Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 3
ARRÊT DU 04 DÉCEMBRE 2014
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/13207
Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Février 2012 -Tribunal d'Instance de PARIS 19ème - RG n° 11-11-000600
APPELANTE
SA CNP ASSURANCES
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par ses représentants légaux élisant domicile en cette qualité audit siège, et en ses bureaux, chez la gérante de ses immeubles, la Société ICADE PROPERTY MANAGEMENT, elle-même représentée par ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée et assistée de Me Martin LECOMTE de l'Association De CHAUVERON VALLERY-RADOT LECOMTE, avocat au barreau de PARIS, toque : R110
INTIMES
Monsieur [Q] [W]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté et assisté de Me Sandra HERRY de la SELARL ALTALEXIS, avocate au barreau de PARIS, toque : B0921
Madame [X] [W]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée et assistée de Me Sandra HERRY de la SELARL ALTALEXIS, avocate au barreau de PARIS, toque : B0921
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 23 Octobre 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Isabelle VERDEAUX, Présidente de chambre
Monsieur Christian HOURS, Président de chambre
Madame Isabelle BROGLY, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Hélène PLACET
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Isabelle VERDEAUX, présidente et par Mme Hélène PLACET, greffier présent lors du prononcé.
*
* *
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous-seing privé en date du 25 juillet 1988, la société CNP ASSURANCES a donné en location à Monsieur et Madame [Q] [W] des locaux à usage d'habitation sis à [Adresse 4], situé au [Adresse 3] de l'immeuble, composé de 5 pièces et d'une superficie de 102 m², comprenant également une cave et un emplacement de parking, moyennant le paiement d'un loyer mensuel de 1'104,89 €, soit 10,83 € le m².
Le bail a été renouvelé le 1er août 2003 et est arrivé à échéance le 31 juillet 2009.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 11 décembre 2008, la CNP ASSURANCES a notifié à Monsieur et Madame [Q] [W] une offre de renouvellement de bail à compter du 1er août 2009, pour une durée de six années à un prix majoré de 1 453,50 € par mois avant application du décret de modération et ce, sur le fondement de l'article 17 c) de la loi du 6 juillet 1989.
Dans son avis rendu le 23 juin 2009, la Commission Départementale de Conciliation de Paris et notamment le collège des bailleurs a reconnu que le loyer réglé par Monsieur et Madame [W] était manifestement sous-évalué et proposé de fixer le loyer au prix de 12,04 € le m².
Monsieur et Madame [W] n'ont pas accepté la proposition.
Par acte d'huissier de justice en date du 30 juillet 2009, la CNP ASSURANCE a fait délivrer assignation à Monsieur et Madame [W] devant le Tribunal d'Instance du 19ème arrondissement de Paris qui, par jugement rendu le 14 février 2012, a':
débouté la CNP ASSURANCES de ses demandes.
condamné la CNP ASSURANCES à verser à Monsieur et Madame [Q] [W] la somme de 600 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
condamné la CNP ASSURANCES aux entiers dépens.
La CNP ASSURANCES a interjeté appel de la décision.
Dans ses dernières conclusions du 21 mai 2014, elle poursuit l'infirmation du jugement et demande en conséquence à la Cour, statuant à nouveau, de :
constater que le loyer payé par Monsieur et Madame [W] au 31 juillet 2009 est manifestement sous-évalué.
constater qu'elle a tenu compte des dispositions du décret du 18 août 2008 en proposant à ses locataires de limiter sa demande à 50% de l'augmentation du loyer qui peut être demandée.
fixer à la somme de 1 279,19 € après application du décret de modération du 18 août 2008, le montant hors charges du loyer mensuel de l'appartement sis [Adresse 4] et loué à Monsieur et Madame [W] selon bail renouvelé d'une durée de six années à compter du 1er août 2009.
dire que la hausse ainsi judiciairement fixée s'appliquera par sixième au cours des 6 années suivantes du contrat renouvelé.
dire que les révisions contractuelles s'appliqueront aux valeurs ainsi définies dès le 1er août 2009.
débouter Monsieur et Madame [W] de l'ensemble de leurs demandes.
condamner solidairement Monsieur et Madame [W] à lui verser la somme de 1 500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
condamner solidairement Monsieur et Madame [W] aux dépens de première instance et d'appel pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Monsieur et Madame [Q] [W], intimés, par dernières conclusions du 3 décembre 2012, demandent à la Cour de :
dire la CNP irrecevable en son appel.
condamner la CNP ASSURANCES à leur verser la somme de 2 500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
condamner la CNP ASSURANCES aux dépens de l'instance.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Au soutien de son appel, la société CNP ASSURANCES fait valoir que :
le premier juge a ajouté à la loi en lui faisant grief, de l'absence de production de l'état complet des loyers pratiqués dans la résidence.
la liste des références qu'elle a versée aux débats répond aux exigences posées par les articles 17 et 19 de la loi précitée, ceux ci ne mettant aucune obligation à la charge du bailleur d'avoir à communiquer plus de six références à l'appui de sa proposition.
le tableau établi par l'Amicale de défense des locataires ne peut être considéré comme étant pertinent puisque dressé selon le dires des locataires qui sont manifestement sujets à caution : ainsi, les copies des contrats de bail et d'avis d'échéance permettant de corroborer les montants mentionnés dans le tableau ne sont pas versés aux débats.
bien plus, il n'est pas indiqué si les références mentionnées dans ce tableau sont issues de baux dont le loyer ne fait pas l'objet d'instance contentieuse en fixation ou sont en cours d'augmentation par paliers, conformément à l'article 17 c) de la loi du 6 juillet 1989, voire même si les loyers n'ont pas fait, lors de leur fixation au moment des renouvellements des baux, d'un accord modérant leur montant en considération de la situation familiale, sociale, économique des locataires.
afin d'être plus complet, elle a établi une nouvelle liste de références portant sur 10 logements comparables situés dans la résidence qui corrobore celle qu'elle a communiquée à Monsieur et Madame [W] avec la proposition de renouvellement.
de même, elle a interrogé l'OLAP dont l'impartialité ne saurait être mise en doute qui a indiqué que le montant moyen des loyers des appartements de 4 pièces et plus dans le 19ème arrondissement de Paris au 1er janvier 2010 était de 15,50 € le m².
Monsieur et Madame [W] répliquent notamment que :
s'agissant du caractère 'manifeste' de la sous-évaluation, la jurisprudence fixe à 20% le différentiel au-delà duquel un loyer est considéré comme manifestement sous-évalué au regard de la moyenne constatée pour des immeubles comparables situés dans le voisinage.
les références produites par la CNP ASSURANCE ont été 'soigneusement sélectionnées' et ne sont pas significatives du montant des loyers en vigueur au sein de la résidence.
il s'agit de références portant sur des locations consenties entre 2002 et 2007 alors que l'immeuble date de 1969.
s'agissant de la valeur moyenne des loyers pratiqués dans l'immeuble, la CNP ASSURANCES s'est gardée de produire l'état complet des loyers pratiqués sur l'immeuble faisant apparaître cette moyenne.
Conformément aux articles 17 c et 19 de la loi du 6 juillet 1989, il y a lieu de s'assurer que les références données portent sur des loyers habituellement constatés dans le voisinage pour des logements comparables situés, soit dans le même groupe d'immeubles, soit dans tout autre groupe d'immeubles comportant des caractéristiques similaires et dans la même zone géographique.
En l'espèce, le bail dont il est proposé le renouvellement, porte sur un appartement composé de cinq pièces principales, avec loggia de 17 m², représentant une surface de 102 m², situé au [Adresse 3]", sise dans le [Adresse 1], outre sur la jouissance d'une cave et sur un emplacement de stationnement.
Monsieur et Madame [W] payaient au moment de la demande de renouvellement de bail un loyer mensuel de 1 104,89 €, soit 10,83 € le m² par mois.
Aux termes de l'offre de renouvellement de bail avec proposition d'un nouveau loyer faite le 11 décembre 2008, la société CNP ASSURANCES a proposé un nouveau loyer mensuel de 1 453,50 € avant application du décret, (soit 14,44 € le m² avant application du décret de modération).
Les six références données par le bailleur dans l'offre de renouvellement du bail portent sur des loyers appliqués dans le même groupe d'immeubles, deux d'entre elles concernant des locations de moins de 3 ans et les quatre autres, de plus de trois ans, aucune disposition légale n'imposant au bailleur de produire des références datant de la même année de mise en location que l'appartement, objet de la procédure de renouvellement de bail.
En outre, contrairement à ce que soutiennent les locataires, les références sont conformes aux exigences posées aux articles 17 c) et 19 la loi du 6 juillet 1989 : elles sont situées dans le même groupe d'immeubles, elles portent sur des logements situés pour la plupart en hauteur, de composition et de surface identiques à celui loué par Monsieur et Madame [W], étant précisé que l'amélioration apportée aux éléments d'équipement collectifs ont bénéficié à l'ensemble des occupants de la résidence.
Il y a lieu de souligner à cet égard qu'exiger de la CNP ASSURANCES la communication de l'état complet des loyers pratiqué dans le voisinage serait ajouté à la loi, que le tableau fourni par l'amicale des locataires n'est pas probant au regard des observations pertinentes développées par la CNP ASSURANCE, qu'il n'existe pas de seuil au- delà duquel un loyer peut être considéré comme manifestement sous-évalué, les juges appréciant souverainement, au regard des références communiquées par les parties si le loyer dû à l'expiration du bail est manifestement sous-évalué par rapport aux loyers habituellement constatés dans le voisinage.
Les références annexées à l'offre de renouvellement font apparaître une moyenne de 14,44 €, hors charges, le m².
A la liste des références annexées à l'offre de renouvellement de bail, la CNP ASSURANCE produit en cause d'appel quatre références supplémentaires portant sur des appartements de 5 pièces et d'une superficie identique à celle de l'appartement des époux [W], situés tous en hauteur soit respectivement aux 7, 8, 10 et 11èmes étages, dont les dates de mise en location sont de novembre 2000, juin et octobre 2003, avril 2006. Ces quatre références ajoutées aux six autres donnent une moyenne légèrement inférieure, soit de 14,17 € le m².
Enfin, la CNP ASSURANCE verse aux débats deux documents émanant de l'OLAP : le premier duquel il ressort que le montant moyen des loyers des appartements de 4 pièces et plus dans le 19ème arrondissement de Paris au 1er janvier 2010 était de 15,50 € le m², le deuxième indiquant qu'au début de l'année 2012, la fourchette des loyers s'élevait dans le quartier de 17,40 € à 24 € le m², soit une moyenne de 20,40 € le m², et dans le quartier voisin de 15,60 le m² à 21,70 € le m², soit une moyenne de 18,60 € le m².
Le caractère manifestement sous-évalué du loyer s'apprécie en comparant le loyer au moment de la demande de renouvellement et la valeur moyenne des loyers pratiqués dans le voisinage soit en l'espèce, respectivement 10,83 le m² et 14,44 € le m².
En conséquence, compte tenu de l'ensemble de tous ces éléments, la Cour estime que le loyer de 10,83 € le m² est manifestement sous-évalué. Le jugement déféré doit être infirmé sur ce point.
Statuant à nouveau, il y a lieu de fixer le nouveau loyer à un montant de 14,00 € le m², soit à la somme mensuelle de 1 428 € avant application du décret de modération, et à la somme de 1 266,44 € ainsi calculée (1 104,89 € + 323,11 € : 2 = 161,55 €) après application du décret et de dire que la réévaluation de 161,55 € s'opérera progressivement par sixième.
' Sur les dépens et l'application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Monsieur et Madame [W] doivent être condamnés aux dépens d'appel et garderont à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'ils ont exposés, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant infirmées.
La somme qui doit être mise à la charge de Monsieur et Madame [W] au titre des frais non compris dans les dépens exposés en première instance et en cause d'appel par la CNP ASSURANCES peut être équitablement fixée à 1 000 €.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau,
Dit et juge que le loyer actuel de Monsieur et Madame [Q] [W] est manifestement sous-évalué.
Fixe le nouveau loyer à un montant de 14,00 € le m² avant application du décret de modération, soit à la somme mensuelle de 1 428 € avant application du décret de modération, et à la somme de 1 266,44 € après application du décret.
Dit que la majoration de 161,55 € s'appliquera par sixième à compter du 1er au cours des six années du bail renouvelé, hors indexation annuelle.
Condamne Monsieur et Madame [W] à verser à la société CNP ASSURANCES la somme de 1 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamne Monsieur et Madame [Q] [W] aux dépens de première instance et d'appel pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE