux collègues exerçant les mêmes fonctions bénéficient du régime français dans le cadre de la convention précitée en qualité, d'expatriés et de résidents, agents titulaires de la fonction publique recrutés hors du pays d'affectation par le directeur de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger, établissement public national à caractère administratif et rémunérés directement par celle-ci ;

*la nationalité des parties au contrat.

Ainsi l'association de parents d'élèves de l'école française de [1] est une association à but non lucratif régie par la loi du 1er juillet 1901, dont le siège social est fixé [Adresse 2].

Mme[Y] est française selon son profil de poste transmis lors de sa candidature spontanée du 14 avril 2003, 'titulaires d'un BAFA, licencié en géographie, et travaillait depuis 4 ans dans un collège à [Localité 4] comme surveillante d'externat '

*les voies de recours en cas de contentieux n'impliquant que des organismes français, établissement public administratif, ministères des affaires étrangères ou de l'éducation nationale française.

Ainsi le contrat prévoit une intervention du conseiller de coopération et d'action culturelle à titre de médiateur, le comité de gestion de l'école française [Localité 3] et en dernier recours le conseil d'administration de l'établissement dont il est rappelé que le directeur est nommé et rémunéré par l'AEFE.

En conséquence ayant relevé que les parties n'avaient pas fait choix d'une loi pour régir leur rapport, considérant que les contrats de travail successifs de la salariée avaient été conclus entre des personnes de nationalité française, que la salariée exerçait ses fonctions à l'étranger dans un établissement dont le mode de fonctionnement supposait l'homologation d'un ministre français et la signature d'une convention avec un organisme français, et que ceux-ci disposaient d'un pouvoir de contrôle et de nomination, et considérant par ailleurs qu'aucun indice exclusif, si ce n'est le lieu d' exécution de la prestation, ne permettait de rattacher le contrat au droit indien, il apparaît que sous la dénomination 'contrat local' , a été conclu un contrat de travail soumis à la loi française.

Il y a donc lieu d'infirmer la décision déférée en ce qu'elle a considéré que s'appliquait la loi indienne.

Sur la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée

Mme [F] [Y] a conclu un contrat à durée déterminée pour assurer les fonctions pour 3,5 heures hebdomadaires, de professeur de biologie et pour 35,5 heures hebdomadaires, de conseiller d'éducation pour l'année scolaire 2003/2004.

Ce contrat a été renouvelé à 4 reprises pour les années scolaires suivantes pour exercer les mêmes fonctions pour un horaire hebdomadaire de 35,5 à 39 heures.

En dernier lieu elle percevait un salaire mensuel brut de 1537,13 euros en qualité de conseiller d'éducation et de 506,33 € en qualité de professeur.

Les emplois liés à l'organisation de l'enseignement ne sont pas d'usage des contrats à durée déterminée dans la mesure où l'emploi occupé présente un caractère permanent d'autant lorsque comme en l'espèce le salarié est recruté pour enseigner une discipline dispensée de façon permanente dans l'établissement sans autre interruption que celle des vacances scolaires.

Par ailleurs l'article 7 de la convention collective de l'enseignement privé des professeurs du secondaire, précise que les enseignants sont embauchés sous contrat à durée indéterminée.

Enfin les contrats conclus ne répondent pas aux dispositions formelles impératives de l'article L 1242 ' 12 du code du travail.

Il en résulte dès lors que la relation de travail ne pouvait s'inscrire dans le cadre d'un contrat à durée déterminée et qu'en conséquence la relation de travail doit être requalifié en un contrat à durée indéterminée.

Sur la demande de requalification de la prise d'acte en un licenciement et ses conséquences

Dans sa lettre du 26 mai 2008, Mme [F] [Y] a mis fin au contrat de travail en exposant :

'je vous confirme officiellement mon choix de ne pas renouveler mon contrat pour l'année prochaine'.

Elle a saisi en janvier 2010 le conseil de prud'hommes aux fins notamment de voir requalifier cette démission en une rupture du contrat aux torts exclusifs de l'employeur.

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Lorsque le salarié remet en cause celle-ci en raison de faits aux manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission, qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, ou dans le cas contraire, d'une démission.

En l'espèce il résulte des différents courriers produits, que la démission de la salariée s'inscrit dans des difficultés apparues à compter de février 2007 alors que le personnel français de l'école a formellement demandé à la présidente du comité de gestion que soit clarifiée la situation des salariés embauchés sous « contrat local » qui ne pouvait payer leurs impôts en Inde et en France, ni cotiser aux ASSEDIC ou aux caisses de retraite ; qu'à ces interrogations l'école a répondu qu'elle était soumise au droit étranger; que le 12 mars 2008, Mme [F] [Y] a encore attiré l'attention de la hiérarchie sur le défaut de versement d'une prime ISOE prévue par ses contrats de travail, mais également sur la précarité de sa situation, en demandant sa régularisation auprès des organismes sociaux en France.

En l'absence de réponse elle écrit à sa hiérarchie le 21 mai par email :

'malgré mes courriers du 12 mars du 21 avril 2008, vous n'avez toujours pas pris de décision ni même répondu à mes nombreux e-mails. Le temps de la patience et de la réflexion est terminé. Nous ne voulons pas continuer à travailler pour des gens qui nous méprisent. Nous vous annonçons donc que Monsieur [K] et moi-même ne renouvelons pas nos contrats '.

En conséquence il est établi que la démission du 26 mai 2008 présente un caractère équivoque.

Par ailleurs les manquements reprochés par la salariée à l'employeur qui l'a maintenue dans une situation précaire alors qu'elle aurait dû bénéficier d'un contrat à durée indéterminée, sont suffisamment graves pour justifier la requalification de la rupture en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Considérant l'ancienneté de la salariée, la taille de l'association le nombre de salariés, la rémunération et l'absence de respect de la procédure de licenciement et sur le fondement de l'article L 1235 ' 3 du code du travail, la rupture du contrat aux torts de l'employeur, ouvre droit au bénéfice du salarié à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui se fixera à 15 000 €.

Par ailleurs en application des dispositions L1234 ' 9 du code du travail, il sera fait droit à la demande de 2166,19 euros à titre d'indemnité de licenciement.

En revanche le code du travail ne prévoit pas en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'allocation d'une autre indemnité pour inobservation des formalités de licenciement de sorte que Mme [F] [Y] est déboutée de sa demande à ce titre.

Sur le rappel de primes ISOE 2005 et 2006

L'article 11 des contrats de travail de Mme [F] [Y] dispose :

« le contractant percevra s'il a lieu les indemnités liées à ses fonctions (I.S.O.E indemnité de professeur principal..... selon les modalités fixées par sa grille indiciaire de référence '.

Cette prime ISOE a été versée à compter de janvier 2007 et par courrier du 12 mars 2008, la salariée a attiré l'attention de sa hiérarchie sur le fait qu'elle ne lui avait jamais été réglée les années précédentes.

L'association estime que l' indemnité de suivi et d'orientation des élèves, instituée par un décret du 2 novembre 1971 plusieurs fois remanié mais dont le champ d'application est toujours resté le même , est réservée aux enseignants fonctionnaires; qu'au début de l'année 2008, l'école française [1] a accepté de verser de telles indemnités au personnel enseignant recruté local à titre d'engagement unilatéral et avec une rétroactivité limitée à l'année scolaire 2007/ 2008; que c'est donc à juste titre que le président de l'association des parents d'élèves a répondu dans sa lettre du 21 juin 2008 à la salariée que l'indemnité ne lui était pas due pour les périodes précédant l'année scolaire 2007 2008.

Mais si l'obligation au paiement de cette prime pour les fonctionnaires enseignants ressort d'un décret du 2 novembre 1971, et pour les recrutés locaux d'une décision de l'école, cette obligation, dans le cas d'espèce de Mme [F] [Y] repose sur l'exécution même de son contrat de travail.

En conséquence les objections de l'école ne sont pas pertinentes et le jugement du conseil de prud'hommes doit être confirmé en ce qu'il condamne l'association à lui verser la somme de 2945,52 euros correspondant aux primes ISOE 2005 et 2006.

Sur le travail dissimulé

Mme [F] [Y] expose que l'association n'a pas hésité à éluder l'application de la loi française et à mentir à ses salariés recrutés sous contrat local, qu'elle a manqué à ses obligations de procéder aux déclarations aux organismes de protection sociale et fiscaux; qu'au regard de ces manquements elle demande sa condamnation à lui payer une indemnité forfaitaire de 6 mois de salaire pour travail dissimulé

Mais considérant que l'association a souscrit une assurance auprès d'une compagnie d'assurance locale pour les frais liés à la maladie et à l'accident et qu'elle en paye des primes ainsi que prévu à l'article 13 du contrat de travail, qu'il n'est pas établi qu'elle aurait refusé de rembourser, en partie ou totalement sur le risque couvert, les cotisations versées par le salarié recruté local, si celui-ci avait décidé de s'affilier à la caisse des Français à l'étrangeret considérant qu'elle a pû ,à tort mais de bonne foi, estimer qu'elle relevait de la seule législation indienne, la preuve d'une intention frauduleuse n'est pas établie

En conséquence la salariée ets déboutée de sa demande à ce titre.

Sur la demande de dommages et intérêts pour perte de droit au chômage et à la retraite

Mme [Y] demande la somme de 25 994,28 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de droits à retraite et chômage correspondant à douze mois de salaire.

En l'espèce il n'est ni démontré ni même allégué que Mme [Y] bénéficie du statut de détachée puisque, puisqu'elle a été embauchée directement en Inde pour y travailler de manière exclusive.Elle relève donc en principe du statut d'expatriée de sorte qu'elle n'aurait pas bénéficié de plein droit du régime français de sécurité sociale et de retraites

Mais ce régime aurait pu lui être accordé sous certaines conditions si elle l'avait expressément demandé.

Aussi en refusant de soumettre son contrat de travail à la législation française, l'employeur lui a fait perdre la chance de pouvoir prétendre à ces dispositions protectrices.

Par ailleurs l'annexe IX du règlement, annexé à la convention d'assurance-chômage du 6 mai 201, prévoit que sauf dans les cas prévus à l'article L 5424 '1 du code du travail, dans lesquels l'employeur assure lui-même la charge de la gestion de l'allocation d'assurance, tout employeur assure contre les risques de privation d'emploi tout salarié, y compris les travailleurs salariés français expatriés de sorte que son absence d'affiliation de Mme [N] l'a privée de son droit à l'assurance chômage .

En conséquence, considérant notamment ces éléments, la durée du contrat de travail, et la rémunération moyenne mensuelle, la cour trouve dans le dossier les éléments pour fixer le préjudice de la salariée à ce titre à la somme de 9000 €.

Sur la remises de documents de rupture

En application des articles L 1234 ' 19 et D 1234 '6 d R 1234 '9 et L5 1421 ' 2 du code du travail, l'employeur est tenu de remettre à son salarié un ensemble de document et de transmettre ces mêmes attestations aux organismes gestionnaires du régime d'assurance ' chômage.

En conséquence la remise de ces documents est ordonnée

Sur le remboursement aux organismes sociaux

L'article L 1235-4 du code du travail prévoit que « dans les cas prévus aux articles 1235-3 et L 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de 6 mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. » Le texte précise que « ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées. »

Sur la base de ces dispositions, et compte tenu du licenciement sans cause réelle et sérieuse de, il y a lieu d'ordonner à la société de rembourser à POLE EMPLOI les indemnités de chômage versées au salarié du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 3 mois d'indemnités.

Sur les frais irrépétibles

C'est à juste titre que les premiers juges ont condamné la société à payer à [F] [Y] la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Leur décision sera confirmée à ce titre.

La société sera condamnée en outre à lui payer la somme de 2 000 euros pour la procédure d'appel au même titre.

Sur les dépens

Partie succombante, la société sera condamnée au paiement des dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement en ce qu'il condamne l'association à payer à Mme [Y] :

*la somme de 2945,22 euros au titre des primes ISOE,

*la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

INFIRME le jugement pour le surplus

Statuant à nouveau et ajoutant,

DIT que la loi française est applicable au litige,

QUALIFIE le contrat local en contrat à durée indéterminée de droit français,

QUALIFIE la prise d'acte de la rupture du contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE l'association des parents d'élèves de l'école française au versement des sommes suivantes :

*2166,19 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

*15 000 euros à titre d'indemnité de licenciement

*10 000 euros pour perte de droit à retraite et chômage

*2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

DEBOUTE Mme [Y] du surplus

ORDONNE la remise de documents de fin de contrat rectifiés conformes sans qu'il y ait lieu au prononcé d'une astreinte,

CONDAMNE l'association des parents d'élèves de l'Ecole Française [1] aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 12/08077
Date de la décision : 18/02/2015

Références :

Cour d'appel de Paris K6, arrêt n°12/08077 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-02-18;12.08077 ?
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