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09/05/2014 | FRANCE | N°12/04352

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 09 mai 2014, 12/04352


COUR D'APPEL DE PARIS Pôle 6 - Chambre 5

ARRÊT DU 09 Mai 2014 (no 11, 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/ 04352
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Janvier 2012 par le Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de BOBIGNY-Section encadrement-RG no 10/ 01402
APPELANT Monsieur Michel X... ... 04150 SIMIANE LA ROTONDE comparant en personne, assisté de Me Marjana PRETNAR, avocat au barreau de PARIS toque : E0922

INTIMÉE Société AIR FRANCE 45 rue de Paris 95747 ROISSY CGD CEDEX représentée par Me Aurélien BOULANG

ER, avocat au barreau de PARIS, toque : T03 substitué par Me Noémie CAUCHARD

COMPOSITIO...

COUR D'APPEL DE PARIS Pôle 6 - Chambre 5

ARRÊT DU 09 Mai 2014 (no 11, 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/ 04352
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Janvier 2012 par le Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de BOBIGNY-Section encadrement-RG no 10/ 01402
APPELANT Monsieur Michel X... ... 04150 SIMIANE LA ROTONDE comparant en personne, assisté de Me Marjana PRETNAR, avocat au barreau de PARIS toque : E0922

INTIMÉE Société AIR FRANCE 45 rue de Paris 95747 ROISSY CGD CEDEX représentée par Me Aurélien BOULANGER, avocat au barreau de PARIS, toque : T03 substitué par Me Noémie CAUCHARD

COMPOSITION DE LA COUR :L'affaire a été débattue le 20 mars 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Renaud BLANQUART, Président Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère Madame Anne MÉNARD, Conseillère qui en ont délibéré

Greffier : M. Franck TASSET, lors des débats
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE-mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,- signé par Monsieur Renaud BLANQUART, Président et par M. Franck TASSET, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

M. Michel X..., qui avait été engagé le 2 juillet 1979 en qualité d'officier pilote de ligne stagiaire au sein de la compagnie Air Inter et était devenu commandant de bord le 17 décembre 1987, a vu son contrat de travail transféré à la société Air France en avril 1997 par application des dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail de l'époque. Le 24 janvier 2008, il a été informé qu'il serait appelé à cesser son activité de pilote le 27 octobre 2008, en application de l'article L. 421-9 du Code de l'aviation civile, en raison de la limite d'âge fixée à 60 ans. Un entretien a eu lieu le 8 avril 2008, pour envisager la possibilité de son reclassement au sol, réclamé par le salarié par lettre du 27 mai à défaut de possibilité d'emploi de navigant. Il s'est vu finalement notifier la rupture de son contrat de travail le 11 juillet 2008 avec un préavis de trois mois débutant le 1er août 2008 au motif qu'il n'existait pas de poste conforme à ses compétences professionnelles.
Il a saisi la juridiction prud'homale, le 14 avril 2010, d'une demande en paiement de diverses indemnités au titre de la rupture.
Par jugement du 25 janvier 2012 notifié le 3 avril, le Conseil de prud'hommes de Bobigny l'a débouté de l'ensemble de ses demandes.
M. X... a interjeté appel de cette décision le 27 avril 2012.
Présent et assisté de son Conseil, M. X... a, à l'audience du 20 mars 2014 développé oralement ses écritures, visées le jour même par le Greffier, aux termes desquelles, il demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la société Air France à lui payer :-500000 ¿ à titre d'indemnité pour licenciement nul ou, à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse,-13308 ¿ de dommages-intérêts pour privation du droit individuel à la formation-67000 ¿ de dommages-intérêts " spéciaux " pour rupture fautive anticipée-et 4186 ¿ par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il soutient que l'article L. 421-9 du Code de l'aviation civile est contraire au droit de l'Union interdisant la discrimination du fait de l'âge, en particulier sur le fondement de l'article 2 de la Directive communautaire No2000/ 78/ CE du Conseil du 27 novembre 2000, et doit donc être écarté, comme l'a jugé la Cour de cassation, en ce que cette mesure fixant à 60 ans l'âge limite impératif pour exercer l'activité de pilote en transport aérien public n'est ni nécessaire à la sécurité publique, ni proportionnée au sens de l'article 4 de cette directive, ni appropriée et nécessaire pour réaliser un objectif de politique sociale au sens de l'article 6-1, si bien que son licenciement est nul de ce fait.
A titre subsidiaire, si la Cour n'écartait pas l'application de ce texte, il considère que son licenciement est nul ou, en tout cas, sans cause réelle et sérieuse pour défaut d'exécution loyale et de bonne foi du contrat de travail conformément à l'article L. 1222-1 du Code du travail, Air France n'ayant pas cherché à la reclasser en tant que pilote dans une autre compagnie du groupe ni au sol comme le prévoit l'article L. 421-9 du Code de l'aviation civile, alors qu'il existait des postes disponibles susceptibles de lui convenir compte tenu de son parcours professionnel, notamment en tant qu'instructeur. Il souligne que l'indemnisation de son préjudice doit tenir compte de la perte financière qu'il a subie du fait de la privation de sa rémunération pendant 5 années supplémentaires et de bonifier ainsi ses droits à la retraite, outre sa perte de chance de se voir proposer un reclassement du fait d'une rupture anticipée trois mois avant l'âge limite et la privation de son droit individuel à la formation.
Représentée par son Conseil, la SA Air France a, à l'audience du 20 mars 2014 développé oralement ses écritures, visées le jour même par le Greffier, aux termes desquelles, elle demande pour sa part, à la Cour, de confirmer le jugement entrepris, ayant régulièrement appliqué les dispositions du Code de l'aviation civile, et de condamner M. Y...à lui payer la somme de 3000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle expose que l'interdiction de l'article L. 421-9 du Code de l'aviation civile, dans sa rédaction applicable à l'époque des faits, s'imposait à elle avec des sanctions administratives et pénales à la clé, et constituait une cause de rupture du contrat de travail objective et autonome distincte d'un licenciement par application de la loi, en cas d'impossibilité de reclassement dans un emploi au sol. Elle soutient que le texte n'était pas discriminatoire, les textes internationaux invoqués étant inopérants et aucune contrariété n'existant avec le droit communautaire, la Directive 2000/ 78/ CE autorisant les différences de traitement en fonction de l'âge si elles poursuivent un objectif légitime et sont appropriées à l'atteinte de celui-ci conformément à son article 6, repris à l'article L. 1133-2 du Code du travail. Elle estime ainsi que cette fixation d'une limite d'âge répond à un objectif de politique de l'emploi et de marché du travail afin de donner des perspectives de progression pour les jeunes pilotes, comme l'ont souligné les organisations syndicales. Elle considère, par ailleurs, qu'elle a parfaitement respecté l'obligation de reclassement mise à sa charge par l'article L. 421-9 du CAC qui n'est qu'une obligation de moyens, les embauches effectuées à cette date concernant des postes de qualification très inférieure à celui du salarié, ceux de cadres supérieurs exigeant au contraire des compétences qu'il n'avait pas, l'intéressé ayant d'ailleurs reconnu lors de l'entretien du 8 avril 2008 qu'il n'existait pas de poste correspondant à ses desiderata. Elle souligne, en tout état de cause, que le salarié n'a subi aucun préjudice dès lors qu'il a pu bénéficier d'une retraite à taux plein et qu'il ne pouvait plus prétendre exercer des fonctions de pilote pendant cinq années supplémentaires et donc bénéficier du salaire correspondant. Enfin, elle s'oppose à des dommages-intérêts supplémentaires non justifiés et à la demande au titre du droit individuel à la formation non applicable en l'absence de licenciement.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs dernières conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS Considérant que selon l'article L. 421-9 du Code de l'aviation civile, dans sa rédaction applicable à l'époque des faits, le personnel navigant de l'aéronautique civile ne peut exercer aucune activité en qualité de pilote ou de copilote dans le transport aérien public au-delà de l'âge de soixante ans. Toutefois, le contrat de travail du navigant n'est pas rompu du seul fait que cette limite d'âge est atteinte, sauf impossibilité pour l'entreprise de proposer un reclassement au sol ;

Considérant, s'agissant de la compatibilité de cet article avec les dispositions de l'article 2 § 5 de la Directive 2000/ 78/ CE du 27 novembre 2000 selon lesquelles l'interdiction des discriminations fondées sur l'âge ne porte pas atteinte aux mesures prévues par la législation nationale dès lors qu'elles sont nécessaires à la sécurité publique, qu'il doit être relevé que les recommandations de l'Organisation de l'aviation civile internationale admettent expressément que, sous certaines conditions, l'exercice du métier de pilote de ligne peut se poursuivre après l'âge de 60 ans, ce que le législateur français a lui-même reconnu l'année suivant le licenciement de M. X... en modifiant le texte litigieux par la loi no2008-1330 du 17 décembre 2008 repoussant l'âge limite à 65 ans ; qu'il en résulte que, si la limitation à soixante ans de l'exercice du métier de pilote dans le transport aérien public poursuivait un but de sécurité aérienne, elle n'était pas nécessaire à la satisfaction de cet objectif, qui peut être assurée par d'autres moyens, comme la présence d'un copilote plus jeune et/ ou un contrôle médical renforcé ; Et considérant, sur la compatibilité de l'article L. 421-9 avec les dispositions de l'article 6 § 1 de la même Directive, selon lesquelles " des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires ", qu'il faut noter que le texte litigieux ne mettait aucune obligation à la charge des compagnies de procéder à l'embauche de jeunes pilotes en remplacement des pilotes évincés en raison de leur âge comme il en existe dans d'autres secteurs professionnels, notamment la métallurgie, ce qui relativise l'efficacité de la mesure si son objectif était d'assurer l'embauche comme le montrent les travaux parlementaires ; que l'obligation de présence d'un copilote plus jeune comme il a été prévu dans la loi de 2008, voire débutant afin d'achever sa formation, permettait de façon tout aussi appropriée de réaliser cet objectif et celui d'un équilibre de la pyramide des âges au sein de la profession, tout comme de faciliter le déroulement des carrières des éléments plus jeunes conformément aux revendications syndicales ; qu'il résulte de ces éléments que la mesure ne constituait pas un moyen approprié et nécessaire dans le cadre d'une politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle ;

Considérant, en conséquence, que le texte légal doit être considéré comme contraire aux dispositions communautaires susvisées et, donc, instaurant une discrimination en raison de l'âge illicite ; que la rupture du contrat de travail de M. X... qui se fondait sur ses seules dispositions revêt ainsi un caractère discriminatoire et est nulle par application des articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du Code du travail ;
Considérant, sur les conséquences de cette nullité, que M. X... réclame une indemnité pour avoir été privé de la possibilité d'exercer ses fonctions de pilote pendant cinq années supplémentaires, et des dommages-intérêts pour préjudice moral pour avoir été ainsi exclu en raison de son âge ; qu'il convient, toutefois, de relever que l'intéressé a cessé ses fonctions alors qu'il avait acquis toutes ses annuités pour bénéficier d'une retraite à taux plein auprès de la Caisse de retraite du personnel navigant (CRPN), dont il a bénéficié dès le 1er novembre 2008, pour un montant total brut mensuel de 6215, 28 ¿, auxquels se sont ajoutés une allocation d'aide au retour à l'emploi (ARE) de 2100 ¿ par mois du 1er janvier 23 mars 2009 au 31 janvier 2010, sa retraite du régime général n'ayant pu être liquidée à taux plein que le 31 janvier 2012 ; que M. X... reconnaît que s'il avait été reclassé au sol comme il le demandait, il n'aurait perçu qu'un salaire mensuel brut garanti de 4245 ¿, si bien que le préjudice financier qu'il invoque aujourd'hui doit être relativisé ; que son dernier salaire mensuel brut selon la moyenne de ses douze derniers mois de salaire s'élevant à 22477 ¿, il lui sera alloué, en réparation de la totalité de son préjudice résultant des circonstances de la rupture y compris celui, moral, de se voir exclu en raison de son âge, une indemnité globale de 140. 000 ¿ ;
Considérant que l'appelant sollicite, en outre, des dommages-intérêts pour rupture fautive anticipée et perte de chance d'obtenir un emploi au sol, considérant que Air France aurait dû lui notifier la rupture le jour de son soixantième anniversaire ; que toutefois, l'employeur a considéré que le préavis de trois mois courait à compter du 1er août 2008 et l'a indemnisé même pour la période postérieure à la date anniversaire du salarié pendant laquelle les dispositions légales en vigueur à l'époque l'empêchaient de piloter ; que le fait qu'Air France n'ait pas recherché de reclassement au sol pendant cette période en application de dispositions dont M. X... a soulevé l'illicéité par ailleurs, ne constitue donc pas un préjudice supplémentaire différent de celui dont il a déjà obtenu réparation au titre de la rupture ;
Considérant, par contre, que la lettre de rupture ne comporte pas l'information donnée au salarié de ses droits au titre du droit individuel à la formation en violation de l'article L. 6323-18 du Code du travail applicable à l'époque, dont M. X... n'était pas privé ne s'agissant pas d'un départ à la retraite prévu à l'article suivant et la rupture pour défaut de reclassement constituant bien un licenciement ; qu'en ne lui permettant pas de bénéficier des dispositions relatives à ce droit dans le cadre de la rupture du contrat de travail et notamment pendant le préavis, l'employeur a causé au salarié un préjudice correspondant à une perte de chance qui doit être indemnisé ; que par application des articles L 6323-17 et D 6321-5 du Code du travail, dans leur rédaction applicable à la présente espèce, le droit lui-même s'évalue sur la base de 50 % du salaire net perçu par le salarié avant son départ de l'entreprise, multiplié par le nombre d'heures acquises, soit 90 heures ; que son salaire net s'élevant à 14281 ¿, c'est une indemnité de 2000 ¿ qui lui sera allouée, à ce titre, réparant la perte de chance d'en avoir bénéficié, étant observé que l'intéressé a liquidé ses droits à la retraite immédiatement ;
Considérant, enfin, qu'il serait inéquitable de laisser à la charge du salarié les frais de procédure qu'il a dû engager ; qu'une somme de 3000 ¿ lui sera allouée à ce titre ;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour rupture anticipée ;
Statuant de nouveau sur les autres chefs sollicités,
Condamne la SA Air France à payer à M. Michel X... les sommes de :-140. 000 ¿ à titre de dommages-intérêts au titre de la nullité de la rupture ;- et 2000 ¿ à titre de dommages-intérêts pour privation de son droit individuel à la formation, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour,

Condamne Air France aux dépens de première instance,
Y ajoutant,
Condamne la SA Air France à payer à M. Michel X... la somme de 3000 ¿ en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne Air France aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 12/04352
Date de la décision : 09/05/2014
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2014-05-09;12.04352 ?
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