Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 04 MARS 2014
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/17681
Décision déférée à la Cour : Sentence du 31 Juillet 2012 rendue par le tribunal arbitral de Paris composé de MM. [G] et [M], arbitres, et de M. [N], président
DEMANDERESSE AU RECOURS :
Société GULF LEADERS FOR MANAGEMENT AND SERVICES HOLDING COMPANY société de droit saoudien
prise en la personne de ses représentants légaux
[D] [Y]
[Adresse 2]
ROYAUME D'ARABIE SAOUDITE
représentée par Me Jean-Claude CHEVILLER, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : D0945
assistée de Me Anne-Marie LACOSTE, substituant Me Philippe PINSOLLE, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : L55
DÉFENDERESSE AU RECOURS :
S.A. CRÉDIT FONCIER DE FRANCE
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0018
assistée de Me Carole MALINVAUD, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : T 03
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 30 janvier 2014, en audience publique, le rapport entendu, devant la Cour composée de :
Monsieur ACQUAVIVA, Président
Madame GUIHAL, Conseillère
Madame DALLERY, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame PATE
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur ACQUAVIVA, président et par Madame PATE, greffier présent lors du prononcé.
Le 10 juillet 2008 a été conclu entre le CREDIT FONCIER DE FRANCE (CFF), société anonyme de droit français, et la GULF LEADERS FOR MANAGEMENT AND SERVICES HOLDING COMPANY (GULF LEADERS), société de droit saoudien, un contrat de prêt d'une somme de 157.500.000 USD pour le financement partiel d'un hôpital à [Localité 2] en Arabie saoudite.
Un différend étant survenu entre les parties, le CFF a formé une demande d'arbitrage en application de la clause compromissoire stipulée par le contrat.
Par une sentence rendue à Paris le 31 juillet 2012 sous l'égide de la Chambre de commerce international, le tribunal arbitral composé de MM. [G] et [M], arbitres, et de M. [N], président, statuant en application du droit français, a :
- déclaré la demande de nullité du contrat recevable mais non fondée,
- condamné GULF LEADERS à rembourser au CFF la somme de 110 millions USD en principal, outre les intérêts, pénalités et frais,
- déclaré irrecevable la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive présentée par le CFF,
- rejeté les demandes reconventionnelles de GULF LEADERS,
- condamné la défenderesse aux frais,
- ordonné l'exécution provisoire.
GULF LEADERS a formé un recours contre cette sentence le 3 octobre 2012.
Suivant conclusions signifiées le 22 octobre 2013, elle en sollicite l'annulation et la condamnation de CFF au paiement de la somme de 50.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Elle invoque la contrariété de la sentence à l'ordre public international (article 1520 5° du code de procédure civile).
Suivant conclusions signifiées le 13 novembre 2013, le CFF demande à la cour de déclarer le recours irrecevable, dans la mesure où il tend à la révision au fond de la sentence, et subsidiairement mal fondé, et de condamner GULF LEADERS à lui payer la somme de 150.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR QUOI :
Sur le moyen unique tiré de la violation de l'ordre public international (article 1520 5° du code de procédure civile) :
GULF LEADERS soutient que la sentence donne effet à un contrat obtenu par corruption, que les indices de cette corruption sont apparus au cours de la procédure arbitrale mais que le tribunal a refusé d'en tenir compte en prétendant que la corruption ne serait pas prouvée et enfin, que le CFF lui a fait financer l'opération de corruption en lui facturant une commission d' 'underwriting' qui ne correspondait à aucune contrepartie.
Considérant que par un contrat du 10 juillet 2008, le CFF a consenti à GULF LEADERS un prêt de 157.500.000 USD pour la conception, l'édification et la gestion d'un hôpital à [Localité 2] (Arabie Saoudite), dont GULF LEADERS devait financer l'équivalent de 100 millions USD sur ses fonds propres; qu'il était prévu que les sommes prêtées seraient versées en trois tranches; que les deux premiers versements de 60 millions et 50 millions USD ont eu lieu, quoique toutes les conditions préalables, tenant notamment à la constitution de garanties et à l'apport de fonds propres sur un compte bancaire dédié au projet, n'aient pas été entièrement remplies; que le CFF, en considération de ces inexécutions, ainsi que de modifications du projet qui avaient conduit GULF LEADERS à demander un prêt supplémentaire, a refusé le versement de la dernière tranche, prononcé la résiliation et réclamé la restitution des sommes versées;
Considérant que devant le tribunal arbitral, saisi par le CFF en application de la clause compromissoire stipulée au contrat, GULF LEADERS a invoqué sur le fondement de la convention de l'OCDE de 1996 et des articles 445-1 et 445-2 du code pénal français, un moyen tiré de l'illicéité de la cause du contrat du 10 juillet 2008 qui avait été obtenu par corruption; que GULF LEADERS a prétendu avoir été alertée par un article de presse sur l'existence d'une commission occulte de 4,5 millions USD versée par le CFF à la société de droit panaméen [Q] Associated Corp., dont le gérant, M. [T] [E] était un proche de son président directeur général, le [D] [H]; que GULF LEADERS a fait valoir que la corruption était établie par le fait que le contrat d'intermédiaire lui avait été dissimulé, qu'il n'était justifié d'aucune prestation réelle correspondant à la commission en cause et que le CFF avait refusé de déférer à la demande du tribunal arbitral de produire un rapport d'inspection interne sur le paiement de cette commission; que GULF LEADERS a ajouté que la commission de 4,5 millions USD avait été mise à sa charge par la stipulation d'une commission d'underwriting qui ne correspondait à aucune réalité; que GULF LEADERS a déduit de l'ensemble de ces circonstances que le contrat de prêt était 'le fruit et l'instrument d'un pacte de corruption', que ce contrat était donc nul et que l'exception d'indignité faisait obstacle à toute restitution;
Considérant que, pour juger que la corruption n'était pas matériellement établie, le tribunal arbitral a retenu, en substance, en premier lieu, que l'intervention de M. [E] n'était nullement occulte puisqu'il était présent aux côtés du représentant de CFF lors des réunions tenues avec GULF LEADERS, en deuxième lieu, que cette intervention était justifiée par l'expertise de l'intéressé en matière d'opérations de financement en Arabie Saoudite, expertise dont attestait la banque genevoise Dresdner qui avait recommandé M. [E] au CFF, en troisième lieu, qu'il n'y avait aucune conclusion à tirer du défaut de production du rapport d'inspection interne, dès lors que le directeur de l'inspection générale du groupe BPCE avait déclaré sous serment que si ce rapport avait un caractère confidentiel qui s'opposait à ce qu'il fût versé aux débats, il ne contenait aucun élément permettant d'étayer un soupçon de corruption, enfin, que la similitude entre la commission payée à [Q] et le montant facturé au titre d' 'underwriting fees' ne suffisait pas à établir que les sommes versées au titre du contrat de prêt aient servi à rémunérer l'intermédiaire, et que du reste ces 'fees' étaient conformes à la pratique bancaire dans la mesure où le prêt était conçu pour être 'syndiqué' entre plusieurs prêteurs;
Considérant que le tribunal arbitral a, en conséquence, rejeté la demande d'annulation du contrat de prêt, jugé que la résiliation par le CFF était fondée et condamné l'emprunteuse à restituer les fonds avec les intérêts et les frais;
Considérant que GULF LEADERS a formé un recours contre la sentence en invoquant la violation de l'ordre public international;
Considérant que lorsqu'il est prétendu qu'une sentence donne effet à un contrat obtenu par corruption, il appartient au juge de l'annulation, saisi d'un recours fondé sur l'article 1520 5° du code de procédure civile, de rechercher en droit et en fait tous les éléments permettant de se prononcer sur l'illicéité alléguée de la convention et d'apprécier si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence viole de manière effective et concrète l'ordre public international;
Considérant que la corruption dans la conclusion d'un contrat de droit privé suppose que soit consenti, directement ou indirectement, le don ou la promesse d'un avantage à une personne qui exerce, dans le cadre d'une activité professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un travail pour une personne physique ou morale, afin d'obtenir qu'elle accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte de son activité ou de sa fonction, ou facilité par son activité ou sa fonction, en violation de ses obligations contractuelles ou professionnelles;
Considérant qu'en l'espèce, il est constant que le CFF a versé à la société panaméenne [Q] une commission de 4,5 millions USD afin d'être assistée par son gérant M. [E] dans la conclusion d'un contrat de prêt avec GULF LEADERS; que cette dernière prétend que la cause du paiement de la commission n'était pas la compétence de M. [E], mais sa proximité avec le [D] [H];
Considérant, toutefois, qu'il n'est nullement allégué ni que M. [E] ait exercé une fonction de direction ou un travail pour GULF LEADERS, ni que le [D] [H], actionnaire à 95 % et président directeur général de GULF LEADERS ait reçu quelque commission ou avantage que ce soit directement ou indirectement;
Qu'il apparaît, dès lors, que les éléments caractéristiques de la corruption ne sont pas démontrés, ni même invoqués, par GULF LEADERS;
Considérant, par surcroît, que contrairement à ce que soutient GULF LEADERS, d'une part, l'activité d'intermédiaire de M. [E] n'était nullement occulte puisque l'intéressé avait participé, aux côtés des dirigeants du CFF aux négociations contractuelles avec les représentants de GULF LEADERS, d'autre part, qu'il apparaissait pertinent que le CFF, dépourvu de contacts au Proche-Orient, s'adjoigne les services d'un spécialiste de cette zone qui lui était conseillé par une autre banque; que ces circonstances suffisent à établir que les éléments invoqués par GULF LEADERS ne sont pas des présomptions sérieuses, peu important le refus de production par le CFF d'un rapport d'inspection interne, enfin qu'il n'est nullement démontré que les 'underwriting fees' ne correspondent pas à une pratique bancaire;
Considérant que le moyen tiré de ce que la sentence donnerait effet à un contrat conclu par corruption manque donc en fait et sera écarté;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté;
Considérant que GULF LEADERS, qui succombe, ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile; qu'elle sera condamnée, sur ce fondement à payer au CFF la somme de 100.000 euros;
PAR CES MOTIFS :
Rejette le recours en annulation de la sentence rendue le 31 juillet 2012 entre les parties.
Condamne la société GULF LEADERS FOR MANAGEMENT AND SERVICES HOLDING COMPANY aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Condamne la société GULF LEADERS FOR MANAGEMENT AND SERVICES HOLDING COMPANY à payer à la société CREDIT FONCIER DE FRANCE la somme de 100.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT