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06/03/2014 | FRANCE | N°11/14662

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 2, 06 mars 2014, 11/14662


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 2



ARRET DU 06 MARS 2014



(n° , 23 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 11/14662



Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Juillet 2011 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 11/05780





APPELANTE



SA AREVA NC prise en la personne son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 3]
>Représentée par Me Laurence TAZE BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0042, avocat postulant

Représentée par Me Marc BORTEN et Me Joseph AGUERA , avocat au barreau de PARIS, toque : R2...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2

ARRET DU 06 MARS 2014

(n° , 23 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 11/14662

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Juillet 2011 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 11/05780

APPELANTE

SA AREVA NC prise en la personne son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Laurence TAZE BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0042, avocat postulant

Représentée par Me Marc BORTEN et Me Joseph AGUERA , avocat au barreau de PARIS, toque : R271, avocats plaidants

INTIMES

SYNDICAT CGT FO DE L'ENERGIE NUCLEAIRE DE [Localité 4]

agissant en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Patricia HARDOUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056, avocat postulant

Représentée par Me Guillaume LETERTRE, avocat au barreau de CHERBOURG, avocat plaidant

SYNDICAT DES TRAVAILLEURS CGT DE AREVA NC [Localité 4]

agissant en la personne de ses représentants légaux

Au Siège d'AREVA NC

Etablissement de [Localité 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Patricia HARDOUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056, avocat postulant

Représentée par Me Alain LEVY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0126, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 16 janvier 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Nicolas BONNAL, Président

Madame Martine CANTAT, Conseiller

Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats

MINISTERE PUBLIC :

Représenté lors des débats par Madame Annabel ESCLAPEZ, qui a fait connaître son avis

ARRET :

- contradictoire

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Nicolas BONNAL, Président et par Madame FOULON, Greffier .

**********

Statuant sur l'appel formé par la société AREVA NC contre un jugement rendu le 5 juillet 2011 par le tribunal de grande instance de PARIS qui, saisi par le syndicat CGT FO de l'énergie nucléaire de [Localité 4] et par le syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4]':

- a annulé la décision d'externalisation de l'activité DI/PE du site de [Localité 4],

- a annulé les mises à disposition au profit du GIE créé avec la société DALKIA, notifiées aux agents du secteur DI/PE,

- a interdit à la société AREVA NC la poursuite de la mise en 'uvre de l'externalisation de l'activité DI/PE et des mises à disposition notifiées et ce sous astreinte de 200'000 euros par infraction constatée, passé le délai d'un mois après la signification de la décision,

- s'est réservé la liquidation de l'astreinte,

- a condamné la société AREVA NC à payer au syndicat CGT FO de l'énergie nucléaire de [Localité 4] la somme de 8'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- a condamné la société AREVA NC à payer au syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4] la somme de 20'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- a ordonné l'exécution provisoire,

- a condamné la société AREVA NC aux dépens';

Vu les dernières conclusions transmises à la cour le 15 novembre 2013 pour la société AREVA NC, auxquelles on se référera pour un plus ample exposé des moyens et prétentions de l'appelante qui, soutenant que le projet litigieux n'a pas pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés, demande à la cour de':

- la juger recevable en son appel,

- juger irrecevable et en tout cas mal fondé le syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4] en sa demande subsidiaire tendant à la réformation partielle du jugement déféré et au prononcé d'une mesure de suspension de la décision d'externalisation et de mise à disposition des agents du secteur DI/PE au profit du GIE,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

- rejeter l'intégralité des demandes formées par le syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4] et le syndicat CGT FO de l'énergie nucléaire de [Localité 4],

- condamner solidairement ces deux syndicats à lui payer la somme de 20'000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement ces deux syndicats aux dépens de première instance et d'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du même code au bénéfice de son avocat';

Vu les dernières conclusions transmises à la cour le 23 mai 2013 pour le syndicat CGT FO de l'énergie nucléaire de [Localité 4], auxquelles on se référera pour un plus ample exposé des moyens et prétentions de cet intimé qui, soutenant que le projet litigieux emporte un risque technique en termes de sûreté et de sécurité des installations du site, et des risques psychosociaux particulièrement graves, demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré et de condamner la société AREVA NC au paiement d'une somme de 15'000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, avec distraction au profit de l'avocat du syndicat';

Vu les dernières conclusions transmises à la cour le 27 novembre 2013 pour le syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4], auxquelles on se référera pour un plus ample exposé des moyens et prétentions de cet intimé qui, soutenant que le projet litigieux porte atteinte à la sécurité de tous les salariés et à la sûreté des installations, ainsi qu'à la santé des salariés, demande à la cour de':

- déclarer mal fondée la société AREVA NC en son appel et rejeter toutes ses demandes,

à titre principal,

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

à titre subsidiaire,

- suspendre la décision d'externalisation de l'activité DEMC/PE ( DI/PE) du site de [Localité 4],

- suspendre les mises à disposition des agents du secteur DEMC/PE (DI/PE) au profit du GIE,

en tout état de cause,

- condamner la société AREVA NC à lui payer la somme de 8'000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, avec distraction au profit de l'avocat du syndicat';

SUR CE, LA COUR

Sur les faits constants

Le groupe AREVA, spécialisé dans l'énergie nucléaire, compte au nombre de ses filiales la société AREVA NC qui se consacre notamment au traitement et au recyclage des combustibles nucléaires usés.

Cette société exploite notamment à cette fin l'usine de retraitement de [Localité 4] (Manche), qui regroupe environ 3'200 salariés et où elle assure la première étape du recyclage des combustibles usés provenant des centrales nucléaires.

Au sein du site de [Localité 4], la direction industrielle de production d'énergie (ci-après dénommée DI/PE, et dans certains documents, compte tenu d'un changement ultérieur de dénomination, DEMC/PE), qui compte 61 salariés, assure la continuité de l'approvisionnement en énergie et en fluides (production et distribution d'eau chaude ou de vapeur, d'air industriel, de fluides de refroidissement, distribution électrique et collecte, production et distribution des eaux). Elle assure la surveillance des installations et la maintenance de premier niveau, les autres opérations de maintenance étant sous-traitées.

Cette direction fonctionne en cinq équipes de sept personnes en 5X8 (composées d'un chef de quart, de deux adjoints et de quatre opérateurs) et en deux équipes de deux opérateurs en 2X8. Elle regroupe encore notamment six responsables des autorisations de travail composant le bureau des travaux, et neuf personnes (sept techniciens, un responsable et son adjoint) affectées au soutien à l'exploitation, le tout sous l'autorité de deux responsables hiérarchiques.

La société AREVA NC entend mettre en 'uvre une modification technique et un projet de réorganisation affectant cette direction et son activité.

La modification technique, dénommée «'biomasse'», consiste à remplacer les trois chaudières au fioul qui (avec deux chaudières électriques) assurent les besoins en énergie du site, chaudières arrivant en fin de vie. Ce remplacement doit être assuré par une installation d'exploitation de la biomasse, composée de trois chaudières à bois (outre deux chaudières neuves au fioul, assurant un rôle de sauvegarde), que la société AREVA NC entend confier à un prestataire extérieur.

Le projet de réorganisation, dénommé «'énergie'», consiste à confier à un prestataire l'exploitation et la conduite des installations nécessaires à la transformation, la production et la distribution des utilités du site, et les fonctions soutien, toutes tâches confiées au DI/PE, ce même prestataire se voyant aussi confier les opérations de maintenance déjà sous-traitées. C'est ce projet d'externalisation qui est l'objet du présent litige.

Il peut être sommairement présenté comme suit':

- le prestataire choisi par la société AREVA NC, pour l'ensemble de l'opération, est la société DALKIA, qui a créé à cette fin une filiale qu'elle détient dans sa totalité, la société HAGUE ÉNERGIE,

- un groupement d'intérêt économique, le GROUPEMENT UTILITÉS DU SITE DE [Localité 4] (ci-après dénommé le GIE) a été créé, par contrat entre les sociétés AREVA NC et HAGUE ÉNERGIE, pour une phase transitoire, à la disposition duquel sont mis les personnels du DI/PE, qui y retrouveront les personnels de la société HAGUE ÉNERGIE auxquels ils transmettront leur expérience,

- au plus tard au terme de cette période appelée à durer trois ans (période qu'il a été décidé ultérieurement de pouvoir prolonger de deux années au maximum), les personnels du DI/PE, qui conserveront leur emploi au sein de la société AREVA NC et sur le site de [Localité 4], recevront une nouvelle affectation sur le dit site,

- diverses conventions conclues entre les sociétés AREVA NC et HAGUE ÉNERGIE fixent les missions respectives des deux partenaires, tant pendant la période transitoire qu'à l'expiration de celle-ci,

- la société AREVA NC conserve en son sein la responsabilité de chef d'installation, qui inclut tous les domaines de la sûreté-sécurité.

Les différentes étapes de la préparation de ce projet seront rappelées ci-après. Seront d'abord évoquées successivement l'information et la consultation des institutions représentatives du personnel, les relations avec l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et avec la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), ainsi que l'avis de la commission locale d'information.

L'information et la consultation des institutions représentatives du personnel se sont déroulées de la façon suivante':

- le projet a été présenté au comité d'établissement lors de ses réunions des 23 février et 25 mai 2010 (pièces n° 30 et 31 de la société AREVA NC),

- il a été, le 13 juillet 2010, soumis à l'information et à la consultation, d'une part, du comité d'établissement (pièce n° 2 des syndicats intimés), d'autre part, du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (pièce n° 3 des mêmes syndicats),

- saisi, d'une part, d'une consultation sur la modification technique «'biomasse'» et, d'autre part, d'une information et d'une consultation sur le projet «'énergie'», le comité d'établissement a décidé, lors de cette réunion du 13 juillet 2010, de recourir à une expertise qu'il a confiée au cabinet SECAFI-ALPHA, chargé de l'assister sur l'ensemble de l'opération et dont la mission a été précisée lors d'une réunion du 13 septembre 2010 (pièce n° 40 de la société AREVA NC), rapport déposé le 25 janvier 2011 (daté par erreur du 25 janvier 2010) et ci-après dénommé le rapport SECAFI (pièce n° 4 des syndicats intimés),

- saisi du seul projet «'énergie'», le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail a décidé pour sa part et toujours le 13 juillet 2010 de deux expertises, l'une portant sur les questions liées à la filière bois et à l'ensemble des risques technologiques, confiée au cabinet TECHNOLOGIA, qui n'a finalement pas été mise en 'uvre, le comité y ayant renoncé lors d'une réunion du 14 septembre 2010 (pièce n° 41 de la société AREVA NC), l'autre portant sur le projet de sous-traitance et confiée au cabinet SYNDEX, rapport déposé le 19 janvier 2011 et ci-après dénommé le rapport SYNDEX (pièce n° 5 des syndicats intimés),

- lors de sa réunion du 21 janvier 2011, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail a donné à l'unanimité un avis défavorable au projet (pièce n° 6 des syndicats intimés),

- à la même date, dans une pétition (pièce n° 33 du syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4]), trente-quatre salariés postés du DI/PE ont exprimé leur inquiétude et leur opposition face au projet, leur démarche étant soutenue par une très grande partie (environ 1700 personnes) des salariés de l'établissement (pièce n° 3 des syndicats intimés),

- saisi à la fin de cette réunion dans les conditions des articles L'4131-1 et suivants du code du travail, ce même comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, dans une réunion du 24 janvier suivant (pièce n° 7 des syndicats intimés), n'a pas estimé, à la suite d'un partage des voix, que le projet d'externalisation du DI/PE caractérisait un danger grave et imminent,

- lors de sa réunion du 25 janvier 2011, faisant suite à une précédente réunion du 30 novembre 2010 au cours de laquelle les premières conclusions du rapport SECAFI avaient été présentées, le comité d'établissement a donné un avis défavorable au projet, à l'unanimité.

L'ASN, saisie par les parties ou par des tiers, a eu l'occasion de se prononcer sur le projet':

- cette autorité, saisie par la commission locale d'information, a le 27 août 2010 détaillé ses critères d'appréciation d'un projet de recours à la sous-traitance (pièce n° 132, société AREVA NC),

- l'autorité a été saisie le 21 janvier 2011 par les syndicats intimés devant la cour et leur a répondu, le 22 février 2011 (pièce n° 25 des deux syndicats), qu'elle était dans l'attente de précisions qu'elle avait demandées à la société AREVA NC,

- en effet, parallèlement saisie par plusieurs notes adressées à partir du 15 décembre 2010 par la société AREVA NC (pièces n° 51 à 54 de cette société et n° 63 du syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4]) de divers projets de réorganisation, incluant celui objet du présent litige, l'ASN a, par lettre du 3 mars 2011, donné son accord à la mise en 'uvre de ces modifications, une annexe de cette lettre étant spécifiquement consacrée au «'suivi du basculement de l'exploitation du secteur «'production d'énergie'» vers un opérateur industriel'» et énumérant les exigences de l'autorité à cet égard (pièce n° 55, société AREVA NC).

La direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) a été également amenée à se prononcer sur ce projet':

- au vu du rapport SYNDEX remis au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, elle a mis la société AREVA NC en demeure, par courrier du 1er février 2011 et décision de mise en demeure du 2 février 2011 (pièces 9 et 10 des syndicats intimés), de «'procéder à une évaluation préalable précise et exhaustive des risques liés au projet de sous-traitance DI/PE'», puis de déterminer un «'plan d'actions permettant de prévenir ou de réduire les risques identifiés'», évaluation et plan qui devraient faire l'objet d'une consultation du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail préalable à toute mise en 'uvre,

- le 4 mars 2011, à la suite de la transmission de documents par la société AREVA NC et de réunions tenues avec des représentants de celle-ci (pièces n° 18 des syndicats intimés et 49 de la société AREVA NC), cette direction a, dans une note ayant pour objet les «'suites données à la mise en demeure notifiée le 2 février 2011'», pris acte de ces réponses et de la décision de la société de mettre en 'uvre son projet, a formulé son propre point de vue sur «'les principales problématiques'» soulevées par le projet et a invité la société à porter ces observations à la connaissance des membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail dans sa prochaine réunion (pièce n° 50 de la société),

- à la suite d'une communication de la société AREVA NC dans la presse selon laquelle l'inspection du travail avait «'donné son aval'» au projet, la DIRECCTE a écrit à la société (lettre datée par erreur du 4 mars 2011, mais postérieure à la publication évoquée, effectuée le 21 mars 2011) pour s'étonner de cette communication et préciser que «'«'prendre acte'» ne signifie pas «'donner son aval'»'» (pièce n° 90 du syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4]).

La commission locale d'information (organe local de concertation et d'information créé par l'article 22 de la loi du 13 juin 2006) de l'usine de traitement AREVA NC [Localité 4] a étudié l'ensemble de l'opération, «'biomasse'» et «'énergie'», notamment au cours de ses assemblées générales des 31 mars et 8 juin 2011 et, sur la base du rapport d'un groupe de travail qu'elle avait spécialement constitué, s'est à l'unanimité opposée à l'externalisation du DI/PE et a émis en l'état des réserves sur l'installation de chaudières à bois sur le site (pièces n° 93 et 94 du syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4]).

La mise en 'uvre du projet lui-même, tel qu'il a été décrit ci-dessus, a connu les étapes suivantes':

- le GIE a été constitué par contrat entre les société AREVA NC et HAGUE ÉNERGIE en date du 31 janvier 2011, jour où s'est tenue l'assemblée générale constitutive du groupement et où ont été signés plusieurs protocoles l'organisant, et prévoyant notamment la mise à disposition de personnel à but non lucratif par chacune des deux sociétés membres du GIE au dit GIE, et des conventions dites de sécurité (pièces n° 17 à 26 de la société AREVA NC),

- un contrat, dont l'intégralité n'est pas produite et la date non précisée, a par ailleurs été conclu entre les sociétés AREVA NC et DALKIA (extraits en pièces n° 27 et 139 de la société AREVA NC), prévoyant la possibilité de prolonger de deux années la durée de vie du GIE, ainsi qu'un contrat, du 31 janvier 2011, entre les sociétés AREVA NC et HAGUE ÉNERGIE définissant les prestations fournies par cette dernière société (pièce n° 190 de la société AREVA NC),

- le 2 février 2011, des notifications individuelles de mise à disposition du GIE ont été faites, aux personnels concernés, par la société AREVA NC (notification faite à l'un des salariés concernés, M. [H], en pièce n° 8 des syndicats intimés),

- parallèlement, les souhaits des salariés relativement à leur affectation au sein de la société AREVA NC à l'issue de leur période de mise à disposition du GIE, ont été recueillis, et des propositions leur ont été faites (entretiens avec l'un des salariés concernés, M. [X], en pièce n° 114/55 de la société AREVA NC, faisant état d'un premier entretien du 31 janvier 2011, puis d'une proposition de reclassement interne faite lors d'un entretien suivant du 14 avril 2011),

- suspendue par la mise en demeure adressée par la DIRECCTE, la mise en 'uvre du projet a été reprise, ainsi que l'a annoncé la direction de la société AREVA NC le 7 mars 2011 (pièce n° 16 des syndicats intimés), fixant au 10 mars suivant la mise à disposition des salariés concernés au sein du GIE.

C'est dans ces conditions que, le 12 avril 2011, le syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4], d'une part, et le syndicat CGT FO de l'énergie nucléaire de [Localité 4], d'autre part, ont saisi à jour fixe le tribunal de grande instance de PARIS, les deux assignations ayant été jointes, de la procédure qui a abouti au jugement déféré rendu le 5 juillet 2011.

Pendant le cours de la procédure':

- les entretiens individuels relatifs au reclassement des salariés après leur mise à disposition du GIE se sont poursuivis, en avril et mai 2011 (pièces n° 110 de la société AREVA NC, consistant en un tableau des propositions de repositionnement, prévoyant comme objectif que les entretiens correspondants aient eu lieu avant la fin du mois d'avril, et n° 151 concernant certains salariés pour lesquels ces entretiens ont eu lieu au cours du mois de mai),

- par ailleurs, un accord d'entreprise a été conclu le 22 avril 2011 avec trois syndicats (à l'exception des syndicats intimés) «'sur le volet social du projet Énergie'» qui détaillait les modalités de reclassement auxquelles s'engageait la société.

La décision des premiers juges ayant été assortie de l'exécution provisoire, la mise en 'uvre du projet a été suspendue, les sociétés AREVA NC et HAGUE ÉNERGIE tirant notamment les conséquences de cette situation dans deux avenants du 6 janvier 2012 au contrat qu'elles avaient conclu le 31 janvier 2011 (pièces n° 191 et 192 de la société AREVA NC).

Parallèlement à la mise en place du projet litigieux, et sans lien direct avec lui, d'autres rapports versés aux débats concernent plus globalement le site de [Localité 4]':

- à la demande de la société AREVA NC, notamment à la suite du suicide d'un salarié de l'établissement survenu en mars 2010, le cabinet STIMULUS a fait une étude consacrée au stress et aux risques psychosociaux sur le site, notamment sur la base d'un questionnaire qui a été proposé aux salariés aux mois d'octobre et novembre 2010, étude qui a abouti à un rapport dont la version finale a été rendue en février (pièces n° 82 et 83 de la société AREVA NC) ou avril (pièce n° 54 du syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4]),

- le service de santé au travail de l'établissement, dans ses rapports annuels pour les années 2010 (pièces n° 28 des syndicats intimés et n° 101 et 102 de la société AREVA NC), 2011 (pièce n° 108 du syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4]) et 2012 (pièce n° 198 de la société AREVA NC), aborde les conséquences du projet sur la santé des salariés,

- saisi d'un autre projet de réorganisation de la direction industrielle et de la direction de la maintenance, concernant plus globalement la production, la maintenance et les programmes (dit réorganisation des secteurs DI/DM), le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail a, le 5 octobre 2010, confié une mission au cabinet TECHNOLOGIA, qui a rendu son rapport en janvier 2011 (pièce n° 13 des syndicats intimés),

- à la suite du suicide du salarié déjà évoqué, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail a décidé le 13 avril 2010 de confier une expertise au cabinet TECHNOLOGIA, délibération annulée par décision du président du tribunal de grande instance de CHERBOURG du 22 juin 2010, décision infirmée par arrêt de la cour d'appel de CAEN du 28 juin 2011 qui a toutefois limité la mission de l'expert'; le rapport du cabinet TECHNOLOGIA a été déposé au mois de mars 2012 (pièce n° 52 du syndicat CGT FO de l'énergie nucléaire de [Localité 4]).

Enfin, généralement postérieurement à l'intervention de la décision déférée, les parties ont recueilli divers rapports ou avis, qu'elles produisent aux débats':

- M. [I] [Q], ancien responsable de production à l'établissement de [Localité 4] et par ailleurs membre de la commission locale d'information, a émis un avis daté du 17 mai 2011 (pièce n° 89 du syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4]),

- M. [G] [U], en poste sur le site de [Localité 4], en dernier lieu en qualité du chef du service de maintenance (jusqu'en 1992) puis directeur technique de l'établissement de la société AREVA NC du TRICASTIN, a émis un avis le 1er novembre 2011 (pièce n° 180 de la société AREVA NC), avis commenté par M. [Q] le 4 juin 2012 (pièce n° 110 du syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4]),

- la société AREVA NC a sollicité le cabinet CVA afin qu'il évalue le bien-fondé des projets «'biomasse'» et «'énergie'», tant du point de vue de leur pertinence industrielle que de l'organisation et du processus d'accompagnement mis en place pour la transition, rapport daté du mois de février 2012 (pièce n° 178 de la société AREVA NC), et qui a fait l'objet d'une note critique de M. [Q] en date du 3 juin 2012 (pièce n° 111 du syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4]), note critique qui a elle-même donné lieu à une note d'observation émanant de M. [J] [N], ancien directeur adjoint de l'établissement de [Localité 4] (pièce n°193 de la société AREVA NC),

- enfin, la société AREVA NC a sollicité le LABORATOIRE ADAPTATIONS TRAVAIL INDIVIDU (LATI) de l'université Paris Descartes afin qu'il effectue une expertise scientifique du dossier, sous l'angle de l'atteinte à la santé et à la sécurité des salariés, rapport daté du mois d'octobre 2013 (pièce n° 179 de la société AREVA NC).

Sur les obligations de l'employeur en matière de sécurité et de santé des salariés

Aux termes de l'article L'4121-1 du code du travail, «'l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs'», mesures qui comprennent':

«'1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail';

2° Des actions d'information et de formation';

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés'».

Ce même texte impose encore à l'employeur de veiller «'à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes'».

L'article L'4121-2 énumère les «'principes généraux de prévention'» sur le fondement desquels l'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L'4121-1, ainsi qu'il suit':

«'1° Éviter les risques';

2° Évaluer les risques qui ne peuvent être évités';

3° Combattre les risques à la source';

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé';

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique';

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou ce qui est moins dangereux';

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions du travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L'1152-1 et L'1153-1';

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle';

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs'».

L'article L'4121-3 impose encore à l'employeur d'évaluer les risques, puis de mettre en 'uvre les actions de prévention et les méthodes de travail et de production «'garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs'», actions et méthodes qu'il doit intégrer «'dans l'ensemble des activités de l'établissement et à tous les niveaux de l'encadrement'».

Ces textes doivent être interprétés à la lumière de la directive CEE n° 89/391 du 12 juin 1989, concernant la mise en 'uvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, dont le préambule précise notamment que «'l'amélioration de la sécurité, de l'hygiène et de la santé des travailleurs au travail représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique'».

Il en résulte que l'employeur est tenu, à l'égard de son personnel, d'une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs et lui interdit, dans l'exercice de son pouvoir de direction, de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés.

Il appartient en conséquence au juge, saisi comme au cas présent d'une demande visant à voir interdire à l'employeur de mettre en 'uvre un projet, dans la mesure où celui-ci serait de nature, s'il était poursuivi, à compromettre santé et sécurité, d'apprécier si le risque ainsi allégué est suffisamment caractérisé de façon objective pour autoriser la limitation ainsi apportée au pouvoir de direction de l'employeur.

Au cas présent, les syndicats intimés soutiennent que le projet litigieux comporte d'une part des risques industriels et technique et d'autre part des risques psychosociaux pour les personnels concernés, qui doivent être examinés de façon distincte, tout en tenant compte, ainsi que l'ont à juste titre relevé les premiers juges, de la circonstance que ces deux types de risque peuvent se nourrir l'un l'autre.

Sur les risques industriels et techniques

- le projet et la sécurité nucléaire

L'établissement de [Localité 4] de la société AREVA NC, assurant le traitement de combustibles nucléaires usés et radioactifs, constitue une installation nucléaire de base, au sens de l'article L'593-2 du code de l'environnement. Si le DI/PE, qui assure sur le site la production et la distribution de l'énergie et des fluides divers, y compris de refroidissement, ainsi que la surveillance et la maintenance de premier niveau des installations correspondantes, n'a pas recours aux techniques nucléaires et a une activité industrielle et non nucléaire, il n'en participe pas moins au bon fonctionnement général du site et des opérations de traitement de combustibles radioactifs qui y sont conduites. M. [Q] ajoute sans être contredit dans sa note du 3 juin 2012 que des retours de radio éléments dans les circuits gérés par ce service sont toujours possibles en cas d'incident, de sorte que leur détection entre dans ses missions. Le rapport SYNDEX a d'ailleurs étudié, sans se voir aucunement contester sur ce point, les risques radiologiques encourus par les salariés du service.

Il sera observé à cet égard que les missions confiées au DI/PE étaient concernées, notamment au titre des pertes d'alimentation électrique et des pertes de refroidissement, par l'audit que le Premier ministre a confié à l'Autorité de sûreté nucléaire par lettre en date du 23 mars 2011 (pièce n° 61 du syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4]), à la suite de l'accident survenu dans la centrale de FUKUSHIMA au Japon à partir du 11 mars 2011.

C'est donc à juste titre que les premiers juges ont relevé que l'obligation de sécurité de résultat résultant des textes susvisés s'impose plus particulièrement à l'employeur lorsqu'une installation nucléaire est concernée et que sont applicables les articles L'4521-1 et suivants du code du travail, aux termes desquels, notamment, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté «'sur la liste des postes de travail liés à la sécurité de l'installation'» et «'avant toute décision de sous-traiter une activité, jusqu'alors réalisée par les salariés de l'établissement, à une entreprise extérieure appelée à réaliser une intervention pouvant présenter des risques particuliers en raison de sa nature ou de la proximité de l'installation'».

L'Autorité de sûreté nucléaire, compétente en application des dispositions de la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, depuis codifiées au code de l'environnement, a donc été saisie par la société AREVA NC notamment du projet litigieux.

Répondant à la commission locale d'information, l'ASN a indiqué que «'le recours à la sous-traitance relève d'un choix industriel de l'exploitant mais que ce choix ne doit pas remettre en cause les compétences techniques qu'il doit conserver en tant qu'exploitant nucléaire'», de sorte qu'elle «'contrôle que l'exploitant exerce toujours sa responsabilité par la mise en place d'une démarche permettant d'assurer la qualité des prestations sous-traitées': choix des entreprises, surveillance, prise en compte du retour d'expérience, adaptation des ressources au volume de travail à réaliser'» et conclut que «'l'exploitant doit disposer des compétences nécessaires pour exercer cette responsabilité'».

Saisie du projet par la société AREVA NC, en même temps que d'autres projets de réorganisation du site, l'ASN a, le 3 mars 2011, donné son accord à la mise en 'uvre des modifications induites par l'ensemble de ces projets, aux règles générales d'exploitation (incluant le secteur de la production d'énergie) et au plan d'urgence interne de l'établissement, seuls point sur lesquels, en application de l'article 26 du décret n° 2007-1557 du 2 novembre 2007 alors en vigueur, son accord était requis.

Dans ce même courrier, elle a fait part de ses observations sur le «'suivi du basculement de l'exploitation du secteur «'production d'énergie'» vers un opérateur industriel'». Elle énonce que l'opération lui a été présentée «'de manière détaillée'», récapitule le processus de suivi mis en place par la société AREVA NC et fixe un calendrier de transmission par celle-ci des bilans annuels «'du transfert de compétences'» et «'des indicateurs de surveillance de la prestation définis dans le cadre du plan de surveillance': perturbation de fourniture de chacune des utilités, nombre de dysfonctionnements et de constats, suivi des indisponibilités, respect des délais de rétablissement des fonctions et indicateurs environnementaux'».

Ce calendrier est cependant devenu sans objet, compte tenu de l'arrêt du processus décidé par le jugement déféré.

Il sera relevé à ce stade que c'est à tort que les syndicats intimés soutiennent que l'ASN n'aurait pas été complètement informée par la société AREVA NC, alors qu'à la principale note par laquelle cette société a transmis les informations complémentaires demandées par l'autorité sur le projet litigieux, celle du 23 février 2011, régulièrement versée aux débats (pièce n° 53 de la société AREVA NC et n° 63 du syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4]), sont annexés une note technique dont il n'est pas soutenu qu'elle serait entachée d'erreurs ou d'imprécisions, les conventions de sécurité conclues avec la société HAGUE ÉNERGIE et un plan ressources.

Par ailleurs, il doit être observé, d'une part, que les modifications aux règles générales d'exploitation et au plan d'urgence interne de l'établissement que l'ASN a approuvées étaient indissociables du projet d'externalisation litigieux et, d'autre part, qu'il résulte de la combinaison des articles 28 de la loi du 13 juin 2006 et 34 du décret du 2 novembre 2007 que l'autorité n'a pas estimé que la mise en 'uvre du dit projet était de nature à ce que l'établissement de [Localité 4] présente des risques graves pour la sécurité, la santé ou la salubrité publiques ou la protection de la nature et de l'environnement.

Quoiqu'aucune des parties n'en tire d'argument particulier, il doit être encore relevé que le rapport SYNDEX a tenté d'évaluer les risques radiologiques encourus par le personnel à raison du projet d'externalisation (chapitre 6, pages 67 à 77). Il en conclut que ceux-ci ne sont pas modifiés par le projet, en service normal, mais pourraient l'être en fonctionnement dégradé, au cas où l'externalisation se traduirait par une «'baisse du niveau de maîtrise des installations ou une perte de la culture sûreté AREVA lors du transfert des compétences de DI/PE à DALKIA'». Le risque d'exposition à des rayonnement ionisants s'apprécie donc au regard des modalités du transfert des compétences.

La cour retient, à ce stade, que les risques allégués doivent être examinés au regard de la nature de l'installation nucléaire de base au bon fonctionnement de laquelle le DI/PE participe, et que l'Autorité de sûreté nucléaire chargée par la loi du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection ne s'est pas opposée au projet litigieux d'externalisation de ce service, dont elle avait été complètement informée.

- les risques liés aux compétences insuffisantes des nouveaux opérateurs

Les syndicats intimés soutiennent à cet égard que':

- la société DALKIA et donc sa filiale HAGUE ÉNERGIE et ses salariés ne présentent pas des garanties de compétence suffisantes,

- le processus de formation par transfert de compétences est insuffisant à compenser ce déficit,

- il crée en lui-même un fonctionnement perturbé du service.

Le projet, tel qu'il a déjà été décrit, consiste en l'externalisation de l'activité du DI/PE, qui sera confiée à la société HAGUE ÉNERGIE, et ce au terme d'une période de trois ans pendant laquelle les personnels de ce service assureront, au sein du GIE, la formation de leurs successeurs.

S'agissant du choix de la société DALKIA, il n'est pas produit d'éléments qui seraient de nature à démontrer qu'il serait en lui-même générateur d'un risque technique ou industriel. Il sera observé à cet égard qu'il n'est pas contesté que cette société est spécialisée dans la gestion et l'exploitation de la production d'énergie, spécialement à partir de biomasse, ni qu'elle intervient dans la gestion et la maintenance sur différents sites nucléaires (rapport CVA, pages 59 et 60).

Enfin, cette société est déjà présente sur le site de [Localité 4] dès lors qu'il résulte des pièces produites (n° 181-1 et 194 de la société AREVA NC) qu'elle est titulaire de deux contrats de maintenance, concernant les installations de ventilation et des chaudières productrices d'utilités et qui représentent, en coût, un quart des sommes consacrées par la société à l'intervention de prestataires extérieurs en la matière, soit un volume significatif. À cet égard, il doit être constaté que les critiques contenues dans le rapport SECAFI (pages 29 et 30) sur la qualité de la prestation offerte par la société DALKIA dans le cadre de ces contrats ne sont pas documentées, mais rendent compte de la méfiance des salariés du DI/PE à l'égard des salariés de DALKIA, également relevée par M. [Q] en page 4 de sa note du 17 mai 2011. Il en est de même de celles relevées par le rapport SYNDEX (page 75), dont les auteurs indiquent n'avoir pu «'confirmer physiquement'» les témoignages recueillis.

S'il n'est pas contesté que la société HAGUE ÉNERGIE a procédé par embauche externe au recrutement des salariés appelés à intégrer le GIE, la qualité de la formation initiale de ces personnels n'est pas sérieusement contestée, cette question n'étant pas abordée dans les rapports SYNDEX et SECAFI, ni dans les notes de M. [Q]. Le niveau de cette formation initiale résulte des curriculum-vitae produits (pièce n° 72 de la société AREVA NC) et a été relevé de façon précise par le rapport CVA (page 88) s'agissant des dix premiers recrutements effectués.

Le processus de formation des salariés ainsi recrutés, tel qu'il résulte des pièces produites (n° 20 et 62 à 70 de la société AREVA NC, pages 17 à 19 du rapport SYNDEX et pages 82 à 86 du rapport CVA), doit se dérouler en trois temps, le premier théorique, d'une durée d'un mois, assuré par la société DALKIA, le deuxième de trois mois, en alternance en salle et sur le site, assuré par l'AFPA selon contrat conclu avec la société AREVA NC, spécifique aux installations de l'établissement selon un programme détaillé en plusieurs modules, et le troisième consistant en un compagnonnage de cinq mois, par intégration en surnombre dans les équipes, selon le modèle déjà utilisé au sein du DI/PE pour la formation des nouveaux arrivés.

Cette formation doit être sanctionnée par l'acquisition des diverses autorisations d'exercer en vigueur au sein de l'établissement et reconnues par l'ASN. Ces autorisations d'exercer seront obtenues au terme de cette formation de neuf mois, pour ce qui concerne les conducteurs d'installation. Les personnels d'encadrement (adjoints et chefs de quart) ne pourront obtenir pour leur part les autorisations d'exercer correspondantes qu'au terme de quinze mois supplémentaires pour les premiers et d'encore une année pour les seconds, étant relevé qu'il n'est pas contesté que toute la période de fonctionnement du GIE offrira à tous les personnels de la société HAGUE ÉNERGIE la possibilité de parfaire leur formation et la connaissance du site au contact des salariés du DI/PE.

Ce plan de formation, qualifié de «'réfléchi'» par M. [Q] (en page 9 de sa note du 3 juin 2012) est jugé insuffisant par le rapport SYNDEX, qui le compare avec la formation assurée aux nouveaux venus au sein du PI/PE, dont il est indiqué qu'elle dure de quatre à cinq ans pour un agent d'exploitation et de sept à dix ans pour un adjoint ou un chef de quart, étant observé que cette formation est uniquement pratique et assurée par le seul mode du compagnonnage. Ce rapport dénonce la remise en cause du recours exclusif à ce mode de formation, sans formuler cependant de critiques précises à l'égard du contenu des quatre premiers mois de la formation envisagée, estime que la durée totale (qu'il ramène à huit mois) est «'problématique du point de vue cognitif'» et que le dispositif envisagé «'répond davantage à une problématique de masse et de durée qu'à une problématique de qualité'».

Le rapport du LATI fait à cet égard observer (pages 36 et 37) de façon pertinente que le compagnonnage tel que pratiqué au sein du DI/PE pendant les longues périodes indiquées lors des entretiens ne peut être comparé à celui prévu par la formation envisagée au sein du GIE, où les nouveaux travailleurs seront intégrés en surnombre dans les équipes, alors qu'il ne résulte d'aucun élément produit qu'il en était de même dans le compagnonnage dont se prévalent les salariés du DI/PE.

M. [Q], dans sa note du 17 mai 2011, rejoint cependant les critiques du rapport SYNDEX': il rappelle que la création du service assuré par le DI/PE a pris dix-sept ans «'d'investissements humains et techniques'», note l'importance pour la sécurité de l'usine de «'la vivacité de réaction des agents polyvalents DI/PE'» et estime «'tout à fait utopique d'imaginer que des agents extérieurs, non pénétrés de ces installations atypiques, puissent s'y substituer en un ou deux ans'», ce qui nécessiterait en tout état de cause «'une coopération étroite'» comme condition nécessaire «'de la réussite du transfert des connaissances technologiques'», ce dont il doute «'compte tenu du climat qui règne entre les équipes AREVA et les équipes DALKIA'».

Le rapport CVA relève que «'le programme de formation mis en place couvre l'ensemble des tâches du périmètre DEMC/PE'» et ajoute que «'la collaboration entre AREVA NC, DALKIA, les experts de l'AFPA et le personnel de DEMC/PE permet de confronter les différents modes de travail et entraînera l'amélioration des pratiques'», cependant que M. [G] [U] juge ce dispositif «'particulièrement robuste'» et excédant «'largement ce qui est pratiqué pour le démarrage d'un site nouveau'». M. [Q] fait grief à ce dernier de n'avoir pas été chargé à [Localité 4] du «'c'ur de métier'» nucléaire mais seulement de maintenance et de conduite des utilités, critique qui n'est pas pertinente en ce qui concerne l'appréciation portée par l'intéressé sur le processus de formation.

Il résulte de ces éléments et analyses que les personnels du DI/PE ont une forte identité propre, (notamment relevée dans le rapport SECAFI) et une ancienneté plus importante au sein du service que celle annoncée par la société AREVA NC dans le tableau figurant en pièce n° 71, qui ne tient compte que du dernier poste tenu, et non des fonctions précédemment occupées dans le service, ainsi que le montre le tableau enrichi de cette donnée produit par le syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4] (sa pièce n° 66), et intègrent par compagnonnage les rares nouveaux arrivés. Il sera observé que quatre des salariés du service seulement ont moins de 25 ans (pièce n° 71 de la société AREVA NC) et six moins de deux années d'ancienneté dans la société (pièce n° 66 précitée).

Le projet litigieux consiste indéniablement en le démantèlement d'une équipe composée de personnels anciens (près de vingt d'entre eux ont entre 50 et 60 ans) et expérimentés, qui ont l'habitude de travailler ensemble et assurent, dans des conditions de professionnalisme qui ne sont à aucun moment remises en cause, une mission importante au sein de l'établissement, démantèlement que ces salariés peuvent très légitimement regretter, ainsi qu'ils l'ont exprimé dans les entretiens avec les auteurs des rapports SYNDEX et SECAFI. Il conduit, par ailleurs, à solliciter ces mêmes salariés pour assurer la formation de ceux qui vont les remplacer, ce qui est une situation dont on comprend qu'elle puisse être vécue comme frustrante.

Cependant, ces éléments objectifs et ces analyses ne démontrent pas les insuffisances du plan de formation prévu par la société AREVA NC. La durée et les modalités de celui-ci, telles qu'elles sont précisément décrites par les pièces produites aux débats, ne sont en particulier par utilement critiquées, la seule comparaison avec des durées de compagnonnage informel et d'apprentissage exprimées par les intéressés de façon nécessairement subjective, n'étant pas à cet égard significative, ainsi que le fait observer de façon pertinente le rapport du LATI (page 35), en rappelant que la technique d'entretien dans ce type de contexte aboutit fréquemment à une surestimation par les salariés de la complexité de leur travail et des difficultés de leur formation (et étant ajouté à ce stade que les enseignements qui peuvent être tirés de l'expérience conduite par la société AREVA NC sur son site de [Localité 5] seront examinés plus loin). Ils ne caractérisent pas davantage un risque avéré de déperdition des connaissances et de l'expérience accumulées, qui serait susceptible de rejaillir sur la sécurité de l'établissement et donc de l'ensemble des salariés de celui-ci.

Il doit être observé, à cet égard, que si la limitation à trois années de la durée de vie du GIE prévue par l'acte constitutif de celui-ci se révélait trop courte au regard des exigences de la transmission des compétences, ainsi que les syndicats intimés l'ont fait observer, il a été apporté ultérieurement une modification permettant une prolongation éventuelle de deux années. Cette possibilité a été retenue comme un point positif par la DIRECCTE dans sa note du 4 mars 2011.

Le rapport SYNDEX mentionne un risque de «'fonctionnement en mode dégradé'» et de «'déstabilisation des équipes'», qu'il attribue en partie à la nécessité pour les salariés du DI/PE de faire face en même temps à leurs tâches quotidiennes et à la formation des salariés de la société HAGUE ÉNERGIE. Il s'agit cependant d'une situation qui est inhérente à la formation par compagnonnage, et s'il est certain que le nombre de personnes à former sera nettement plus important qu'il ne l'était par le passé, alors que le DI/PE était, ainsi qu'il a déjà été relevé, marqué par une importante stabilité du personnel, ce point est compensé par la certitude que les salariés à former seront, pendant les cinq mois de la période de compagnonnage pour ce qui concerne les agents d'exploitation, intégrés aux équipes en sur-effectif.

Les risques par ailleurs évoqués dans le dit rapport ainsi que par M. [Q], liés aux difficultés relationnelles qui pourraient surgir entre les salariés du GIE, selon qu'ils proviennent du DI/PE où qu'ils viennent d'être engagés par la société HAGUE ÉNERGIE, ne peuvent, en revanche, être écartés. Il est cependant impossible à la cour de les objectiver sur la base des éléments produits, dès lors que ceux-ci démontrent le professionnalisme et la culture de la sécurité régnant au sein du DI/PE, ce qui les relativise donc pour l'essentiel.

Le risque de perte des compétences acquises par les salariés du DI/PE n'apparaît donc pas avéré sur la base d'éléments objectifs.

- les risques liés à l'économie générale du projet

Sont évoqués à ce titre par les syndicats intimés':

- la prépondérance d'un choix économique sur les impératifs de sécurité,

- un montage juridique complexe et une dilution des responsabilités,

- la capacité de contrôle par la société AREVA NC au regard de sa perte en compétences,

- la possibilité de revenir en arrière (réversibilité du projet).

Le syndicat CGT FO de l'énergie nucléaire de [Localité 4] s'appuie sur le rapport SECAFI pour estimer que la motivation du projet est essentiellement économique. Ce rapport insiste en fait sur le critère économique du recours à l'énergie tirée de la biomasse, et discute au contraire la pertinence économique du projet d'externalisation. Aucun élément chiffré objectif n'est produit sur ce point. Il doit, en tout état de cause, être rappelé que le juge n'a pas à porter d'appréciation sur la pertinence économique du projet, lequel ne lui est soumis qu'en tant qu'il constituerait un risque pour les travailleurs concernés. Cet argument est donc dénué de pertinence, seule la réalité du risque allégué pouvant être utilement débattue.

Le projet litigieux correspond à la définition que donne la société AREVA NC elle-même de l'externalisation (sa pièce n° 2) et non à ce qu'elle définit comme une simple sous-traitance, dès lors que la conduite et la surveillance d'installations sont remises à un prestataire, le GIE dans un premier temps, puis la société HAGUE ÉNERGIE.

Il en résulte que la responsabilité entière de la prestation est transférée au tiers à qui elle est confiée, ce qui se traduit, pendant la période transitoire du GIE, par le fait que la direction opérationnelle de celui-ci est confiée à un directeur général désigné par la société HAGUE ÉNERGIE, cependant que la société AREVA NC, qui conserve sa responsabilité d'exploitant d'une installation nucléaire de base et donc le rôle de chef d'installation (qui, contrairement à ce qu'écrit en page 31 le rapport SECAFI n'est pas délégué au prestataire), désigne pour sa part le président du groupement et contrôle l'action de l'exploitant. Le partage des responsabilités pendant la période transitoire puis à l'issue de celle-ci est organisé dans des conventions conclues entre les deux sociétés (pièces n° 25 et 26 de la société AREVA NV), conventions qui ont été transmises à l'ASN avant qu'elle ne donne son avis du 3 mars 2011.

S'il est exact que le projet doit aboutir à ce que la gestion et le contrôle des divers sous-traitants soient assurés par le prestataire (pièce n° 190 de la société AREVA NC, pages 72 et 73), il ne résulte d'aucune des pièces produites aux débats que cette nouvelle chaîne de responsabilité serait source de risques en matière de sécurité. Il n'est au contraire pas sérieusement contredit que c'est le maintien de la gestion directe par la société AREVA NC de ces sous-traitants, qui assurent notamment divers niveaux de maintenance des installations après celle de premier niveau transférée au GIE puis à la société HAGUE ÉNERGIE, qui rendrait plus complexe le pilotage du projet, et que la logique de l'externalisation conduit à confier cette responsabilité au prestataire et non au chef d'installation et donneur d'ordre.

Il n'est pas à cet égard démontré que les incidents survenus les 3 et 11 mai 2011, soit pendant la période où le GIE a fonctionné, seraient la conséquence de cette modification de la chaîne des responsabilités, dès lors qu'il ne résulte d'aucune des pièces produites que les erreurs éventuellement imputables au GIE (soit, le 3 mai, l'évacuation par des sous-traitants, les sociétés PONTICHELLI et CHERBOURG LEVAGE, de groupes électrogènes pour réparation chez le constructeur, sans que l'un des sous-traitants ait pris possession de l'autorisation de travail accordée, et le 11 mai, l'intervention d'un salarié de DALKIA sur une chaudière, sans autorisation de travail pour l'entrée dans la zone considérée) dans sa mission de contrôle des sous-traitants n'auraient pas été commises par la société AREVA NC elle-même.

Il doit être, en effet, relevé que les salariés concernés étaient des salariés de sous-traitants qui intervenaient sur le site dans les mêmes conditions avant et après l'entrée en fonctionnement du GIE (voir à cet égard le compte rendu de la réunion du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail du 19 mai 2011, sur information rapide, pièce n° 70 du syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4], et les lettres d'observations émises à la suite de ces incidents par les sociétés AREVA NC et HAGUE ÉNERGIE, pièces n° 161 et 163 de la société AREVA NC).

Il sera observé à cet égard que le syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4] se prévaut en vain d'un rapport de l'ASN sur l'augmentation des incidents en 2010 par rapport à 2009 et ne démontre nullement que la période située entre février et juillet 2011 aurait été marquée par un nombre plus élevé que précédemment d'incidents.

De même, lorsque le rapport SYNDEX relève (page 57) «'le conflit d'intérêt consubstantiel à la relation entre le donneur d'ordre et le prestataire'», point particulièrement repris par les premiers juges, et que la commission locale d'information s'inquiète (pièce n° 94 susvisée) de «'cette forme spécifique de division du travail qu'est la relation de sous-traitance (désengagement du donneur d'ordre, opacité des activités réciproques, difficultés de coopération et de communication)'», ils n'explicitent pas plus avant les raisons de la fragilisation dans la maîtrise des risques que le rapport affirme (la commission se contentant de le suggérer) être la conséquence inéluctable de cette situation.

Ainsi que le rapport SYNDEX le précise immédiatement, et ainsi qu'il a été déjà relevé, ce sont les modalités du contrôle par la société AREVA NC de l'action du prestataire et d'exercice de sa responsabilité de chef d'installation qui sont déterminantes.

À cet égard, la société AREVA NC avait versé aux débats la fiche d'attribution du chef d'installation (sa pièce n° 28) et le rapport CVA, postérieur à la décision des premiers juges, décrit de façon détaillée (pages 92 et 93) et non contredite les moyens que se donne la société pour l'exercice de cette responsabilité dont elle doit, en tout état de cause, répondre devant l'ASN'; il en résulte que la personne chargée des responsabilités de chef d'installation au sein de la société encadre une équipe de neuf personnes assurant le pilotage des prestations effectuées, outre une personne chargée de veiller aux processus et à la mise à jour de la documentation, et est assistée de cinq référents, un par utilité, et que des indicateurs de performance précis constituent le référentiel de ce suivi. Cette description est confirmée par une note d'organisation du futur service chargé du suivi de l'opérateur industriel et du pilotage du contrat d'externalisation, note non datée produite devant la cour par la société AREVA NC (sa pièce n° 201, annexe 1).

Si ces données techniques ne sont pas contredites, les syndicats intimés soutiennent que la société AREVA NC n'aura plus, compte tenu de l'externalisation, les compétences nécessaires pour assumer efficacement le contrôle de l'action du prestataire et le respect par lui de ses obligations, ses salariés ayant perdu la connaissance du terrain.

S'il apparaît pertinent de faire observer qu'un contrôle effectif suppose la connaissance intime des activités contrôlées, aucun des éléments produits aux débats ne permet cependant de retenir cette objection, alors qu'il incombera à la société AREVA NC de faire appel, pour pourvoir ces postes, à des personnes formées et compétentes, sans exclure que cette formation et cette compétence aient été acquises au sein du DI/PE, dont les personnels ne bénéficient cependant pas d'un monopole de connaissance en la matière.

Il sera observé à cet égard qu'il résulte du tableau de suivi du dispositif de reclassement des salariés (pièce n° 186 de la société AREVA NC) que quatre des salariés du DI/PE se sont vus proposer un reclassement en qualité de référent pour une des utilités, de sorte que si ces propositions étaient acceptées, quatre des cinq référents prévus pourraient nourrir leur mission de contrôle de l'expérience directement opérationnelle acquise.

Sur la question de la réversibilité, sur laquelle le rapport SYNDEX s'interrogeait brièvement en page 81, il n'est pas contesté que les accords passés peuvent être résiliés (ainsi que le relevait le rapport SECAFI en page 31, qui mentionnait par ailleurs de façon dénuée de pertinence s'agissant de contrats qui n'étaient pas encore signés au moment où il a été déposé, que la société AREVA NC n'avait jamais fait jouer sa capacité à rompre le dit contrat). L'article 24 du contrat entre les sociétés AREVA NC et DALKIA (pièce n° 139 de la première nommée) met à la charge du prestataire des obligations précises pour garantir l'effectivité du «'plan de réversibilité'» qu'il organise, et notamment la transmission de toute la documentation accumulée. Ce sont les modalités pratiques selon lesquelles la société AREVA NC pourrait reprendre l'activité externalisée ou la confier à un autre prestataire, sans que ce changement s'accompagne d'une perte des compétences accumulées par le DI/PE et transmises à la société HAGUE ÉNERGIE, qui sont débattues.

La société appelante produit à cet égard les observations du rapport CVA, qui n'avait pas été soumis aux premiers juges et qui ne fait pas sur ce point l'objet de critiques de la part de M. [Q]. Il en résulte que l'équipe du chef d'installation, en contact quotidien avec les opérateurs dans le cadre de sa mission de contrôle, sera à même d'assurer la pérennité des compétences correspondantes au sein de la société AREVA NC et, qu'en tout état de cause, le transfert de cette activité à un autre prestataire, ou par réintégration au sein du donneur d'ordre, pourra s'accompagner, en application des dispositions de l'article L'1224-1 du code du travail ou dans un autre cadre juridique, selon les modalités de l'opération, du maintien en fonction du personnel de la société HAGUE ÉNERGIE.

Il n'est donc pas démontré que le principe et les modalités de l'externalisation projetée emporteraient les risques allégués.

- les enseignements tirés de l'expérience du site de [Localité 5]

La société appelante se prévaut du succès d'une opération d'externalisation similaire, par le biais d'un GIE, et portant sur le même type d'activités et sur un effectif voisin de 45 personnes, qu'elle a menée à bien sur son site de [Localité 5], cependant que le syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4] soutient que les différences entre les deux sites retirent toute signification à cette comparaison.

Il n'est pas contesté que cette opération d'externalisation à [Localité 5] s'est déroulée de façon satisfaisante. Le rapport SYNDEX relève (page 50) que «'l'objectif d'externaliser la production des utilités dans un délai de trois ans a été tenu'», que «'la prise en main des installations par le prestataire a même été plus rapide que prévu du fait du départ précipité des salariés AREVA'», le tout «'sans incident majeur concernant la sécurité de travail, la sécurité industrielle et la fourniture des utilisateurs'», notant toutefois qu'il «'n'est pas sûr que le transfert de la connaissance des installations ait été complètement et finement réalisé'», sans préciser pour autant, ainsi que le relève de façon pertinente le rapport du LATI (page 38) sur quoi repose cette interrogation.

Le processus suivi à [Localité 5] est décrit par le rapport CVA (pages 66 suivantes) d'une façon qui n'est pas contredite s'agissant des faits eux-mêmes et il est, de fait, similaire à celui objet du projet litigieux.

Il résulte de la pièce n° 105 du syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4], qu'il n'était plus procédé, sur le site de [Localité 5], en matière d'activité nucléaire, et compte tenu de l'arrêt à la fin de l'année 2009 des réacteurs de production de tritium, qu'à des opérations d'assainissement et de démantèlement, de reconditionnement et traitement des effluents et déchets, de dosimétrie du personnel, de décontamination de machines et d'appareillages, et de maintenance d'emballages de transport de matières nucléaires, dont il n'est pas contesté qu'elles sont moins sensibles que celles effectuées à [Localité 4]. La note du 3 juin 2012 de M. [Q] (pages 4 à 8), qui insiste sur les besoins moins importants en utilités et les bien moindres conséquences de manquements en la matière, le confirme de façon non contredite (la note de M. [N] du 1er février 2013 étant muette sur ce point).

Sur la question, débattue entre les parties, notamment sur la base du rapport SYNDEX (page 47), d'une plus grande polyvalence des opérateurs à former à [Localité 4] par rapport à ceux effectivement formés à [Localité 5], de nature à rendre plus complexe la transmission des compétences, aucun élément probant n'est produit.

Dès lors qu'il n'est pas démontré que le processus suivi à [Localité 5] s'est déroulé de façon insatisfaisante, la circonstance que les éventuelles difficultés qui auraient pu y survenir auraient eu, ainsi que le démontre M. [Q], des conséquences infiniment moins graves que des difficultés du même type si elles survenaient à [Localité 4], n'interdit pas à la société AREVA NC de tirer des enseignements du succès du processus d'externalisation mené à bien sur ce site.

Il résulte, à ce stade, de ce qui précède que les risques industriels et techniques mis en avant par les syndicats intimés pour s'opposer au projet litigieux ne sont pas objectivement avérés dans des conditions qui soient susceptibles de justifier qu'interdiction soit faite à la société AREVA NC de le poursuivre.

Sur les risques psychosociaux

Les risques psychosociaux encourus du fait du projet litigieux, étant rappelé que cette notion n'a pas reçu de définition légale, seront analysés au regard de la définition qu'en propose le LATI (page 13 de son rapport) -'qui n'est pas contredite par les parties et rend compte de leur argumentation'-, à savoir les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d'emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d'interagir avec le fonctionnement mental.

- l'analyse du rapport SYNDEX

Les syndicats intimés fondent leur analyse sur le rapport déposé par l'expert désigné par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, qui consacre son chapitre 5 (pages 58 à 66) aux impacts du projet sur la santé des salariés concernés. Y sont notamment décrits le choc ressenti par les intéressés à l'annonce du projet, l'incompréhension que celui-ci suscite, le fait qu'il est reçu comme un message de mépris envers leur professionnalisme et leur engagement, et le scepticisme sur les capacités de la nouvelle organisation projetée à garantir un niveau de sécurité équivalent à celui offert par le DI/PE. Sont aussi soulignées la crainte d'une séparation programmée d'avec les collègues, les inquiétudes spécifiques des chefs de quart et adjoints sur la compétence de leurs futurs opérateurs et l'inquiétude de chacun sur ses perspectives professionnelles, étant observé que les salariés rencontrés par les auteurs du rapport semblent, pour la «'grande majorité d'entre eux'», subir la réorientation professionnelle qui suivra la fin de leur mise à disposition du GIE et s'inquiètent des offres qui pourront leur être faites.

Plus précisément, outre une «'perte de motivation'», le rapport note que «'plusieurs salariés ont évoqué des troubles du sommeil et de l'humeur et un état dépressif'», fait l'hypothèse que si le projet est mis en 'uvre, une partie, voire une grande partie, des salariés va «'pouvoir s'adapter'», mais qu'il «'n'est pas sûr que tout le monde le puisse'» ni que «'l'engagement dans le travail ne soit pas émoussé dans la durée'», et relève que «'l'issue pathologique et un passage à l'acte ne peuvent être exclus'». Il conclut que la résistance des salariés face au projet «'est un moyen de lutte contre la souffrance'», et «'doit être prise en compte à ce titre par le management plutôt que dans l'engagement d'un rapport de force qui exacerberait les tensions et les risques'».

Il déduit notamment de cette analyse, dans ses préconisations (pages 81 et suivantes), la nécessité de prendre en compte et de suivre ces risques psychosociaux, qui engage la responsabilité de l'entreprise, et de mieux accompagner l'élaboration du projet professionnel des salariés intéressés.

Comme le précise le rapport lui-même (méthodologie, notamment pages 6 et 7), le chapitre 5, tel qu'il vient d'être résumé, est pour l'essentiel le fruit des entretiens individuels conduits, aux mois de novembre et décembre 2010, avec 19 des salariés du DI/PE choisis sur la base du volontariat, des propos tenus lors de ces entretiens, reproduits entre guillemets, venant illustrer les observations présentées.

Ainsi que l'a relevé le LATI (page 30) et que cela résulte du rappel chronologique fait ci-dessus, ces entretiens se sont donc déroulés alors que le projet d'externalisation avait été annoncé et présenté aux institutions représentatives du personnel, mais restait encore dénué de toute concrétisation, notamment s'agissant de la situation personnelle de chacun des intéressés, laquelle n'a été abordée avec chacun d'entre eux qu'à partir de la fin du mois de janvier 2011.

Il en résulte que le rapport SYNDEX rend compte de la grande inquiétude dans laquelle se trouvaient les salariés concernés à la fin de l'année 2010.

Il convient, à ce stade, de replacer la situation particulière du DI/PE dans le contexte général de l'établissement de [Localité 4] en la matière.

Il doit être rappelé, préalablement, que l'ensemble des salariés postés du DI/PE et une grande partie des salariés de l'établissement ont exprimé, presqu'à la même période (le 21 janvier 2011), leur opposition au projet.

- la situation générale de l'établissement au regard des risques psychosociaux

La société AREVA NC produit une étude globale qu'elle a commandée, indépendamment du projet litigieux, au cabinet STIMULUS, qui n'était pas agréé au sens de l'article L'4614-12 du code du travail au moment où elle l'a saisi, mais l'est devenu par arrêté du 23 décembre 2011.

Cette étude (pièces n° 83 de la société AREVA NC et 54 du syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4]) a procédé par recours à un questionnaire qui a été utilement renseigné du 18 octobre au 5 novembre 2010 par 2107 personnes sur 3070 sollicitées. Il en résulte que 15,90'% des salariés du site de [Localité 4] sont en situation d'hyper-stress (défini comme «'un état de stress qui, par son intensité et/ou sa fréquence, représente un facteur de risque pour la santé de l'individu'», contre 24'% sur un «'panel STIMULUS repondéré ['] (France, 39'057 salariés)'». Le secteur DI/PE atteint le niveau le plus élevé, soit 38,78'% d'hyper-stress et de démotivation élevée, trois facteurs spécifiques étant identifiés chez ces salariés, à savoir «'la justice organisationnelle'», «'l'incertitude par rapport à l'avenir'» et «'les relations avec les supérieurs'».

Il sera observé à cet égard que la période de recueil est elle aussi située entre l'annonce du projet d'externalisation et le début du processus de reclassement individuel.

Plusieurs documents émis par le service de santé au travail de l'établissement sont également produits aux débats, étant d'abord observé que ce service avait été associé à la mise en place de l'étude conduite par le cabinet STIMULUS (lettre du 15 février 2011 du chef de service, pièce n° 30 des syndicats intimés) et en a estimé les résultats pertinents, le chef du service ajoutant que ces résultants «'confirmaient les observations qui ont été faites par les médecins du travail et la psychologue de l'établissement, tant sur les aspects quantitatifs (nombre de salariés en état de stress et d'hyper-stress), que sur les causes'».

Le rapport annuel d'activité du service, pour l'année 2010 (pièces n° 28 des syndicats intimés et 101 de la société appelante) relève, sous la plume d'un des médecins du travail, le Dr [D], que les sollicitations «'dans le domaine de la santé mentale'» se sont accrues «'de façon très nette en 2010 avec les répercussions liées à la démarche d'externalisation du DI/PE'» et que «'de nombreux salariés ont exprimé de l'anxiété, du stress, des troubles du sommeil, des troubles psychologiques allant jusqu'à la dépression pour quelques salariés'».

Ce même médecin précise encore que «'toute nouvelle organisation demande un effort d'adaptation'», que l'annonce de l'externalisation complète «'a entraîné beaucoup de déception et de découragement chez les salariés et particulièrement chez les plus anciens pour qui ce service a été le sens de leur vie professionnelle'», relevant aussi «'l'incertitude prolongée concernant l'avenir professionnel des salariés'» qui les a «'maintenus dans leur souffrance'», à raison de «'l'impossibilité de se projeter dans l'avenir'» et de «'l'appréhension de redémarrer une carrière à zéro dans un autre service'».

Un autre praticien relève également une «'augmentation des consultations en relation avec les risques psychosociaux pour des questions de modifications d'équipes, d'évolution dans les organisations du travail, de charge de travail mais aussi de contexte socio-économique difficile'», avant de conclure que «'l'analyse de l'étude STIMULUS permettra probablement de mettre en pratique des propositions collectivement acceptées'».

La psychologue du travail évoque, pour sa part, un malaise grandissant, et la nécessité d'«'une démarche d'évaluation collective des risques psychosociaux'», allant au delà des interventions de cabinets externes sollicités par la direction ou le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, sur la base de «'demandes multiples mais à chaque fois parcellaires'», qu'elle oppose à la «'grande étude d'évaluation des risques psychosociaux ['] lancée par la direction en partenariat avec le cabinet STIMULUS'», démarche «'fort intéressante'» quoiqu'«'initiée tardivement'» et qui «'devra permettre de proposer et de mettre en place des actions concrètes visant à protéger les salariés face aux risques psychosociaux'».

Dans le rapport pour l'année 2011 (pièce n° 108 du syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4]), le Dr [D] relève encore qu'il a été amené à recevoir «'un certain nombre de salariés de DEMC/PE en souffrance du fait [de] l'incertitude qui se prolonge concernant leur avenir professionnel dans le contexte d'externalisation de ce service'», la psychologue du travail faisant état, pour sa part, de «'la mise en place de groupes de travail faisant suite à l'enquête STIMULUS'».

Le rapport TECHNOLOGIA déposé en janvier 2011 à la demande du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail sur l'autre projet de réorganisation, concernant la direction DI/DM (pièce n°13 des syndicats intimés), décrit les risques psychosociaux que comporte ce projet, évoquant perte de confiance et incertitude sur l'avenir, à l'origine de pathologies anxio-dépressives dont les symptômes atteignent déjà quelques salariés et mentionne, à cet égard, les obligations pesant sur l'employeur en application des articles L'4121-1 et suivants du code du travail.

Le second rapport déposé par le cabinet TECHNOLOGIA, au mois de mars 2012, mais à la suite de la décision prise par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail en avril 2010 en raison du suicide d'un responsable de production d'un atelier de la direction industrielle (pièce n° 52 du syndicat CGT FO de l'énergie nucléaire de [Localité 4]), dont la mission a été réduite par la cour d'appel de CAEN aux seuls «'cadres au forfait'», exploite un questionnaire, qui n'a pu être soumis aux intéressés avant le second semestre de l'année 2011, ainsi que des entretiens individuels et évoque notamment «'une succession de réorganisations insuffisamment accompagnées'», l'isolement des cadres, le manque de reconnaissance et les insuffisances de l'accompagnement par les équipes chargées des ressources humaines.

Le dépôt puis l'analyse de ce rapport ont donné lieu à une mise en demeure du 18 septembre 2012 adressée par la DIRECCTE à la société AREVA NC, portant sur «'la mise en place d'un plan d'action permettant l'évaluation et la maîtrise de la charge mentale et physique de travail'» et ce pour tout le personnel de l'établissement quel que soit son niveau de qualification, sur le respect des repos légaux et des limites maximales légales de la durée du travail, et la mise en place d'«'un système d'enregistrement automatique, fiable, infalsifiable du début et de la fin de chaque période de travail pour tout le personnel'». La DIRECCTE a pris bonne note, le 29 novembre 2012 (pièce n° 197 de la société AREVA NC), du dépôt du plan d'action, des mesures prises et des réponses apportées, dont elle a estimé qu'il répondait à sa mise en demeure.

Des suicides de salariés en activité au sein de l'établissement, que les parties estiment à environ cinq sur la période considérée, entre les mois de février 2010 et février 2011, doivent également être pris en compte. Les rapports susvisés du service de santé au travail font état de l'augmentation du nombre des suicides'; ils en recensent un en 2008, aucun en 2009, mais trois en 2010 et cinq en 2011 (et encore deux dans les deux premiers mois de 2012) et notent que ces chiffres correspondent à un taux au sein de l'établissement nettement plus important que le taux moyen pour le département de la Manche.

Les parties divergent sur le lien entre chacun de ces suicides et le contexte professionnel. Il n'appartient pas à la cour de trancher ici au cas par cas cette question délicate, ce qu'elle ne saurait en tout état de cause faire sur la base des seules pièces produites de part et d'autre.

Il sera seulement et de façon générale observé, avec le rapport TECHNOLOGIA rendu à la suite du suicide de mars 2010, que «'les situations préoccupantes sont actuellement minoritaires sur le site'» mais qu'«'il n'en demeure pas moins que de nombreuses caractéristiques ancrées dans le quotidien du travail représentent des facteurs de risque pour la santé mentale des salariés'» et, qu'en tout état de cause, ainsi que le relève le chef du service de santé au travail, «'il s'agit, à l'évidence, d'un indicateur d'alerte qu'il convient de prendre en compte de façon prioritaire'», ce praticien ajoutant, après avoir rappelé que «'le travail est un facteur de protection important contre le suicide'», qu'«'il semble qu'il joue de moins en moins son rôle pour les travailleurs de l'établissement'» et que «'les problèmes de vie privée ne sont plus compensés par un investissement dans leur travail'», ce dont témoigne «'le taux élevé de démotivation'».

Il sera encore observé que la DIRECCTE, dans une lettre du 19 septembre 2012, a estimé, sur la base du rapport TECHNOLOGIA, que «'la situation qu'a subie M. [Y] n'est pas un cas isolé et que la situation, pour les cadres au forfait jours, deux ans après le suicide de M. [Y] n'a pas évolué malgré les anomalies'» relevées en terme de durée du travail, et fait part à la société AREVA NC de sa décision d'informer «'le procureur de la République de [son] inaction depuis 2010 sur les moyens de mesurer la charge mentale des cadres au forfait jours et de soulager cette charge physique et mentale'».

Enfin, il n'est pas contesté qu'aucun des suicides survenus dans l'établissement n'a concerné un des salariés du DI/PE intéressés par le projet litigieux. Aucune des pièces produites aux débats ne permet, contrairement à ce que suggère le syndicat CGT FO de l'énergie nucléaire de [Localité 4], de relier au projet d'externalisation de ce service et à la procédure en train d'être initiée la tentative de suicide survenue dans la première quinzaine du mois d'avril 2011, qui a donné lieu à une réunion du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail en date du 15 avril 2011, puis à une enquête arrêtée à la demande du salarié concerné.

Il résulte de l'ensemble de ces documents que la question des risques psychosociaux concerne l'établissement dans son ensemble, mais qu'elle est apparue particulièrement aiguë au sein du DI/PE à la fin de l'année 2010 et encore pendant l'année 2011.

- la situation d'incertitude des salariés concernés par le projet

Ainsi qu'il a été relevé par le LATI, «'d'une manière générale, le changement est considéré comme une source de stress pour les membres de l'organisation touchés par le changement'», et la rupture que celui-ci consacre s'accompagne nécessairement d'une situation d'incertitude, d'un sentiment de perte de contrôle et d'une augmentation des contraintes du travail perçues (pages 17 à 19). Ainsi que l'ont relevé tous les rapports et avis analysés plus haut, et comme le résume le LATI, «'à l'époque du lancement de l'externalisation, les salariés étaient certainement dans un état de stress important, voire en situation de mal-être'», le LATI notant encore que «'l'externalisation est un changement qui sollicite beaucoup les capacités d'adaptation des salariés'».

Il résulte des pièces produites que, depuis la fin de l'année 2010, la situation des salariés concernés a évolué à cet égard dans les premiers mois de l'année 2011.

Il y a lieu d'examiner, à ce stade, le début du processus de préparation du reclassement des salariés du DI/PE à l'issue de leur mise à disposition du GIE, étant observé qu'il n'est pas contesté qu'ainsi que l'a observé le rapport SECAFI (page 39), il existe sur le site de [Localité 4] un nombre de postes suffisants pour accueillir l'ensemble des salariés concernés.

Il sera observé que ce dispositif a fait l'objet, selon un processus annoncé lors de la réunion du comité d'établissement du 25 janvier 2011 (page 23) et initié dès le 4 avril 2011 (pièces n° 148 et 149 de la société AREVA NC), soit avant la délivrance de l'acte introductif de la présente instance, d'un accord d'entreprise en date du 22 avril 2012, signé par les syndicats UNSA SPAEN, CFDT et CFE CGC, dont les syndicats intimés ne sauraient nier l'existence au seul motif qu'ils ont choisi de ne pas le signer.

Ces syndicats font cependant à juste titre observer que la signature donnée par les autres organisations représentatives au sein de l'établissement ne doit pas être interprétée comme une approbation donnée au projet d'externalisation lui-même. Il doit en effet être rappelé que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et le comité d'établissement se sont prononcés à l'unanimité contre ce projet lors des réunions des 21 et 25 janvier 2011. Par ailleurs, il résulte des pièces produites (n° 150 du syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4], 53, 54 et 55 du syndicat CGT FO de l'énergie nucléaire de [Localité 4] et 137 et 150 de la société AREVA NC) que deux des syndicats signataires, les syndicats CFDT et UNSA SPAEN, ont, avant et après le 22 avril 2011, réaffirmé clairement leur opposition au projet. Le texte même de l'accord rappelle d'ailleurs expressément l'opposition des partenaires sociaux au projet d'externalisation.

La société AREVA NC s'engage, par cet accord, à repositionner la totalité des salariés en contrat de travail à durée indéterminée du secteur DEMPC/PE mis à la disposition du GIE, et organise un processus destiné à permettre à ces salariés de mieux connaître les besoins en postes à pourvoir ainsi que la nature de ces postes (y compris par «'le dispositif «'Vis ma vie'»'»), processus ponctué de rendez-vous avec une structure dédiée du service des ressources humaines, un accompagnement et un suivi personnalisés, chaque salarié se voyant proposer «'jusqu'à 3 opportunités de mobilité, au plus près de ses souhaits exprimés'», mais devant accepter la troisième proposition au cas où il aurait refusé les deux premières, l'objectif étant de permettre au salarié de retrouver «'un niveau de responsabilité équivalent à celui qu'il occupe au sein du secteur DEMC/PE'».

Il est encore, plus spécifiquement, proposé aux salariés partant à la retraite ou en préretraite au plus tard deux années après la dissolution du GIE une mise à disposition auprès de la société HAGUE ÉNERGIE, afin de leur éviter un changement de métier pour une courte durée, et de façon générale, l'engagement est pris de faciliter la réalisation de transferts vers la société HAGUE ÉNERGIE pour ceux qui le souhaiteraient.

Le dispositif est complété par une garantie financière dégressive en cas de perte de rémunération liée au repositionnement, et l'engagement de versement d'une prime de 300 euros par trimestre pour prendre en compte les sujétions liées à l'accompagnement des équipes de la société HAGUE ÉNERGIE, versée aux salariés pendant leur mise à disposition du GIE.

Ce dispositif a été mis en 'uvre, ainsi qu'il a été relevé plus haut, des mois de février à juin 2011, par le recueil des souhaits des salariés, les entretiens d'accompagnement et l'émission par l'employeur de propositions de reclassement (les fiches concernant chacun des salariés, émargées par eux, sont produites en pièce n° 185 de la société AREVA NC). Il résulte du tableau versé aux débats (pièce n° 186 de la société AREVA NC) qu'au mois de juin 2011, les cinquante-six salariés concernés s'étaient vus proposer un ou plusieurs postes, à l'exception d'un seul pour lequel il est mentionné «'en cours'-'plusieurs options à confirmer'», que dix-sept salariés avaient accepté un poste de reclassement, et que onze autres bénéficiaient du dispositif «'vis ma vie'».

Le déroulement de ce processus annoncé n'a cependant pas fait diminuer l'inquiétude des salariés concernés, qui s'est manifestée par une lettre pétition adressée aux premiers juges le 16 mai 2011 (pièce n° 42 du syndicat CGT FO de l'énergie nucléaire de [Localité 4]), dans laquelle était affirmée notamment la volonté des vingt-sept signataires, «'en l'état actuel de la cellule d'accompagnement mise en place par la direction à propos de notre suivi psychologique et des moyens associés'», d'«'avoir recours à des soutiens extérieurs et en dehors du périmètre AREVA'». Il sera cependant observé qu'il résulte de la comparaison de cette lettre avec le tableau évoqué ci-dessus que sept des signataires du courrier avaient, avant la fin du mois de juin, accepté une proposition de reclassement ou leur participation au dispositif «'vis ma vie'».

Ce plan de reclassement n'est pas utilement critiqué par les syndicats intimés. Sa mise en 'uvre a, cependant, été interrompue par l'interdiction édictée par la décision déférée. Il est de nature à répondre aux inquiétudes légitimement exprimées par les salariés concernés relativement à leur avenir professionnel à la fin de leur mise à disposition du GIE. Il répond également aux préconisations exprimées par le rapport SYNDEX.

- les mesures mises en place par la société AREVA NC

Indépendamment de cette question spécifique, le projet litigieux peut légitimement continuer à susciter les autres inquiétudes des salariés concernés, telles qu'elles ont déjà été relevées, touchant à l'intégration, qu'ils n'ont pas choisie, au sein du GIE avec des salariés d'une autre société, dont ils doivent assurer la formation tout en continuant à effectuer leur propre travail, avec la certitude, pour la plupart d'entre eux et sous la réserve des possibilités d'intégration au sein de la société prestataire offertes par l'accord du 22 avril 2011, de devoir s'adapter à un nouveau poste de travail, le tout dans des conditions qui sont vécues comme une remise en question de leurs capacités et de leur professionnalisme.

S'il ne peut être exigé, dans le cadre de l'application des dispositions des articles L'4121-1 et suivants du code du travail, de la société AREVA NC qu'elle renonce à son projet au seul motif de ces inquiétudes que suscite le changement qu'il entraîne, cette société ne peut, en revanche, prétendre en poursuivre la mise en 'uvre que si elle justifie qu'elle a mis en place un dispositif efficace propre à accompagner les salariés pendant cette période et donc à éviter les risques psychosociaux, comme l'a préconisé le rapport SYNDEX.

Ce dispositif est décrit par le LATI (chapitre 4, «'le plan et actions de prévention'», pages 51 à 64), et par une note du directeur d'exploitation moyens communs (DEMC) de la société AREVA NC produite devant la cour (pièce n° 201 de cette société), et documenté par l'annexe J à cette pièce («'indicateurs à la fin août 2013'»), le rapport annuel du service de santé 2012 (pièce n° 198 de la société AREVA NC), ainsi que les pièces déjà produites devant les premiers juges sur la politique mise en place à partir de 2007 en la matière (pièces 77 à 103 de la société AREVA NC), incluant les précédents rapports du service de santé au travail, et les documents relatifs à l'étude du cabinet STIMULUS.

S'il est significatif, mais insuffisant en soi, que les plans d'action de la société AREVA NC pour les périodes 2008/2011 et 2011/2013 (pièces n° 77 et 78) aient pris en compte l'objectif de prévention des risques pour la santé psychologique au travail, il convient de s'attacher aux dispositifs effectivement mis en place et à leur évaluation.

À cet égard, doivent être relevés les éléments suivants':

- relativement aux modalités d'application de la démarche de la société en matière de risques psychosociaux, la psychologue du travail (pièce n° 79) fait le point, le 7 octobre 2008, sur les projets déployés sur le site (identification, orientation et aide des salariés concernés) et sur ceux encore en devenir (soutien aux managers, évolution de la culture interne et implication de l'ensemble des secteurs de l'entreprise),

- un «'dispositif d'écoute et d'accompagnement'» a été mis en place à partir de l'année 2009 (pièces n° 80 et 90, puis 96 et 97) par le service de santé au travail, sur lequel a été diffusée une large information (pièces n° 84 et 89), dispositif qui fait l'objet d'une évaluation régulière (voir pièce n° 93, mars 2010),

- un «'dispositif d'évolution des conditions de vie au travail'» est venu compléter ce dispositif d'écoute et d'accompagnement, sur le site de [Localité 4] à partir du mois de septembre 2010, confié au cabinet STIMULUS (pièces n° 94 et 95), lequel a donné lieu au dépôt du rapport déjà évoqué,

- ces deux dispositifs ont été intégrés dans un projet global de prévention des risques psychosociaux,

- le rapport du service de santé pour l'année 2012, qui relève que le nombre de suicides sur cette année est descendu à deux (secteur médecine, page 24), fait mention à plusieurs reprises et de façon positive (secteur du Dr [S], page 13, du Dr [D], page 12, du psychologue du travail, pages 6, 8 et 10) des résultats obtenus par la mise en 'uvre de ce projet global, notamment dans le domaine de la formation de managers, domaine dont il est utile de rappeler qu'il restait inexploité en octobre 2008, et spécialement de l'établissement et de l'utilisation concertés d'une grille d'impact humain des réorganisations et d'un suivi mensuel des indicateurs en matière de risques psychosociaux,

- des documents issus de ce suivi mensuel, de janvier à août 2013 (annexe J à la pièce n° 201 susvisée) montrent que cette démarche s'est poursuivie dans la durée, et qu'elle donne lieu à une réunion mensuelle d'analyse rassemblant des représentants de toutes les directions,

- le LATI précise (page 59 et 60) également que la société AREVA NC s'est enfin dotée, sur le site, d'un dispositif d'évaluation de l'impact humain des changements et d'évolution des organisations, qui permet d'évaluer les facteurs de risque.

La note du directeur de la DEMC décline pour ce qui concerne sa direction, et spécialement pour ce qui intéresse le service DEMC/PE, touché par le projet d'externalisation, ces dispositifs, en synthétisant d'une façon non contestée les éléments repris ci-dessus, tant relativement à l'organisation de la phase transitoire de transfert de compétences et l'organisation du reclassement ultérieur, que sur la prévention des risques psychosociaux.

Il en résulte que la société AREVA NC s'est donnée les moyens de réduire les risques psychosociaux que caractérisent les inquiétudes des salariés concernés par le projet litigieux, dans des conditions qui sont compatibles avec les exigences qui pèsent sur elle en application des articles L 4121-1 et suivants du code du travail.

Sur les demandes

Les risques industriels et techniques et les risques psychosociaux allégués ne sont donc pas démontrés dans des conditions qui devraient conduire la cour à interdire à la société AREVA NC de mettre en 'uvre son projet d'externalisation de l'activité du service DI/PE, devenu DEMC/PE, d'exploitation et de conduite des installations nécessaires à la transformation, la production et la distribution des utilités du site de [Localité 4].

Il n'y a pas davantage, dans ces conditions, lieu de suspendre les effets de cette décision d'externalisation, étant observé que le syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4], au soutien de cette demande subsidiaire, ne précise à aucun moment à la survenance de quel événement ou à la satisfaction de quelles exigences la levée d'une telle suspension pourrait être conditionnée.

La décision déférée sera donc intégralement infirmée.

Les demandes formées par le syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4] et le syndicat CGT FO de l'énergie nucléaire de [Localité 4] seront rejetées.

Ces syndicats seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de l'avocat de la société AREVA NC.

Il n'y a pas lieu, en équité, de faire droit à la demande formée par la société AREVA NC sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions';

Statuant à nouveau,

Rejette les demandes formées par le syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4] et le syndicat CGT FO de l'énergie nucléaire de [Localité 4]';

Condamne le syndicat des travailleurs CGT de AREVA NC [Localité 4] et le syndicat CGT FO de l'énergie nucléaire de [Localité 4] aux dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de l'avocat de la société AREVA NC';

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société AREVA NC.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 11/14662
Date de la décision : 06/03/2014

Références :

Cour d'appel de Paris K2, arrêt n°11/14662 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-03-06;11.14662 ?
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