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27/05/2014 | FRANCE | N°11/08679

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 27 mai 2014, 11/08679


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 27 Mai 2014

(n° , 05 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/08679



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 Juin 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY section encadrement RG n° 09/02283





APPELANT

Monsieur [Y] [J]

[Adresse 2]

[Localité 1]

comparant en personne

assisté de Me

Marjana PRETNAR, avocat au barreau de PARIS, toque : E0922





INTIMEE

SA AIR FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Aurélien BOULANGER, avocat au barreau de PARIS, toque : T...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 27 Mai 2014

(n° , 05 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/08679

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 Juin 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY section encadrement RG n° 09/02283

APPELANT

Monsieur [Y] [J]

[Adresse 2]

[Localité 1]

comparant en personne

assisté de Me Marjana PRETNAR, avocat au barreau de PARIS, toque : E0922

INTIMEE

SA AIR FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Aurélien BOULANGER, avocat au barreau de PARIS, toque : T03 substitué par Me Noémie CAUCHARD, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 19 Novembre 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Claudine PORCHER, Présidente de chambre

Mme Marie-Aleth TRAPET, Conseillère

Mme Catherine COSSON, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Monsieur Polycarpe GARCIA, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Claudine PORCHER, présidente et par Madame Caroline CHAKELIAN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Monsieur [Y] [J], embauché par la société AIR FRANCE à compter du 27 avril 1973 en tant que stagiaire steward et exerçant, depuis le 19 juin 1993, les fonctions de commandant de bord a été informé, le 19 mai 2008, de ce qu'en application des dispositions de l'article L 421-9 du code l'aviation, il cesserait d'exercer son activité de pilote de ligne dans le transport public aérien le 16 janvier 2009, date de ses 60 ans et, de la possibilité de bénéficier d'un reclassement dans un emploi au sol sauf impossibilité pour l'entreprise de lui proposer un tel emploi, un entretien avec la direction des ressources humaines étant programmé pour le 1er juillet 2008.

Le 1er septembre 2008, la société AIR FRANCE a avisé Monsieur [J] de ce que ses recherches de reclassement s'étaient toutes avérées infructueuses et l'a convoqué à un entretien préalable à une rupture de son contrat de travail fixé au 10 septembre 2008.

Le 27 octobre 2008, la société AIR FRANCE a notifié à Monsieur [J] la rupture de son contrat de travail, à effet du 31 janvier 2009, en raison de la date limite d'âge prévue à l'article L 421-9 du code de l'aviation civile pour l'exercice de ses fonctions de pilote au sein de la compagnie et de l'absence de toute possibilité de reclassement au sol.

Invoquant la modification de l'article L 421-9 du code l'aviation civile par le loi du 17 décembre 2008, Monsieur [J] a, le 8 décembre 2008, sollicité de son employeur la prolongation de son contrat de navigant au delà de son 60ème anniversaire lui permettant de reprendre son activité en vol dès le 1er janvier 2010, date d'entrée en vigueur du nouveau texte.

Le 23 décembre 2008, AIR FRANCE a répondu à Monsieur [J] que les nouvelles dispositions ne modifiaient pas la situation au cours de l'année 2009 et que son contrat de travail navigant ne pourrait se poursuivre au delà de la date de son 60ème anniversaire.

le 2 juillet 2009, Monsieur [J] a saisi le conseil de prud'hommes de BOBIGNY de demandes en paiement de diverses indemnités et de dommages et intérêts au titre d'un licenciement nul ou, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse dont il a été déboutées par jugement rendu le 8 juin 2011.

Le 4 août 2011, Monsieur [J] a interjeté appel de cette décision.

Il fait valoir qu'il a atteint l'âge de 60 ans postérieurement au vote de la loi du 17 décembre 2008 ouvrant la possibilité au pilote de transport public de choisir de continuer d'exercer son activité jusqu'à 65 ans dès le 1er janvier 2010 et, qu'en faisant abstraction de ce nouveau texte, AIR FRANCE n'a pas exécuté de bonne foi et loyalement le contrat de travail et l'a rompu de manière fautive, du seul fait de l'âge, ce qui est prohibé tant par la Directive européenne 2000 /78 que par l'article L 1132- 1 du code du travail et 1134 du code civil.

A titre subsidiaire, il soutient que l'entrée en vigueur différée de la loi du 17 décembre 2008 est contraire au droit de l'Union posant comme principe général de droit l'interdiction de la discrimination du fait de l'âge et en particulier sur le fondement de l'article 2 de la directive communautaire n° 2000/78 CE du Conseil du 27 novembre 2000 et que, pour cette même raison, doit être écartée l'application de l'article L 421-9 du code de l'aviation, dans sa version antérieure, sur la limite d'âge impérative à 60 ans prévue pour l'exercice de l'activité de pilote en transport public.

Enfin, il invoque un défaut d'exécution loyale et de bonne foi du contrat de travail résultant de ce que AIR FRANCE n'a pas recherché à le reclasser en tant que pilote dans une compagnie du groupe ou à un poste sol conformément à l'article L 421-9 du code de l'aviation.

Il soutient que la rupture de son contrat de travail est un licenciement nul ou, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse lui ouvrant droit au versement de l'indemnité de licenciement et fait état du préjudice subi tant moral que financier du fait d'une perte de carrière de pilote de ligne de 4 ans, pour privation de chance de bonification de ses droits à retraite, pour défaut de carrière au sol, pour rupture fautive anticipée et perte de chance ainsi que pour absence de notification de son droit individuel à formation.

Il demande d'infirmer le jugement déféré et de condamner AIR FRANCE à lui payer :

- 208 915 € d'indemnité de licenciement avec intérêts au taux légal et capitalisation à compter du 2 juillet 2009

- 500 000 € pour licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse

- 15 069 € pour privation du droit au DIF

- 47 720 € de dommages et intérêts spéciaux pour notification prématurée et fautive de la rupture et perte de chance de poste de pilote dans le groupe ou au sol

- 4 186 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société AIR FRANCE fait valoir qu'elle a respecté les dispositions de l'article L 421-9 du code de l'aviation civile dans sa rédaction en vigueur issue de la loin du 28 juillet 2004 interdisant, sous peine de sanctions administratives et pénales, l'exercice de fonctions de navigant technique après 60 ans et régissant la situation de Monsieur [J] et qui, créent un mode de rupture autonome du contrat de travail obéissant à un régime spécifique, que l'entrée en vigueur différée des dispositions de la loi du 17 décembre 2008 modifiant ledit article ne créé aucune discrimination.

Elle soutient que l'article L 421-9 du code de l'aviation civile dans sa rédaction applicable au moment de la rupture du contrat de travail de Monsieur [J] qui n'a pas pris de congé sabbatique, ne contredit aucun traité et n'est pas contraire à la directive 2000/78 qui n'exclut pas la possibilité de différences de traitement en fonction de l'âge si elles poursuivent un objectif légitime et sont appropriées à l'atteinte de cet objectif, qu'en l'espèce, le texte critiqué participe à un objectif légitime de sécurité mais aussi de politique de l'emploi, de marché du travail et de formation professionnelle et n'est pas discriminatoire.

Elle soutient qu'elle a effectué de bonne foi, en temps utile et dans un périmètre adapté, une recherche des postes disponibles de reclassement au sol respectant ainsi les obligations mises à sa charge par l'article L 421-9 du code du travail.

Elle conteste par ailleurs, le montant du salaire de référence retenu par Monsieur [J] invoque également l'absence de justification par ce dernier du préjudice qu'il estime avoir subi, de droit à paiement d'une indemnité de licenciement qui ne peut se cumuler avec l'indemnité spécifique de départ allouée au personnel dont le contrat prend fin en application de l'article 421-9 du code de l'aviation, le défaut de fondement de la demande de dommages et intérêts pour rupture anticipée et au titre du droit individuel à la formation.

Elle demande de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de condamner Monsieur [J] au paiement d'une indemnité de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé des faits et de la procédure, des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées à l'audience des débats.

SUR CE, LA COUR,

Sur la rupture du contrat de travail

Monsieur [J] ne justifie pas d'une suspension de son contrat et par conséquent de ce que celui-ci était toujours en cours au 1er janvier 2010 date d'entrée en vigueur de la loi du 17 décembre 2008 ouvrant la possibilité au pilote de poursuivre leur activité de navigant après 60 ans.

Il ne peut dès lors se prévaloir des dispositions de ce texte pour fonder ses demandes.

L'article L 421-9 du code de l'aviation civile, en sa rédaction applicable au moment des faits et fondant la rupture du contrat de travail de Monsieur [J], dispose que le personnel navigant de l'aéronautique civile ne peut exercer aucune activité en qualité de pilote ou de copilote dans le transport aérien public au-delà de l'âge de 60 ans. Toutefois, le contrat de travail du navigant n'est pas rompu du seul fait que cette limite d'âge est atteinte, sauf impossibilité pour l'entreprise de proposer un reclassement au sol.

La directive 2000/78/CE du conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail prévoit, en son article 2 & 5, que l'interdiction des discriminations fondées sur l'âge ne porte pas atteinte aux mesures prévues par la législation nationale qui sont nécessaires à la sécurité publique.

Dès lors que, tant les recommandations de l'organisation de l'aviation civile internationale que le législateur français, par la modification de l'article L 421-9 du code de l'aviation civile intervenue le 17 décembre 2008 soit peu de temps après la notification à Monsieur [J] de la rupture de son contrat, admettent expressément la possibilité d'une poursuite de l'exercice des fonctions de pilote jusqu'à 65 ans sous certaines conditions, la mesure de limitation impérative à 60 ans de l'exercice de l'activité de pilote en transport public, édictée par l'article L 421-9 du code de l'aviation dans sa rédaction applicable au moment des faits, n'était pas nécessaire à la satisfaction de cet objectif de sécurité publique.

Cette même directive prévoit, en son article 6,1, que nonobstant l'article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle et que les moyens de réaliser ces objectifs sont appropriés et nécessaires.

Dès lors que les travaux parlementaires sur l'adoption de l'article L 421-9 du code de l'aviation civile en sa rédaction applicable au moment de la rupture du contrat de Monsieur [J], font état d'une population totale des commandants de bord et des pilotes de 6000 personnes, de ce que la mesure prévue par ce texte est de nature à favoriser l'emploi en ce qu'elle devrait permettre de créer 130 emplois équivalent à temps plein alors qu'il existe environ 1 200 pilotes sans emploi, la limitation à 60 ans de l'exercice de ses fonctions par cette catégorie professionnelle, de par le peu d'embauche en résultant, ne constituait pas un moyen approprié et nécessaire dans le cadre d'une politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle.

La rupture du contrat de travail de Monsieur [J], en ce qu'elle est fondée sur des dispositions de l'article L 421-9 du code de travail, au moment des faits, contraires aux dispositions communautaires et instaure une discrimination en raison de l'âge, prohibée, est nulle par application des articles L 1132-1 et L 1132-4 du code du travail .

Sur la demande en paiement d'une indemnité de licenciement.

La rupture de son contrat de travail s'analysant en un licenciement nul, Monsieur [J] est en droit de réclamer le versement d'une indemnité de licenciement en application des articles L 423-1 et R 423-1 du code de l'aviation civile, déduction faite de l'indemnité exclusive de départ allouée au personnel dont le contrat prend fin en application de l'article L 421-9 de ce même code et qui n'est pas cumulable avec une autre indemnité de rupture.

Il résulte du bulletin de paie de janvier 2009 que Monsieur [J] a perçu 175 089,28 € au titre de l'indemnité conventionnelle de rupture de l'article L 421-9 du code de l'aviation civile.

Cette somme étant inférieure au montant de l'indemnité de licenciement de 208 915 € réclamé par Monsieur [J] il convient de lui allouer un solde de 33 825,72 €.

Sur l'indemnité pour licenciement nul

Compte tenu de son ancienneté de plus de 25 ans dans l'entreprise, du montant de sa rémunération mensuelle brute sur les douze derniers mois de 15 152,24 €, de sa pension mensuelle, des conséquences de la rupture du contrat de travail tels qu'elles résultent des pièces et des explications fournies, il convient d'allouer à Monsieur [J] une indemnité de 150 000 € pour licenciement nul.

Sur les dommages et intérêts pour rupture fautive anticipée

La preuve d'un préjudice résultant de la rupture du contrat avant la date anniversaire de ses 60 ans, distinct de celui réparé par l'indemnité pour licenciement nul, n'étant pas rapportée, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de dommages et intérêts formée à ce titre par Monsieur [J].

Sur la droit individuel à formation

L'absence de mention des droits individuels à la formation qui devait figurée dans la lettre de notification de la rupture du contrat de travail dès lors que celle-ci est qualifiée de licenciement nul, a causé nécessairement un préjudice à Monsieur [J] qu'il convient de réparer par la somme de 5 000 €.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté Monsieur [J] de sa demande de dommages et intérêts pour notification prématurée du licenciement.

Statuant à nouveau,

Condamne la société AIR FRANCE à payer à Monsieur [Y] [J] :

33 825,72 € € à titre de solde sur l'indemnité de licenciement avec intérêts à compter du 7 juillet 2009, date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil

150 000 € d'indemnité pour licenciement nul

5 000 € de dommages et intérêts pour privation du droit individuel à la formation

Y ajoutant

Condamne la société AIR FRANCE aux dépens de première instance et d'appel et à payer à Monsieur [Y] [J] la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 11/08679
Date de la décision : 27/05/2014

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°11/08679 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-05-27;11.08679 ?
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