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11/06/2014 | FRANCE | N°12/03729

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 11 juin 2014, 12/03729


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 11 Juin 2014



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/03729



Décision déférée à la cour : jugement rendu le 21 décembre 2011 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section encadrement - RG n° 10/11525





APPELANT

Monsieur [I] [W]

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparant en personne et assisté par Me Lauriane CENEDESE,

avocate au barreau de PARIS, R009 lors de l'audience du 28 janvier 2014

ni comparant ni représenté lors de l'audience du 08 avril 2014



INTIMÉE

L'AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT

[...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 11 Juin 2014

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/03729

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 21 décembre 2011 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section encadrement - RG n° 10/11525

APPELANT

Monsieur [I] [W]

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparant en personne et assisté par Me Lauriane CENEDESE, avocate au barreau de PARIS, R009 lors de l'audience du 28 janvier 2014

ni comparant ni représenté lors de l'audience du 08 avril 2014

INTIMÉE

L'AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT

[Adresse 2]

[Localité 1]

en présence de Monsieur [A] [Y], juriste d'entreprise dûment mandaté lors de l'audience du 28 janvier 2014

représentée par Me Corinne PECAUT, avocate au barreau de PARIS, P0411

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue les 28 janvier et 08 avril 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Christine ROSTAND, présidente

Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller

Monsieur Jacques BOUDY, conseiller

GREFFIÈRE : Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Christine ROSTAND, présidente et par Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 21 décembre 2011 ayant débouté M. [I] [W] de toutes ses demandes et l'ayant condamné aux dépens ;

Vu la déclaration d'appel de M. [I] [W] reçue au greffe de la cour le 12 avril 2012 ;

Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues aux audiences des 28 janvier et 8 avril 2014 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de M. [I] [W] qui demande à la cour :

- d'infirmer le jugement entrepris

- statuant à nouveau,

de condamner l'AGENCE FRANCAISE DE DEVELOPPEMENT (AFD) à lui régler les sommes suivantes :

29 435,58 € d'indemnité compensatrice de préavis et 2 943,56 € de congés payés afférents

175 080,37 € d'indemnité conventionnelle de licenciement

381 412 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

30 000 € d'indemnité pour «préjudice distinct»

- d'ordonner la délivrance par l'AFD d'une attestation POLE EMPLOI, d'un bulletin de paie et d'un certificat de travail conformes à l'arrêt à intervenir sous astreinte de 50 € par jour de retard et par document

- de condamner l'AFD à faire publier à ses frais l'arrêt à intervenir «dans une revue spécialisée»

- de condamner l'AFD à lui payer la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues aux audience des 28 janvier et 8 avril 2014 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de l'AFD qui demande à la cour de confirmer le jugement déféré et de condamner M. [I] [W] à lui payer la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

L'AFD a recruté M. [I] [W] dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein ayant pris effet le 1er juillet 1989 en qualité de chargé de mission.

Dans le dernier état de son parcours professionnel, M. [I] [W] avait conclu le 3 juillet 2008 avec l'intimée un avenant à son contrat de travail en vertu duquel il était promu directeur de l'agence de [Localité 3] (Afrique du Sud) avec une prise de fonction le 26 août au plus tard, moyennant une rémunération annuelle globale de 69 623,98 € bruts à l'indice 378, outre diverses primes et indemnités complémentaires liées notamment à son affectation hors France métropolitaine.

Suite à un audit interne réalisé au sein de l'agence de [Localité 3] du 18 au 20 mai 2010 ayant donné lieu à l'établissement d'un compte rendu le 21 mai, lequel faisait état de dysfonctionnements dans la gestion assortis de pratiques financières suspectes, M. [I] [W] a reçu le même jour un courriel émanant du directeur général adjoint rédigé en ces termes : «' je te confirme : - que tu dois prendre toutes dispositions pour être entendu par [T] [D] [O] mardi 25 mai - que toutes les délégations de signature dont tu bénéficies sont suspendues, à titre conservatoire, à réception du présent message - que [M] [Z] exercera l'intérim en ton absence ».

En exécution de ce même courriel, M. [I] [W] a été de fait écarté «à titre conservatoire» de ses fonctions de directeur de l'agence de [Localité 3] avec l'ordre de regagner dans les délais les plus brefs le siège de l'AFD à [Localité 4].

La direction générale parisienne de l'AFD a poursuivi son enquête en entendant M. [I] [W] à deux reprises, les 25 et 27 mai 2010, avant de lui remettre en main propre contre décharge un courrier le 27 mai ainsi rédigé : «Suite au compte rendu de l'audit inopiné de la gestion budgétaire de l'Agence de [Localité 3] placée sous votre direction, à vos déclarations lors de l'entretien informel avec Mme [O]-[H] et M. [E] [B] du 25 mai et aux documents que vous lui avez remis à cette occasion, un complément d'enquête s'avère nécessaire avant l'engagement éventuel d'une procédure disciplinaire à votre encontre ' les constats d'ores et déjà effectués nous conduisent ' à vous dispenser, à titre conservatoire, de toute activité ' Pendant cette période ' pour les besoins de l'enquête complémentaire et du déroulement de la procédure disciplinaire éventuelle, nous vous demandons de rester à notre disposition à [Localité 4] ' ».

Ce processus conduira à l'établissement d'un rapport final le 10 juin 2010 intitulé «AGENCE DE [Localité 3]. AUDIT DE LA GESTION ADMINISTRATIVE ET BUDGETAIRE. Mission du 18 au 20 mai 2010 (audit inopiné). Mission du 02 au 08 juin 2010 (travaux complémentaires)».

Au vu des résultats de cette enquête, l'AFD a dès le 11 juin 2010 convoqué M. [I] [W] à un entretien préalable prévu le 25 juin avec poursuite de «la mesure conservatoire» effective depuis le 21 mai, entretien au cours duquel un représentant du personnel l'assistait, avant de lui notifier le 28 juillet 2010 son licenciement pour faute grave résultant d'«indélicatesses» relatives notamment à des dépenses d'installation d'un système de vidéo surveillance dans la nouvelle villa de direction, à des travaux d'électricité partiellement à caractère personnel et au budget transport, faits aggravés, selon l'intimée, dès lors qu'il avait «tenté d'user de (son) influence» auprès des prestataires locaux pour «essayer de masquer» la vérité, avec «une volonté délibérée ' visant en toute impunité, à utiliser les fonds de l'AFD pour financer des besoins privés», outre la violation des procédures internes s'agissant de l'acquisition de la nouvelle villa de direction, et «l'opacité» dans les dépenses de fonctionnement ainsi que les notes de frais.

Cette même lettre de rupture se conclut ainsi : «En réalité : - vous avez manifestement abusé de la délégation de pouvoirs et de l'autonomie très larges dont vous disposiez en qualité de directeur d'agence - ' vous avez failli à votre devoir d'exemplarité à l'égard de vos collaborateurs ' - ' vous avez aussi mis en péril l'image de l'entreprise et, à travers elle, de l'Etat français ' Un tel comportement est totalement incompatible avec les principes éthiques de l'Agence Française de Développement ' ».

Contrairement à ce que prétend M. [I] [W], sa mise à pied ayant pris effet le 21 mai 2010 est bien de nature conservatoire et non disciplinaire dans la mesure où, comme précédemment rappelé, eu égard aux faits en cause, cette mesure a nécessité ensuite une enquête interne approfondie jusqu'au 10 juin 2010, date d'établissement du rapport final qui conduira à sa convocation à un entretien préalable par un courrier daté du lendemain, 11 juin.

Les premiers juges ont pu ainsi retenir à bon droit que la mise à pied de l'appelant «est de nature conservatoire préalable à une éventuelle mesure de licenciement pour faute grave», dans les conditions posées par l'article L.1332-3 du code du travail.

Nonobstant les critiques «sévères» émises par M. [I] [W] au soutien de sa contestation, celui-ci n'hésitant pas en effet à considérer que des raisons «politiques» ont eu raison de son contrat de travail qui «a été purement et simplement sacrifié», l'AFD répond en produisant notamment aux débats :

- le rapport d'audit précité du 10 juin 2010, en complément des premières investigations menées à [Localité 3] courant mai par deux membres des services de l'inspection générale, relevant des anomalies par défaut d'application des procédures dans divers domaines liés à l'acquisition de la nouvelle villa de direction dont le principe avait été validé par la direction générale en septembre 2009, anomalies constatées s'agissant notamment des procédures de demandes d'autorisation d'engagement de dépenses qui n'ont pas été appliquées pour des travaux liés à la sécurisation du bâtiment sans avoir transmis de devis préalable pour accord à la direction générale et une absence de communication d'un état exhaustif des dépenses pour s'assurer du respect du budget plafonné pour cette opération, du manque de rigueur dans la justification des dépenses de fonctionnement et des notes de frais avec des écarts inexpliqués objectivement, d'un manque d'explication sur certaines dépenses d'aménagement de la nouvelle résidence (sécurité, travaux divers) dont celle du système de vidéosurveillance, ainsi que de la gestion du budget transport puisqu'il a été relevé que la différence entre les billets d'avion facturés à l'AFD au prix fort en classe Business non négocié et leur coût réel payé au prestataire était reversée sur un compte «personnel» à la disposition de M. [I] [W] cela même jusqu'au 21 mai 2010 (pièces 10-19-38 de l'intimée) ;

- l'attestation du comptable de l'agence de [Localité 3] qui pointe des anomalies dans certaines factures qui lui étaient soumises en règlement de dépenses engagées à l'initiative de l'appelant, dépenses pour lesquelles il était permis de se poser la question de savoir si elles étaient bien liées à l'exercice de ses fonctions au sens strict (pièce 43) ;

- des courriels et attestations de salariés en poste à l'agence de [Localité 3] s'inquiétant du train de vie somptuaire et des dérives financières de son directeur tout en appelant à un contrôle approfondi de la comptabilité de cet établissement (pièces 68-69-70) ;

- tous éléments ayant conduit l'intimée à déclencher la procédure d'alerte en matière d'éthique professionnelle telle que résultant de sa charte d'octobre 2004.

Pour l'ensemble de ces raisons, le licenciement de M. [I] [W], nonobstant ses dénégations, repose sur une cause réelle et sérieuse, sans qu'il soit permis toutefois de retenir une faute grave privative d'indemnités dès lors que, totalement informée des faits commis par celui-ci au plus tard le 10 juin 2010, l'AFD a attendu le 28 juillet 2010 pour lui notifier la rupture de son contrat de travail, démontrant ainsi que le départ immédiat du salarié n'était pas indispensable.

Contrairement à ce que soutient l'AFD, le statut du personnel de la Caisse française de développement ne détermine ni ne limite les éléments de la rémunération à prendre en compte dans l'assiette de calcul des indemnités de rupture, son article 48 - 3° qu'elle invoque dans ses écritures (page 37) ne faisant que rappeler qu'en matière de licenciement disciplinaire «le montant de l'indemnité éventuellement allouée à l'agent résulte de la décision prise par le Directeur Général lorsqu'il notifie la sanction conformément aux dispositions légales», de sorte qu'il sera pris comme base de calcul une rémunération de référence - salaire de base + tous accessoires dont ceux liés à une affectation hors France métropolitaine - de 9 811,86 € bruts mensuels correspondant au dernier avenant précité du 3 juillet 2008.

Confirmant le jugement déféré sauf en ses dispositions au titre des indemnités de rupture, l'AFD sera en conséquence condamnée à régler à M. [I] [W] les sommes suivantes :

- 175 080,37 € d'indemnité statutaire de licenciement (article 48) suivant le mode de calcul figurant dans les conclusions (page 26) de ce dernier ;

- 29 435,58 € d'indemnité compensatrice statutaire de préavis équivalente à 3 mois de rémunération et 2 943,56 € de congés payés afférents (article 47) ;

avec intérêts au taux légal partant du 8 septembre 2010, date de réception par l'employeur de la convocation en bureau de conciliation.

Il sera ordonné la remise par l'AFD à l'appelant d'un bulletin de paie, d'un certificat de travail ainsi que d'une attestation POLE EMPLOI conformes au présent arrêt sans le prononcé d'une astreinte.

M. [I] [W] sera débouté de sa demande nouvelle aux fins de publication du présent arrêt aux frais de l'intimée, demande dépourvue de pertinence dès lors que son licenciement a été jugé comme reposant sur une faute sérieuse.

L'AFD sera condamnée en équité à payer à l'appelant la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

CONFIRME le jugement entrepris sauf en ses dispositions au titre des indemnités de rupture ;

Statuant à nouveau sur ces chefs de demandes,

CONDAMNE l'AGENCE FRANCAISE DE DEVELOPPEMENT à régler à M. [I] [W] les sommes suivantes :

29 435,58 € d'indemnité compensatrice statutaire de préavis et 2 943,56 € d'incidence congés payés

175 080,37 € d'indemnité statutaire de licenciement

avec intérêts au taux légal partant du 8 septembre 2010 ;

Y ajoutant,

ORDONNE la remise par l'AGENCE FRANCAISE DE DEVELOPPEMENT à M. [I] [W] d'une attestation POLE EMPLOI, d'un bulletin de paie et d'un certificat de travail conformes au présent arrêt ;

DÉBOUTE M. [I] [W] de sa demande aux fins de publication du présent arrêt aux frais de l'AGENCE FRANCAISE DE DEVELOPPEMENT ;

CONDAMNE l'AGENCE FRANCAISE DE DEVELOPPEMENT aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 12/03729
Date de la décision : 11/06/2014

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°12/03729 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-06-11;12.03729 ?
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