Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 2
ARRÊT DU 04 FÉVRIER 2015
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/05229
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Février 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 12/09654
APPELANTS
Monsieur [F] [N]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Madame [P] [D] épouse [N]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentés par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151
assistés de la SCP KARILA & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, toque : P264
INTIMÉE
Madame [C] [W]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Laetitia MOUGENOT, avocat au barreau de PARIS, toque : E1655
PARTIES INTERVENANTES
Syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 3] agissant en la personne de son syndic la société ORALIA SULLY GESTION, ayant son siège social
[Adresse 2]
[Localité 2]
représenté par Me Ilan TOBIANAH, avocat au barreau de PARIS, toque : D0718
assisté de Me Patricia MORÉNO, avocat au barreau de PARIS, toque : D0718
Madame [M] [G] [E] épouse [J], architecte
[Adresse 1]
[Localité 2]
assignation par acte du 21/11/2014 remis à étude et déclaré caduc
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 26 Novembre 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Dominique DOS REIS, Président, chargée du rapport
Madame Denise JAFFUEL, Conseiller
Madame Claudine ROYER, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Emilie POMPON
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Dominique DOS REIS, Président et par Madame Emilie POMPON, Greffier présent lors du prononcé.
***
Faisant grief à Mme [C] [W] d'évacuer sous leurs fenêtres les fumées de sa chaudière par une ventouse (petite cheminée d'extraction) implantée dans la toiture du bâtiment 2 de l'immeuble du [Adresse 3], M. et Mme [N] ont, suivant acte extra-judiciaire du 5 juin 2012, assigné celle-ci pour la voir condamner, d'une part, à enlever ce dispositif qu'ils estiment illicite, inesthétique, contraire au Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur du Marais ainsi qu'au règlement de copropriété de l'immeuble, générateur pour eux d'un trouble anormal de voisinage, d'autre part, à indemniser leur trouble de jouissance.
Par jugement du 22 février 2013, le tribunal de grande instance de Paris a :
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par Mme [C] [W],
- débouté M. et Mme [N] de l'intégralité de leurs demandes,
- débouté Mme [C] [W] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- condamné M. et Mme [N] à payer à Mme [C] [W] une somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des entiers dépens.
M. et Mme [N] ont relevé appel de ce jugement dont ils poursuivent l'infirmation, demandant à la Cour, par dernières conclusions signifiées le 4 novembre 2014, de :
' au visa de la loi du 10 juillet 1965, du Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur du Marais, de l'article 1382 du code civil,
- dire recevable l'appel en intervention forcée du syndicat des copropriétaires,
- constater que Mme [C] [W] a installé un conduit de cheminée sans autorisation de la copropriété,
- constater que cette installation contrevient aux dispositions du Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur du Marais,
- constater que de la fumée s'échappe de ce conduit au niveau de leurs fenêtres,
- constater que le conseil syndical n'a pu agir sur délégation de l'assemblée générale du 3 mai 2010, du fait de l'absence d'urgence des travaux,
- dire que la ratification implicite et a posteriori des travaux d'installation du conduit de Mme [C] [W] n'est pas valable,
- dire que la construction est illicite,
- ordonner sa destruction et la remise en état de l'ancien conduit,
- dire que l'installation de ce conduit de cheminée leur cause un trouble anormal de voisinage,
- condamner Mme [C] [W] au paiement de la somme de 15.000 € en réparation de ce trouble,
- dire qu'ils ont subi un trouble de jouissance grave ensuite des travaux effectués,
- condamner solidairement le syndicat des copropriétaires et Mme [C] [W] à leur payer la somme de 15.000 € en réparation de ce trouble de jouissance,
- condamner solidairement le syndicat des copropriétaires et Mme [C] [W] à leur payer la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des entiers dépens,
- dire qu'ils seront dispensés de toute participation aux frais de procédure par application de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965.
Mme [C] [W] prie la Cour, par dernières conclusions signifiées le 25 juillet 2013, de :
' au visa des articles 32-1, 122 et suivants du code de procédure civile, de la loi du 10 juillet 1965,
- dire M. et Mme [N] irrecevables en leurs demandes,
- à défaut, les en débouter,
- les condamner au paiement des sommes de 2.000 € de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, incluant les 5.000 € accordés par le tribunal sur ce fondement, en sus des dépens.
Le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] prie la Cour, par dernières conclusions signifiées le 26 novembre 2014, de :
' au visa des articles 122, 331, 555 du code de procédure civile, 1134 et suivants, 1382 du code civil, de la loi du 10 juillet 1965, de l'article 21 du décret du 17 mars 1967,
- in limine litis sur la fin de non-recevoir, dire que les éléments dont se prévalent M. et Mme [N] pour l'appeler en intervention forcée étaient déjà connus en première instance,
- dire que M. et Mme [N] ne justifient pas d'un élément nouveau révélé par le jugement entrepris,
- par conséquent, dire irrecevable et en tout cas mal fondé son appel en intervention forcée par M. et Mme [N],
- sur le fond, dire que la résolution n° 16 de l'assemblée générale des copropriétaires du 3 mai 2010 a autorisé les travaux de ravalement de la façade cour du bâtiment A suivant le dossier de Mme [J], architecte,
- dire que la résolution n° 14 de l'assemblée générale des copropriétaires a autorisé le conseil syndical à engager certaines dépenses à caractère urgent hors budget avec un seuil de 5.000 €,
- dire que la résolution n° 15 de l'assemblée générale du 17 mars 2011 a approuvé les travaux de ravalement de la façade et de la toiture,
- dire que l'assemblée générale du 12 mars 2012 a approuvé les comptes de l'exercice 2012 incluant le coût de l'installation de la ventouse litigieuse pour la somme de 705,05 €,
- dire qu'il a autorisé l'installation de la ventouse litigieuse,
- par conséquent, débouter M. et Mme [N] de leurs demandes et les condamner à lui payer la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des entiers dépens
- subsidiairement, dire que le conduit de cheminée a été détruit définitivement, que sa remise en état est impossible compte tenu de la présence de la chaudière de Mme [C] [W],
- dire que M. et Mme [N] ne justifient pas subir un trouble anormal de voisinage,
- par conséquent, les débouter de leur demande de destruction de la ventouse et de la remise en état de l'ancien conduit,
- débouter M. et Mme [N] de leur demande de dommages-intérêts pour trouble anormal de voisinage,
- condamner M. et Mme [N] à lui payer une somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des entiers dépens.
Mme [M] [G] [E] épouse [J] a été assignée en intervention forcée par le syndicat des copropriétaires selon acte extra-judiciaire délivré le 21 novembre 2014, qui sera déclaré caduc par application de l'article 839 du code de procédure civile dès lors que sa copie n'a pas été remise au greffe en copie au plus tard huit jours avant la date de l'audience du 26 novembre suivant et que sa destinataire n'a pu bénéficier du délai minimal de quinze jours prévu par l'article 838 du code précité pour constituer avocat avant la date fixée pour l'audience.
CECI ETANT EXPOSE, LA COUR
M. et Mme [N] font valoir, au soutien de leur appel, que l'autorisation d'installation d'une cheminée sur les parties communes de l'immeuble ne peut résulter d'une décision implicite, que Mme [C] [W] a nécessairement une responsabilité dans cette installation et qu'ils établissent subir un trouble anormal de voisinage du fait de sa présence sous leurs fenêtres ; ils justifient la mise en cause du syndicat des copropriétaires devant la Cour par l'évolution du litige résultant, selon eux, du jugement dont appel qui a révélé que la cheminée dont s'agit avait été autorisée implicitement par le syndicat des copropriétaires et contestent tant la possibilité pour le conseil syndical d'autoriser les travaux de pose de ce nouveau conduit (ventouse) que celle pour l'assemblée générale de les ratifier a posteriori et implicitement par le biais d'une approbation des comptes de la copropriété, incluant le coût des travaux litigieux, pour l'exercice 2011 ; ils soulignent que Mme [C] [W] ne pouvait ignorer que la construction d'un conduit de cheminée sur son toit, donc sur une partie commune, requerrait une autorisation de l'assemblée générale ;
Mme [C] [W] affirme que la ventouse a été posée sur instructions du syndic agissant sur proposition de l'architecte de l'immeuble et ordre du conseil syndical, que le fait qu'elle soit seule utilisatrice de ce dispositif ne la rend pas responsable de sa pose non autorisée et que la demande de M. et Mme [N] doit être déclarée irrecevable en l'absence aux débats du syndicat ;
Le syndicat des copropriétaires conteste toute évolution du litige révélée par le jugement entrepris aux motifs essentiels que Mme [C] [W] soutenait dans ses conclusions de première instance que la ventouse litigieuse avait été installée à l'initiative du conseil syndical sur ordre de service du syndic et que la correspondance des époux [N] avec le syndic établit qu'ils reprochaient au syndicat, dès avant l'introduction de la procédure, d'avoir autorisé la pose de ce dispositif d'extraction ;
Sur l'intervention forcée du syndicat des copropriétaires
Suivant l'article 555 du code de procédure civile, les personnes qui n'étaient ni parties ni représentées en première instance peuvent être appelées devant la Cour, même aux fins de condamnation, quand l'évolution du litige implique leur mise en cause ;
Or, l'évolution du litige suppose l'existence d'un élément nouveau révélé par le jugement ou survenu postérieurement à celui-ci, exigence non satisfaite au cas d'espèce, dès lors que la correspondance entretenue par M. et Mme [N] avec le syndic de l'immeuble depuis 2011, la participation de Mme [N] au conseil syndical, la teneur des conclusions de première instance de Mme [C] [W] établissent à l'évidence que les appelants savaient que la ventouse litigieuse avait été implantée dans la toiture sous leurs fenêtres avec l'assentiment exprès du syndic, ainsi que le démontrent, s'il en était besoin, les lettres adressées par M. et Mme [N] au syndic les 16 mai 2011 et 3 mars 2012, ainsi libellées :
- lettre 16 mai 2011 de M. [N] : « ['.] Ainsi que je l'ai déjà notifié à M. [Z] (délégué du syndic) dans de précédentes correspondances, je réserve le paiement du solde des travaux de ravalement pour plusieurs raisons ' la pose, à l'occasion (ou dans le cadre') des travaux d'une cheminée sur le toit intérieur de l'immeuble [W] (sous la seule autorité du syndic') dont nous réclamons la suppression, voir la note ci-jointe, alors même qu'une même initiative avait été rejetée il y a quelques années »,
- lettre du 3 mars 2012 de Mme [N] : « Madame, dans votre lettre du 8 février 2012, vous écrivez que j'étais parfaitement informée sur l'installation de la cheminée [W] lors du ravalement. C'est totalement faux. Étant membre du conseil syndical, j'étais présente à tous les conseils. La question de l'installation de la cheminée n'a jamais été abordée. Par contre, il y avait la question de démolir ou pas le conduit de cheminée dit désaffecté, qui a été posée lors du conseil syndical en janvier 2011. Et seulement en février, quand je suis montée sur l'échafaudage avec Mme [J], l'architecte, j'ai découvert à ma grande stupéfaction la cheminée [W] tout près de notre fenêtre et qui dégageait de la fumée. Quand j'ai demandé à M. [Z] qui a autorisé de le faire (sic), sa réponse a été que c'est le toit [W] et la règle, c'est 40 cm de la fenêtre, sa réponse m'a fort étonnée. En tant que professionnel, M. [Z] aurait dû savoir que cette partie de toit de [W] fait partie de la façade de la cour intérieure de l'immeuble et que nous sommes sur le plan de sauvegarde du Marais historique, donc, l'autorisation en assemblée générale est obligatoire ainsi que l'autorisation de l'ABF [architecte des bâtiments de France] et le centre d'urbanisme de [Localité 3] pour l'installation de la nouvelle cheminée » ;
Il appartenait donc aux époux [N] d'attraire le syndicat des copropriétaires en la cause dès l'introduction de l'instance, afin de ne pas le priver du double degré de juridiction ;
En l'absence d'évolution du litige, l'appel en intervention forcée du syndicat des copropriétaires sera donc déclaré irrecevable ;
Sur la responsabilité de Mme [C] [W]
C'est par de justes motifs que la Cour adopte que le premier juge a mis hors de cause Mme [C] [W] après avoir relevé qu'elle n'était pas responsable de l'installation de la ventouse ; en effet, il s'évince des documents produits aux débats que cette ventouse a été installée sur le toit du bâtiment 2 à l'initiative du conseil syndical, pour des raisons d'économie, dans la mesure où l'architecte de la copropriété et l'entreprise de maçonnerie mandatée pour réaliser les travaux de toiture avaient alerté le syndic, dès janvier 2011, sur le coût élevé de rénovation du conduit de cheminée en briques desservant l'appartement de Mme [C] [W] et sur l'opportunité de le détruire pour le remplacer par une simple ventouse d'évacuation des gaz de la chaudière de Mme [C] [W] implanté dans la toiture au-dessus de son lot, selon les normes prescrites par les règlements en vigueur ; la responsabilité de Mme [C] [W] qui s'est bornée à accepter cette modification de son conduit d'évacuation ne saurait donc être engagée ;
Sur la demande d'enlèvement de la ventouse et le trouble anormal de voisinage invoqué
En droit, la responsabilité pour trouble anormal de voisinage est une responsabilité sans faute dont la mise en 'uvre suppose la preuve d'une nuisance excédant les inconvénients normaux de voisinage, en fonction des circonstances et de la situation des lieux ;
Outre la constatation que la demande d'enlèvement de la ventouse en cause est irrecevable en l'absence à l'instance du syndicat des copropriétaires dès lors qu'il est constant et non contesté que ce dispositif a été installé à son initiative, d'une part, que son enlèvement implique une atteinte à la toiture partie commune, d'autre part, il convient de constater que l'illicéité de cet ouvrage au regard du Plan de sauvegarde du Marais historique et des exigences urbanistiques ne peut être invoquée à bon droit par M. et Mme [N] qui ne sont investis d'aucune prérogative de puissance publique à l'effet de faire respecter l'esthétique de la toiture de l'immeuble au sein duquel ils sont copropriétaires et de sa conformité auxdits plan et exigences ;
La démonstration d'un trouble anormal de voisinage n'est pas davantage administrée, qu'il soit d'ordre esthétique, puisqu'il résulte des termes de la lettre sus-reproduite de Mme [N] du 3 mars 2012 qu'elle ne s'est aperçue de la présence de la ventouse incriminée qu'à l'occasion d'une visite de la toiture en compagnie de l'architecte, ou qu'il soit d'ordre sanitaire, alors que Mme [C] [W] établit que les fumées blanches évacuées par la chaudière « écologique » à condensation desservant son lot ne sont constituées que de vapeur d'eau et de petites quantités d'oxyde d'azote non toxiques, évacuées par intermittence à 40 cm d'une fenêtre du lot [N], visibles uniquement par temps frais ;
En région parisienne où les toits des immeubles anciens sont, tout particulièrement dans le secteur du Marais, imbriqués les uns dans les autres avec une promiscuité inéluctable entre les appartements, la présence d'une ventouse, certes inesthétique, mais discrète et sans danger, ne peut donc caractériser un trouble anormal de voisinage dont M. et Mme [N] seraient fondés à se plaindre alors qu'ils doivent subir les troubles normaux de voisinage découlant de la configuration des lieux et de la nécessité pour Mme [C] [W] de disposer d'un mode de chauffage nécessitant un conduit d'évacuation approprié ensuite de la destruction de son conduit privatif par le syndicat ;
Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions ;
Mme [C] [W], n'établissant pas que M. et Mme [N] auraient fait dégénérer en abus leur droit d'ester en justice, sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
En équité, M. et Mme [N] seront condamnés in solidum à régler une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile à Mme [C] [W] et une autre somme de 2.000 € au syndicat des copropriétaires ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement,
Dit caduque l'assignation délivrée à Mme [G] [E] épouse [J],
Dit irrecevable l'appel en intervention forcée du syndicat des copropriétaires du [Adresse 3],
Confirme le jugement dont appel,
Condamne M. et Mme [N] in solidum à régler une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile à Mme [C] [W] et une autre somme de 2.000 € au syndicat des copropriétaires du [Adresse 3],
Rejette toute autre demande,
Condamne M. et Mme [N] in solidum aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,