Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 14 OCTOBRE 2014
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/13459
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 20 Juin 2013 rendue par le délégué du président du Tribunal de Grande Instance de PARIS ordonnant l'exequatur de la sentence rendue à [Localité 6] (La Barbade) le 27 mars 2011 par M. [C], arbitre unique
APPELANTS
S.A. AUTO GUADELOUPE INVESTISSEMENTS (AGI)
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 4]
GUADELOUPE
représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN-DE MARIA - GUERRE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0018
assistée de Me Jean-Pierre GRANDJEAN du cabinet PUK CLIFFORD CHANCE EUROPE LLP et Me Jacques PELLERIN, avocats plaidant du barreau de PARIS, toque : K0112 et toque : L0018
INTERVENANTS VOLONTAIRES :
Maître [E] [A] ès-qualités de représentante des créanciers de la société AUTO GUADELOUPE INVESTISSEMENTS
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentée par Me Jérôme MARSAUDON de la SELARL REINHART MARVILLE TORRE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0030
Maître [H] [Y] membre de la SELARL [Y] ès-qualités de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de la société AUTO GUADELOUPE INVESTISSEMENT (AGI)
[Adresse 3]
[Localité 3]
représenté par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN-DE MARIA - GUERRE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0018
représenté par Me Jean-Paul POULAIN, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque :
R 179
Maître [B] [L] membre de la SELAS [L], ès qualités de Commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de la société AUTO GUADELOUPE INVESTISSEMENT (AGI)
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 5]
représenté par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN-DE MARIA - GUERRE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0018
représenté par Me Jean-Paul POULAIN, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque :
R 179
INTIMEES
Société COLOMBUS ACQUISITIONS INC Société de droit de LA BARBADE
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 6]
LA BARBADE WI
représentée par Me Philippe GALLAND de la SCP GALLAND-VIGNES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0010
assistée de Me Rémi TURCON, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : K 0037 et de Me Fabien PEYREMORTE, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : B34
S.A.S. COLOMBUS HOLDINGS FRANCE 'CHF'
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Me Philippe GALLAND de la SCP GALLAND-VIGNES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0010
assistée de Me Rémi TURCON, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : K 0037 et de Me Fabien PEYREMORTE, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : B34
Société CARIBBEAN FIBER HOLDINGS LP 'CFH'
prise en la personne de ses représentants légaux
DÉSISTEMENT
Chez LEUCADIA NATIONAL CORPORATION - [Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 1]
ETATS-UNIS
représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : C2477
assistée de Me Alexis GRANBLAT, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : P37 et Ana VERMAL du cabinet PROSKAUER
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 septembre 2014, en audience publique, le rapport entendu, devant la Cour composée de :
Monsieur ACQUAVIVA, Président
Madame GUIHAL, Conseillère
Madame DALLERY, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame PATE
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur ACQUAVIVA, président et par Madame PATE, greffier présent lors du prononcé.
AUTO-GUADELOUPE INVESTISSEMENTS (AGI), société anonyme de droit français, filiale du groupe français Loret, et CARIBBEAN FIBER HOLDINGS LP (CFH), société immatriculée au Delaware, dépendant de la société américaine Leucadia National Corp, sont associées à hauteur de 60 % pour la première et 40 % pour la seconde, au sein de GLOBAL CARIBBEAN FIBER SA (GCF), société de droit français dont l'objet porte sur la construction et l'exploitation d'un réseau de câbles sous-marins de télécommunication aux Caraïbes. En 2008, elles ont engagé des négociations tendant à la cession de la totalité du capital de GCF à COLUMBUS ACQUISITIONS INC. et COLUMBUS HOLDINGS FRANCE SAS (ensemble 'COLUMBUS'), filiales de Columbus International Inc., société de télécommunications ayant son siège social à la Barbade.
Un premier protocole d'accord ('Memorandum of Terms), signé le 10 novembre 2008, fixait au 31 décembre 2008 la date limite de négociation de l'accord définitif. Cette date n'ayant pas été respectée, les parties sont convenues de repousser le terme au 31 mars 2009 par un protocole d'accord renouvelé ('Renewed Memorandum of Terms') signé le 3 mars 2009. Celui-ci prévoyait l'application du droit de la Barbade et le recours à l'arbitrage par un arbitre unique sous l'égide du Centre international pour le règlement des différends (ICDR), division internationale de l'Association Américaine d'Arbitrage.
AGI, estimant que le protocole d'accord n'avait pas de valeur contraignante, a fait savoir le 20 mai 2009 qu'après consultation du président du conseil régional de la Guadeloupe elle renonçait à la vente, en considération de la situation sociale et politique dans les Antilles françaises.
Le 10 juillet 2009, COLUMBUS a engagé une procédure d'arbitrage pour obtenir, à titre principal, l'exécution de l'accord de cession qu'elle estimait parfait, et, subsidiairement, le paiement d'une indemnité de 990 millions de dollars américains. CFH s'est jointe à ces demandes et a également sollicité l'allocation de dommages-intérêts punitifs.
Par une sentence rendue à [Localité 6] (La Barbade) le 27 mars 2011, M. [C], arbitre unique, a, en substance :
- décidé que les parties avaient conclu un accord contraignant, lequel avait été violé par AGI,
- rejeté les demandes d'exécution forcée et de transfert des actions,
- rejeté les demandes reconventionnelles d'AGI,
- renvoyé à une sentence ultérieure les demandes relatives aux dommages-intérêts et aux frais de procédure.
Cette sentence a été revêtue de l'exequatur par une ordonnance du délégué du président du tribunal de grande instance de Paris du 20 juin 2013 dont appel a été interjeté par AGI le 3 juillet 2013.
Par des conclusions signifiées le 14 août 2014, cette dernière sollicite l'infirmation de l'ordonnance entreprise et la condamnation in solidum de COLUMBUS et de CFH à lui payer la somme de 250.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Elle invoque principalement, l'irrégularité de la composition du tribunal arbitral et la violation de l'ordre public international résultant du défaut de révélation par l'arbitre unique de liens entre le cabinet d'avocats dont il est l'associé et deux des parties à l'arbitrage. Subsidiairement, elle soutient que le champ d'application de la clause compromissoire sur le fondement de laquelle l'arbitre a été saisi était restreint aux différends relatifs aux pourparlers, et ne s'étendait pas aux litiges qui auraient pu résulter de la cession d'actions, pour lesquels les parties avaient prévu un tribunal arbitral composé de trois membres, de sorte que l'arbitre unique n'était pas compétent pour trancher le différend en cause, enfin, que l'exécution en France de la sentence contreviendrait aux règles d'ordre public international des procédures collectives et, notamment, au principe de l'arrêt des poursuites individuelles en l'état de l'ouverture à son égard d'une procédure de sauvegarde par un jugement du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre du 10 mai 2012 et du rejet par le juge-commissaire par trois ordonnances du 30 juin 2013, frappées d'appel, des créances déclarées par COLUMBUS et CFH au titre de la sentence du 29 mars 2011, au motif que cette dernière était entachée d'un conflit d'intérêts de l'arbitre.
Par des conclusions signifiées le 26 août 2014, COLUMBUS HOLDINGS FRANCE demande à la cour de débouter AGI de ses prétentions, de confirmer l'ordonnance d'exequatur et de condamner AGI à lui payer la somme de 200.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. En substance, elle fait valoir, d'une part, que les relations du cabinet d'avocats auquel appartient M. [C] avec des personnes ou des sociétés liées très indirectement avec elle-même sont anciennes et ne caractérisent pas un courant d'affaires, d'autre part, que les relations de ce même cabinet avec Leucadia avaient été révélées par l'arbitre et qu'en toute hypothèse, elles étaient notoires pour avoir été publiées sur le site internet de ce cabinet.
COLUMBUS ACQUISITIONS INC a signifié le 26 août 2014 des conclusions identiques.
Par des conclusions signifiées le 11 septembre 2014, CFH a déclaré qu'elle renonçait aux droits qu'elle tenait de l'ordonnance d'exequatur, qu'elle se désistait de sa demande de confirmation de cette ordonnance ainsi que de toutes ses autres demandes et sollicitait sa mise hors de cause.
Par des conclusions signifiées le 30 juin 2014, M. [Y], membre de la SELARL [Y], et M. [L], membre de la SELAS [L], intervenants volontaires ès qualités de commissaires à l'exécution du plan de sauvegarde d'AGI, se sont associés aux prétentions de cette dernière.
Mme [E], intervenante volontaire ès qualités de représentante des créanciers d'AGI, en a fait autant par des conclusions signifiées le 25 août 2014.
SUR QUOI :
Sur le premier moyen tiré de l'irrégularité de la composition du tribunal arbitral (article 1520 2° du code de procédure civile) :
AGI invoque un conflit d'intérêts de l'arbitre unique avec l'une des parties qui n'a pas été révélé lors de la constitution du tribunal arbitral.
Considérant que le 10 novembre 2008 a été conclu entre AGI, CFH et les sociétés COLUMBUS un protocole d'accord, renouvelé le 3 mars 2009, portant sur un projet de cession par les deux premières aux secondes de l'ensemble du capital de GCF; qu'AGI ayant renoncé à l'opération, COLUMBUS a engagé contre elle, le 10 juillet 2009, une procédure d'arbitrage à laquelle CFH s'est jointe le 12 août 2009; que M. [C], arbitre unique, a accepté sa mission le 15 septembre 2009; que l'instruction de la cause s'est déroulée jusqu'en août 2010; que la sentence rendue le 27 mars 2011 a fait l'objet le 19 juin 2013, d'une ordonnance d'exequatur dont appel a été interjeté par AGI;
Considérant que cette dernière fait grief à l'arbitre d'avoir dissimulé la réalité des relations entretenues par le cabinet d'avocats Fasken Martineau, dont il est associé, avec la société Leucadia National Corporation, dont il n'est pas contesté qu'elle détient 100 % du capital de CFH;
Considérant qu'aux termes de l'article 1456 du code de procédure civile, applicable en matière internationale en vertu de l'article 1506 du même code : 'Il appartient à l'arbitre, avant d'accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d'affecter son indépendance ou son impartialité. Il lui est également fait obligation de révéler sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission';
Considérant que la circonstance que le nom de l'arbitre ait été proposé par AGI n'était pas de nature à le dispenser de son obligation d'information à l'égard de cette partie; que cette obligation doit s'apprécier au regard de la notoriété de la situation critiquée et de son incidence sur le jugement de l'arbitre;
Considérant que M. [C] a souscrit en septembre 2009 une déclaration d'indépendance par laquelle il indiquait : 'I wish to disclose that a partner in my firm's [Localité 7] office has represented Leucadia National Corporation in Canada in respect of Canadian based matters over a number of years. I understand that at present there are no matters in respect of which my firm is currently providing advice to Leucadia National Corporation';
Considérant que les parties sont contraires sur le point de savoir si, dans la première phrase citée, le verbe 'has represented' doit être traduit en français au présent ou au passé composé et si cette phrase doit donc s'entendre comme la déclaration qu'un associé du cabinet dont l'arbitre est membre 'représente Leucadia National Corporation au Canada depuis plusieurs années' ou 'a représenté Leucadia National Corporation au Canada pendant plusieurs années'; que, toutefois, par la seconde phrase, l'arbitre affirme sans ambiguïté que ce cabinet ne dispense pas actuellement de conseils à Leucadia;
Considérant qu'il apparaît en réalité, des informations publiées par le cabinet Fasken Martineau sur son site internet le 15 décembre 2010, et reprises par Lexpert, magazine d'affaires destiné aux avocats en janvier 2011, que le 15 décembre 2010 Leucadia a finalisé la vente de sa participation dans la mine de cuivre Cobre Las Cruces à Inmet Mining pour environ 575 millions USD, et qu'une équipe de Fasken Martineau, qui comprenait [R] [T] et [Z] [W] (droit des sociétés, valeurs mobilières) et [O] [S] (fiscalité), l'a assistée dans cette opération engagée depuis 2005;
Considérant, d'une part, que si des informations publiques et très aisément accessibles, que les parties ne pouvaient manquer de consulter avant le début de l'arbitrage, sont de nature à caractériser la notoriété d'un conflit d'intérêts, en revanche, il ne saurait être raisonnablement exigé, ni que les parties se livrent à un dépouillement systématiques des sources susceptibles de mentionner le nom de l'arbitre et des personnes qui lui sont liées, ni qu'elles poursuivent leurs recherches après le début de l'instance arbitrale; qu'en l'espèce, à la date où l'opération Cobre de las Cruces a été rendue publique, les débats devant M. [C] étaient clos depuis août 2010 et l'affaire mise en délibéré; que les faits litigieux n'étaient donc pas notoires lors de la constitution du tribunal arbitral;
Considérant, d'autre part, qu'à supposer même que le montant des honoraires perçus par le cabinet Fasken Martineau à l'occasion de l'opération Cobre de las Cruces ait été modeste, l'ampleur de la transaction elle-même, le nombre d'avocats mobilisés, ainsi que la publicité que le cabinet a entendu donner à sa contribution manifestaient l'importance qu'il attachait à cette affaire;
Considérant qu'il apparaît donc que, contrairement à ce que laissait entendre la déclaration d'indépendance de M. [C], alors que l'instance arbitrale était en cours, trois avocats du cabinet Fasken Martineau prêtaient leur concours à Leucadia dans une opération que le cabinet regardait comme un enjeu de communication; que de telles circonstances, qui étaient ignorées d'AGI lors de la désignation de M. [C], étaient de nature à faire naître dans l'esprit de cette partie un doute raisonnable quant à l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre; qu'il convient dès lors d'annuler la sentence en raison de l'irrégularité de la composition du tribunal arbitral;
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Considérant que les sociétés COLUMBUS, qui succombent, ne sauraient bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile; qu'elle seront condamnées in solidum sur ce fondement à payer à GIA la somme de 200.000 euros;
PAR CES MOTIFS :
Donne acte à la société CARIBBEAN FIBER HOLDINGS de son désistement d'action.
Infirme l'ordonnance du délégué du président du tribunal de grande instance de Paris en date du 19 juin 2013 prononçant l'exequatur de la sentence rendue entre les parties le 27 mars 2011.
Déclare le présent arrêt commun à M. [Y], membre de la SELARL [Y], et M. [L], membre de la SELAS [L], intervenants volontaires ès qualités de commissaires à l'exécution du plan de sauvegarde de la société AUTO GUADELOUPE INVESTISSEMENT, ainsi qu'à Mme [E], intervenante volontaire ès qualités de représentante des créanciers de cette même société.
Condamne in solidum les sociétés COLUMBUS ACQUISITIONS INC. et COLUMBUS HOLDINGS FRANCE SAS aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Condamne in solidum les sociétés COLUMBUS ACQUISITIONS INC. et COLUMBUS HOLDINGS FRANCE SAS à payer à la société AUTO GUADELOUPE INVESTISSEMENT la somme de 200.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Rejette toute autre demande.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT