Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 2
ARRÊT DU 10 SEPTEMBRE 2014
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/22675
Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Novembre 2012 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 11/11568
APPELANTS
Madame [K] [V]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Monsieur [X] [V]
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentés par Me Linda HALIMI-BENSOUSSAN, avocat au barreau de PARIS, toque: A0427
INTIMES
Monsieur [F] [S] [U]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Madame [P] [D] [Y] épouse [U]
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentés par Me Jean-Loup PEYTAVI, avocat au barreau de PARIS, toque : B1106
assistés de Me Karl SKOG, avocat au barreau de PARIS, toque : P0463
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Mai 2014, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Dominique DOS REIS, Président, et Madame Claudine ROYER, Conseiller, chargées du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Dominique DOS REIS, Président
Madame Denise JAFFUEL, Conseiller
Madame Claudine ROYER, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Emilie POMPON
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Dominique DOS REIS, Président et par Madame Emilie POMPON, Greffier présent lors du prononcé.
***
Monsieur [F] [U] et Madame [P] [Y] épouse [U] sont propriétaires occupants d'un appartement de cinq pièces situé au premier étage d'un immeuble en copropriété sis [Adresse 1].
Ils se plaignent depuis 2006 des nuisances sonores provenant de l'appartement situé au deuxième étage, au dessus du leur, appartenant à Monsieur [X] [V] et à Madame [K] [N] épouse [V], nuisances selon eux amplifiées depuis que leurs voisins ont fait remplacer la moquette par du parquet.
Par ordonnance de référé du 23 septembre 2009 et à la demande des époux [U], Monsieur [H] [J] a été désigné en qualité d'expert afin d'examiner les nuisances alléguées, en déterminer, la cause et l'origine. Ils ont après le dépôt du rapport de cet expert, fait assigner le 21 juillet 2011 les époux [V] en responsabilité et indemnisation de leurs préjudices.
Par jugement du 8 novembre 2012, le Tribunal de grande instance de Paris (8ème chambre) a :
- déclaré Monsieur [X] [V] et Madame [K] [N] épouse [V] responsables pour troubles de voisinage subis par les époux [U] sur le fondement de l'article 1382 du code civil,
- enjoint aux époux [V], sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, à procéder aux travaux suivants :
* enlèvement du parquet et du résilient dans toutes les pièces principales, dégagement et entrée de leur logement,
* collage sur la dalle de béton après ragréage d'une moquette sur sous couche de mousse d'efficacité acoustique 30 db
- dit que la durée de l'astreinte sera de 4 mois,
- condamné solidairement les époux [V] à payer aux époux [U] la somme de 30000 euros au titre du trouble de jouissance avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- condamné solidairement les époux [V] à payer aux époux [U] la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné les époux [V] aux dépens qui seront recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile et qui comprendront les frais d'expertise.
Monsieur et Madame [X] et [K] [V] ont relevé appel de ce jugement par déclaration d'appel du 13 décembre 2012.
Vu les dernières conclusions signifiées par :
- Monsieur et Madame [V] le 28 avril 2014
- Monsieur et Madame [U] le 17 avril 2014.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause, des procédures, des prétentions, moyens et arguments dont elle est saisie, la Cour fait référence expresse à la décision déférée et aux dernières conclusions d'appel des parties.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 mai 2014.
CELA ÉTANT EXPOSÉ, LA COUR,
Les époux [X] et [K] [V] demandent à la Cour d'infirmer le jugement déféré en soutenant qu'il n'y a aucune infraction au règlement de copropriété et aucun trouble anormal de voisinage. Ils sollicitent le rejet de l'ensemble des demandes des époux [U] et la condamnation de ces derniers à leur payer une somme de 30000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et préjudice moral, et de 60000 euros en réparation de leur préjudice financier.
A titre subsidiaire, ils demandent la fixation des dommages et intérêts à de plus justes proportions, et l'autorisation de poser un parquet dans toutes les pièces de leur logement avec un limiteur acoustique.
Ils sollicitent enfin la condamnation des époux [U] au paiement d'une somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les époux [F] et [P] [U] demandent à la Cour de débouter les époux [V] de l'ensemble de leurs demandes et de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne la réparation du trouble de jouissance et du préjudice moral qu'ils demandent de porter à :
- 66000 euros pour le trouble de jouissance
- 15000 euros pour le préjudice moral.
Ils y ajoutent une demande de condamnation des appelants au paiement d'une somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et leur condamnation aux dépens de l'instance de référé, de première instance et d'appel incluant les frais d'expertise, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
* * *
Sur le trouble anormal de voisinage
Aux termes de l'article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements.
Ce droit pour un propriétaire de jouir de son bien de la manière la plus absolue est cependant limité par l'obligation de ne causer à la propriété d'autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux de voisinage.
Lorsque le bien est soumis au statut de la copropriété, cette obligation est relayée par l'article 9 de la loi du 10 juillet 1965 qui prévoit que chaque copropriétaire jouit et use librement de ses parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires, ni à la destination de l'immeuble.
Enfin, le règlement de copropriété de l'immeuble, qui rappelait ces dispositions légales, contenait une clause interdisant de façon générale « tout bruit ou tapage, de quelque nature que ce soit, troublant la tranquillité des occupants, alors même qu'il aurait lieu à l'intérieur des appartements ».
Il appartient à celui qui se prétend victime d'un trouble anormal de voisinage d'en rapporter la preuve et au juge du fond de rechercher si les nuisances, même en l'absence de toute faute, n'excèdent pas les inconvénients normaux de voisinage.
L'expert judiciaire a considéré dans cette affaire que les nuisances dont se plaignaient les époux [U] étaient dues au remplacement de la moquette d'origine (en l'espèce un tapis aiguilleté) par un parquet sur un résilient type liège dans toutes les pièces principales (séjour et chambres), le dégagement et l'entrée du logement au 2ème. L'expert indique que les mesures acoustiques montrent que les niveaux de pression acoustique sur le parquet de Madame [V] sont toutes supérieures à celles réalisées sur la moquette d'origine de M et Mme [U] (contact durs entre les lames de parquet et la structure béton et efficacité acoustique du résilient en liège inférieure à celle d'une moquette même usagée). L'expert a estimé que dans les travaux de parquet réalisés dans le logement [V], il n'avait pas été tenu compte des caractéristiques acoustiques initiales du plancher d'origine qui comportait de la moquette, car le remplacement de la moquette par du parquet avec son résilient était selon lui à l'origine d'un trouble voisinage par les impacts, les chocs, les raclements. Pour mettre fin aux nuisances, il a préconisé l'enlèvement du parquet et du résilient dans toutes les pièces principales, le dégagement et l'entrée et le collage sur la dalle béton après ragréage, d'une moquette sur couche mousse d'efficacité 30 dB.
En dépit de ces constatations et appréciations, il convient de constater que les mesures acoustiques prises par l'expert ne dépassent pas la limite prescrite par l'arrêté du 14 juin 1969 (applicable à l'immeuble en cause construit en 1977) relatif à l'isolation acoustique des planchers dans les bâtiments d'habitation qui est de 70 dB(A) avec une marge de tolérance de 3 dBA, les mesures des pièces principales allant en l'espèce de 63 dB à 69 dB.
Par ailleurs, bien qu'il soit évident que les bruits d'impact sont plus importants si l'on compare un revêtement de sol en moquette et un revêtement en parquet, aucune clause du règlement de copropriété n'interdisait à un copropriétaire de changer de revêtement de sol sous les réserves ci-dessus rappelées, ces travaux étant des travaux de nature privative. Monsieur et Madame [V] ont d'ailleurs produit le procès-verbal de l'assemblée générale des copropriétaires du 8 avril 2013 (résolution n°23) réaffirmant que la pose de parquet n'était pas interdite par le règlement de copropriété, et que bon nombre de copropriétaires n'avaient plus l'aiguilleté d'origine et avaient choisi un autre revêtement.
Même si l'expert a pu constater une dégradation du confort acoustique par rapport à celui ayant pu exister à l'origine, il faut encore établir que cette dégradation constituerait pour Monsieur et Madame [U] un trouble dépassant les inconvénients normaux de voisinage engageant la responsabilité des époux [V], même en l'absence de faute.
Pour établir la réalité de ce trouble, les époux [U] ont versé une série d'attestations émanant de voisins ou de personnes venues à leur domicile disant avoir été témoins de bruits importants ou de bruits sourds, tels que sauts, vibrations conséquentes sur la dalle de béton, bruits de pas rapprochés et sautillants, cavalcades assourdissantes, chutes d'objets ayant des effets sonores perturbants, claquements de portes, rebondissements de balle.
Les époux [V] ont de leur côté versé un ensemble de témoignages de voisins, amis ou membres de leur famille attestant du comportement désagréable et verbalement agressif de Monsieur [U] frappant et tapant avec des objets métalliques sur le cadre des fenêtres ou au plafond avec un bâton, mettant musique et radio à tue-tête, parfois très tôt le samedi matin ou en fin de semaine. Plusieurs témoins disent n'avoir jamais vu les enfants [V] courir ou jouer à des jeux bruyants, et décrivent ces enfants comme étant polis et bien élevés.
Il ressort de cet ensemble d'éléments que les troubles dont se plaignent les époux [U] sont en réalité très subjectifs et ne sont que des bruits de la vie courante dans un immeuble construit à la fin des années 1970 à une époque où les normes de construction et d'isolation acoustique n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui. Les bruits d'enfants, bruits domestiques diurnes, bruits de conversations, d'appareils ménagers, de pas, bruits de chasse d'eau, de douche, dans un immeuble largement destiné à l'habitation bourgeoise, ne peuvent, malgré le désagrément qu'en éprouvent les intimés, constituer un trouble dépassant les inconvénients normaux de voisinage au sens des prescriptions de l'article 544 du code civil sus-rappelé. Il faut notamment constater que bien que les époux [V] aient fait arracher le parquet en chêne qu'ils avaient posé dans leur appartement pour le remplacer par une moquette en août 2013, certains témoins déclarent avoir entendu des bruits sourds volontairement frappés provenant de l'étage supérieur.
Dans ce contexte les témoignages contradictoires produits de part et d'autre n'établissent qu'une dégradation des relations personnelles entre les parties, mais pas un trouble anormal de voisinage engageant la responsabilité des époux [V].
Il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et de débouter Monsieur et Madame [U] de l'intégralité de leurs demandes.
Sur les préjudices invoqués par les époux [V]
Monsieur et Madame [V] demandent la condamnation des époux [U] au paiement d'une somme de 30000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et préjudice moral et une somme de 60000 euros pour le préjudice financier subi par eux résultant de l'enlèvement du parquet posé en avril 2007 et de la pose d'une moquette, ainsi que des sommes qu'ils ont dû acquitter en vertu du jugement déféré, et des jugements rendus par le Juge de l'exécution les 12 juin 2013 et 20 décembre 2013.
Bien que les époux [U] succombent en appel en leurs prétentions, leur action initiale ne peut pour autant être qualifiée d'abusive au sens de l'article 32-1 du code de procédure civile le caractère malicieux, fautif de leur action n'étant pas démontré. Les époux [V] seront donc déboutés de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et préjudice financier.
En revanche, le trouble anormal de voisinage n'étant pas établi, les époux [V] doivent être indemnisés des frais d'enlèvement de parquet et de pose d'une nouvelle moquette inutilement exposés. Au vu des justificatifs produits, Monsieur et Madame [U] seront condamnés à leur payer la somme de 16417,92 euros.
L'infirmation du jugement déféré induit automatiquement la restitution des sommes versées en exécution des condamnations prononcées à l'encontre des époux [V] par le jugement du 8 novembre 2012 sans qu'il soit besoin de prononcer une nouvelle condamnation à dommages et intérêts.
Il y a donc lieu en définitive de condamner Monsieur et Madame [U] à payer à Monsieur et Madame [V] la somme de 16417,92 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice financier.
Il serait inéquitable de laisser à la charge des appelants les frais irrépétibles exposés au cours de l'ensemble de la procédure. Monsieur et Madame [U] seront donc condamnés à payer à Monsieur et Madame [V] la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens de première instance et d'appel seront laissés à la charge des époux [U] qui succombent.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Déboute Monsieur et Madame [F] et [P] [U] de l'intégralité de leurs demandes,
Dit que l'infirmation du jugement du 8 novembre 2012 induit automatiquement la restitution des condamnations prononcées à l'encontre des époux [V] en exécution dudit jugement y compris des condamnations prononcées par le juge de l'exécution,
Y ajoutant,
Condamne Monsieur et Madame [F] et [P] [U] à payer à Monsieur et Madame [X] et [K] [V] la somme de 16417,92 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice financier,
Condamne Monsieur et Madame [F] et [P] [U] à payer à Monsieur et Madame [X] et [K] [V] la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les époux [V] de leurs demandes plus amples et contraires,
Condamne Monsieur et Madame [F] et [P] [U] aux entiers dépens.
Le Greffier, Le Président,