La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/04/2014 | FRANCE | N°12/09744

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 01 avril 2014, 12/09744


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 01 Avril 2014

(n° , 09 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/09744



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Février 2001 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section encadrement RG n° 00/07211







APPELANT

Monsieur [U] [C]

[Adresse 2]

[Localité 1]

comparant en personne

ass

isté de Me Mariano DI VETTA, avocat au barreau de PARIS, toque : A0539





INTIMÉE

CAISSE NATIONALE RSI venant aux droits de la CANCAVA

Direction des ressources humaines

[Adresse 1]

[Localité ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 01 Avril 2014

(n° , 09 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/09744

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Février 2001 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section encadrement RG n° 00/07211

APPELANT

Monsieur [U] [C]

[Adresse 2]

[Localité 1]

comparant en personne

assisté de Me Mariano DI VETTA, avocat au barreau de PARIS, toque : A0539

INTIMÉE

CAISSE NATIONALE RSI venant aux droits de la CANCAVA

Direction des ressources humaines

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Jean-Michel TROUVIN, avocat au barreau de PARIS, toque : A0354

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 Janvier 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Claudine PORCHER, présidente

Madame Marie-Aleth TRAPET, conseiller

Madame Aline BATOZ, vice présidente placée faisant fonction de conseiller par ordonnance du Premier Président en date du 10 décembre 2013

qui en ont délibéré

Greffier : Monsieur Polycarpe GARCIA, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Claudine PORCHER, présidente et par Madame Caroline CHAKELIAN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [U] [C] a été engagé par la CAISSE NATIONALE RSI (Régime Social des Indépendants), venant aux droits de la CANCAVA, par contrat à durée indéterminée ayant pris effet le 4 septembre 1967, en qualité d'actuaire.

Il a été nommé sous-directeur des affaires financières et de l'actuariat le 1er juillet 1983, puis directeur financier le 1er avril 1993.

Monsieur [C] a été licencié pour faute grave par lettre du 25 février 2000 énonçant le motif du licenciement dans les termes suivants :

« Monsieur,

En votre qualité de Directeur Financier, vous avez reçu délégation de gestion du portefeuille de la CANCAVA et, depuis avril 1999, vous avez diversifié le portefeuille d'obligations à taux fixe, ce qui a entraîné une augmentation très significative des investissements en obligations convertibles et titres de créances négociables dits structurés (EMTN/BMTM).

L'arbitrage désastreux que vous avez réalisé le 19 janvier 2000, trois jours après votre retour d'un voyage d'une semaine au Brésil où vous étiez l'invité de CRÉDIT AGRICOLE INDOSUEZ CHEUVREUX, nous a conduit, dès le 24 janvier, à vous demander des explications, puis le 2 février, la communication des pièces. En fonction de vos notes et des documents que vous nous avez communiqués, nous avons fait réaliser un audit sur la gestion et les mouvements des obligations convertibles et EMTN/BMTN,

L'examen de ces mouvements, contrairement à vos explications qui se limitent à une présentation trompeuse de performances, a révélé des carences d'une extrême gravité dans l'exercice de vos fonctions. Ces carences ont entraîné un préjudice important pour notre institution, ce qui nous a conduit à vous convoquer à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement tout en vous notifiant une mise à pied conservatoire.

Les explications que vous nous avez fournies, le 19 février lors de cet entretien, ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation sur la gravité des fautes et de leurs conséquences et nous avons décidé de mettre fin à votre contrat de travail pour les motifs suivants :

1 - II est établi, contrairement à vos dénégations, qu'au cours de ces derniers mois vous avez privilégié de manière quasi exclusive (96 % du volume des transactions sur les obligations convertibles), des relations avec la société de bourse CRÉDIT AGRICOLE INDOSUEZ CHEUVREUX, concédant à cet intermédiaire, sans autorisation, un mandat de gestion de fait et exclusif des obligations convertibles et EMTN/BMTN structurés. Cette exclusivité inacceptable a porté sur une valeur de transaction de 4 milliards de francs, soit 1/6ème des valeurs mobilières de l'Institution.

Par l'organisation que vous avez mise en place, vous avez ainsi volontairement écarté les autres intermédiaires et rendu impossible l'appréciation d'offres concurrentes en termes de prix et de conseils.

2 - Sous couvert des plus values affichées et sans cesse mises en avant, masquant des conditions de négociation très défavorables effectuées sur les suggestions de l'établissement CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ CHEUVREUX, vous avez validé, de façon quasi systématique, des achats (18/23) au-dessus des cours les plus hauts d'une même journée et des cessions (18/21) en-dessous des cours les plus bas. Vous disposiez cependant des informations nécessaires à la gestion du portefeuille, ce qui établit que vous vous êtes volontairement abstenu de procéder aux contrôles préalables des cours lors des achats et des ventes, vous limitant à la seule comptabilisation des plus values apparentes, renonçant à tout rôle actif dans l'opportunité des arbitrages,

Ces contrôles auraient dû vous conduire à ne pas valider ces opérations, génératrices à l'achat d'un surcoût important et à la vente d'une perte de gains d'une partie des plus values.

3 - A cet égard, les conditions d'acquisition et de cession des obligations convertibles FINANCIERE AGACHE/LVMH constituent un exemple flagrant des carences graves révélées par l'analyse des opérations.

Les 44.000 titres FINANCIÈRE AGACHE/LVMH ont été acquis le 7 septembre 1999 au prix de 352€, alors que le cours le plus haut traité dans la journée s'établissait à 327,99€, soit 6.900.000 Francs de surcoût à l'achat.

Le 19 janvier 2010, vous avez validé la vente de ces 44,000 titres au cours de 432,75€, ce qui a entraîné une perte de gain très supérieure aux 6.133.197,95 Francs dont vous admettez déjà l'existence dans votre note du 26 janvier. Contrairement à vos indications erronées, le titre était liquide et la cession de ce bloc ne Justifiait pas une décote aussi radicale puisque le 20 janvier, dans des conditions de marché équivalentes, un contrôle de liquidité a démontré sur 10.000 titres, la réalité d'un cours de 478€,

De plus à la date du 19 janvier, la valorisation représentative du titre par SOFIS est à 486,16€, ce qui établit un écart de cours injustifié de 45,25€ par titre, soit une perte de gain pour l'ensemble des titres de 13.060,000 Francs !

Sur cette opération, comme sur celles que vous avez réalisées sur le portefeuille des obligations convertibles, votre justification par le "résultat tangible d'une plus value dégagée de 23.306.152 Francs" est volontairement trompeuse puisque ce résultat apparent ne correspond qu'à la moitié des plus values que la CANCAVA aurait dû encaisser si votre absence de contrôle systématique des cours n'avait pas généré, sur une base peu disante, une perte de gain de 19.960.000 Francs !

4 - Ces constatations étendues aux 44 opérations réalisées au cours des 12 derniers mois sur les seules obligations convertibles démontrent que vous avez porté atteinte à "la rentabilité globale du portefeuille" en laissant s'instaurer un véritable mécanisme spoliateur des intérêts de la CANCAVA qui a entraîné, en fonctions des nombreuses irrégularités commises, un préjudice global par perte de gain de 53.775.000 Francs sur la base la moins disante, voire de 102.750.000 Francs sur la base des cours moyens pondérés.

5 - En outre, et contrairement à vos déclarations, l'examen du réinvestissement du fruit de la cession des obligations convertibles FINANCIERE AGACHE/LVMH en EMTN ORI AUTOMOBILES 3,5%, n'avait aucun intérêt spécifique, ni aucune urgence et ne présentait pas d'opportunité majeure pour la Caisse.

En revanche l'acquisition de cet EMTN avait l'intérêt pour la société de bourse CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ CHEUVREUX de percevoir à nouveau, sur ce type de produit une marge très substantielle, comme elle l'a fait lors des précédentes transactions.

6 - Enfin, par vos agissements dont il appartiendra aux juridictions saisies de déterminer la nature, vous avez favorisé le comportement abusif voire délictuel de l'intermédiaire qui a encaissé des marges exorbitantes, excédant les taux d'usage, sur la quasi totalité des opérations, ce qui a donc causé le préjudice financier très important et incontestable de la CANCAVA.

Nous sommes donc fondé à vous reprocher le non respect des obligations de votre mandat et des carences graves et manifestes qui vous ont conduit à sacrifier les intérêts de la CANCAVA au profit d'arbitrages procurant des gains illégitimes à la société de bourse CREDRR AGRICOLE INDOSUEZ CHEUVREUX. Notre reproche est d'autant plus fondé que les vérifications effectuées à ce jour sur les quelques mouvements intervenus, durant la même période, sur des obligations convertibles ayant échappé à l'avidité de votre intermédiaire, confirment le caractère douteux et injustifié des écarts de cours qui ne se retrouvent pas ailleurs.

Ces faits justifient votre licenciement pour faute grave et rendent immédiatement impossible la poursuite de votre contrat de travail.

Vous cesserez ainsi de faire partie des effectifs de la CANCAVA dès la première présentation de cette lettre. [...]

Nous vous indiquons enfin qu'en raison de la gravité des faits qui vous sont reprochés, le salaire correspondant à la période pendant laquelle nous vous avons mis à pied à titre conservatoire ne vous sera pas versé.

Nous vous prions de croire, Monsieur, à l'assurance de nos sentiments distingués. »

Saisi par Monsieur [C], le conseil de prud'hommes de Paris, en sa section Encadrement, a par jugement du 14 février 2001, débouté Monsieur [C] de l'intégralité de ses demandes et l'a condamné aux dépens, la CAISSE AUTONOME NATIONALE DE COMPENSATION D'ASSURANCE VIEILLESSE DES ARTISANS (CANCAVA) ayant été déboutée de sa demande en paiement de frais irrépétibles.

Cette décision a été frappée d'appel par le salarié le 9 avril 2001.

A l'audience de la chambre sociale de la cour d'appel du 3 décembre 2002, Monsieur [C] a sollicité un sursis à statuer dans l'attente du résultat de l'instance pénale en cours devant le tribunal de grande instance de Nanterre, faisant valoir que les faits ayant abouti à son licenciement faisaient l'objet d'une information judiciaire confiée à un juge d'instruction de cette juridiction. Suivant arrêt du 21 janvier 2003, il a été fait droit à cette demande à laquelle la CAISSE NATIONALE RSI ne s'était pas opposée.

A la suite d'une ordonnance de non-lieu partiel rendue le 3 août 2011 par le magistrat instructeur, Monsieur [C] à déposé des conclusions de reprise d'instance et au fond le 11 octobre 2012.

Monsieur [C] demande à la cour de juger sans cause réelle ni sérieuse le licenciement pour faute grave prononcé à son encontre, au double motif que l'employeur n'a pas respecté la procédure conventionnelle prévue par l'article 30 de la convention collective nationale du travail du personnel de direction des caisses artisanales d'assurance vieillesse, et que la faute grave qui lui est imputée n'est pas fondée.

Subsidiairement, il fait valoir qu'en tout état de cause le motif invoqué ne relève pas de la faute grave.

Dans ces conditions, il sollicite la condamnation de la CAISSE NATIONALE RSI, venant aux droits de la CANCAVA, à lui régler les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes et capitalisation en application de l'article 1154 du code civil :

- 3 809,96 € à titre de salaire pour la période du 10 au 26 février 2000,

- 41 433,30 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 6 905,55 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 124 299,90 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 154 196,40 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 70 000,00 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

outre 20 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La CAISSE NATIONALE RSI conclut pour sa part à la confirmation du jugement entrepris et sollicite la condamnation de Monsieur [C] au paiement d'une somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour et aux entiers dépens.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées lors de l'audience des débats.

SUR QUOI, LA COUR,

Sur la procédure conventionnelle prévue par l'article 30 de la convention collective nationale

Monsieur [C] invoque les dispositions de l'article 30 de la convention collective nationale du travail du personnel de direction des caisses artisanales d'assurance vieillesse qui prévoient la mise en 'uvre de la procédure prévue par l'article R. 123.51 du code de la sécurité sociale, la saisine préalable de la commission de discipline organisée par ce texte constituant une garantie de fond dont la violation suffit à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse. Il soutient que ces textes lui étaient applicables, à raison notamment de sa fonction antérieure de directeur financier et de l'agrément ministériel dont il avait alors bénéficié et qui n'avait pas fait l'objet d'un retrait à la suite de son changement de fonction.

La CAISSE NATIONALE RSI soutient au contraire que l'agrément ministériel prévu par l'article R. 123-48 du code de la sécurité sociale dont avait bénéficié Monsieur [C] par décision ministérielle du 4 octobre 1983 concernait son statut d'agent de direction exerçant les fonctions de sous-directeur des affaires financières et de l'actionnariat, mais avait pris fin avec l'exercice de ces fonctions le 31 mars 1993 et ne pouvait poursuivre ses effets réglementaires pour son nouveau poste de directeur financier.

Considérant qu'en vertu de l'article 30 de la convention collective nationale du travail du personnel de direction des caisses artisanales d'assurance vieillesse : « En cas de licenciement, la procédure fixée par l'article R. 123.51 du code de la sécurité sociale devra être suivie par l'organisme employeur préalablement à la procédure instituée par la législation du travail » ; que Monsieur [C] ne cite que ce premier alinéa, omettant le troisième qui précise : « Le présent article ne s'applique pas aux cadres supérieurs de la CANCAVA classés chefs de service ou chefs de division » ;

Considérant que cette précision faisait nécessairement écho aux termes alors en vigueur de l'article R. 123-48 du code de la sécurité sociale, auquel renvoie l'article R. 123-51 dont la violation est invoquée par Monsieur [C], et qui précise ainsi le champ d'application de cette procédure particulière : « les agents de direction et les agents comptables des organismes de sécurité sociale, de leurs unions ou fédérations, ainsi que les directeurs des établissements ou 'uvres sociales des organismes de sécurité sociale mentionnés à l'article R. 123-4, sont agréés dans les conditions prévues à la présente sous-section. Le terme "agents de direction" s'entend des directeur, directeur adjoint, sous-directeur et secrétaire général, ainsi que des directeurs délégués mentionnés à l'article R. 224-6 » ;

Or, considérant qu'il est constant que Monsieur [C] a occupé, à compter du 1er avril 1993, un emploi spécifique de directeur financier ouvert à l'organigramme de la CANCAVA hors liste d'aptitude et agrément ministériel ; que la preuve de son statut est rapportée par l'employeur qui verse aux débats :

- la décision du conseil d'administration de la CANCAVA en date du 16 décembre 1992, définissant en son article 1er les types d'emplois auxquels étaient affectés les membres du personnel de la caisse, à savoir :

- des agents de direction, dont la nomination est soumise à inscription sur la liste d'aptitude,

- des agents recrutés pour occuper des emplois spécifiques,

- des cadres supérieurs, partiellement soumis à inscription sur liste d'aptitude,

et déterminant en son article 3 les emplois spécifiques hors liste d'aptitude, à savoir : « les postes de directeur financier, sous-directeur financier chargé de l'actuariat et directeur informatique » ouverts à l'organigramme comme emplois spécifiques,

- la décision du conseil d'administration du 17 décembre 1992 nommant Monsieur [C] en qualité de directeur financier au titre des emplois spécifiques ainsi définis,

- les listes d'aptitude pour les années 1993 et 2000 (année du licenciement du salarié) publiées au Journal officiel de la République et sur lesquelles ne figure pas le nom de Monsieur [C] ;

Considérant que l'agrément ministériel dont avait bénéficié Monsieur [C] dix années plus tôt, pour être nommé au poste de sous-directeur des affaires financières et de l'actuariat le 1er juillet 1983, n'avait pu se perpétuer au-delà de la cessation - le 31 mars 1993 - des fonctions pour lesquelles il avait été concédé, le moyen tiré par le salarié du défaut exprès de retrait de cet agrément manquant de pertinence, la procédure prévue par l'article R. 123-50-1 du code de la sécurité sociale ne se justifiant que dans le cadre d'une procédure disciplinaire engagée à l'encontre d'un agent exerçant les responsabilités visées à l'article R. 123-48 de ce code, la disposition invoquée par Monsieur [C] précisant que « le retrait d'agrément entraîne de plein droit cessation des fonctions pour lesquelles l'agrément avait été accordé » ;

Considérant que les fonctions exercées par Monsieur [C] ne constituant pas un emploi d'agent de direction au sens des textes susvisés, la procédure prévue par l'article R. 123-51 du code de la sécurité sociale n'avait pas lieu de s'appliquer ; que le jugement est confirmé en ce qu'il a jugé que la procédure de licenciement de Monsieur [C], directeur financier et cadre supérieur de l'entreprise, avait été régulièrement engagée ;

Sur le licenciement de Monsieur [C]

Il a été reproché à Monsieur [C] les fautes suivantes :

- avoir consenti de fait un mandat de gestion quasi exclusif, sans information ni autorisation, à la société de bourse CREDIT AGRICOLE, INDOSUEZ CHEVREUX - ci-après désignée : CAIC,

- avoir, sous couvert des plus-values affichées et sans cesse mises en avant, masquant des conditions de négociations très défavorables, validé de façon quasi systématique des achats, en l'absence totale de vérification des cours et de contrôle des opportunités d'arbitrage sur les obligations convertibles et les EMTN/BMTN, renonçant à tout rôle actif dans l'opportunité des arbitrages.

- se trouver à l'origine du désastre de "l'arbitrage" 19 janvier 2000 ayant, sur une opération de vente et d'achat, fait perdre à la CANCAVA en une journée plus de 2 700 000 € (18 millions de francs),

- avoir favorisé le comportement abusif voire délictuel de l'intermédiaire qui a encaissé des marges exorbitantes et ainsi causé par ses agissements un préjudice global de près 30 500 000 € (200 millions de francs) pour la CANCAVA au bénéfice du CAIC.

A l'audience, l'employeur souligne que l'opération d'arbitrage ayant provoqué la découverte des agissements dénoncés de Monsieur [L] est intervenue alors qu'il rentrait d'un voyage au Brésil en Concorde offert par le CAIC devenu son interlocuteur privilégié sinon unique.

Pour contester ces griefs, Monsieur [C] fait liminairement valoir :

- que les faits ayant conduit à son licenciement ont fait l'objet d'une information judiciaire dans le cadre de laquelle il avait été mis en examen le 10 avril 2002, des chefs d'abus de confiance, complicité, corruption passive de directeur ou salarié, avant de bénéficier d'une ordonnance de non-lieu par décision du 3 août 2011, certaines des personnes en cause ayant en revanche été renvoyées devant la juridiction pénale,

- que le 23 août 2000, le CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ CHEVREUX CAIC et la CANCAVA, avaient conclu un protocole d'accord aux termes duquel CAIC indemnisait la CANCAVA du préjudice résultant du comportement frauduleux de ses préposés, par le versement d'une somme d'un montant de 25 051 667 €, outre 830 000 € au titre des frais exposés,

Monsieur [C] soutient que la démonstration qui incombe à l'employeur de l'existence d'une faute grave - la lettre de licenciement fixant les limites du litige - doit être d'autant plus incontestable que l'existence d'une telle faute le priverait des « droits acquis durant trente-trois années de travail et donc les fruits de toute une vie professionnelle ».

Le salarié insiste sur le fait qu'à supposer même, pour les besoins de l'analyse, l'on tienne pour acquis que les faits reprochés aient pu légitimer un licenciement pour cause réelle et sérieuse, ils ne pouvaient constituer une faute grave en raison des circonstances, alors surtout que la CANCAVA portait elle-même une grande part de responsabilité faute d'avoir donné à la direction financière les moyens d'assurer efficacement sa mission.

Monsieur [C] ajoute que les faits litigieux relèveraient plus exactement de la qualification d'insuffisance professionnelle laquelle ne peut jamais recevoir la qualification de faute grave.

Il précise encore que les griefs invoqués par l'employeur doivent être appréciés à la lumière des fonctions incombant au directeur financier, dont le rôle consistait à assurer l'exécution des décisions prises par le conseil d'administration et par la commission des finances et des placements, pour la réalisation d'opérations de valeurs mobilières et immobilières sous le contrôle et la surveillance permanents de la commission 11 des finances, du directeur général, du trésorier, du président de la caisse et du conseil d'administration.

A ses yeux, le licenciement qu'il conteste aurait été motivé par l'animosité que nourrissait à son endroit le directeur général en la personne de Monsieur [E], lequel, dès sa nomination le 5 janvier 1998, aurait manifesté son intention de modifier les équipes en place, singulièrement en procédant au licenciement devenu rapidement effectif du directeur des affaires juridiques, du chargé des opérations immobilières, puis du directeur financier.

La CAISSE NATIONALE RSI fait valoir qu'elle rapporte la preuve de la gravité des fautes commises, les opérées dans le cadre de l'enquête pénale y contribuant au demeurant en dépit du fait que, contrairement à ce que soutient Monsieur [C], les fautes reprochées dans la lettre de licenciement sont indépendantes de la procédure pénale, mise en oeuvre par le Parquet et non par la CANCAVA, laquelle a toujours considéré le caractère civil des fautes commises à son préjudice par Monsieur [C], directeur financier de l'institution.

L'employeur insiste par ailleurs sur le caractère incontestable et probant des rapports établis, le premier le 7 février 2000 par Monsieur [W] [G], expert financier agréé par la Cour de cassation, missionné par la CANCAVA dès le 26 janvier 2000, le second le 18 août 2000 par Monsieur [F], expert judiciaire missionné par le CAIC.

Considérant qu'il résulte des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement ; que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis ; que l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve ;

Considérant qu'il résulte des pièces produites et des débats que, pour 'exercice 1999, Monsieur [C] a travaillé de manière quasi exclusive avec la société de bourse CAIC, les mouvements sur les obligations convertibles réalisés avec CAIC représentant 96 % de l'ensemble des mouvements ; qu'avec cet unique intermédiaire, Monsieur [C] a réalisé des opérations représentant près de 610 millions d'euros, correspondant au sixième des valeurs mobilières de la CANCAVA ;

Considérant que Monsieur [C], qui ne remet pas en cause ces chiffres, ne saurait utilement contester sa responsabilité au motif que le directeur général n'ignorait ni le volume ni la nature des transactions confiées au CAIC au cours de l'année 1999 et n'aurait pas découvert cette situation au mois de janvier 2000, alors au surplus que ces opérations étaient également vérifiées par l'agent comptable de la CANCAVA, pécuniairement responsable de leur bonne fin sur ses biens propres ;

Considérant qu'en effet, Monsieur [C] a reconnu que « le choix des intermédiaires était effectivement de la compétence du directeur financier » ;

Considérant que l'affirmation de l'appelant selon laquelle les autres intermédiaires étaient moins performants que le CAIC n'est étayée par aucun élément probant ;

Considérant qu'il importe peu que le préjudice initialement subi par la CANCAVA ait été finalement réparé postérieurement au licenciement de Monsieur [C], après de longues négociations avec le CAIC, dans l'intérêt des cotisants de la caisse de retraite concernée, à la suite d'une intervention de la commission des opérations de bourse, informée par le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre qui avait ordonné la communication de la procédure à son président par ordonnances des 10 et 29 mars 2000 ;

Considérant que l'employeur ne pouvait en effet tolérer que son directeur financier ait validé des achats au dessus des cours les plus hauts et des cessions en dessous des cours les plus bas, permettant ainsi au CAIC de bénéficier de marges excessives et favorisant indirectement les man'uvres de cet intermédiaire, alors que Monsieur [C] n'avait cessé, durant son activité, de revendiquer responsabilité exclusive du choix des intermédiaires et des conseils, des analyses financières des titres nécessaires et préalables à la décision d'achat ou de vente ainsi que des arbitrages dont il soulignait lui-même qu'ils étaient « avalisés par la direction financière qui restait responsable des opérations d'achat ou de vente » ;

Considérant que, dans lettre du 17 février 2000, adressée avant même la notification de la lettre de licenciement, alors qu'il venait d'être mis à pied, Monsieur [C] écrivait à son employeur : « j'affirme n'avoir à aucun moment, ne fusse qu'implicitement, délégué à qui que ce soit la gestion du portefeuille d'obligations convertibles dont j'avais la charge » ;

Considérant que la CANCAVA a mandaté Monsieur [G], expert financier inscrit sur la liste nationale des experts près la Cour de cassation, dès le 26 janvier 2000, pour apprécier les éléments financiers qu'elle venait de découvrir et qui la conduisaient à envisager la rupture du contrat de travail de Monsieur [C] ; que dans son rapport du 7 février 2000, l'expert analyse ainsi le comportement du directeur financier de la CANCAVA :

« A en juger par la teneur des notes de M. [C], celui-ci ne semble pas avoir été alerté par les anomalies constatées. Au contraire, il se montre satisfait des opérations réalisées.

En fait, selon la teneur de ces notes, il semble qu'il avait renoncé à jouer un rôle actif et qu'il se reposait entièrement sur le CRÉDIT AGRICOLE INDOSUEZ CHEUVREUX dont il était devenu le tributaire en lui confiant le rôle de conseil et de recherche d'opportunités d'arbitrages.

On en a l'illustration dans son affirmation selon laquelle il considérait que quels qu'ils soient, les cours proposés devaient être acceptés, alors que l'organisation qu'il avait mise en place ne lui permettait pas de rechercher des contreparties et donc d'apprécier la liquidité du marché, ni la teneur des offres concurrentes en termes de prix et de conseils.

En conséquence, le non-respect de la réglementation et du mandat qui lui a été confié, puis la passivité de M. [C] ont permis au CRÉDIT AGRICOLE INDOSUEZ CHEUVREUX de donner libre cours à un comportement qui apparaît abusif et en contradiction avec les règles déontologiques prévues par le règlement général du Conseil des Marchés Financier sans trouver au niveau de la direction financière de la CANCAVA les vérifications et contrôles qui auraient normalement dû éviter ce type d'anomalies.

Il est évident que ces pratiques, non conformes aux règles du marché, ont conduit nécessairement à la réalisation par l'intermédiaire de marges inappropriées.

Elles n'ont été rendues possibles que par le fait d'avoir privilégié un unique intermédiaire au lieu d'apprécier les facultés offertes par le marché en faisant jouer la concurrence » ;

Considérant que BERGERAS, expert judiciaire missionné par le CAIC, a à son tour relevé quelques semaines plus tard des écarts inexpliqués de coût ;

Considérant que le magistrat instructeur, tout en prononçant un non-lieu en faveur de Monsieur [C], a cependant observé que les directeurs financiers ne semblaient pas maîtriser la diversification vers les produits indexés du moins sur le plan technique, CAIC réalisant 96 % des opérations pour la CANCAVA et l'intégralité pour LFM ce qui ne permettait pas d'assurer des conditions de négociation favorables ; qu'il y a encore lieu de constater que l'existence de faits délictuels révélés par une enquête diligentée postérieurement au licenciement de Monsieur [L] n'avait pas motivé cette sanction, la CANCAVA ne lui ayant jamais reproché un comportement délictuel, mais seulement des pratiques professionnelles fautives et préjudiciables aux intérêts des cotisants de cet organisme social ;

Considérant que le fait que la direction financière ait été le « parent pauvre » de la CANCAVA, comme cela résulte de l'enquête pénale, à raison de ce que son effectif était deux fois moins important que celui de la direction immobilière de la caisse qui gérait un portefeuille cinq fois plus important, ne suffit pas à justifier la passivité du directeur financier, et ce d'autant que l'employeur justifie avoir mis à la disposition de Monsieur [C] des outils de contrôle suffisants, notamment des outils financiers de connaître les conditions du marché pour assurer « la gestion active du portefeuille de la CANCAVA », les abonnements « FININFO » permettant de tracer l'historique des cours d'une valeur et d'apprécier les évaluations théoriques d'une obligation convertible ;

Considérant que l'expérience de Monsieur [C], qui bénéficiait d'une ancienneté de plus de trente ans à la CANCAVA, lui avait permis de créer des relations bancaires qui devaient favoriser la mise en concurrence de plusieurs intermédiaires pour obtenir les meilleurs prix ; que cette ancienneté interdit d'analyser le comportement de Monsieur [C] en la conséquence d'une insuffisance professionnelle, alors surtout que le salarié avait eu l'occasion de manifester l'étendue de ses compétences durant sa longue activité au service de la caisse ; qu'il est établi et non utilement contesté que Monsieur [C] a dépassé les limites de la délégation donnée au directeur financier en consentant un mandat de gestion de fait et exclusif au CAIC ;

Considérant que le comportement fautif de Monsieur [C] est caractérisé ; que l'employeur ne pouvait plus accorder sa confiance à son directeur financier, fût-ce durant la durée du préavis de trois mois auquel il aurait pu prétendre en application de l'article 30, alinéa 2, de la convention collective nationale applicable ;

Considérant que le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [C] de toutes ses demandes.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

AJOUTANT,

DEBOUTE Monsieur [U] [C] de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE LA CAISSE NATIONALE RSI de sa demande sur le même fondement ;

CONDAMNE Monsieur [U] [C] aux dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 12/09744
Date de la décision : 01/04/2014

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°12/09744 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-04-01;12.09744 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award