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04/02/2015 | FRANCE | N°13/03304

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 04 février 2015, 13/03304


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1



ARRET DU 04 FEVRIER 2015



(n° 74 , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 13/03304



Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Décembre 2012 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 10/04100



APPELANTS



Madame [L] [I] [U] [T] épouse [B] agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'ayant-droit de feue Mad

ame [X] [U] [T]

[Adresse 3]

[Adresse 3]



Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151 et ayant pour avocat plaidant Me Olivier D'AN...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRET DU 04 FEVRIER 2015

(n° 74 , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 13/03304

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Décembre 2012 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 10/04100

APPELANTS

Madame [L] [I] [U] [T] épouse [B] agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'ayant-droit de feue Madame [X] [U] [T]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151 et ayant pour avocat plaidant Me Olivier D'ANTIN de la SCP D'ANTIN BROSSOLLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0336 et Me Sabine OSTRZEGA LE GAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D0115

Monsieur [C] [H] [T] agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'ayant-droit de feue Madame [X] [U] [T]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151 et ayant pour avocat plaidant Me Olivier D'ANTIN de la SCP D'ANTIN BROSSOLLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0336 et Me Sabine OSTRZEGA LE GAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D0115

Monsieur [D] [V] [A] [E] [T] agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'ayant-droit de feue Madame [X] [U] [T]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151 et ayant pour avocat plaidant Me Olivier D'ANTIN de la SCP D'ANTIN BROSSOLLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0336 et Me Sabine OSTRZEGA LE GAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D0115

INTIME

AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représenté par Me Bernard GRELON, avocat au barreau de PARIS, toque : E0445 et ayant pour avocat plaidant Me DOLARD-CLERET de la SCP UGGC Avocats, Avocat au barreau de Paris P261, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 Décembre 2014, en audience publique, devant la Cour, composée de :

M. Jacques BICHARD, Président de chambre

Madame Sylvie MAUNAND, Conseillère (Rapporteur)

Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Sylvie BENARDEAU

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Jacques BICHARD, président et par Mme Sylvie BENARDEAU, greffier présent lors du prononcé.

Le 3 avril 1998, Madame [T]-[T] a déposé une plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris contre X du chef de vol à la suite de l'encaissement d'un chèque de 332.000 francs par la société BARLOR.

Une information du chef de vol a été ouverte le 20 juillet 1998 et le juge d'instruction désigné a délivré une commission rogatoire aux services de police le 27 août 1999.

Le 5 avril 2001, le juge d'instruction a sollicité du commissaire de police chargé de l'enquête, des informations sur le déroulement de la commission rogatoire.

Parallèlement, à la suite d'une note TRACFIN du 28 juin 1999 indiquant d'importants mouvements de fonds sur le compte de Madame [T] et du résultat d'investigations de la BRIF, sur réquisitoire supplétif, Madame [T] a été placée en garde à vue et mise en examen le 1er mars 2001. Elle a été incarcérée en détention provisoire le 2 mars 2001 et remise en liberté le 2 avril 2001 suite à une ordonnance de mise en liberté sous contrôle judiciaire prévoyant le paiement d'une caution.

Le juge d'instruction désigné au titre de l'information ouverte suite à la constitution de Madame [T] a avisé le 13 juillet 2001 le commissaire divisionnaire chargé de l'enquête, du décès de cette dernière survenu le 18 juin 2001 et a demandé le retour de la commission rogatoire. Il a prononcé une ordonnance de non-lieu le 23 avril 2002.

A la suite de l'ouverture de la succession de Madame [T], les consorts [T] ont déposé une plainte avec constitution de partie civile pour abus de faiblesse commis au préjudice de leur mère contre M.[O] [T] et ses comparses, le 27 septembre 2001. Celle-ci a été jointe le 4 janvier 2002 à l'information ouverte du chef d'abus de biens sociaux, escroqueries, blanchiment en bande organisée dans laquelle Madame [T] avait été mise en examen. Par jugement du 24 mars 2006, le tribunal correctionnel de Paris a condamné M.[O] [T] et plusieurs autres personnes pour diverses infractions et notamment abus de faiblesse d'une personne vulnérable pour l'obliger à un acte ou une abstention néfaste. Les consorts [T] se sont vus allouer des dommages intérêts à concurrence de 7 millions d'euros correspondant aux détournements établis.

Le 11 mars 2010, les consorts [T] agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité d'ayants -droit de leur mère, ont fait assigner l'agent judiciaire de l'Etat en indemnisation sur le fondement de l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire en raison du dysfontionnement des services de police et de justice, devant le tribunal de grande instance de Paris, qui, par jugement du 19 décembre 2012, a :

- dit que la responsabilité de l'Etat est engagée à raison des conditions dans lesquelles la plainte avec constitution de partie civile du 3 avril 1998 déposée par Madame [T]-[T] a été instruite ;

- condamné, en conséquence, l'agent judiciaire de l'Etat à payer à Madame [L] [T] et Messieurs [C] et [D] [T], en leur qualité d'ayants-droit de leur mère, la somme de 3.000 euros ;

- débouté les consorts [T] de leurs autres demandes ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

- condamné l'agent judiciaire de l'Etat à payer aux consorts [T] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les consorts [T], appelants, agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité d'ayant-droit de leur mère Madame [T]-[T], par conclusions du 7 novembre 2014,demandent à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il n'a pas retenu l'exception de prescription soulevée par l'agent judiciaire de l'Etat et en ce qu'il a dit la responsabilité de l'Etat engagée ;

- l'infirmer pour le surplus ;

- se déclarer compétent pour statuer sur la réparation du préjudice lié à la détention subie par Madame [T] [T] ;

- dire que l'action est non prescrite et que les faits dénoncés constituent un fonctionnement défectueux des services de la police et de la justice constitutifs d'une faute lourde au sens de l'article L 141-1 du Code de l'organisation judiciaire ;

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à leur verser en leur qualité d'ayants-droit de Madame [T]-[T] les sommes suivantes :

* 150.000 euros au titre du préjudice moral subi par Madame [T]-[T] pendant la période à partir de sa plainte jusqu'en 2001 et à titre subsidiaire celle de 100.000 euros pour perte de chance de ne pas subir ce préjudice moral ;

* 100.000 euros au titre du préjudice subi par elle du fait de son interpellation, sa garde à vue et sa mise en examen ;

* 150.000 euros au titre du préjudice subi du fait de sa détention provisoire;

*100.000 euros du chef de préjudice de perte de chance qu'elle a subie au niveau de sa santé dans le cadre de la détention provisoire dont elle a fait l'objet ;

* 2.950.000 euros du chef du préjudice financier subi par elle et subsidiairement celle de 2.500.000 euros pour perte de chance de ne pas avoir subi le préjudice financier dont elle a été victime à partir de 1998 et de recouvrer au moins partiellement les sommes dont elle a été spoliée y compris avant sa plainte ;

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à payer à chacun des consorts [T] à titre de réparation du préjudice moral subi, la somme de 100.000 euros ;

- débouter l'agent judiciaire de l'Etat de ses demandes ;

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à payer à chacun des consorts [T] la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'agent judiciaire de l'Etat, par conclusions du 12 juillet 2013, sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il n'a pas retenu la prescription de l'action des appelants et souhaite voir dire que leur action ès qualités et à titre personnel est prescrite. A titre subsidiaire, au fond, il demande d'infirmer le jugement en ce qu'il a retenu une faute lourde dans le cadre de l'exécution de la commission rogatoire délivrée le 27 août 1999 et à titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu'il n'a alloué qu'une somme de 3.000 euros à titre de dommages intérêts. Subsidiairement, il conclut au débouté des consorts [T] en toutes leurs demandes en qualité d'ayants-droit. Il souhaite voir prononcer le rejet des prétentions des consorts [T] à titre personnel et à titre subsidiaire limiter leurs demandes à de plus justes proportions. Il réclame la condamnation des appelants à lui verser la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles .

Le Procureur général, aux termes de conclusions écrites déposées le 28 novembre 2014, est d'avis de confirmer la décision sous réserve de requalifier en déni de justice ce que le jugement a qualifié de faute lourde.

SUR CE, LA COUR

Considérant que les demandes présentées par les consorts [T] sont fondées sur les dispositions de l'article L 141-1 du Code de l'organisation judiciaire ; que ce texte dispose que ' l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou un déni de justice.' ;

Considérant qu'ils reprochent des dysfonctionnements des services de police et de justice tant dans le déroulement de la procédure engagée par leur mère sur constitution de partie civile que dans celui de la procédure pénale ouverte du chef d'escroquerie, d'abus de biens sociaux et de blanchiment dans laquelle celle-ci a été mise en examen et placée en détention provisoire ; qu'ils réclament la réparation de fautes lourdes liées à des manquements de la police et de la justice et à la détention provisoire de leur mère ;

Considérant que, sur ce dernier point, le droit pour une personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement de saisir le Premier Président de la Cour d'appel d'une demande en réparation intégrale du préjudice moral ou/et matériel subi du fait de cette détention en vertu de l'article 149 du code de procédure pénale ne prive pas celle-ci ou ses ayants droit de la possibilité de saisir la juridiction de droit commun sur le fondement de l'article L 141-1 du Code de l'organisation judiciaire précité ;

Considérant toutefois que toutes ces demandes ne peuvent prospérer que si l'action est recevable et les conditions prévues par ce texte sont remplies ;

Sur la prescription de l'action engagée par les consorts [T] :

Considérant que l'agent judiciaire de l'Etat oppose aux consorts [T] la prescription tirée des dispositions de la l'article 1 er de la loi du 31 décembre 1968 ; qu'il estime que les faits générateurs de cette action se situent au plus tard au jour du décès de Madame [T] [T], que dès lors, le point de départ de la prescription est le 1er janvier 2005 et qu'à supposer que soit adoptée la position du tribunal qui retient l'ordonnance de non-lieu rendue le 23 avril 2002 comme fait générateur, la prescription a commencé le 1er janvier 2002 pour se terminer le 1er janvier 2006 ; que, dans les deux cas, selon lui, l'action est prescrite ;

Considérant que l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 énonce que ' sont prescrites au profit de l'Etat, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes les créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits sont acquis.' ;

Considérant que contrairement à ce que prétend l'agent judiciaire de l'Etat, ce délai ne commence pas le premier jour de l'année du fait générateur du dommage allégué mais conformément au texte le premier jour de l'année suivant le fait générateur ; qu'en effet, l'application du texte telle que proposée par l'agent judiciaire revient à faire courir ce délai par anticipation avant même la naissance du fait générateur et ampute le délai de quatre ans tel que prévu à cet article ; qu'elle prive celui à qui il est opposé de la jouissance de la totalité du temps qui lui est donné pour agir ;

Considérant que l'article 2 alinéa 3 de ce même texte dispose que ' la prescription est interrompue par tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance.' ;

Considérant que l'article 3 précise que ' la prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, pour une cause de force majeure ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement.' ;

Considérant que la charge de la preuve de l'existence d'une cause de suspension appartient à celui qui l'invoque ;

Considérant que les fautes lourdes invoquées par les consorts [T] à l'encontre de l'Etat visent :

- le dysfonctionnement du service public de la justice dans le cadre de la plainte avec constitution de partie civile déposée par Madame [T] le 3 avril 1998 ;

- l'absence de recherches sur l'origine des fonds se trouvant sur le compte de Madame [T] lors de l'enquête préliminaire, l'instruction de mars 2000, la garde à vue et la mise en examen de Madame [T] ;

- l'absence de constat de ces faits et d'arrêt des infractions d 'escroquerie et d'abus de faiblesse commises au préjudice de Madame [T] et qui étaient révélées dès 2000 dans le cadre d'écoutes téléphoniques ;

- le placement en détention provisoire dans le cadre du dossier dans lequel Madame [T] a été mise en examen constituant aussi une faute lourde consécutive à celle résultant de la carence des services de police dans la recherche de l'origine des fonds se trouvant sur son compte et d'arrêt des faits d'escroquerie et d'abus de faiblesse ;

Considérant que les consorts [T] stigmatisent les dysfonctionnements survenus dans le cadre de l'instruction de la plainte déposée par Madame [T] le 3 avril 1998 à savoir le retard apporté à l'exécution de la commission rogatoire du juge d'instruction, l'absence de toute diligence des services de police et le défaut de suivi du juge d'instruction ; qu'ils indiquent n'avoir pu avoir connaissance des fautes commises qu'à l'issue de la procédure pénale ayant abouti à l'arrêt de la Cour d'appel du 2 juin 2009 et que dès lors le délai de prescription n'a pu commencer à courir qu'à compter de cette date ;

Considérant que la Cour constate que les consorts [T] ont déposé le 27 septembre 2001 une plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction pour des faits d'abus de faiblesse commis au préjudice de leur mère, Madame [T] ; que le Procureur de la République du tribunal de grande instance de Paris a établi un réquisitoire contre personne non dénommée du chef d'abus de faiblesse le 18 décembre 2001 ; que cette procédure a été jointe le 4 janvier 2002 à celle ouverte le 13 mars 2000 des chefs d'abus de biens sociaux, escroqueries, blanchiment aggravé commis en bande organisée, recel de fonds provenant de blanchiment, procédure dans laquelle Madame [T] avait été mise en examen et placée en détention provisoire ;

Considérant qu'à compter du 4 janvier 2002, les consorts [T] en leur qualité de partie civile ont eu accès à l'intégralité de la procédure ;

Considérant que la Cour relève que :

- Madame [T] a, à l'occasion de sa première comparution devant le juge d'instruction le 2 mars 2001, déclaré que ' je sais que mon frère a des affaires louches puisque j'ai du me constituer partie civile dans l'affaire [Z] pour ne pas avoir plus d'ennuis.'

- Madame [T], entendue de nouveau par le juge d'instruction le 29 mars 2001, a dit ' le CCF m'avait convoqué pour me dire qu'il s'étonnait de voir un de mes chèques encaissé par la société BARLOR.J'avais remis ce chèque à mon frère qui a dit à Maître [Q] que ce chèque lui avait été volé...Maître [Q] m'a conseillé de porter plainte et de me constituer partie civile ce que j'ai fait.' ;

Considérant qu'il résulte de ces éléments que les ayants droit de Madame [T] n'ignoraient pas l'existence de la procédure engagée en 1998 par leur mère ;

Considérant, par ailleurs, que le réquisitoire supplétif pour fait nouveau établi le 20 décembre 2002 par le Procureur de la République de Paris mentionne à la page 12 :

'Il convient de relever que [N] [T] avait déposé une plainte avec constitution de partie civile le 03/04/1998 pour le vol d'un chèque de 332.000 francs qui aurait été déposé en banque au profit de la société BARLOR, qu'un juge d'instruction financier auprès du TGI de Paris avait été désigné et une commission rogatoire délivrée le 27/08/1999 à la BRIF, cette commission rogatoire a été, à la demande du juge d'instruction, retournée sans que les services de police n'en aient commencé l'exécution ! ( Côte D1441) ' ;

Considérant que cet acte de procédure dont les consorts [T] ont nécessairement eu connaissance, mettait en évidence les dysfonctionnements que ces derniers reprochent à l'Etat dans le cadre de la présente procédure ; que le retard apporté au traitement du dossier apparaissait du seul fait du rapprochement du date de dépôt de la plainte et de celle de l'envoi de la commission rogatoire, que l'inertie des services de police dont il est mentionné l'absence de toute investigation était mise en évidence ;

Considérant qu'il s'ensuit qu'à la date du 20 décembre 2002, les appelants avaient connaissance du fait générateur des dommages allégués dans le cadre de la procédure engagée par leur mère ;

Considérant que la suspension du délai de prescription a cessé alors et celui-ci a commencé à courir à compter du 1er janvier 2003 ; qu'il a expiré le 1er janvier 2007;

Considérant que les consorts [T] ayant assigné l'Etat de ce chef le 11 mars 2010, ont agi tardivement ; que leur action au titre de ces faits est prescrite ;

Considérant que le jugement doit être infirmé au regard de ceux-ci ;

Considérant qu'ils font grief ensuite aux services de police de ne pas avoir recherché l'origine des fonds de Madame [T] dans le cadre de l'enquête de TRACFIN puis dans celui de l'enquête préliminaire, de sa garde à vue, sa mise en examen et au cours de l'instruction ouverte en mars 2000 ; qu'ils évoquent des fautes commises entre 1999 et 2001 ;

Considérant qu'ils estiment ne pas avoir été en mesure d'agir avant l'issue de la procédure pénale clôturée par l'arrêt de la Cour d'appel du 2 juin 2009 ;

Considérant toutefois comme indiqué précédemment qu'en leur qualité de partie civile, les consorts [T] ont eu accès à l'intégralité de la procédure pénale dans laquelle Madame [T] a été mise en examen ; qu'ils ont, à compter du 4 janvier 2002, date de la jonction de leur plainte avec la procédure ouverte en mars 2000, pu prendre connaissance de l'enquête TRACFIN, de l'enquête préliminaire avec toutes les auditions effectuées dans ce cadre, y compris celles de leur mère dans le cadre de la garde à vue et de l'instruction ; que dès lors, les carences éventuelles de la police relativement à la recherche de l'origine des fonds sur le compte de leur mère leur étaient révélées alors qu'au surplus, eux-mêmes avaient déposé une plainte pour abus de faiblesse de celle-ci et devaient donc être particulièrement vigilants aux conditions dans lesquelles la procédure avait été menée ; qu'ils n'ignoraient donc pas à partir ce moment les faits générateurs des dommages allégués relatifs aux fautes ainsi invoquées ;

Considérant que le délai de prescription quadriennale a donc commencé à courir à compter du 1er janvier 2003 pour expirer le 1er janvier 2007 ; qu'en agissant le 11 mars 2010, ils sont irrecevables, leur action étant prescrite ;

Considérant que le jugement doit être infirmé en ce qu'il n'a pas retenu la prescription quadriennale à raison de ces faits ;

Considérant qu'ensuite, ils invoquent la faute lourde des services de police et de justice à ne pas avoir constaté les infractions d'escroquerie et d'abus de faiblesse dont était victime Madame [T] en l'absence de recherche de l'origine des fonds et de prise en compte des écoutes téléphoniques ordonnées en 2000 et 2001 ;

Considérant que là encore, à compter du 4 janvier 2002, ayant accès au dossier d'instruction, ils avaient connaissance des écoutes téléphoniques qu'ils reprochent à la police et à la justice de ne pas avoir exploitées pour retenir l'abus de faiblesse commis au préjudice de Madame [T] ;

Considérant qu'à supposer que ces écoutes téléphoniques aient été tardivement versées au dossier, la Cour dispose de l'expertise psychiatrique de Madame [T] réalisée le 28 juin 2004 par le docteur [J] qui mentionne que 'l'analyse des écoutes téléphoniques effectuée début 2001 met en évidence que [T] [N] était sous influence et sous emprise d'un proche ' ;

Considérant que le réquisitoire définitif du procureur de la République en date du 6 décembre 2004 énonçait d'une part que ' à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par ses enfants jointe au présent dossier, l'information judiciaire modifiant en cela l'approche du dossier, permettait d'établir que Madame [T] avait été en définitive victime des agissements de son frère [O] [T] et de certains de ses associés et/ou amis, faits susceptibles de revêtir notamment la qualification d'abus de faiblesse et recel de ce délit et d'escroquerie' et d'autre part ,

' ce que les premières investigations confortées par de nombreuses surveillances téléphoniques laissaient supposer à savoir la spoliation organisée d'une personne destinataire de fonds importants, propriétaire de biens immobiliers et de valeurs conséquences, a été confirmée lors du déroulement de l'enquête' ; qu'il était ajouté que ' à la suite de la plainte avec constitution de partie civile des enfants [T] jointe à la présente procédure , l'approche des faits principaux, objets de la l'information judiciaire, était totalement modifiée en ce qu'il apparaissait que Madame [T] avait été victime de la part de son frère et de l'entourage amical de celui-ci d'abus de faiblesse, d'escroqueries voire de vol et de falsification de chèque et usage.' ;

Considérant que, dans le cours du réquisitoire, il était fait état à plusieurs reprises desdites écoutes téléphoniques notamment aux pages 13, 14 et 15 ;

Considérant d'ailleurs que les ayants-droit de Madame [T] communiquent dans la présente procédure, la copie d'une partie de ces écoutes ce qui démontre bien qu'ils ont pu y avoir accès dans le cadre du dossier pénal et en obtenir une copie en leur qualité de partie civile ;

Considérant que le juge d'instruction a clos son dossier par une ordonnance de renvoi du 7 janvier 2005, qu'ils ont donc nécessairement eu connaissance de toutes ces pièces antérieurement et au plus tard à cette date et disposaient de tous éléments pour apprécier les faits générateurs à l'origine des dommages allégués ;

Considérant que dès lors, à supposer que cette date soit retenue comme la plus tardive à laquelle ils auraient pu avoir connaissance des écoutes téléphoniques, le délai de prescription commençait à courir le 1er janvier 2006 pour s'éteindre le 1er janvier 2010 ; que l'assignation en responsabilité de l'Etat ayant été délivrée le 11 mars 2010 est hors délai et la demande au titre de ces faits des consorts [T] est irrecevable comme prescrite;

Considérant que le jugement est donc de nouveau infirmé au titre de ces faits ;

Considérant enfin que les appelants visent la détention provisoire subie par leur mère dans le cadre de la procédure pénale ouverte en mars 2000 estimant que le service public de la justice a commis une faute lourde en recourant à cette mesure alors qu'il disposait d'éléments établissant l'abus de faiblesse de leur mère ;

Considérant que pour les mêmes motifs que ceux énoncés précédemment, les intéressés disposaient du fait de leur qualité de partie civile dans la procédure pénale où Madame [T] a été mise en examen et écrouée sous le régime de la détention provisoire, de tous les éléments dont ils font état au soutien de leur demande leur permettant d'agir en responsabilité à l'encontre de l'Etat avant le 6 décembre 2004 et au plus tard à l'issue de l'information close le 7 janvier 2005 par une ordonnance de renvoi de M.[T] devant le tribunal correctionnel ;

Considérant que leur action engagée le 11 mars 2010 est irrecevable comme prescrite faute d'avoir été engagée avant le 1er janvier 2010 au plus tard ;

Considérant qu'il s'ensuit que le jugement est infirmé en toutes ses dispositions à raison de la prescription quadriennale applicable à tous les faits générateurs des dommages allégués par les consorts [T] ;

Considérant que la Cour ne manque pas de noter que la procédure pénale que les appelants critiquent estimant que des dysfonctionnements de la police et de la justice devraient être constatés, a abouti à la condamnation de l'auteur de l'abus de faiblesse commis à l'égard de Madame [T] à une peine d'emprisonnement et au paiement de dommages intérêts à leur profit à concurrence de 7 millions d'euros;

Considérant que l'équité ne commande pas de faire droit à la demande des parties présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Considérant que, succombant, les consorts [T] doivent supporter les entiers dépens de la procédure ;

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entreprise en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

Déclare l'action en responsabilité et indemnisation engagée contre l'Etat par les consorts [T], tant en leur nom personnel qu'en leur qualité d'ayants -droit de Madame [T] irrecevable comme prescrite ;

Rejette toute demande des parties présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne les consorts [T] aux entiers dépens d'instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 13/03304
Date de la décision : 04/02/2015

Références :

Cour d'appel de Paris C1, arrêt n°13/03304 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-02-04;13.03304 ?
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