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11/09/2014 | FRANCE | N°12/02280

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 7, 11 septembre 2014, 12/02280


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7



ARRÊT DU 11 Septembre 2014

(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/02280



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Janvier 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section Encadrement RG n° 10/14601



APPELANTE

Madame [W] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 2]

comparante en personne

assistée de Me Hélène LAFONT-GA

UDRIOT, avocat au barreau de VERSAILLES, toque : C 177



INTIMEE

SA EXANE

[Adresse 1]

[Localité 1]

en présence de Mme [X] [U], Responsable des Ressources Humaines et de M...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7

ARRÊT DU 11 Septembre 2014

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/02280

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Janvier 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section Encadrement RG n° 10/14601

APPELANTE

Madame [W] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 2]

comparante en personne

assistée de Me Hélène LAFONT-GAUDRIOT, avocat au barreau de VERSAILLES, toque : C 177

INTIMEE

SA EXANE

[Adresse 1]

[Localité 1]

en présence de Mme [X] [U], Responsable des Ressources Humaines et de M. [V] [D], Directeur des Ressources

assistée de Me Florence ACHACHE, avocat au barreau de PARIS, toque : R088, Me Michel LEVY, avocat au barreau de PARIS

ET ENCORE :

LES DEFENSEURS DES DROITS

[Adresse 3]

[Localité 3]

représentée par Me Christophe DELTOMBE, avocat au barreau de PARIS, toque : R129 substitué par Me Valérie COURTOIS, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Juin 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Patrice LABEY, Président de chambre

Monsieur Bruno BLANC, Conseiller

Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Laëtitia CAPARROS, lors des débats

MINISTERE PUBLIC :

représenté lors des débats par Mme Annabel ESCLAPEZ , qui a fait connaître son avis.

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Patrice LABEY, Président, et par Melle Laëtitia CAPARROS, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Mme [W] [Y] a été engagée par la Société EXANE, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée en date du 19 décembre 2006 en qualité de Vendeur petites et moyennes valeurs, avec prise d'effet au 22 janvier 2007, moyennant une rémunération annuelle brute de 100.000 €.

En congé maternité à compter du 1er novembre 2009, Mme [Y] a repris le travail le 31 mai 2010.

Par lettre en date du 12 octobre 2010, Mme [Y] a informé la Société EXANE qu'elle prenait acte de la rupture de son contrat de travail pour "discrimination et violences morales répétées...".

Le 17 novembre 2010, Mme [W] [Y] a saisi la HALDE d'une réclamation relative à la discrimination qu'elle estime avoir subi en raison de son sexe, de sa grossesse et/ou de sa situation de famille, au cours de sa carrière au sein de la société EXANE SA.

Le 22 novembre 2010, Mme [Y] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Paris aux fins de voir juger que sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail emportait les effets d'un licenciement et condamner la société EXANE à lui verser avec intérêts au taux légal :

-104 000 € au titre du complément de bonus de l'année 2008 ;

- 10 400 € au titre des congés payés afférents ;

-148 000 € au titre du bonus de l'année 2009 ;

- 14 800 € au titre des congés payés afférents ;

-129 500 € au titre du bonus 2010 ;

- 12 950 € au titre des congés payés afférents ;

- 25 006,47 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 2 500,65 € au titre des congés payés afférents ;

- 66 652,22 € au titre de l'indemnité de licenciement conventionnelle ;

- 2 406,48 € au titre de l'indemnité mutuelle / prévoyance

- 375 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 125 000 € Dommages et intérêts pour discrimination

Outre l'exécution provisoire et l'octroi d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Mme [Y] demandait au Conseil de prud'hommes d'ordonner sous astreinte la remise des bulletins de paie d'octobre 2010 à janvier 2011 , d'une attestation Pôle emploi et d'un certificat de travail.

La Cour est saisie d'un appel formé par Mme [Y] contre le jugement du Conseil de prud'hommes de PARIS en date du 3 janvier 2012 qui l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes.

Par décision n° MLD-2013-220 en date du 3 décembre 2013, le Défenseur des droits succédant à la HALDE a estimé que Madame [Y] avait effectivement été victime de discrimination à raison de son sexe, de sa grossesse et/ou de sa situation de famille et a décidé de présenter ses observations devant la Cour d'appel de Paris qu'il a avisé de ses intentions par courrier du 5 décembre 2013.

Le 20 décembre 2013, étaient déposées au greffe de la cour les écritures de l'avocat représentant le Défenseur des droits.

Par conclusions du 10 avril 2014, la société EXANE soulevait l'irrecevabilité de la demande du conseil du Défenseur des droits de présenter des observations orales à l'audience, de l'intervention d'un avocat, en qualité de mandataire du défenseur des droits, qu'il s'agisse d'observations écrites ou orales, ainsi que de ce type d'intervention faite en violation de l'article 33 alinéa 1 de la loi du 29 mars 2011 et constitutive d'une rupture de l'égalité des armes au sens de l'article 6 de la CEDH.

Le Conseil du Défenseur des droits déposait des observations en réponse, s'opposant à cette argumentation.

A l'audience du 10 avril 2014, la Cour ordonnait la transmission du dossier au parquet général pour observations sur la question de l'irrecevabilité de l'intervention du Défenseur des droits et l'affaire était renvoyée à l'audience du 12 juin.

A l'audience du 12 juin 2014, la société EXANE a maintenu sa position tendant à l'irrecevabilité de la demande du Défenseur des droits et à l'intervention d'un avocat en qualité de mandataire de cette autorité.

Le Défenseur des droits, suivi en cela par Mme [Y], a réfuté les moyens opposés par la société EXANE.

A l'audience, le Ministère public a conclu à l'absence de qualité juridique d'intervenant, volontaire ou forcé devant la juridiction, du Défenseur des droits qui n'est pas une partie au procès et a demandé à la Cour de se limiter à constater le dépôt d'observations écrites et à accueillir son audition développée à l'audience.

Après s'être retirée et en avoir délibéré, la Cour a décidé de joindre l'incident au fond.

Vu les conclusions du 12 juin 2014 au soutien des observations orales par lesquelles Mme [Y] conclut à titre principal à l'infirmation de la décision entreprise et demande à la Cour de dire et juger que la rupture du contrat de travail de Madame [Y], en date du 12 octobre

2010, emporte les effets d'un licenciement nul, subsidiairement d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse, pour en conséquence, condamner la société EXANE à lui verser :

avec intérêt au taux légal à compter de la date de la convocation devant le Bureau de Conciliation, les sommes de :

-162260 € au titre du complément de bonus de l'année 2008 ;

- 167173 € au titre du bonus de l'année 2009 ;

- 167173 € au titre du bonus 2010 ;

- 25 006,47 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 2 500,65 € au titre des congés payés afférents ;

- 27 003,32 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;

avec intérêt au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, les sommes de :

- 375 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 125 000 € Dommages et intérêts pour discrimination ;

- 2 406,48 € à titre de remboursement de ses frais de mutuelle.

Mme [Y] sollicite en outre le versement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que la remise sous astreinte des bulletins de paie d'octobre 2010 à janvier 2011 , d'une attestation Pôle emploi et d'un certificat de travail.

Vu les conclusions du 12 juin 2014 au soutien de ses observations orales au terme desquelles la société EXANE conclut à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et demande à la Cour de dire et juger que Madame [Y] n'a pas été victime de discrimination et ne justifie pas de faits sérieux rendant la rupture de son contrat de travail imputable à la société EXANE, de la débouter de l'intégralité de ses demandes et de la condamner au paiement des sommes de :

- 25006,46 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 2500,65 € à titre de congés payés afférents ;

- 5000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- 5000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile , renvoie aux conclusions déposées et soutenues l'audience ;

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'incident de procédure

Institué par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Vème République, le Défenseur des droits dont les attributions et modalités d'intervention sont définies par la loi organique du 29 mars 2011 et plus particulièrement par l'article 33, succède et remplace le Médiateur de la République et la Haute Autorité de lutte contre la discrimination et pour l'égalité (la HALDE).

S'agissant de la faculté de présenter des observations orales à l'audience, l'article 13 de la loi du 30 décembre 2004 portant création de la HALDE, dont le Défenseur des droits reprend les attributions ( article 44 de la loi organique précitée), précisait « les juridictions civiles, pénales ou administratives peuvent, lorsqu'elles sont saisies de faits relatifs à des discriminations, d'office ou à la demande des parties, inviter la haute autorité ou son représentant à présenter des observations ; dans les mêmes conditions, les juridictions pénales peuvent, à la demande de la haute autorité, l'inviter à présenter des observations, y compris à les développer oralement au cours de l'audience ».

L'article 33 de la loi organique du 29 mars 2011 précitée dispose que : « Les juridictions civiles, administratives et pénales peuvent, d'office ou à la demande des parties, l'inviter à présenter des observations écrites ou orales. Le Défenseur des droits peut lui-même demander à présenter des observations écrites ou à être entendu par ces juridictions ... ».

L'introduction de la conjonction "ou" dans ce dernier membre de phrase de l'article 33 de la loi susvisée tel qu'issue des débats parlementaires, ainsi que le souligne le Ministère public, n'a eu pour objectif que de simplifier la rédaction des dispositions antérieures et de permettre, quel que soit le type de procédure, au Défenseur des droits de présenter des observations écrites ou orales.

Faute de revêtir un caractère alternatif, ces dispositions ne permettent pas de soutenir, comme le fait La société EXANE qu'en produisant la décision n° MDL 2013-220 du 2 décembre 2013 devant la cour d'appel puis en faisant déposer des observations écrites rédigées par son conseil, le Défenseur des droits aurait épuisé sa faculté d'intervention devant la juridiction et ne devrait donc pas être autorisé à s'exprimer oralement à l'audience.

En outre, s'agissant d'un appel formé dans le cadre d'une procédure orale y compris en cause d'appel, il ne peut être dénié au Défenseur des droits la faculté de prendre la parole à l'audience au soutien de ses observations écrites préalables garantes du respect du principe du contradictoire.

Par ailleurs, s'il est constant que le Défenseur des droits doit être l'auteur de l'intervention en justice comme en l'espèce, aucune disposition de la loi ne lui impose d'être présent en personne à l'audience et ne fait obstacle à ce qu'il soit représenté par un avocat selon les règles de droit commun.

Enfin, contrairement à ce que soutient la société EXANE, la prohibition de l'alinéa 1 de l'article 33 de la loi organique, au terme de laquelle que « le défenseur des droits ne peut remettre en cause une décision juridictionnelle », n'a pour effet que de priver ce dernier de la possibilité d'exercer une voie de recours contre une décision juridictionnelle, en lieu et place des parties, et non pas de le priver , y compris pour la première fois en cause appel, de la faculté de présenter des observations qui, portées à la connaissance des parties, ne méconnaissent pas en elles mêmes les exigences du procès équitable et de l'égalité des armes dès lors que les parties sont en mesure de répliquer par écrit et oralement à ces observations et que le juge est, comme en l'espèce, en capacité d'apprécier la valeur probante des pièces produites qui ont été soumises au débat contradictoire.

Dans ces conditions et dès lors qu'il résulte de ce qui précède que le Défenseur des droits n'a pas devant elle, la qualité juridique d'intervenant volontaire ou forcé et partant, n'est pas une partie au procès, la Cour ne peut que constater le dépôt de ses observations écrites et procéder à son audition, de sorte qu'il y a lieu de rejeter l'exception soulevée par la société EXANE.

Au fond

Mme [Y] fait essentiellement valoir qu'ayant été recrutée par la société EXANE à compter du 19 décembre 2006, avec un bonus d'accueil de 148000 €, une rémunération annuelle de 100000 €, un bonus garanti de 120000 € la première année ainsi qu'une reprise de son ancienneté, et qu'ayant réalisé des performances de 1,7 million d'Euros en 2008 et en hausse en 2009, tout en faisant l'objet d'appréciations positives sur les performances de son équipe, elle s'est vue attribuer sans pouvoir obtenir d'explication sur les modalités de calcul, des bonus pour les années 2008,2009 et 2010 dans des conditions discriminatoires par rapport aux membres masculins de son équipe, alors qu'elle avait réalisé pendant ses 9 mois de présence en 2009, année de son congé de maternité, un chiffre d'affaires équivalent à celui réalisé en 2008.

Mme [Y] indique qu'au delà de cette inégalité de traitement, elle a fait l'objet de mesures vexatoires lors de sa reprise au retour de congé de maternité, concernant notamment l'accès à son bureau, son retrait des listes de diffusions, sa présentation comme ancienne vendeuse, l'absence de visite médicale et la phase de ré-acclimatation qui lui a été imposée ainsi que l'amputation de 30% de son portefeuille et le changement de ses conditions contractuelles par l'attribution de clients allemands, laissant supposer l'existence d'une discrimination à son égard, de la part de son employeur, dans l'incapacité de justifier ses choix de manière objective.

La société EXANE réfute l'argumentation développée par Mme [Y], arguant de ce que Mme [Y] bénéficiait la première année d'un bonus garanti, que pour le bonus 2009 calculé en février 2009 et versé en mars, les critères d'attribution du bonus qui n'avait pas de caractère contractuel, avaient évolué, l'investissement réel de la salariée qui avait annoncé son départ et préparait le concours d'entrée à l'ENA, étant également pris en compte, eu égard notamment aux résultats en réalité médiocres réalisés sur un marché restreint.

S'agissant de la discrimination alléguée, la société EXANE entend se prévaloir des rapports égalité hommes femmes établis par le CHSCT et par le Médecin du travail qui ne révèlent aucune difficulté de cette nature, les femmes étant dans l'ensemble plutôt mieux traitées que les hommes, et soutient que les difficultés invoquées par la salariée concernant son retour, ont été expliquées et réglées pour l'essentiel dans la journée.

La société EXANE entend également souligner la coïncidence entre la prise d'acte de rupture de Mme [Y] et sa déclaration d'admissibilité aux épreuves orales du Concours d'entrée à l'ENA, incompatible au regard des critères d'aptitude, avec la poursuite de son arrêt maladie.

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1 er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

Selon l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses mesures d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations :

- constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou de son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable,

- constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs précités, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés,

- la discrimination inclut tout agissement lié à l'un des motifs précités et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

L'article L.1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1 er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il ressort des pièces produites aux débats et notamment du contrat de travail de Mme [Y] en date du 19 décembre 2006 et de l'avenant n°1 au contrat précité qu'hormis la prime exceptionnelle brute de 148 000 €, dite "de bienvenue" versée avec sa paye de décembre 2007, indépendamment de son activité et le bonus garanti au titre de l'année 2007 pour un montant de 120000 € versé avec la paie de février 2008 que le bonus versé au titre des exercices 2008, 2009 et 2010, et présenté comme constitutif de discrimination, n'a de caractère ni contractuel ni conventionnel, étant au surplus relevé que l'avenant précité indique de manière exprès que tant la prime de bienvenue que le bonus garanti au titre de l'année 2007 ont un caractère discrétionnaire, "par nature non renouvelable tant en ce qui concerne son montant que sa fréquence", le salarié convenant qu'à compter du 1er janvier 2008, les éléments de sa rémunération suivraient les règles générales appliquées dans l'entreprise ainsi que les accords collectifs applicables.

Mme [Y] qui fait état d'un traitement discriminatoire notamment caractérisé par la concomitance entre l'annonce de son état de grossesse et de son départ en congé de maternité et l'attribution de bonus réduit au titre de l'année 2008 ou nul au titre des années 2009 et 2010, procède sur ce point par affirmations, se prévalant essentiellement de ses propres qualités professionnelles telles qu'elles résulteraient de sa place d'excellence dans les classements EXTEL des vendeurs français ou européens ou de son évaluation par sa hiérarchie, sans pour autant produire d'éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte.

Au surplus, l'intéressée ne peut à la fois invoquer un traitement discriminatoire fondé sur le sexe et se contenter, sans produire d'autre élément, de réfuter les arguments de son employeur sur les performances supérieures des membres masculins de son équipe, au seul motif que les produits vendus par ces salariés ne seraient pas de même nature, ou d'écarter les exemples comparables à sa situation fournis par l'employeur, sauf à admettre à son égard un renversement de la charge de la preuve.

Dans ces conditions et dans la mesure où aucun élément objectif et déterminant ne vient contredire le caractère discrétionnaire de l'attribution du bonus litigieux, la prise en compte de critères tels que l'investissement dans l'entreprise, eu égard à son ancienneté et au projet annoncé par l'intéressée de s'investir dans une préparation de concours, outre des résultats ne correspondant pas aux attentes de son employeur, n'apparaît pas discriminatoire.

Par ailleurs, s'il est constant que les conditions du retour de Mme [Y] de congé maternité, traduisent de la part de l'employeur un manque certain d'anticipation, s'étant traduit par la suspension de ses codes d'accès, de sa boîte aux lettres électronique, son retrait de liste de diffusion, ou sa présentation sous l'appellation d'ancien vendeur et l'absence de correction de ces anomalies avant son retour, il n'en demeure pas moins que même fixées à l'avance, les dates de tels congés sont toujours susceptibles d'être modifiées à raison notamment d'éventuelles complications, que l'employeur pouvait indépendamment de toute autre considération, légitimement suspendre, notamment pour raison de sécurité, les différents accès de la salariée ou les diffusions qui lui étaient potentiellement destinées pendant la suspension de son contrat de travail.

Par ailleurs, l'absence d'évaluation par un intérimaire affecté au service des ressources humaines, de la portée et de l'importance du courrier du 10 mai 2010 par lequel Mme [Y] transmettait l'arrêt de travail "pathologique" consécutif à sa grossesse et annonçait ses dates de congés pour les périodes du 05/07/2010 jusqu'au 30/07/2010 et du 23/08/2010 jusqu'au 03/09/2010, comme annonçant la date effective de son retour, ne laisse supposer à son égard aucune discrimination.

En outre, dès lors qu'il ressort des pièces versées aux débats que la période de "ré-acclimatation avec la recherche" imposée à Mme [Y] à son retour de congé de maternité le 31 mai 2010 dans les conditions ci-dessus décrites et qui s'est achevée le 9 juin 2010, n'a pas excédé deux semaines après sept mois d'absence, une telle mesure ne permet pas en soi de supposer une quelconque discrimination à son égard.

S'agissant du retrait d'une partie significative de la clientèle, qui pourrait revêtir un tel caractère, l'employeur justifie par des éléments objectifs, tenant notamment au départ pendant le congé de maternité de Mme [Y] de sa collègue qui en assurait le suivi, son transfert à un autre collaborateur récemment recrutée, la circonstance que ce dernier ait pu manoeuvrer pour conserver la charge de cette clientèle en dépit de retour de Mme [Y], en n'étant pas imputable à l'employeur, ne peut laisser supposer de ce fait une discrimination.

La circonstance que les conditions d'exercice des fonctions de Mme [Y] aient été impactées par la perte d'une partie de son portefeuille et l'attribution de clients allemands, alors que son contrat de travail indique précisément qu'elle est affectée à une clientèle française est certes de nature à justifier de sa part un refus d'une telle modification mais ne permet pas en soi de supposer qu'elle résulte d'une discrimination à son égard.

De surcroît, même appréciés sous l'angle de la prise d'acte, les manquements allégués, en particulier pour ceux qui traduisent de la part de l'employeur une carence dans l'organisation du retour de Mme [Y], ne caractérisent ni les violences morales répétées invoquées ni des fautes d'une gravité suffisante pour justifier la prise d'acte qui produirait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il doit au demeurant, être relevé que Mme [Y] justifie sa prise d'acte de rupture au lendemain de sa visite au service médical de l'assurance maladie, deux jours avant les résultats officiels d'admissibilité au concours d'entrée à l'ENA, auquel elle s'est inscrite le 23 juin 2009, en raison des "conditions indignes" de son retour au sein de la société et de l'incertitude professionnelle dans laquelle elle se trouve, alors qu'un tel projet qui ne peut s'improviser y compris à la faveur d'un congé de maternité, traduit l'élaboration d'un projet professionnel différent de celui de l'emploi précédemment occupé et comporte nécessairement une marge d'incertitude qui ne peut être imputée à l'employeur.

Dans ces conditions, la prise d'acte doit produire les effets d'une démission et Mme [Y] sera déboutée de l'ensemble de ses demandes, la décision entreprise sera confirmée de ce chef.

Le salarié démissionnaire est en principe redevable de l'indemnité correspondant préavis qu'il n'a pas exécuté si cette absence d'exécution lui est imputable, l'indemnité due à ce titre présente un caractère forfaitaire, le préjudice de l'employeur devant être estimé au montant du salaire versé en contrepartie du travail (salaire brut de base plus éventuellement montant des commissions), de sorte qu'il appartient le cas échéant à l'employeur d'établir l'existence d'un éventuel préjudice complémentaire en relation avec une non exécution abusive du préavis par le salarié.

Dans ces conditions et dès lors qu'il n'est pas contesté que Mme [Y] n'a pas exécuté le préavis auquel elle était tenue, elle sera condamnée à verser à la société EXANE 25006,46 € à ce titre sans qu'il y ait lieu d'allouer à la société EXANE l'indemnité sollicitée au titre des congés payés afférents, la décision déférée étant réformée dans cette limite.

Par ailleurs, il n'est pas démontré par la société EXANE en quoi l'engagement d'une procédure à son encontre ou l'exercice par Mme [Y] d'une voie de recours aurait dégénéré en abus de droit, la décision entreprise sera par conséquent confirmée de ce chef.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ;

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

DÉCLARE recevable l'appel formé par Mme [W] [Y],

DONNE ACTE au Ministère public de ses observations,

REJETTE l'exception d'irrecevabilité opposée par la SA EXANE à l'intervention du Défenseur des Droits,

CONSTATE le dépôt des observations du Défenseur des Droits et procède à son audition,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris.

et y ajoutant,

CONDAMNE Mme [Y] à payer à la SA EXANE :

- 25006,46 € à titre de dommages et intérêts à raison de l'inexécution du préavis.

- 1500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE Mme [Y] de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Mme [Y] aux entiers dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

L. CAPARROS P. LABEY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 12/02280
Date de la décision : 11/09/2014

Références :

Cour d'appel de Paris K7, arrêt n°12/02280 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-09-11;12.02280 ?
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