Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 3
ARRET DU 28 OCTOBRE 2014
(n° 605 , 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/00571
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 26 Avril 2013 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 13/53057
APPELANTE
SYNDICAT DES DENTISTES SOLIDAIRES ET INDEPENDANTS
[Adresse 2]
[Localité 8]
Représenté et assisté de Me Christophe BIGOT, avocat au barreau de PARIS, toque : A0738
INTIMES
Monsieur [G] [T]
[Adresse 9]
[Localité 10]/France
Monsieur [H] [A]
[Adresse 8]
[Localité 2]/France
Monsieur [W] [N]
[Adresse 3]
[Localité 7]/France
Monsieur [B] [Z]
[Adresse 5]
[Localité 1]/France
Monsieur [E] [R]
[Adresse 4]
[Localité 3]/France
Monsieur [V] [J]
[Adresse 7]
[Localité 9]/France
Monsieur [S] [F]
[Adresse 10]
[Localité 5]/France
Monsieur [L] [D]
[Adresse 1]
[Localité 6]/France
Monsieur [S] [C]
[Adresse 6]
[Localité 4]/France
Représentés par Me Dominique DE LEUSSE DE SYON, avocat au barreau de PARIS, toque : C2129
assistés de Me Dominique DE LEUSSE DE SYON, avocat au barreau de PARIS, toque : C2129 et de Me Marie VICELLI-GUILBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0109
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 09 Septembre 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Nicole GIRERD, Présidente de chambre
Madame Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère
Madame Odette-Luce BOUVIER, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mlle Véronique COUVET
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Nicole GIRERD, président et par Mlle Véronique COUVET, greffier.
Le 8 avril 2013, le Syndicat des dentistes solidaires et Indépendants (ci-après DSI ) a envoyé un courriel à l'Ordre national des chirurgiens dentistes ainsi qu'à d'autres personnes, ainsi rédigé, sous le titre 'les Escrocs du conseil national de l'Ordre des chirurgiens dentistes' :
'Pour tenter de faire taire [U] [Q] qui dénonçait le pillage de nos cotisations obligatoires, des membres du CNO ont commis les délits suivants : intimidation de partie civile, dénonciation calomnieuse, atteinte à la liberté de réunion, faux et usage de faux, escroquerie au jugement en bande organisée, atteinte à la liberté d'expression, atteinte à la liberté syndicale, faux témoignage...
NOUS RECLAMONS LA DEMISSION IMMEDIATE DES DELINQUANTS'
Etait ensuite reproduite la photographie de 10 membres du conseil de l'ordre, portant en caractère gras au bas de l'image la mention'escroc'.
Par acte du 11 avril 2013, le syndicat DSI a été assigné en référé à heure indiquée devant le tribunal de grande instance de Paris par MM. [G] [T], [L] [O] [A], [L] [I] [N], [B] [Z], [E] [R] , [P] [J], [S] [F], [L] [D] et [S] [C] aux fins de voir :
- juger que le courriel adressé par lui le 8 avril 2013, notamment à l'Ordre national des chirurgiens-dentistes, contient des injures non publiques par les mentions des termes 'escroc' et 'délinquant' attribués aux demandeurs, et porte atteinte à leur droit à l'image, constituant ainsi un trouble manifestement illicite qu'il y a lieu de faire cesser,
- interdire au syndicat DSI toute diffusion de quelque correspondance que ce soit par tous moyens et supports contenant ces photographies et mentions sous astreinte de 10.000 € par infraction constatée,
- enjoindre au syndicat DSI de fournir aux demandeurs dans ls 48 h de la décision la liste complète des destinataires du courriel litigieux sous astreinte de 10.000 € par jour de retard,
- condamner le syndicat DSI à verser à chacun des demandeurs la somme de 5000 € à titre de provision sur dommages-intérêts et celle de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .
Par ordonnance en date du 26 avril 2013, le juge des référés a :
déclaré MM. [G] [T], [L] [O] [A], [L] [I] [N], [B] [Z], [E] [R], [P] [J], [S] [F], [L] [D] et [S] [C] recevables en leur action et demandes,
- interdit au syndicat DSI toute nouvelle diffusion des photographies des demandeurs avec la mention du terme escroc sur le cliché ou en légende , sous astreinte de 500€ par infraction constatée à compter de l signification de l'ordonnance,
- s'est réservé la liquidation de l'astreinte,
- a fait injonction au syndicat DSI de fournir aux demandeurs la liste complète des destinataires du courriel litigieux,
- condamné le syndicat DSI à verser à chacun des demandeurs la somme de 500 € à titre de dommages-intérêts,
- condamné le syndicat DSI à verser aux demandeurs une somme globale de 2500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Le syndicat DSI est appelant de cette ordonnance.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 24 décembre 2013, auxquelles il est expressément renvoyé, il en poursuit l'infirmation, et prie la cour, statuant à nouveau, de dire n'y avoir lieu à référé, d'ordonner la restitution de l'indemnité réglée par lui aux intimés, et de condamner solidairement les intimés à lui verser 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Messieurs [G] [T], [L] [O] [A], [B] [Z], [E] [R] , [P] [J], [S] [F], [L] [D] et [S] [C], par dernières écritures transmises le 10 juin 2014, auxquelles il est expressément renvoyé, demandent :
- que soit constaté le décès de M. [N],
- que le syndicat DSI soit jugé irrecevable et mal fondé en son appel et débouté de ses demandes, fins et conclusions,
- que l'ordonnance entreprise soit confirmée en toutes ses dispositions, et, y ajoutant, qu'il soit fait droit à leur appel incident, visant à assortir l'injonction de communication et des adresses e-mail complètes des destinataires du courriel en date du 8 avril 2013 d'une astreinte de 2000 € par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt ;
Ils réclament en outre la condamnation du syndicat SDI à leur verser 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .
SUR CE LA COUR
Considérant que la cour ne peut constater le décès de M. [W] [N] à défaut de production d'un acte de décès ;
Sur l'injure non publique
Considérant que le syndicat SDI soulève l'irrecevabilité de l'action fondée sur l'injure non publique en ce qu'elle est dirigée à l'encontre d'une personne morale, faisant valoir que la responsabilité pénale directe de la personne morale en tant qu'auteur de la personne morale est expressément écartée en matière de presse aux termes de l'article 43-1 de la loi du 29 juillet 1881, applicable à l'action fondée sur l'article R 621-2 du code pénal ; qu'il n'y a en effet pas lieu d'opérer une distinction, comme l'a retenu le premier juge, entre les injures publiques et non publiques, ces dernières réprimées comme une contravention ;
Qu'il soutient qu'en cette matière, les personnes morales ne peuvent être mises en cause que comme civilement responsables de leurs préposés ou dirigeants conformément aux dispositions de l'article 44 de la loi du 29 juillet 1881, que le syndicat SDI ne pouvait donc être mis en cause que comme civilement responsable au côté de l'auteur des infractions alléguées ;
Considérant sur ce point que les intimés lui opposent que leurs demandes sont fondées tant sur l'atteinte au droit à l'image que sur l'article R 621-2 du code pénal, que la loi sur la presse ne peut trouver application que si les critères de publicité énoncés en son article 23 se trouvent réunis, ce qui ne saurait être le cas d'une infraction non publique ;
Que s'agissant d'une action civile en référé tendant à faire cesser un trouble manifestement illicite consécutif à une diffamation non publique, il n'y a pas d'obligation de rechercher un auteur pénalement responsable comme auteur principal de l'infraction ;
Que d'ailleurs la présidence du syndicat SDI était restée vacante depuis le 4 février 2012 , qu'enfin la loi sur la presse si elle exclut la responsabilité pénale des personnes morales, prévoit en revanche leur responsabilité civile du fait des diffamations et injures commises en leur nom.
Considérant que selon l'article 121-2 du code pénal, les personnes morales sont responsables pénalement des infractions commises pour leur compte par leurs organes et représentants ;
Que toutefois selon l'article 43-1 de la loi du 29 juillet 1881, 'les dispositions de l'article 121-2 du code pénal ne sont pas applicables aux infractions pour lesquelles les dispositions des articles 42 ou 43 de la présente loi sont applicables', que les articles 42 et 43 désignent les personnes responsables des crimes et délits commis par voie de presse ;
Considérant que les intimés tirent argument du fait que l'injure non publique est punie par l'article R 621-2 du code pénal de l'amende prévue pour les contraventions de 1ère classe, pour prétendre que cette infraction n'est pas soumise aux dispositions de la loi sur la presse en matière de responsabilité ;
Mais considérant que le régime juridique des contraventions de diffamation non publique et de l'injure non publique est celui des infractions de presse ; que dès lors la personne morale ne peut être poursuivie en qualité d'auteur d'une injure non publique, les personnes morales n'encourant pas de responsabilité pénale en dehors des cas expressément prévus par les textes à raison des contraventions de presse par application de l'article 43-1 de la loi du 29 juillet 1881;
Considérant que dans l'espèce, seule la responsabilité pénale du SDI, personne morale, est recherchée ; que, celui-ci ne pouvant être poursuivi à ce titre, l'action est irrecevable ;
Que la décision déférée à la cour, en ce qu' elle est entrée en voie de condamnation à l'encontre du syndicat SDI du fait d'injures non publiques, sera réformée sur ce point.
Sur l'atteinte au droit à l'image
Considérant que le syndicat SDI soulève l'irrecevabilité de l'action fondée sur l'article 9 du code civil devant le juge des référés, soutenant que le législateur a entendu cantonner l'intervention du juge des référés au seul cas d'urgence et en lui conférant des pouvoirs limités, alors qu'en l'espèce les intimés n'ont sollicité aucune mesure propre à empêcher ou faire cesser une atteinte au droit à l'image et ne cherchent qu'à obtenir rapidement une indemnisation pour de prétendus préjudices ;
Qu'il fait plaider au principal que les images litigieuses, portraits identitaires, sont parfaitement officielles, qu'elles sont utilisées en dehors de toute circonstance relative à la vie privée et dans une perspective de revendication syndicale, illustration pertinente d'un texte stigmatisant des malversations commises au sein du Conseil de l'Ordre des chirurgiens -dentistes, de telle sorte que l'application de l'article 9 du code civil se heurte à une contestation sérieuse ;
Que les mesures demandées sont manifestement disproportionnées alors que le courriel litigieux relève de la liberté syndicale, que les demandes de provision ne sont qu'un instrument destiné à faire disparaître toute opposition et ne pouvaient être formulées globalement tant au titre de la contravention d'injures non publiques que pour les faits d'atteinte au droit à l'image ;
Considérant que les intimés répliquent que l'état d'urgence est manifeste, que les mesures demandées sont compatibles avec les pouvoirs donnés au juge des référés en répondant à la nécessité de faire cesser l'atteinte et à réparer le préjudice qui en résulte ;
Qu'ils justifient l'atteinte invoquée en se référant à la motivation de l'ordonnance entreprise, qui a retenu que les portraits à vocation identitaire ont été détournés de leur contexte pour 'permettre une meilleure identification des personnes traitées d'escroc' ;
Que les mesures qu'ils entendent voir confirmer sont justifiées et compatibles avec les pouvoirs donnés au juge des référés, que les courriels circulaires envoyés dépassent le cadre syndical ;
Qu'il convient d'assortir d'une astreinte leur demande de communication de la liste des destinataires des courriels ;
Considérant que l'article 9 du code civil consacre le droit pour toute personne quelle que soit sa notoriété, sa fortune et ses fonctions, de faire respecter son droit à l'image ;
Que le juge des référés tient expressément du second alinéa de ce texte et de l'article 809 du code de procédure civile le pouvoir de prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée
en cas d'urgence, et d'accorder une provision destinée à réparer le préjudice résultant de ces atteintes dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable ;
Considérant que la constatation de l'atteinte au respect du droit à l'image diffusée illicitement , si elle est établie, caractérise l'urgence au sens du deuxième alinéa de l'article 9 du code civil ;
Que les mesures d'interdiction et d'injonction ainsi que d'indemnisation provisionnelle sollicitées par les Membres du Conseil de l'Ordre invoquant l'atteinte au droit dont ils disposent sur leur image, sont de nature à faire cesser l'atteinte alléguée en ce que son renouvellement serait empêché et le préjudice provisionnellement réparé ;
Que ces demandes sont recevables devant la juridiction des référés ;
Considérant, sur la réalité de l'atteinte, que le syndicat DSI a reproduit dans les courriels litigieux des photographies de membres du Conseil de l'Ordre des chirurgiens -dentistes ;
Que si ces portraits sont purement identitaires, le syndicat en les utilisant pour désigner des 'escrocs', terme apposé en caractère gras sur chacun d'eux, les a détournés de leur contexte de fixation ;
Qu'il suit de là que leur reproduction sans autorisation est illicite, sans que le syndicat puisse légitimement se retrancher derrière la liberté d'expression syndicale dont il a manifestement excédé les limites, caractérisant ainsi l'atteinte au droit à l'image ;
Considérant sur les mesures urgentes sollicitées, que la cour retient que l'interdiction de reproduire les clichés litigieux ne ressortit pas des pouvoirs du juge des référés si la nouvelle publication n'est qu'éventuelle et hypothétique ;
Qu'elle constate cependant au vu des pièces du dossier que le syndicat SDI a, le 30 avril 2013, par conséquent postérieurement à l'ordonnance objet du présent appel du 23 avril, poursuivi la diffusion sur Internet de photographies portant atteinte au droit à l'image de six membres du Conseil de l'Ordre, faits pour lesquels il a été condamné par jugement du 18 décembre 2013 ;
Qu'il n'est pas dénié que les portraits incriminés dans le présent litige ont été envoyés à d'autres destinataires non identifiés ;
Que le syndicat ayant ainsi manifesté que la décision de justice le condamnant, assortie de l'exécution provisoire de droit, ne le conduisait pas à renoncer à porter atteinte aux droits des intimés, laissant présumer qu'il pourrait réitérer ses agissements fautifs, il s'en déduit que le risque de renouvellement de ces atteintes n'est pas purement hypothétique, de telle sorte qu' il appartient au juge des référés, fondé à prescrire toutes les mesures propres à empêcher ou faire cesser les atteintes, de prononcer les mesures d'interdiction requises en confirmant sur ce point l'ordonnance entreprise ;
Considérant, sur l'injonction de communication de la liste des destinataires du courriel, que les intimés entendent se manifester auprès de ces destinataires à titre de réparation, que cet objectif est légitime, que l'injonction prononcée sur ce point doit être confirmée, en y ajoutant, conformément à l'appel incident, une astreinte dès lors que le syndicat n'a pas exécuté son obligation malgré le caractère exécutoire par provision de l'ordonnance de référé ;
Considérant, sur la provision , que les intimés ont formé une demande globale de dommages-intérêts en réparation de préjudices nés tant de l'injure non publique que de la violation de l'article 9 du code civil ;
Que l'action fondée sur la loi du 29 juillet 1881 étant déclaré irrecevable, la demande de dommages-intérêts à ce titre ne saurait prospérer ;
Que si l'atteinte au droit à l'image induit nécessairement un préjudice moral, les écritures des personnes concernées ne précisent pas quelle part de la provision requise tend à indemniser celui-ci, ce qui prive la juridiction des référés, de la possibilité de statuer avec l'évidence nécessaires sur le montant de l'indemnité à allouer ;
Qu'il n'y a donc pas lieu à référé su r le montant des dommages-intérêts, que l'ordonnance entreprise devra être infirmée sur ce point ;
Considérant que le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé en première instance ; que devant la cour, les intimés, contraints d'exposer de nouveaux frais irrépétibles, se verront accorder sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile une indemnité de 500 € chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Que les dépens seront supportés par le syndicat DSI.
PAR CES MOTIFS
Dit n'y avoir lieu à constat du décès de M. [W] [N],
Confirme l'ordonnance entreprise en ses dispositions relatives à la constatation de l'atteinte à la vie privée des intimés et aux mesures d'interdiction et d'injonction ordonnées, ainsi qu'à l'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau,
Déclare irrecevables les demandes relatives à l'injure non publique,
Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de dommages-intérêts provisionnels,
Y ajoutant, dit que l'injonction de communication de la liste des destinataires du courriel incriminé est assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt, et ce pendant un délai de 3 mois passé lequel il devra être à nouveau fait droit,
Condamne le syndicat DSI à verser à messieurs [G] [T], [L] [O] [A], [L] [I] [N], [B] [Z], [E] [R] , [P] [J], [S] [F], [L] [D] et [S] [C] une indemnité complémentaire de 500 € à chacun d'entre eux sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne le syndicat aux entiers dépens, et autorise les avocats en la cause, à les recouvrer directement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT