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21/10/2014 | FRANCE | N°13/08736

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 21 octobre 2014, 13/08736


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 1



ARRÊT DU 21 OCTOBRE 2014



(n°14/199, 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 13/08736



Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Janvier 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS 01 - RG n° 11/13338





APPELANTE



SA MECCANO immatriculée au R.C.S de Boulogne-sur-Mer sous le n°B 431.85

2.7

89,

Prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Localité 1]



Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée de Me Vanessa ...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 1

ARRÊT DU 21 OCTOBRE 2014

(n°14/199, 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 13/08736

Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Janvier 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS 01 - RG n° 11/13338

APPELANTE

SA MECCANO immatriculée au R.C.S de Boulogne-sur-Mer sous le n°B 431.85

2.789,

Prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée de Me Vanessa DELNAUD-ROBINE de l'AARPI SALANS FMR DENTONS EUROPE, substituant Me Isabelle ROUX, avocat au barreau de Paris, toque :

INTIMÉE

SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DE L'HEBDOMADAIRE LE POINT-SEBDO prise en la personne de son directeur général délégué Monsieur [V] [Z].

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représentée et assistée de Me Renaud LE GUNEHEC de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0141

COMPOSITION DE LA COUR :

Après rapport oral dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile et en application des dispositions des articles 786 et 907 du même code, l'affaire a été débattue le 9 septembre 2014, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie AUROY et Madame Anne-Marie GABER, conseillères, cette dernière ayant instruit l'affaire,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Benjamin RAJBAUT, Président,

Madame Anne-Marie GABER, Conseillère

Madame [U] [E]

Greffier, lors des débats : Madame Karine ABELKALON

ARRÊT :

contradictoire

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par Monsieur Benjamin RAJBAUT, président et par Madame Karine ABELKALON, greffier présent lors du prononcé.

***

Vu le jugement contradictoire du 25 janvier 2013 rendu par le tribunal de grande instance de Paris,

Vu l'appel interjeté le 29 avril 2013 par la société MECCANO,

Vu les dernières conclusions (n°2) du 8 novembre 2013 de la société appelante,

Vu les dernières conclusions du 30 avril 2014 de la Société d'Exploitation de l'Hebdomadaire LE POINT - SEBDO (ci-après dite LE POINT), intimée et incidemment appelante,

Vu l'ordonnance de clôture du 6 mai 2014,

SUR CE, LA COUR,

Considérant que la société MECCANO, titulaire notamment de deux marques du même nom déposées en majuscules d'imprimerie, pour désigner, entre autres, des jeux et jouets (marques : française n° 1 598 289 déposée 20 juin 1990, depuis renouvelée, et communautaire n°000 201 343 déposée le 1er avril 1996), se prévaut également de la notoriété sur le territoire national de la marque 'MECCANO' pour ces produits ;

Qu'ayant découvert que l'hebdomadaire LE POINT du 22 juin 2006 (dans un article intitulé '[P] DE VILLEPIN BÊTE NOIRE DE L'UMP') faisait référence, sans son autorisation, à sa marque, laquelle n'est 'pas un terme générique destiné à désigner un jeu de construction', elle a demandé, le 6 septembre 2006, à la société éditrice d'en tenir compte ; qu'elle a réitéré cette mise au point, le 18 mars 2010, au vu d'un article du 25 février 2010 ('L'industrie française victime du colbertinisme' ), puis, le 26 août 2010, ensuite d'un article du 8 juillet 2010 ('Les maisons du bonheur') reprenant l'utilisation dénoncée ;

Que la société 'LE POINT' a répondu qu'elle tiendrait 'le plus grand compte' de cette mise au point, mais par mise en demeure du 22 avril 2011 le conseil de la société MECCANO dénonçait la mise en ligne sur le site 'lepoint.fr' d'un nouvel article, du 15 mars 2011('Véronique [K] prend les commandes d'Arte France'), qui utiliserait le terme 'Meccano' comme un nom commun, ce qui était contesté le 17 juin 2011 par la société LE POINT qui soutenait que l'usage reproché serait réalisé à titre métaphorique et non pour désigner 'de manière commune et matériellement un jeu de construction' ;

Qu'ensuite de la parution, le 27 juin 2011, d'un nouvel article ('[M] [H] sur le départ, un remaniement dès mercredi') faisant, selon elle, encore un usage générique de sa marque, la société MECCANO a fait assigner la société LE POINT devant le tribunal de grande instance de Paris le 12 septembre 2011 en réparation du préjudice subi, réclamant 80.000 euros de dommages et intérêts, la suspension de l'accès aux articles précités mis en ligne sur le site internet 'lepoint.fr' ainsi que des mesures d'interdiction, d'adjonction du signe 'R' en cas d'usage de la marque, et de publication ;

Que 6 articles postérieurs, des 22 septembre, 15 et 30 décembre 2011, 20 janvier, 1er mars et 2 août 2012 (respectivement intitulés 'La tour fait sa diva', 'Peur sur le monde', 'Thalès Fusion dans l'armement', 'Dexia, les dessous d'un scandale d'Etat', 'La vraie vérité' et 'La $gt; de Hollande au coeur de la tourmente') ont ensuite également été incriminés par la société MECCANO comme utilisant fautivement le terme 'Meccano', l'intéressée demandant d'étendre à ces articles, ainsi qu'à un article antérieur du 11 décembre 2008 'Le roi du nano-meccano' , la mesure de suspension de l'accès par le site internet 'lepoint.fr' ;

Considérant que, selon jugement dont appel, les premiers juges ont déclaré la société MECCANO recevable en ses demandes additionnelles, concernant les 6 nouveaux articles, mais l'ont déboutée de l'ensemble de ses demandes, estimant qu'elle succombait dans l'administration de la preuve d'une faute, et l'ont condamnée à payer 3.000 euros à la société LE POINT au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Considérant que la société MECCANO réitère en cause d'appel ses demandes de première instance, faisant valoir qu'en utilisant dans le texte des articles incriminés la marque 'MECCANO' $gt; , la société LE POINT aurait commis une faute au sens de l'article 1382 du Code civil, un tel usage étant, selon elle, impropre, et de nature à diluer le pouvoir distinctif ainsi que les valeurs fortes de la marque qu'il lui appartient de protéger ;

Considérant que l'intimée renouvelle préalablement la fin de non recevoir opposée devant les premiers juges pour les demandes relatives aux faits de publication postérieurs à l'assignation ;

Mais considérant que c'est par des motifs exacts et pertinents, que la cour approuve, que le tribunal a retenu que les demandes additionnelles, visant les mêmes parties et fondement, reposaient sur des faits similaires à ceux visés dans l'acte introductif d'instance et présentaient un lien suffisant les rendant recevables ; qu'il sera ajouté que si des articles distincts sont incriminés, ils ne le sont que comme réitérant une pratique déjà dénoncée par la société demanderesse dans l'assignation ; que les prétentions complémentaires de la société MECCANO se rattachent ainsi nécessairement à ses prétentions originaires par un lien suffisant et le jugement entrepris ne peut qu'être confirmé en ce qu'il les a déclarées recevables ;

Considérant que la société LE POINT soutient au fond qu'aucun des articles incriminés n'utiliserait le terme 'Meccano' (écrit avec une lettre majuscule, sauf dans l'article du 11 décembre 2008 où le terme litigieux serait $gt;) $gt; alors qu'il aurait tune $gt;, et qu'un usage de ce terme $gt; serait très courant dans tous les médias, non susceptible de faire dégénérer la marque ou de la banaliser ;

Considérant qu'il sera observé que si les articles de presse litigieux, à une exception près, présentent le mot 'Meccano' avec une initiale en majuscule, ce terme n'est jamais mis entre guillemets (alors qu'il est le plus souvent précédé d'un article à la manière d'un nom commun) par la société LE POINT, qui prétendrait ainsi vainement avoir fait preuve de toute la prudence nécessaire pour évoquer un jeu de construction de la marque 'MECCANO' (dont le signe n'est par ailleurs pas reproduit en majuscules tel que déposé);

Que le prétendu usage stylistique et métaphorique d'une marque notoire ne saurait nécessairement exclure toute faute préjudiciable, alors qu'il n'est pas discuté que la liberté d'expression n'est pas absolue et que la société MECCANO a pu intervenir utilement auprès d'autres organes de presse pour défendre sa marque ;

Considérant qu'en réalité le terme litigieux s'avère inclus dans le titre de l'article du 11 décembre 2008, consacré à un biochimiste ( 'le roi du nano-meccano') et dans le texte des autres articles incriminés ; qu'ainsi l'article du  :

22 juin 2006, met en garde 'contre l'obstruction que susciterait le Meccano qui scinderait le projet de loi du gouvernement en deux',

25 février 2010, fait état du 'retour du Meccano industriel',

8 juillet 2010, se réfère à une maison qui serait assemblée 'comme un Meccano'

15 mars 2011, relève, pour la présidence d'une chaîne franco allemande, qu'on 'peut compter sur l'énergie de cette femme de caractère pour remodeler ce Meccano complexe dont les Allemands tirent, en fait beaucoup mieux parti',

27 juin 2011, mentionne, pour un remaniement gouvernemental, que le Président de la République 'aurait déjà bâti son Meccano',

22 septembre 2011, s'interroge ainsi sur un édifice hors normes : 'Les secrets du Meccano géant'',

15 décembre 2011, précise pour un cinéaste qui monte son film : 'Tout est pour lui Meccano ou dominos',

30 décembre 2011, reprend l'expression d'un 'Meccano industriel' pour présenter un choix de l'Etat qui n'aurait pas été attendu avec cette ampleur dans l'industrie de l'armement,

20 janvier 2012, sur un scandale bancaire, indique : 'Comme souvent, plutôt que de faire simple, les technocrates ont bricolé un Meccano infernal impossible à mettre en oeuvre',

1er mars 2012, sur la fragilité de l'Europe, mentionne : 'Il aura suffi que saute le rivet d'une Grèce ruinée pour que tout le Meccano se désarticule',

2 août 2012, sur un secrétaire général adjoint en matière d'économie, précise : 'Son truc [...], c'étaient plutôt les Meccano financiers et industriels' ;

Qu'il en ressort manifestement que si généralement le terme 'Meccano' est orthographié par la société LE POINT comme un nom propre, il s'avère cependant employé comme un mot usuel du langage journalistique ; qu'en effet il conceptualise un signe, qui constitue une marque de jeu, pour l'étendre à la désignation de toutes sortes de systèmes de construction ou de montage architecturaux, intellectuels, politiques ou économiques, lui conférant un sens nouveau (par la constitution du mot composé 'nano-meccano') ou général (tel un nom du langage courant 'Meccano'), sans jamais indiquer, d'aucune manière qu'il s'agit d'un nom déposé ;

Que, certes, le lecteur moyennement averti peut comprendre qu'il s'agit implicitement d'une référence à un jeu de construction connu mais il ne saura pas nécessairement qu'il s'agit d'un signe protégé, aucune mention ou sigle ne l'indiquant ; que le public sera ainsi incité à croire, au vu des articles en cause, que le signe 'Meccano' peut être employé de manière usuelle et généralisée, d'autant qu'il n'y est pas d'un emploi nécessaire dès lors qu'il pourrait facilement être remplacé, ainsi que le démontre les réactions d'autres organes de presse pour des utilisations comparables, par des mots tels qu''assemblage', 'construction', 'jeu de construction' ou 'dispositif' ;

Considérant que le principe de liberté de la presse ne saurait exonérer la société LE POINT, qui en sa qualité de professionnelle ne peut ignorer l'importance économique d'une marque fut-elle notoire pour une société commerciale telle que la société MECCANO, de son obligation de prudence pour éviter qu'un signe soit perçu par de nombreux lecteurs (d'autant plus nombreux que les articles papier ont été mis en ligne), non comme une marque déposée, mais comme une métaphore ou un terme évocateur usuel, synonyme de noms communs du langage courant ; qu'au surplus la société LE POINT, quoique clairement alertée à plusieurs reprises par le titulaire de la marque de la nécessité de défendre son droit de propriété intellectuelle, a poursuivi l'utilisation détournée, conférant au signe protégé de la société MECCANO une apparence d'emploi commun de nature à générer un processus de vulgarisation contre lequel le titulaire est légitime à réagir ;

Considérant, en définitive, qu'un tel usage, qui diffuse de manière réitérée, dans le contexte d'articles certes ponctuels mais très divers, dans des tournures de style, le terme 'meccano' ou plus généralement 'Meccano' sans veiller à ce qu'indication soit faite qu'il s'agit d'une marque déposée, au détriment des droits de propriété intellectuelle de la société MECCANO, ne répond à aucun but légitime, ni besoin nécessaire d'expression en matière de presse ; qu'il renvoie, au contraire, fautivement à l'idée d'un signe conceptualisant tout type de produits d'un même genre, ce qui est par nature préjudiciable au titulaire de la marque, le caractère distinctif de cette dernière résultant de la perception qu'en a le public ;

Qu'il en résulte que la responsabilité de la société LE POINT à l'égard de la société MECCANO est engagée, et que la décision entreprise ne peut qu'être infirmée en ce qu'elle a estimé que les conditions de l'article 1382 du Code civil n'étaient pas réunies ;

Considérant que le comportement de la société LE POINT a imposé à la société MECCANO l'engagement de frais pour préserver ses droits, qui seront pris en compte dans l'appréciation de l'article 700 du Code de procédure civile, mais également causé, par l'utilisation indue de la marque dans les 12 articles mis en ligne, un préjudice moral qui ne peut qu'être aggravé par le fait que le terme 'Meccano' y est souvent employé pour suggérer des constructions ou montages complexes, ce qui ne correspond pas nécessairement au fort pouvoir attractif de la marque (couvrant des jeux et jouets) que la société MECCANO entend préserver ; que le préjudice ainsi subi sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 30.000 euros, la présente condamnation emportant intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt  ;

Considérant qu'il convient d'autoriser la société la société MECCANO à publier le dispositif de la présente décision, dans les conditions prévues au présent dispositif, à titre de dommages et intérêts complémentaires ; qu'en revanche, des mesures de publication sous astreinte ne s'imposent pas, et la suppression de l'accès aux articles incriminés ne s'avère pas proportionnée au regard des faits de la cause ; que, de même, n'apparaissent pas justifiées des mesures de substitution, d'interdiction ou d'obligation alors que la poursuite ou la réitération d'un usage fautif serait susceptible de justifier de nouvelles poursuites ;

PAR CES MOTIFS,

Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a déclaré recevables les demandes additionnelles formées par la société MECCANO ;

Statuant à nouveau dans cette limite,

Dit que la Société d'Exploitation de l'Hebdomadaire LE POINT - SEBDO a engagé sa responsabilité à l'égard de la société MECCANO en utilisant la marque déposée 'MECCANO' pour constituer un mot composé dans un titre, ou tel un nom du langage courant dans le texte de divers articles ;

La condamne à payer à la société MECCANO la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision ;

Autorise la société MECCANO à faire publier le dispositif du présent arrêt, en entier ou par extrait, dans 3 journaux ou revues de son choix aux frais avancés de la société LE POINT, à hauteur de 5.000 euros HT par insertion, à titre de dommages et intérêts complémentaires ;

Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ;

Condamne la Société d'Exploitation de l'Hebdomadaire LE POINT - SEBDO aux dépens de première instance et d'appel, qui, pour ces derniers, pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, et à verser à la société MECCANO une somme 20.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

LE PRÉSIDENTLE GREFFIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 13/08736
Date de la décision : 21/10/2014

Références :

Cour d'appel de Paris I1, arrêt n°13/08736 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-10-21;13.08736 ?
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