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13/03/2014 | FRANCE | N°12/12013

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 2, 13 mars 2014, 12/12013


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2



ARRÊT DU 13 Mars 2014



(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/12013



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Novembre 2012 par le Conseil de Prud'hommes de BOBIGNY - section encadrement - RG n° 11/03387





APPELANTE

Madame [W] [Z]-[K]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

comparante en personne, assistée de Me Olivier KHATCHIKI

AN, avocat au barreau de PARIS, toque : G0619





INTIMEE

SOCIETE ICL FRANCE venant aux droits de la SAS BKG FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Yves BO...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2

ARRÊT DU 13 Mars 2014

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/12013

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Novembre 2012 par le Conseil de Prud'hommes de BOBIGNY - section encadrement - RG n° 11/03387

APPELANTE

Madame [W] [Z]-[K]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

comparante en personne, assistée de Me Olivier KHATCHIKIAN, avocat au barreau de PARIS, toque : G0619

INTIMEE

SOCIETE ICL FRANCE venant aux droits de la SAS BKG FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Yves BOULEZ, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 30 janvier 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Nicolas BONNAL, Président

Madame Martine CANTAT, Conseiller

Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Nicolas BONNAL, Président et par Madame FOULON, Greffier .

**********

Statuant sur l'appel formé par Mme [W] [Z]-[K] contre un jugement rendu le 22 novembre 2012 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY qui, saisi par celle-ci de demandes en paiement liées au caractère dénué de cause réelle et sérieuse du licenciement dont elle avait été l'objet de la part de la société BKG FRANCE (indemnité compensatrice de préavis, rappel de salaire afférent à une mise à pied, congés payés correspondants, indemnités de licenciement et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse), aux circonstances brutales et vexatoires de la rupture et au comportement dolosif et à la légèreté blâmable de la société de nature à mettre en péril sa santé, a rejeté l'ensemble de ces demandes et mis les dépens de l'instance à la charge de Mme [Z]-[K]';

Vu la décision en date du 23 juillet 2013 du magistrat délégué par le premier président fixant par priorité l'affaire à l'audience du 30 janvier 2014 en application des dispositions de l'article 948 du code de procédure civile';

Vu les conclusions transmises à la cour et soutenues à cette audience pour Mme [W] [Z]-[K], auxquelles on se référera pour un plus ample exposé des moyens et prétentions de l'appelante qui, soutenant qu'elle n'a pas commis la faute, et a fortiori, la faute grave qui lui a été imputée, de sorte que le licenciement dont elle a été l'objet est dénué de cause réelle et sérieuse, qu'il a été prononcé dans des circonstances brutales et vexatoires et que le comportement dolosif et la légèreté blâmable de la société sont de nature à mettre en péril sa santé, demande à la cour, infirmant le jugement déféré, de condamner la société ICL FRANCE venant aux droits de la société BKG FRANCE à lui payer les sommes de':

- 20'769 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 2'076,90 euros au titre des congés payés sur préavis,

- 6'476,35 euros en rappel de salaire pour la mise à pied,

- 647,63 euros pour les congés payés sur mise à pied,

- 25'615,10 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 124'614 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 20'769 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par les circonstances brutales et vexatoires de la rupture,

- 830'760 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le comportement dolosif et la légèreté blâmable de la société de nature à mettre en péril sa santé,

- 2'000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- le tout avec intérêt au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes de BOBIGNY';

Vu les conclusions transmises à la cour et soutenues à l'audience pour la société ICL FRANCE venant aux droits de la société BKG FRANCE, auxquelles on se référera pour un plus ample exposé des moyens et prétentions de l'intimée qui, soutenant que les fautes articulées dans la lettre de licenciement, à savoir à titre principal le harcèlement moral de ses subordonnés imputable à la salariée, sont démontrées et graves, et que les prétentions de Mme [Z]-[K] sont injustifiées, demande à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et de condamner Mme [W] [Z]-[K] à lui payer la somme de 4'000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';

Vu la note en délibéré adressée le 6 février 2014 avec l'autorisation du président par la société ICL FRANCE et les cinq pièces jointes';

Vu la note en délibéré adressée en réplique le 14 février 2014 par Mme [W] [Z]-[K]';

SUR CE, LA COUR

Sur les faits constants

Il résulte des pièces produites et des débats que':

- Mme [W] [Z]-[K] a été embauchée par la société HENKEL selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 13 mai 2002 (non produit aux débats),

- par lettre du 27 juillet 2008, la société BKG FRANCE, venant aux droits de la société HENKEL, l'a affectée, à effet du 1er juillet 2008, en qualité de directeur de la région Île de France/Vallée de Seine, au salaire brut mensuel, en dernier lieu, de 6'923 euros,

- par lettre du 21 avril 2011, Mme [W] [Z]-[K] a été convoquée à un entretien préalable en vue d'un licenciement pour faute grave, pour le 10 mai suivant, et s'est vu notifier une mise à pied à titre conservatoire,

- par lettre en date du 19 mai 2011, le licenciement pour faute grave de Mme [W] [Z]-[K] a été prononcé,

- le 23 août 2011, cette dernière a saisi le conseil de prud'hommes de la procédure qui a donné lieu au jugement déféré.

Les extraits pertinents de la lettre de licenciement sont reproduits ci-après':

«Les griefs qui vous ont été présentés lors de l'entretien à l'appui de la mesure de licenciement aujourd'hui notifiée sont les suivants':

- À titre principal, vous vous êtes rendue coupable de harcèlement moral faisant régner, selon les propres dires des témoins, une politique de terreur et d'intimidation. Cette situation était devenue tellement invivable au quotidien que l'un des membres de votre équipe se faisant le porte-parole de la majorité d'entre eux, a cru utile de venir nous présenter au siège de [Localité 1] un power point de plus de vingt diaporamas, synthétisant l'ensemble des reproches faits. Ce salarié a souhaité nous rendre visite discrètement, sans réservation d'un titre de transport dont vous auriez pu avoir connaissance, ce qui démontre au minimum la crainte ressentie vis-à-vis de vous.

Stupéfaits devant cette démonstration dont nous ne pouvions imaginer à ce point la teneur, nous avons cherché à savoir si cette présentation était bien le reflet de la perception des membres de l'agence dont vous avez la responsabilité.

Il s'avère que ces propos initiaux ont été confirmés par la quasi-unanimité de votre équipe, à de rares exceptions près en des termes dont la violence et le ressentiment vécu à votre encontre laissent pantois'!

Sont ainsi évoqués pèle-mêle par les témoins': le fait de partir tous les matins au travail avec «'la boule à l'estomac'», les joutes verbales avec vous-même insupportables, un climat malsain de terreur et de harcèlement moral que vous faîtes régner au sein de l'agence, les salariés ayant peur de vous. Les termes de lynchage, d'entretien virulent et agressif, voire musclé sont utilisés. Vous êtes décrite comme une personne manipulatrice, calculatrice, machiavélique qui fait régner la terreur au sein de votre équipe, pratiquant l'humiliation en public et écrasant quiconque oserait se mettre en travers de votre route.

Une telle situation est confirmée par des salariés ayant quitté l'entreprise, pour ne plus supporter ce que vous leur faisiez subir au quotidien.

Face à tant de virulence et de charges à votre encontre, nous nous devions, conformément aux dispositions des articles L'1252-1 et suivants du code du travail de faire cesser ces agissements très graves.

Au delà du strict plan légal, la survie même de notre agence de BLANC MESNIL était en cause.

- De plus vos collaborateurs font état également':

- De mensonges réguliers,

- Il vous est aussi reproché un manque d'exemplarité flagrant en votre qualité de responsable, d'autant plus insupportable dans le contexte ci-dessus décrit. À titre indicatif, vous ne possédez pas les clés de l'agence, probablement du fait que votre horaire de travail personnel de vous permet pas de procéder à l'ouverture, et sachant que vous la quittez assez tôt en fin de journée pour, selon vos propres termes, «'éviter des problèmes de circulation'». Certains témoins vont jusqu'à vous reprocher la fâcheuse habitude de vous décharger sur «'vos esclaves'» (sic), en n'assumant pas les responsabilités incombant à votre fonction. Votre équipe vous reproche d'être trop rarement à l'agence pour 'uvrer à son bon fonctionnement.

- En droite ligne de votre comportement de harcèlement, vous êtes également accusée d'injustices systématiques, en montant les gens les uns contre les autres, en instituant ainsi une lutte de clans, bref une division pour mieux régner. Dans cet ordre d'idées, il vous est arrivé de demander à un collaborateur de prendre du recul avec d'autres membres de l'équipe suspectés de «'copinage'» avec la direction. Vous critiquez ouvertement certains de vos collaborateurs devant les autres.

- Vos équipes vous reprochent également une défaillance dans vos fonctions de manager, le manque de soutien et de confiance vis-à-vis d'eux. Vous ne redescendez pas les informations à vos équipes, vous n'avez pas ou peu d'entretiens individuels malgré les sollicitations, vous ne les accompagnez pas sur le terrain. Enfin vous suscitez certains mécontentements auprès de clients et fournisseurs.

Sur un plan plus général, les attestations qui nous ont été remises sont si détaillées, qu'elles ne peuvent être reprises, y compris de façon synthétique, dans leur intégralité mais elles révèlent, et même au delà, l'ensemble des comportements ci-dessus décrits.

Vous comprendrez dans ces conditions que votre licenciement pour faute grave était inéluctable, vos équipes ne pouvant plus vous supporter au point d'avoir effectué une démarche unique dans les annales de notre entreprise, telle que décrite en préambule de ce courrier.'»

Sur la faute grave invoquée par l'employeur

Il résulte des articles L'1234-1 et L'1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Par ailleurs, la lettre de licenciement fixe les limites du litige, le bien-fondé du licenciement devant s'apprécier au regard des motifs qui y sont énoncés.

Au cas présent, la lettre de licenciement adressée à Mme [W] [Z]-[K] forme cinq griefs, le harcèlement moral, premier cité, énoncé à titre principal, auquel s'ajoutent les mensonges réguliers, le manque d'exemplarité, les injustices systématiques et la défaillance dans les fonctions de manager.

Dès lors qu'il est affirmé que Mme [W] [Z]-[K] s'est rendue responsable de harcèlement moral à l'égard des salariés de la société placés sous sa responsabilité, il doit être rappelé qu'aux termes de l'article L'1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel et que l'article L'1152-4 du même code oblige l'employeur à prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Pour établir la réalité des griefs contenus dans la lettre de licenciement, la société ICL FRANCE produit le support de la présentation qui a été faite dans les locaux de son siège par un salarié affecté dans l'agence dirigée par Mme [W] [Z]-[K], présentation dont elle fait état dans la lettre, ainsi qu'une attestation de M. [Q] [H], qui affirme en être l'auteur, indique que l'entretien au cours duquel elle a été faite date du 25 mars 2011 et qu'il a eu lieu à sa demande et devant six personnes composant le comité de direction de la société et rappelle qu'il avait demandé que cet entretien soit tenu confidentiel, précisant qu'il a remis le support informatique de sa présentation lors de cet entretien, afin d'éviter de devoir l'adresser par voie électronique. Une autre attestation rédigée par M. [H] reprend et développe certains des faits évoqués dans la présentation.

Ce document justifie d'abord la démarche adoptée et la confidentialité sollicitée par la «'politique de terreur et d'intimidation depuis près de 3 ans au niveau régional'» et précise que l'objectif poursuivi est d'obtenir «'un encadrement capable de nous accompagner et de prendre ses responsabilités'».

Après avoir cité des qualités de Mme [W] [Z]-[K], il décrit ses défauts, au nombre desquels l'absence de «'notion du respect de l'être humain'». Il énumère ensuite les «'principaux reproches'», dont la liste fournit une partie du plan des développements qui suivent, à savoir': «'manque d'exemplarité, mensonges, harcèlement moral, injustices, division, défaillances dans la fonction de manager'».

Au titre du harcèlement moral, qui ainsi que l'admet la société ICF FRANCE est la seule faute à présenter à l'évidence, si elle est démontrée, le caractère d'une faute grave, ce document met à la charge de Mme [W] [Z]-[K] d'avoir imputé à M. [H] «'la responsabilité du départ de nos 3 précédents techniciens matériel'» et de lui avoir demandé «'de [s]e «'calmer'», sous réserve que des recommandés partent'», de prendre «'régulièrement des TC/TS dans son bureau pour procéder à des lavages de cerveaux': monologue ininterrompu d'1 à 2 heures où l'accusé voit sa défense systématiquement remise en cause, et les non-dits interprétés comme des aveux'», et relève encore «'des allusions troublantes laissant penser que nos boîtes mail sont espionnées'», un «'discours «'musclé'» auprès d'une secrétaire de direction du groupe Eiffage'», et enfin deux comportements à l'égard de personnes dénommées, [R] [V], qui «'semblait dépressif'» au moment de son départ, précédé d'un arrêt maladie, et «'GG pris à partie dès son retour de congé après son mariage'».

Parmi les attestations versées aux débats par la société ICS FRANCE, sont significatifs, au regard de l'imputation de harcèlement moral, les témoignages ci-après résumés.

M. [H], dans son attestation personnelle, rapporte comment Mme [W] [Z]-[K] a «'procédé à un lynchage'» d'un membre de son équipe, M. [P] [O], qui se trouvait «'la tête abaissée, dépité et impuissant face à un monologue accusateur puissant'», et qu'il avait été lui-même invité, ensuite, par celle-là «'à prendre du recul'» avec celui-ci, puis qu'il avait constaté que celui-ci, à qui avait été reproché un «'copinage avec la direction'», devenait «'complètement démotivé, déçu du monde du travail, et dégoûté de notre milieu'». Une attestation rédigée par M. [O] confirmait le grief qui lui avait été fait, ainsi que de nombreux autres, par Mme [W] [Z]-[K].

M. [H] décrit dans son attestation comment M. [L] [I] (le «'GG'» mentionné dans sa présentation) a subi une scène du même type, à laquelle il avait assisté brièvement, et lui avait dit ensuite que Mme [W] [Z]-[K] avait eu lors de cet entretien des propos relatifs à sa situation familiale personnelle. Si aucune attestation de l'intéressé n'est produite aux débats, Mme [A] [J] décrit dans son attestation l'humiliation publique subie par M. [I] lors d'une sortie dans un bowling, puis le fait que celui-ci avait été pris à part, toujours par Mme [W] [Z]-[K], pour un entretien individuel, lors d'un repas de fin d'année, entretien pendant lequel elle «'a hurlé ['] pendant quelques minutes, debout, face à [L] assis'». Mme [J] fait également état des propos de l'intéressé qui indiquait que Mme [W] [Z]-[K] lui avait dit qu'elle lui laissait «'un an de sursis pour faire ses preuves'» et avait joué sur ses «'conditions familiales'».

S'agissant de son cas personnel, M. [H] relate un entretien téléphonique «'musclé'» qu'il a eu avec Mme [W] [Z]-[K] qui l'a «'accusé d'émulation négative'» et lui a imputé la responsabilité du départ de trois techniciens, estimant qu'il cherchait ainsi à lui nuire. Il confirme les termes du document qu'il a présenté à la direction relativement aux propos qui lui ont alors été tenus. Il qualifie Mme [W] [Z]-[K] de «'cyclique'», et la décrit comme pouvant entretenir «'une relation conflictuelle'» avec un collaborateur, avant, quelques temps plus tard, de «'le porter sur un piédestal'», et affirmant que c'est ainsi qu'elle a agi à son égard. Il relève chez elle un «'besoin vital de se défouler sur un collaborateur'», la qualifie de «'personne manipulatrice, calculatrice et machiavélique qui fait régner la terreur au sein de son équipe et ne supporte pas la concurrence'».

M. [P] [O] confirme le départ de trois techniciens, qu'il impute à «'une pression trop importante'» que Mme [W] [Z]-[K] leur faisait subir. Il ajoute que cette dernière l'avait successivement averti de «'faire attention'» à plusieurs de ses collègues, avant de devenir lui-même celui dont les autres devaient se méfier, et évoque «'l'émulation négative'» imputée à M. [H], puis à lui.

Mme [C] [U] fait état du grief qui lui a été fait par Mme [W] [Z]-[K] lors d'une réunion d'agence, indirectement, d'être à l'origine du départ d'un collègue, M. [G], dont elle aurait dénoncé l'incompétence à la direction, accusation infondée dès lors que l'intéressé est parti «'en raison de la mauvaise foi de Mme [Z]'». M. [G], dans une attestation, confirme qu'il a démissionné, mentionnant à cet égard qu'il avait fait remarquer à plusieurs reprises à Mme [W] [Z]-[K] «'son mépris vis-à-vis de certains salariés, ses mensonges à répétition et son hypocrisie hors norme'».

Mme [M] [E] affirme dans une attestation que Mme [W] [Z]-[K], qui n'était pas sa supérieure hiérarchique, a tenu à son égard devant le comité de direction des «'propos diffamatoires'», remettant en cause son «'intégrité professionnelle'» en l'accusant «'de fournir des informations confidentielles à la concurrence'».

Mme [Y] [D] relate les vives critiques qui lui ont été adressées par Mme [W] [Z]-[K], qui n'avait pas transmis sa candidature à une promotion interne': «'tu n'es qu'une blablateuse, tu n'as aucunes bases techniques'». Elle mentionne aussi comment elle a été accusée par sa directrice régionale de faire «'de l'émulation négative envers l'équipe'», en téléphonant à ses collègues tous les soirs «'pour leur dire du mal d'elle afin qu'ils ne lui fassent plus confiance'», et comment, alors qu'elle niait ce grief infondé, Mme [W] [Z]-[K] lui a soutenu «'jusqu'à la fin que c'était vrai'»'; elle ajoute que ce procédé consistant à l'accuser injustement l'a mise mal à l'aise, spécialement «'vis-à-vis de [s]on équipe qui, soi-disant, avait parlé sur [elle]'», de sorte qu'elle a pris ses distances, que son travail la «'«'bouffe'» de l'intérieur'» et qu'elle restreint «'tout enthousiasme et toute communication pour éviter de [s]e prendre une soufflante par [s]a directrice'», le tout l'ayant conduite à la démission. Sa lettre de démission est produite aux débats, dans laquelle elle justifie son choix par le comportement de sa directrice, qui la traite «'de façon irrespectueuse'» et la «'rabaisse sans cesse'».

Mme [B] [F] (qui n'était pas placée sous les ordres de Mme [W] [Z]-[K] mais travaillait dans les mêmes locaux) évoque d'ailleurs dans son attestation le cas de Mme [D] en termes vifs': «'Esclavage moderne'' Harcèlement moral'' Pourquoi autant d'acharnement à détruire une personne'' Pourquoi [Y] ne peut-elle pas progresser au sein de la société'' Pour moi, c'est du harcèlement moral'». Elle ajoute, de façon plus générale que, si elle a «'une observation à faire à un salarié qui ne fait pas partie de ses favoris'», Mme [W] [Z]-[K] «'la fait en présence des personnes qui l'entourent ['] et c'est vexant pour le salarié concerné'», s'interrogeant': «'est-ce un manque de diplomatie ou du harcèlement moral encore une fois'''». Mme [F] ajoute qu'elle part travailler «'tous les matins avec «'la boule à l'estomac'»'» et dénonce les «'joutes verbales'» avec la directrice régionale, indiquant qu'elle a aussi choisi de prendre ses distances, et dénonce enfin la façon dont ses collègues sont «'muselés'» et «'ont peur'».

Les faits ainsi décrits dans les attestations produites par la société ICL FRANCE et spécialement le fait de faire des reproches en public, en la présence de la personne visée, portant soit sur des insuffisances professionnelles supposées, soit sur des comportements qualifiés de répréhensibles, la déstabilisation des salariés, par l'alternance de critiques et de louange, l'imputation à d'autres de faits dont elle était en réalité personnellement responsable, la suspicion généralisée, le tout finissant par créer la peur chez les salariés les plus fragiles, caractérisent des comportements de harcèlement moral visant plusieurs des subordonnés de Mme [W] [Z]-[K].

Ces éléments ne sont pas sérieusement contredits par cette dernière.

C'est ainsi à tort qu'elle juge invraisemblable la révélation de faits qui n'auraient pu être tus aussi longtemps, alors que les rédacteurs d'attestation font tous valoir la prudence à laquelle ils étaient contraints du fait même de la peur qui était entretenue chez eux, étant cependant relevé qu'on peut regretter que la société ICL FRANCE ne se soit pas donnée les moyens de déceler plus tôt les difficultés et d'éviter leur aggravation.

C'est également en vain que Mme [W] [Z]-[K] impute à M. [H], sur la base de la lecture erronée de la conclusion du document dont il est l'auteur, la volonté de la remplacer, alors que celui-ci, continuant à lui reconnaître des qualités utiles à la société, suggérait que lui soit adjoint, dans le cadre d'un «'binôme'», non pas lui-même, comme Mme [W] [Z]-[K] l'affirme à tort, mais un tiers.

Elle ne démontre pas, par ailleurs, qu'elle serait la victime de la vindicte du dirigeant de la société, M. [S]. M. [X], dans une attestation qu'elle invoque à ce titre, n'apporte en effet aucun témoignage direct sur ce point et se contente de rapporter les propos qui lui ont été tenus par Mme [W] [Z]-[K] sur les griefs que le président directeur général nourrirait à son encontre.

Elle ne critique pas davantage utilement le contenu des attestations produites, se contentant de soutenir sans nullement l'établir que celles-ci seraient antidatées, et versant un simple courrier électronique d'une collaboratrice pour affirmer qu'elles ont été sollicitées sous la contrainte ou la menace.

Si elle fait valoir que seuls cinq de ses subordonnés ont attesté, sur dix-huit, elle ne produit pour sa part qu'une attestation en sens contraire d'un de ses anciens subordonnés, M. [T].

Pour le reste, elle adresse au contenu des attestations des critiques qui consistent pour l'essentiel à faire valoir leur caractère injuste, compte tenu du soutien qu'elle a apporté, dans telle ou telle occasion, à leurs rédacteurs, soit pour leur obtenir le versement de primes (Mme [D]), d'augmentations de salaire, d'une mutation ou d'avantages divers (M. [H], qui ne conteste pas que ses relations avec Mme [W] [Z]-[K] ont alterné selon les périodes entre dénigrement et louange, étant ajouté qu'aucune pièce n'est versée au soutien de l'affirmation de l'appelante), ou encore faciliter un rapprochement de conjoints (Mme [J] et M. [O], étant relevé que les pièces invoquées au soutien de cette affirmation sont dénuées de tout rapport avec cette question).

Elle se contente par ailleurs d'affirmer, sans verser aucun élément au soutien de ses allégations, que Mme [D] n'aurait rédigé une lettre de démission la mettant en cause que sous la pression de la société et pour obtenir d'être dispensée d'exécuter sa période de préavis, et que Mme [U] était candidate au poste qu'elle a elle-même obtenu, de sorte que cette rivalité malheureuse expliquerait les accusations que celle-ci profère.

Dans ces conditions, la société ICL FRANCE démontre la réalité de la faute grave qu'elle a relevée à titre principal contre Mme [W] [Z]-[K] pour la licencier.

Sans qu'il soit besoin d'examiner la réalité des autres griefs mentionnés à titre accessoire dans la lettre de licenciement, il y a lieu, en conséquence, de confirmer la décision déférée.

Sur les autres demandes

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a laissé les dépens de la procédure de première instance à Mme [W] [Z]-[K].

Celle-ci, qui perd son procès en appel, supportera également les frais de la procédure d'appel.

Pour des raisons tirées de l'équité et de la situation économique de la partie condamnée aux dépens, il n'y a lieu à condamner celle-ci au titre des frais exposés par l'autre partie et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions';

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';

Condamne Mme [W] [Z]-[K] aux dépens de la procédure d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 12/12013
Date de la décision : 13/03/2014

Références :

Cour d'appel de Paris K2, arrêt n°12/12013 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-03-13;12.12013 ?
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