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06/11/2014 | FRANCE | N°12/07392

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 7, 06 novembre 2014, 12/07392


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7



ARRÊT DU 06 Novembre 2014

(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/07392



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Décembre 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section Encadrement RG n° 10/07853







APPELANTE

Madame [O] [Q]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

comparante en personne

ass

istée de Me Hasna BELGHITI BOULET, avocat au barreau de PARIS, toque : K0076







INTIMEE

SAS IPSOS FRANCE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me François VACCARO, avocat au barreau de T...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7

ARRÊT DU 06 Novembre 2014

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/07392

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Décembre 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section Encadrement RG n° 10/07853

APPELANTE

Madame [O] [Q]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

comparante en personne

assistée de Me Hasna BELGHITI BOULET, avocat au barreau de PARIS, toque : K0076

INTIMEE

SAS IPSOS FRANCE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me François VACCARO, avocat au barreau de TOURS substitué par Me Marion PAOLETTI, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 18 Septembre 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Patrice LABEY, Président de chambre

Monsieur Bruno BLANC, Conseiller

Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Laëtitia CAPARROS, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Patrice LABEY, Président, et par Melle Laëtitia CAPARROS, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS-PROCEDURE-PRETENTIONS

La SAS Ipsos ASI réalise des études de marché, de marketing, d'opinion et des études publicitaires.

Madame [O] [Q] a été embauchée le 22 novembre 2007 par la société Ipsos Asi, filiale de la société Ipsos France, en qualité d'assistante de production, coefficient 450, position 3.2 catégorie ETAM de la convention collective nationale Syntec. Elle était affectée au service dirigée par Mme [Z].

Par avenant du 26 mars 2009, à effet du 1er janvier 2009, Mme [Q] a été promue chargée d'études junior, coefficient 115, position 2, statut cadre, moyennant une rémunération mensuelle brute de 2.300 €.

La salariée a été placée en arrêt maladie à compter du 18 janvier 2010, prolongé jusqu'au 23 novembre 2010.

Mme [Q] a saisi le conseil de prud'hommes le 15 juin 2010 d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat.

Le 24 septembre 2010, Mme [Q] s'est vue notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse en raison de son absence prolongée quasi ingérable, obligeant à revoir totalement l'organisation du service et à recruter un salarié en contrat à durée indéterminée pour permettre une continuité dans l'organisation du service.

Elle a contesté les motifs de son licenciement le 4 octobre 2010 et, dans le dernier état de la procédure, a présenté au conseil de prud'hommes les demandes suivantes :

Dommages et intérêts pour nullité du licenciement 57 600 €

A titre subsidiaire :

Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 30 000 €

Non respect de l'article L 1226-15 du code du travail 27 600 €

Rappel de salaires 4 000 €

Congés payés afférents 400 €

Article 700 du Code de Procédure Civile 3 000 €.

La cour est saisie d'un appel régulier de Mme [Q] du jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 12 décembre 2001 qui l'a déboutée de toutes ses demandes, a débouté la société Ipsos de sa demande au titre de l'article 700 et a condamné la salariée aux dépens.

Vu les écritures visées par le greffe le 18 septembre 2014, développées à l'audience par Mme [Q] au soutien de ses prétentions, par lesquelles elle demande à la Cour de :

INFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu le 10 juillet 2012,

Statuant à nouveau,

PRONONCER la résiliation de son contrat de travail aux torts de la Société Ipsos,

CONDAMNER la Société Ipsos à lui verser la somme de 57.600 €,

Subsidiairement,

CONSTATER que son licenciement est nul et de nul effet,

CONDAMNER la Société Ipsos à lui verser la somme de 57.600 € à titre de dommages et intérêts,

Encore plus subsidiairement;

DIRE que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNER la Société Ipsos à lui verser la somme de 57.600 € à titre de dommages et intérêts,

CONSTATER que son licenciement a été notifié au mépris des dispositions de l'article L. 1226-15 du Code du Travail,

CONDAMNER la Société Ipsos à lui verser la somme de 27.600 €,

ORDONNER le cumul de ces deux réparations,

Dans tous les cas,

CONDAMNER la Société Ipsos à lui verser un rappel de salaire de 4.000 € et 400 € à titre de congés payés y afférent en application des dispositions de l'article L.1226-4 du Code du Travail.

CONDAMNER la Société Ipsos à lui verser la somme de 3.000€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile .

La CONDAMNER en tous les dépens d'instance et d'appel.

Vu les écritures visées par le greffe le 18 septembre 2014, développées à l'audience par la SA Ipsos France au soutien de ses prétentions, par lesquelles elle demande à la Cour de :

Confirmer le jugement,

En tant que de besoin :

Déclarer irrecevable l'action de Mme [Q],

Débouter Mme [Q] de toutes ses demandes,

Condamner Mme [Q] à lui payer la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

La condamner aux dépens.

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie à leurs écritures visées par le greffe le 18 septembre 2014, auxquelles elles se sont référées et qu'elles ont soutenues oralement à l'audience.

MOTIFS DE L'ARRET

Considérant qu'il suit des pièces produites et des explications des parties que :

A l'occasion d'une visite périodique, le médecin du travail a noté "l'expression de forte souffrance au travail" de Mme [Q] pour des problèmes de management et l'a déclarée apte à son poste le 5 novembre 2009.

Mme [Q] a été placée en arrêt de travail continu à compter du 18 janvier 2010.

Mme [M] a été engagée par la société Ipsos France en contrat à durée déterminée à compter du 18 janvier 2010 en remplacement de Mme L...chargée d'études senior en arrêt maladie, puis le 9 juin 2010 en contrat à durée indéterminée en qualité de chef de produit qualité au coefficient 115, cadre rémunéré 2.500 €, et enfin à compter du 1er juillet 2011 en tant que chargée d'études junior, au coefficient 115, position 2.1, statut cadre.

Le 15 février 2010, lors d'une réunion du CHSCT à laquelle participait M [A] [N], directeur général délégué de la société, un membre du comité s'est fait l'écho de plaintes de plusieurs salariés pour harcèlement moral qui durait depuis quelques années, de la part de leur hiérarchie dans un service dans lequel les équipes avaient été renouvelées trois fois en quatre ans. M [N] s'est engagé à rencontrer la personne en cause afin de prendre la mesure de la situation et de faire cesser tout comportement abusif.

Le 16 février 2010, la salariée a été reçue à sa demande par le médecin du travail lequel a rendu l'avis suivant :" Mlle [Q] est inapte à la reprise du travail au poste de chargée d'étude au sein de la filiale Ipsos Asi. Revoir le 8 mars pour 2ème avis".

Le 23 février 2010, Mme [Q] a adressé à M [N] une longue lettre recommandée reçue le 4 mars, pour dénoncer le contexte entretenu depuis des mois par sa supérieure hiérarchique, chef de département, [L] [Z], consistant en des ordres dégradants exprimés avec violence sadique, sa mise à l'écart, le refus de communication, sa dévalorisation devant ses collègues, l'attribution de tâches qui ne relèvent pas de ses fonctions pour "la faire tomber", ainsi que le comportement discriminatoire à caractère racial de sa supérieure, outre l'absence d'écoute de Mme [P] directrice générale et de la DRH sur la dégradation de ses conditions de travail, qui l'avait fait "craquer" en début d'année.

Par courrier du 26 février 2010, le médecin du travail a alerté M [N] d'un risque psycho-social au sein de l'entreprise l'ayant amené à rendre deux avis d'inaptitudes temporaires pour deux salariées, Mme [Q] et Mme [S] du même service, en l'invitant à l'informer des mesures qu'il comptait prendre visant à protéger la santé des salariés.

Le 8 mars 2010, le médecin du travail a revu la salariée et a émis l'avis suivant " reprise différée. Prolongation de l'arrêt de travail dans l'attente des modifications des conditions de travail. Revoir à l'issue" .

Le 15 mars 2010, le conseil de la salariée a saisi la société Ipsos France en la personne de M [N] du harcèlement moral dont Mme [Q] s'estimait victime depuis le mois d'avril 2009 et de sa demande de saisine du conseil de prud'hommes.

Le 25 mars 2010, M [N] a reçu en entretien Mme [Q] pour évoquer la situation évoquée par elle.

Par lettre recommandée du 25 mars 2010, la société Ipsos a convoqué Mme [Z] à entretien préalable à licenciement, puis après entretien tenu le 2 avril 2010, lui a notifié son licenciement pour faute grave le 12 avril 2010, en raison d'un harcèlement moral sur ses subordonnées Mme [S] et Mme [Q] et d'une idéologie raciste au cours de l'exécution du contrat.

Le 8 avril, le médecin du travail a revu la salariée pour conclure à une reprise différée en raison de la prolongation de l'arrêt maladie dans l'attente des modifications des conditions de travail.

Le 14 avril 2010, le médecin de l'unité de pathologie professionnelle et de santé au travail, a relevé une décompensation à la hauteur de l'investissement de Mme [Q] dans l'entreprise, avec troubles du sommeil, anxiété...amenant à un épuisement psychologique, le tout attribué à l'attitude de sa supérieure qui n'aurait pas accepté la promotion accordée à la salariée, et a certifié que son état de santé ne lui permettait pas de retourner dans l'entreprise.

Le 7 mai 2010, l'employeur a fait diligenter une vaine visite médicale de contrôle, le domicile de la salariée étant erroné.

Le 6 juillet 2010, en réponse, M [N] a adressé une lettre à Mme [Q] dans les termes suivants :

" En date du 4 mars 2010, vous m'avez adressé une lettre recommandée avec accusé de réception me demandant, à raison des faits énoncés, de prendre toute mesure pour mettre un terme à la situation que vous imputiez à Mme [Z].

Je vous indique, comme vous le savez, que j'ai procédé au licenciement de Madame [Z] en date du 12 avril 2010. Pour votre information, je vous précise que cette dernière conteste le licenciement devant le Conseil de Prud'hommes.

A ce jour, vous êtes toujours en arrêt de travail et vous avez saisi le Conseil de Prud'hommes d'une demande de résiliation de votre contrat. J'ai pourtant entièrement satisfait à vos demandes formulées en date du 4 mars 2010.

Sans porter aucun jugement quant aux motifs de vos arrêts de travail, vous n'ignorez pas que votre absence crée des problèmes quasi insurmontables d'organisation dans votre service.

Afin d'éviter toute ambiguïté, je pense devoir considérer que vous ne souhaitez plus travailler pour Ipsos.

Si j'avais mal compris la situation, il vous appartient de revenir vers moi par retour de courrier.

Je reste dans l'incompréhension. " .

Le 25 juillet 2010, la salariée a répondu à M [N] qu'en considérant qu'elle ne souhaitait plus travailler pour Ipsos Asi, il se "substituait au constat de la médecine du travail qui l'avait maintenue en invalidité pour une durée indéterminée à compter du 8 mars 2010" et qu'elle "considérait son dernier courrier, comme les contrôles à son domicile pour vérifier si elle était bien en arrêt maladie, (comme) une atteinte supplémentaire à son état de santé encore précaire".

Le 28 juillet 2010, le médecin conseil de la prévoyance collective a estimé, après expertise médicale, que l'état de santé de Mme [Q] justifiait toujours une incapacité temporaire de travail.

Le 26 août 2010, la société Ipsos a convoqué Mme [Q] à un entretien préalable à licenciement, puis, par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 septembre 2010, a notifié à Mme [Q] son licenciement dans les termes suivants:

"Je fais suite à notre entretien qui s'est tenu le 14 septembre 2010 lors duquel vous étiez assistée par Madame [K] [J].

Lors de cet entretien, je vous ai exposé les difficultés d'organisation que nous pose votre absence prolongée, qui nécessite aujourd'hui que nous procédions à votre remplacement dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.

En effet vous avez été recrutée par notre Société le 22 novembre 2007, en qualité "d'assistante production Quali".

Vous avez été promue en tant que chargée d'études junior début 2009. Vous avez alors participé activement au fonctionnement du service auquel vous étiez affectée ; vous travailliez sur les dossiers en binôme avec un senior, et assuriez, notamment, la mise a plat de notes lors des groupes quali. Vous participiez à l'analyse de résultats en préparant les synthèses, et enfin, vous délivriez un support et un suivi utile et important, pour le soutien de l'équipe de seniors.

Ainsi, à titre d'exemple, vous avez participé activement à l'organisation des sessions « quanti-quali Nestlé lab » pour un de nos principaux clients, vous avez également, travaillé sur des préparations de dossiers, en particulier sur les tendances publicitaires émergentes (à partir du palmarès du Festival de [Localité 1]). Ces tendances ont d'ailleurs fait l'objet d'une présentation à l'ensemble de l'équipe ASI lors d'un Culture pub car elles permettent d'étayer le discours et d'apporter de la valeur ajoutée pour nos clients.

Vous êtes absente de façon continue en arrêt maladie depuis le 18 janvier 2010.

Nous avons eu de grosses difficultés à gérer votre absence pendant les premiers mois, d'autant plus que sur une équipe constituée de six personnes, il n'en restait plus que trois.

L'ensemble du support que vous donniez aux seniors concernés par un dossier a du être repris par eux, en particulier la prises de notes et les premières analyses permettant de faire avancer plus vite le travail sur un projet et d'être plus efficace. Mais ceci au détriment bien évidemment de leur rôle attendu de prospection et de conseils aux clients qu'ils n'étaient plus en mesure de faire.

Chaque étude a donc pris plus de temps et a rendu l'équipe moins disponible pour prendre en charge d'autres projets ou en déclencher plus chez les clients, ce qui a été très préjudiciable au fonctionnement du service.

Votre absence devient à ce jour quasiment ingérable, et affecte sensiblement la production. De plus, il ne nous est pas possible de faire face à votre absence par le biais de contrats précaires ou de services extérieurs.

En conséquence, nous sommes dans l'obligation de revoir totalement l'organisation du service. Nous sommes contraints désormais de mettre un terme du fait de votre absence prolongée à votre contrat de travail afin de recruter en contrat à durée indéterminée pour permettre une continuité dans l' organisation du service.

Nous vous notifions donc votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Votre préavis d'une durée de trois mois commencera à courir à compter de la première présentation de cette lettre....".

Le 4 octobre 2010, Mme [Q] a dénoncé à M [N] ce qu'elle considérait comme une violation de l'obligation de sécurité de l'employeur qui n'a pas pris en compte l'origine de son état de santé pour la licencier et le fait que l'employeur venait de lui envoyer une fiche de paie négative, sous prétexte de ne pas avoir reçu l'attestation de paiement des indemnités journalières de la sécurité sociale, ce qui lui causait un préjudice considérable.

A l'issue de son contrat et de l'arrêt de travail, Mme [Q] a été engagée par la société Repères à compter du 3 janvier 2011, en qualité de chargée d'études junior, coefficient 115, position 2.1, statut cadre de la convention collective nationale Syntec, moyennant une rémunération mensuelle brute de 2.589 € ;

Sur la résiliation du contrat

Considérant que pour l'infirmation du jugement et, à titre principal, la résiliation du contrat aux torts de l'employeur, Mme [Q] soutient pour l'essentiel que la société Ipsos a manqué gravement à son obligation de sécurité de résultat en ne prenant pas de mesure pour préserver son état de santé, alors qu'elle avait connaissance depuis l'année 2008 de harcèlement dans le service dirigé par Mme [Z], se contentant de prendre un café avec cette responsable pour discuter de la situation ;

Que la société Ipsos France fait valoir que la salariée n'a plus d'intérêt à agir et a abandonné en première instance sa demande de résiliation du contrat, qui plus est aux termes de ses conclusions constitutives d'un aveu judiciaire, que le manquement qui lui est imputé n'est pas suffisamment grave pour rendre impossible le maintien du contrat, alors qu'elle a été informée de la situation de harcèlement pour la première fois le 15 février 2010, qu'il a été mis fin à la situation litigieuse par le licenciement de Mme [Z] le 12 avril 2010 et que la saisine du conseil de prud'hommes par Mme [Q] est intervenue plusieurs mois après ses reproches formulés auprès de l'employeur ;

Considérant qu'à supposer que Mme [Q] ait abandonné aux termes de ses "conclusions" sa demande de résiliation de contrat devant le conseil de prud'hommes, alors que la procédure est orale et que l'absence dans ses "conclusions' de demande de résiliation ne peut constituer un aveu judiciaire, la règle de l'unicité de l'instance la rend recevable à présenter des demandes nouvelles en appel ( R 1452-7 du Code du Travail ) ; qu'elle a un intérêt évident à agir pour voir reconnaître en appel l'existence d'un harcèlement moral et la violation par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat, quand bien même ce dernier estime que la situation litigieuse avait cessé au jour de l'introduction de l'instance le 15 juin 2010 ;

Considérant que la résiliation judiciaire du contrat de travail peut être demandée par le salarié en cas de manquement de l'employeur à ses obligations contractuelles d'une gravité telle qu'il rend impossible la poursuite de leurs relations ; que la résiliation prononcée dans ces conditions produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Que lorsque la résiliation judiciaire du contrat de travail demandée par le salarié a été prononcée aux torts de l'employeur, le licenciement postérieur notifié par ce dernier est sans effet ;

Que lorsqu'un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail était justifiée ; que c'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur ;

Qu'aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

Que l'article L.1152-4 du même code oblige l'employeur, tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité, à prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral ; que l'absence de faute de sa part ou le comportement fautif d'un autre salarié de l'entreprise ne peuvent l'exonérer de sa responsabilité à ce titre ;

Qu'il résulte des articles L. 1152-1, L. 1152-4 et L. 4121-1 du code du travail que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation, lorsqu'un salarié est victime sur le lieu de travail d'agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements ;

Qu l'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, le juge doit apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il appartient à l'employeur de prouver que les faits en cause ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Qu'en l'espèce les traitements dénoncés par Mme [Q] qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ayant eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail altérant sa santé, ne sont pas contestés par la société Ipsos qui a licencié pour ces faits et pour un comportement raciste Mme [Z] ;

Que participe à un tel harcèlement moral, le fait que l'employeur, pourtant alerté de la situation au moins depuis le 15 février 2010, ainsi que par le médecin du travail le 26 février 2010 et les arrêts maladie prolongés de la salariée, puisse, par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 juillet envoyée à la salarié en arrêt maladie, penser " devoir considérer que vous ne souhaitez plus travailler pour Ipsos" et inviter la salariée à l'informer d'un avis contraire ; que le souci compréhensible de l'organisation du service ne justifie pas la teneur d'un tel courrier ;

Considérant que Mme [Q] dont l'état de santé a justifié un arrêt de travail à compter du 18 janvier 2010, prolongé au delà de sa demande de résiliation et de la notification de son licenciement, jusqu'au terme de son préavis de trois mois, est dès lors fondée à considérer que la poursuite des relations contractuelles était impossible du fait du manquement grave de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat et à obtenir la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur ; que le délai écoulé entre la connaissance qu'à eu indiscutablement l'employeur le 15 février 2010 de l'existence d'un harcèlement moral au sein du service de cette salariée et la saisine de la juridiction le 15 juin 2010 d'une action en résiliation, ne peut établir que la poursuite du contrat était néanmoins possible après le licenciement de Mme [Z] le 12 avril 2010, dans la mesure où le contrat de travail a été suspendu dès le 18 janvier 2010, que la salariée n'a jamais pu reprendre son poste en raison d'un arrêt maladie prolongé en lien direct avec le harcèlement moral subi aux temps et lieu du travail, que son conseil s'est rapproché de la société Ipsos dès le 15 mars 2010 et qu'antérieurement l'employeur n'avait déjà manifestement pas pris la mesure des directives discriminatoires données le 23 juin 2009 par Mme [Z] à ses subordonnés et portées à sa connaissance le 25 juin 2009, outre d'autres propos répréhensibles à caractère raciste dont il a été informé par un mail collectif des cinq salariés de ce service placés sous l'autorité de Mme [Z], attendant le 25 mars 2010 pour engager une procédure disciplinaire ;

Qu'en application de l'article 1184 du code civil, la résiliation du contrat de Mme [Q] doit donc être prononcé aux torts de l'employeur à la date du 24 septembre 2010 et doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Que Mme [Q] a été privée d'une ancienneté d'un peu plus de trois années dans cette entreprise de plusieurs milliers de salariés et d'un salaire moyen brut de 2.300 € ; qu'elle a retrouvé un emploi à l'issue de son préavis, lui procurant une rémunération de 2.589 € ; que le préjudice, ne serait-ce que moral, causé par son licenciement doit être réparé, en application de l'article L 1235-3 du Code du Travail, par l'allocation d'une somme de 18.000 € à titre de dommages et intérêts ;

Sur le rappel de salaire

Considérant que Mme [Q] prétend, en application de l'article L 1226-4 du Code du Travail, au paiement d'un rappel de salaire de 4.000 €, motif pris qu'elle n'a pas touché l'intégralité de son salaire à l'issue du délai d'un mois à compter de l'examen médical de reprise du travail l'ayant déclarée inapte le 8 mars 2010 et qu'elle n'a pas été reclassée ;

Que dans la mesure où la salariée était toujours en arrêt maladie et que le médecin du travail a noté le 8 mars "reprise différée. Prolongation de l'arrêt de travail dans l'attente des modifications des conditions de travail. Revoir à l'issue", ce dont il résulte qu'il ne s'agissait pas là d'un avis consécutif à la reprise du travail, le contrat étant toujours suspendu, la société Ipsos n'avait donc pas à reprendre le paiement du salaire et à se substituer à l'organisme versant des indemnités journalières ;

Que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de rappel de salaire et d'indemnité de congés payés afférents ;

Sur les frais et dépens

Considérant que la société Ipsos France qui succombe en son appel n'est pas fondée à obtenir l'application de l'article 700 du code de procédure civile, mais versera à Mme [Q] sur ce même fondement la somme de 3.000 € et supportera les dépens de première instance et d'appel

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déboute la SA IPSOS FRANCE de ses fins de non recevoir ;

Réforme le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 12 décembre 2011 sur la rupture du contrat, l'indemnisation consécutive et les dépens ;

Prononce la résiliation du contrat de travail de Madame [O] [Q] à la date du 24 septembre 2010 ;

Dit que cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SAS Ipsos FRANCE à payer à Madame [O] [Q] la somme de 18.000 € à titre de dommages et intérêts ;

Confirme le jugement en ses autres dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la SAS Ipsos FRANCE à payer à Madame [O] [Q] la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs autres demandes ;

Condamne la SAS Ipsos FRANCE aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

L. CAPARROS P. LABEY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 12/07392
Date de la décision : 06/11/2014

Références :

Cour d'appel de Paris K7, arrêt n°12/07392 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-11-06;12.07392 ?
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