Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 18 NOVEMBRE 2014
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/09465
Décision déférée à la Cour :Sentence du 07 Février 2013 rendue par le Tribunal arbitral de PARIS constitué de MM, Henri PETER et Thomas CLAY, arbitres ainsi que de M. Klaus SACHS, président,
DEMANDERESSE AU RECOURS :
Société IMAL S.R.L
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 2]
[Localité 2] (MO)
(ITALIE)
représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN-DE MARIA- GUERRE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0018
assistée de Me Christophe VON KRAUSE et de Me Angelica ANDRE avocats plaidant du barreau de PARIS, toque : J0002
DÉFENDERESSE AU RECOURS :
Société ARIAN SINA INC. société de droit iranien
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Localité 1]
(IRAN)
représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0020
assistée de Me Bertrand DERAINS, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : P 387
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 16 octobre 2014, en audience publique, le rapport entendu, devant la Cour composée de :
Monsieur ACQUAVIVA, Président
Madame GUIHAL, Conseillère
Madame DALLERY, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame PATE
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur ACQUAVIVA, président et par Madame PATE, greffier présent lors du prononcé.
Le 4 avril 2003, la société de droit Iranien ARIAN SINA inc (ARIAN) et la société italienne IMAL ont conclu un contrat, ayant pour objet la fourniture, la construction et la mise en oeuvre d'une usine de production de panneaux de fibres de bois à densité moyenne à Sari (Iran).
Le 7 février 2005, les mêmes parties ont signé un contrat de services ayant pour objet de fixer les conditions de rémunération et de paiement par ARIAN des prestations de supervision de chantier à la charge d'IMAL.
Des différends étant survenus entre les parties, ARIAN qui reprochait à IMAL ses défaillances notamment quant à l'envoi de superviseurs sur le chantier, à l'origine d'importants retards dans la mise en oeuvre de l'usine et de la nécessité de faire appel à des tiers, a déposé une demande d'arbitrage auprès de la CCI en vertu de la clause compromissoire stipulée à l'article 16 du contrat de services.
Par une sentence finale rendue à Paris, le 7 février 2013, le tribunal arbitral constitué de MM, Henri PETER et Thomas CLAY, arbitres ainsi que de M. Klaus SACHS, président, a en substance :
Sur les demandes de ARIAN:
- dit que IMAL a en partie violé son obligation contractuelle de fournir des informations techniques ainsi que celle de fournir le matériel à ARIAN, la condamnant à payer une somme de 26.544,86 USD à ces titres,
- dit que IMAL a violé le contrat en ne payant pas intégralement l'entrepreneur,
- dit que IMAL a en partie violé son obligation contractuelle d'assurer la supervision , la formation et la garantie mécanique à ARIAN, la condamnant à ces titres à payer une somme totale de 311.824,86 USD,
- dit IMAL responsable de 231 jours de retard dans la mise en service de l'usine, la condamnant à verser à ce titre une somme de 3.733.893,21USD,
- condamné IMAL à payer des intérêts au taux de 5% sur ces sommes,
- rejeté ses autres demandes.
Sur les demandes reconventionnelles de IMAL :
- condamné ARIAN à payer à IMAL la somme de 150.000 USD outre intérêts ou l'augmentation du prix du contrat en ce qui concerne la presse de Siempelkamp, outre la somme de 84.212,70 € pour les frais de transports additionnels ainsi que les sommes de 5.252,23 € pour les services de supervision concernant la construction de l'usine, et 790.000 USD pour les variations du taux de change EUR/USD, outre intérêts,
-rejeté les autres demandes,
- prononcé sur les frais et honoraires d'arbitrage.
Par avenant du 6 juin 2013, le tribunal arbitral a fait droit à la demande de correction d'erreurs de calculs présentée par IMAL, modifiant le paragraphe 751 de la sentence.
Le 10 mai 2013, IMAL a formé un recours en annulation de la sentence.
Par des conclusions signifiées le 4 juin 2014, la recourante sollicite l'annulation partielle de la sentence pour violation du principe de la contradiction, en ce qu'elle a été rendue responsable de 201 jours de retard dans le démarrage de l'usine et a été condamnée en conséquence à payer 2.122.923,45 USD pour perte de gain et 361.813,20 USD pour les intérêts. Elle demande la condamnation de ARIAN à lui verser 100.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
IMAL soutient que le tribunal arbitral a violé le principe de la contradiction en fondant sa décision sur un moyen de droit relevé d'office sans débat préalable.
Par des conclusions signifiées le 27 juin 2014, ARIAN demande le rejet du recours en annulation, subsidiairement, si la cour devait considérer que le tribunal arbitral a soulevé d'office un moyen de droit nouveau, à savoir 'une condition de proportionnalité', sans le soumettre aux observations des parties, de dire le recours mal fondé en ce qui concerne la période du 3 janvier au 22 février 2007, de débouter IMAL de ses demandes concernant les 50 jours de retard quantifiés à 528.090,4 USD pour perte de gain et 90.003,3 USD au titre des intérêts; enfin, de condamner IMAL à lui verser
150.000 € HT au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR QUOI,
Sur le moyen unique d'annulation tiré de la violation du principe de la contradiction (1520 4° du code de procédure civile)
IMAL soutient qu'alors que les arbitres doivent soumettre au débat préalable tout moyen de droit relevé d'office, le tribunal arbitral a fondé une partie de sa sentence sur un moyen de droit suisse relevé d'office sans débat préalable. Elle fait valoir à cet égard que l'exigence de proportionnalité retenue par les arbitres comme condition de l'exception d'inexécution n'a pas été débattue alors que la référence au principe de bonne foi ne suffit pas à faire entrer cette condition dans les débats et qu'il s'agit d'un moyen nouveau qui ne ressort pas de l'article 82 du Code des obligations suisse, retenu sur le seul fondement de brefs extraits de deux commentaires de doctrine en langue étrangère qui n'ont été ni produits à la procédure ni soumis aux observations des parties.
Elle estime qu'en rejetant pour les trois périodes de référence l'exception d'inexécution qu'elle opposait en se fondant sur une condition nouvelle, elle a été privée de son droit à un débat contradictoire. Elle ajoute que, en retenant que le rapport de proportionnalité n'était pas établi parce que les montants qu'elle réclamait pour justifier l'envoi différé de superviseurs n'était pas suffisamment clairs ou étayés, le tribunal arbitral s'est fondé sur des allégations factuelles non invoquées auparavant. Enfin, elle invoque la citation par le tribunal arbitral de deux articles de doctrine non communiqués et non traduits.
Considérant que le principe de la contradiction veut seulement que les parties aient été mises à même de débattre contradictoirement des moyens invoqués et des pièces produites ;
Considérant que ARIAN qui reprochait à IMAL d'avoir retardé la mise en exploitation de l'usine de 224 jours en différant la mise à disposition de superviseurs de chantier, se voyait imputer par IMAL outre la responsabilité des retards en raison de ses propres manquements dans la construction de l'usine, l'exception d'inexécution résultant de l'article 82 du code suisse des obligations, les retards d'ARIAN dans le paiement des factures justifiant, selon elle, ses retards dans l'exécution de son obligation de supervision ;
Considérant que dans son mémoire en réplique du 9 décembre 2010, ARIAN, invoquant la condition de bonne foi de l'article 2 du code civil suisse, soutenait que IMAL ne pouvait lui opposer l'article 82, faisant valoir notamment que 'la Défenderesse n'a pas seulement manqué à ses obligations mais a également, à certains moments, délibérément arrêté de s'exécuter pour finalement abandonner le site sans être en mesure de justifier sa position au regard de l'article 82 du Code des obligations ' (§70), qu'elle a, une fois le contrat de services signé, 'délibérément retardé l'envoi des superviseurs sur le site... afin de faire pression sur Arian Sina pour régler des discussions en cours sur les sujets distincts',(§349) et que 'le 16 mai 2005 (i.e. un seul jour après l'expiration du délai pour payer la première facture) et en dépit du fait que la Demandresse avait avancé la somme de 15.000 EUR (sur un total de facture de 28.141 EUR) et s'était engagé à revoir rapidement la facture afin de revenir sur ce sujet rapidement, la Défenderesse a annulé le voyage imminent des ingénieurs ... en violation de ses obligations contractuellles ainsi que de ses obligations de coopération et de bonne foi selon le droit suisse' (§360) ;
Considérant que pour retenir que la violation par IMAL de son obligation contractuelle de supervision avait entraîné 201 jours de retard dans le démarrage de l'usine, le tribunal arbitral après avoir estimé que le Contrat et le contrat de services faisaient partie du même ensemble contractuel et dit que 'la Défenderesse était en principe fondée à suspendre l'exécution de ses obligations de supervision du moment que la Demanderesse n'avait pas exécuté ses obligations de paiement conformément au Contrat' (§706), a estimé qu'elle ne pouvait invoquer l'exception d'inexécution que dans les limites de la bonne foi, précisant à cet égard:'en droit suisse, l'exercice de l'exception d'inexécution est limité par le principe de la bonne foi. Ainsi, il ne peut être invoqué que dans la mesure où le rapport entre le droit et l'obligation n'est pas déraisonnable. Il en va de même si le droit sur lequel se fonde l'exception d'inexécution n'est pas proportionné aux conséquences que peuvent entraîner la dite suspension' (§707) et qu'en l'espèce une telle suspension de son obligation n'était pas justifiée ;
Considérant que contrairement à ce que soutient la recourante, le principe de proportionnalité retenu par le tribunal arbitral ne constitue pas une nouvelle condition à la mise en jeu de l'exception d'inexécution du contrat opposée par IMAL mais entre dans le contrôle de bonne foi auquel le tribunal arbitral a procédé dans le cadre de son pouvoir d'appréciation ;
Qu'en conséquence, c'est sans méconnaître le principe de la contradiction que le tribunal arbitral a pu retenir :
- pour la période du 23 février 2005 au 11 avril 2005, que ' la Défenderesse n'a donc pas montré que le dommage potentiellement causé par la retenue des superviseurs, i e, la supervision du projet, était proportionné aux sommes restant dues à la Défenderesse à cette époque. Le Tribunal en conclut que le fait pour la Défenderesse d'invoquer l'exception d'inexécution conformément à l'article 82 du Code suisse des obligations était déraisonnable au regard des circonstances' (§710) et que notamment : ' la Défenderesse n'était pas en droit de retenir les superviseurs à compter du 23 février 2005 (date de la lettre de la Défenderesse invoquant les obligations de paiement de la Demanderesse) dans la mesure où le principe de bonne foi (Article 2 du code civil suisse) n'autorise pas une partie réclamant des paiements d'un montant insignifiant à se prévaloir de l'article 82 du code des obligations suisse' (§711),
- pour la période du 18 mai au 22 septembre 2005, 'que au vu des circonstances et considérant le principe de bonne foi, qui limite l'exercice de l'exception d'inexécution,... que les dommages potentiels causés par la retenue des superviseurs ne sont pas proportionnés aux paiements qui restaient dus à la Défenderesse en mai 2005" (§721),
- pour la période du 3 janvier 2007 au 22 février 2007, que ' le rapport entre la demande de paiement de la Défenderesse et son refus de se conformer à son obligation de fournir une assistance pour permettre à l'usine de se devenir opérationnelle n'est pas raisonnable' et que; 'la Défenderesse ne peut ainsi, au regard du principe de bonne foi, invoquer un droit à retenue fondé sur une prétendue demande en paiement'(§ 728) ;
Considérant qu'IMAL reproche encore à tort au tribunal arbitral d'avoir rejeté l'exception d'inexécution au regard d'allégations factuelles non invoquées auparavant selon lesquelles les montants réclamés par IMAL ne seraient pas suffisamment clairs et étayés alors qu'elle a été mise à même de présenter utilement sa défense aux prétentions et moyens de la partie adverse ;
Considérant enfin, qu'il ne saurait être fait grief au tribunal arbitral d'avoir cité deux articles de doctrine relatifs à des moyens de droit (exception d'inexécution et principe de bonne foi) qui étaient dans le débat alors que les arbitres n'ont aucune obligation de soumettre au préalable leur raisonnement juridique déduit des éléments de fait et de droit dont les parties ont été appelées à débattre ;
Que le moyen tiré de la violation par le tribunal arbitral du principe de la contradiction est rejeté et partant le recours en annulation de la sentence ;
Sur les autres demandes
Considérant que IMAL qui succombe, est déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et est condamnée à payer à ARIAN la somme de 100.000 € sur ce fondement ;
PAR CES MOTIFS,
Rejette le recours en annulation ;
Déboute la société IMAL SRL de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Condamne la société IMAL SRL aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et à verser à la société ARIAN SINA Inc.la somme de 100.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT