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22/10/2014 | FRANCE | N°13/06722

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 22 octobre 2014, 13/06722


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 22 Octobre 2014



(n° 5 , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/06722



Décision déférée à la cour : jugement rendu le 23 mai 2013 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section encadrement - RG n° 12/03284





APPELANTE

Madame [W] [L]

[Adresse 1]

[Localité 1]

comparante en personne, assistée de Me Elisa CACHEUX, avocate

au barreau de PARIS, C1726





INTIMÉE

S.A.R.L. TORREGIANI

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par Me Rodolphe OLIVIER, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE, NAN1701





COMPOSI...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 22 Octobre 2014

(n° 5 , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/06722

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 23 mai 2013 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section encadrement - RG n° 12/03284

APPELANTE

Madame [W] [L]

[Adresse 1]

[Localité 1]

comparante en personne, assistée de Me Elisa CACHEUX, avocate au barreau de PARIS, C1726

INTIMÉE

S.A.R.L. TORREGIANI

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par Me Rodolphe OLIVIER, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE, NAN1701

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Septembre 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Christine ROSTAND, présidente

Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller

Madame Aline BATOZ, vice présidente placée faisant fonction de conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 02 septembre 2014

GREFFIÈRE : Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Christine ROSTAND, présidente et par Madame Marion AUGER, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 23 mai 2013 ayant débouté Mme [W] [L] de toutes ses demandes et l'ayant condamnée aux dépens';

Vu la déclaration d'appel de Mme [W] [L] reçue au greffe de la cour le 8 juillet 2013';

Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 16 septembre 2014 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de Mme [W] [L] qui demande à la cour':

-d'infirmer le jugement entrepris

-statuant à nouveau,

à titre principal, de prononcer la résiliation de son contrat de travail aux torts exclusifs de la SARL Torregiani et, subsidiairement, de juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse

de condamner en conséquence la SARL Torregiani à lui régler les sommes indemnitaires de 21'127,68 € (+ 2 112,76 €) au titre du préavis, 169'000 € pour licenciement abusif (article L.1235-5 du code du travail), 84'504 € pour harcèlement moral ou subsidiairement pour exécution déloyale du contrat de travail

de la condamner à lui verser les sommes de 27'440 € (+ 2'744 €) de rappel d'heures supplémentaires, 42'252 € à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé et 4'500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

d'assortir les sommes précitées des intérêts au taux légal avec capitalisation en application de l'article 1154 du code civil

d'ordonner la remise par la SARL Torregiani des bulletin de paie, certificat de travail et attestation Pole Emploi conformes au présent arrêt sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter de sa notification';

Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 16 septembre 2014 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de la SARL Torregiani qui demande à la cour de confirmer la décision déférée et de condamner Mme [W] [L] à lui payer la somme de 3'000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

Mme [W] [L] a été recrutée par la SARL Torregiani sans contrat écrit pour une durée indéterminée à compter du 2 mai 1987 en qualité de directrice commerciale.

La SARL Torregiani, qui a pour activité la vente de vêtements en prêt à porter de luxe dans des boutiques dédiées, relève de la convention collective nationale du commerce de détail de l'habillement.

Mme [W] [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 19 mars 2012 de demandes dont celle aux fins de voir prononcée la résiliation de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'intimée avec toutes conséquences indemnitaires de droit.

Après avoir été en arrêts de travail successifs à compter du mois de février 2013, Mme [W] [L] a finalement fait l'objet de deux visites de reprise les 30 septembre et 14 octobre 2013, le médecin du travail émettant l'avis suivant à la deuxième et dernière : «Inapte au poste de Directrice. L'état de santé de la salariée ne permet pas une proposition de reclassement dans l'entreprise».

La SARL Torregiani a convoqué la salariée par une lettre du 27 novembre 2013 à un entretien préalable prévu initialement le 10 décembre puis repoussé au 20 décembre, entretien auquel elle ne s'est pas rendue, à l'issue duquel il lui a été notifié le 26 décembre 2013 son licenciement pour inaptitude et impossibilité de la reclasser.

Dans le dernier état de la relation contractuelle de travail, l'appelante percevait une rémunération en moyenne de 7'042,56 € bruts mensuels correspondant à un emploi de «directrice».

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail

Au soutien de sa demande de ce chef, Mme [W] [L] fait grief à l'intimée, d'une part, de l'avoir dépossédée de ses principales attributions liées à ses fonctions de «directrice» à compter de juillet 2011 correspondant à la soudaine promotion sur un poste de «directrice adjointe» de Mme [D] qui occupait jusque-là les fonctions de vendeuse et, d'autre part, d'avoir exercé sur sa personne des actes qualifiables de harcèlement moral par une mise à l'écart, une humiliation ainsi qu'un management «particulièrement agressif», ce qui a conduit à ses arrêts de travail pour «syndrome anxio-dépressif» et à son inaptitude médicalement constatée, ce que conteste la SARL Torregiani.

En application de l'article L.1154-1 du code du travail, Mme [W] [L] se doit d'établir des faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1, et au vu de ces mêmes éléments - à supposer caractérisés -, il incombe à la SARL Torregiani de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision vis-à-vis de l'appelante est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [W] [L] produit aux débats les pièces suivantes':

-sur le premier grief, une attestation de la banque SBA précisant avoir annulé à la demande du gérant l'autorisation de signature qu'elle avait sur les comptes de l'entreprise ainsi que ses cartes de crédit professionnelles (n°1), son courrier du 21 juin 2011adressé à l'intimée pour acter ce fait (2), trois témoignages de collègues de travail confirmant qu'elle a été écartée de ses fonctions de directrice en juillet 2011 avec brutalité de la part du gérant pour être remplacée par une vendeuse - Mme [Z] [D] - ainsi promue directrice adjointe (13,17,18), une attestation d'un agent général d'assurances indiquant qu'elle a été son interlocutrice jusqu'en septembre 2011 (19), ainsi qu'une série de courriels émanant de son employeur qui impose sans ménagement ce changement (3, 5,6,7), notamment, celui du 1er décembre 2011 parfaitement explicite («Concernant [Z] faites extrêmement ATTENTION elle est directrice adjointe promise à ce poste par moi après vous avoir consulté vous et [W] vous étiez parfaitement d'accord, tout sabotage d'où elle vient, elle aura une réponse impitoyable de ma part '», 5)';

-sur le deuxième grief, outre les attestations précitées (13,17) mentionnant un climat délétère au sein de l'entreprise en raison de l'attitude agressive du gérant, des certificats médicaux en médecine générale et psychiatrie sur la dégradation sensible de son état de santé (35 a / 35 k), des arrêts de travail pour «syndrome anxio-dépressif, souffrance au travail» (31 a / 31 i, 32, 33, 34, 79 a / 79 i), avec in fine la deuxième visite de reprise effectuée le 14 octobre 2013 par le médecin du travail qui confirme son inaptitude définitive à son emploi de directrice sans possibilité de reclassement dans l'entreprise (84).

Au vu de ces éléments qui laissent présumer une situation de harcèlement moral dont Mme [W] [L] a été la victime, force est de constater que l'employeur est dans le déni total en se contentant de critiquer pour le principe l'argumentaire de cette dernière pourtant particulièrement étayé.

Infirmant le jugement déféré, il y a lieu de prononcer la résiliation du contrat de travail aux torts exclusifs de la SARL Torregiani pour faits de harcèlement moral avec effet au 26 décembre 2013, date de notification du licenciement, de dire que cette résiliation judiciaire produit les conséquences indemnitaires d'un licenciement nul, et de la condamner ainsi à régler à Mme [W] [L] les sommes suivantes':

-21 127,68 € d'indemnité compensatrice conventionnelle de préavis (3 mois de salaires, article 9) et 2'112,76 € de congés payés afférents avec intérêts au taux légal partant du 23 mars 2012, date de réception par l'employeur de la convocation en bureau de conciliation';

-169'000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement illicite appelant l'application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, soit l'équivalent de 24 mois de salaires compte tenu de son ancienneté (26 ans) et de son âge (61 ans), avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt.

Sur la demande indemnitaire pour harcèlement moral

Indépendamment de l'examen du harcèlement moral sous l'angle spécifique de la demande de résiliation judiciaire comme précédemment traité, Mme [W] [L] a subi à ce titre un préjudice distinct qu'il convient de réparer, après infirmation de la décision critiquée, en condamnant l'intimée à lui payer la somme indemnitaire de 31'000 € majorée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur le rappel d'heures supplémentaires et le travail dissimulé

Mme [W] [L] verse aux débats une attestation d'une collègue de travail (sa pièce n°18), son agenda professionnel sur l'année 2011 (n°47), ainsi que le relevé de ses déplacements en avion pour participer à des salons professionnels en Italie - [P], [R] - de 2009 à 2011 le plus souvent les fins de semaine (n°46 et 48), ce qui est suffisant pour étayer sa demande à ce titre à due concurrence de la somme qu'elle réclame au vu du décompte figurant dans ses écritures - page 26, demande à laquelle s'oppose l'intimée en considérant, mais à tort, que sa salariée était un «cadre dirigeant» au sens de l'article L.3111-2 du code du travail, dès lors qu'il n'est pas démontré que l'appelante participait réellement à la direction de l'entreprise, ce qui supposait un partage des responsabilités avec le gérant de la SARL Torregiani.

Infirmant le jugement critriqué, la SARL TorregianI sera en conséquence condamnée à payer à l'appelante la somme de ce chef de 27'440 € sur la période 2007/2011 et celle de 2'744 € d'incidence congés payés, avec intérêts au taux légal partant du 23 mars 2012.

En l'absence d'élément intentionnel dûment établi à l'encontre de l'employeur, la décision querellée sera confirmée en ce qu'elle a débouté Mme [W] [L] de sa demande indemnitaire pour travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié sur le fondement des articles L.8221-5 et L.8223-1 du code du travail.

Sur la remise des documents sociaux'

Il sera ordonné la délivrance par l'intimée à Mme [W] [L] des bulletin de paie, certificat de travail et attestation Pole Emploi conformes au présent arrêt, sans le prononcé d'une astreinte.

Sur la capitalisation des intérêts'

Il sera ordonné la capitalisation des intérêts au taux légal sur les sommes allouées à l'appelante dans les conditions de l'article 1154 du code civil.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens'

La SARL Torregiani sera condamnée en équité à régler à l'appelante la somme de 3'000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

CONFIRME le jugement entrepris en ses seules dispositions sur la demande indemnitaire pour travail dissimulé';

L'INFIRME pour le surplus et statuant à nouveau,

PRONONCE la résiliation du contrat de travail ayant lié les parties aux torts exclusifs de la SARL Torregiani avec effet au 26 décembre 2013, dit que cette résiliation judiciaire produit les conséquences indemnitaires d'un licenciement nul, et la condamne ainsi à régler à Mme [W] [L] les sommes suivantes':

- 21'127,68 € d'indemnité compensatrice conventionnelle de préavis et 2'112,76 € de congés payés afférents, avec intérêts au taux légal partant du 23 mars 2012

- 169'000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement illicite, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt

- 31'000 € à titre d'indemnité pour harcèlement moral, avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt

CONDAMNE la SARL Torregiani à verser à Mme [W] [L] la somme de 27'440 € de rappel d'heures supplémentaires et 2'744 € de congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter du 23 mars 2012';

Y ajoutant,

ORDONNE la remise par la SARL Torregiani à Mme [W] [L] des bulletin de paie, certificat de travail et attestation Pole Emploi conformes au présent arrêt, sans le prononcé d'une astreinte

ORDONNE la capitalisation des intérêts au taux légal sur les sommes susvisées dans les conditions de l'article 1154 du code civil

CONDAMNE la SARL Torregiani à payer à Mme [W] [L] la somme de 3'000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

CONDAMNE la SARL Torregiani aux entiers dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 13/06722
Date de la décision : 22/10/2014

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°13/06722 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-10-22;13.06722 ?
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