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18/02/2014 | FRANCE | N°12/02755

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 18 février 2014, 12/02755


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRÊT DU 18 Février 2014

(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/02755 (et 13/10625 dossier joint)



Décisions déférées à la Cour : jugement rendu le 14 Décembre 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY section encadrement RG n° 09/04085 et jugement rendu le 24 Octobre 2001 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY RG n° 02

/31927





APPELANT



Monsieur [X] [P]

[Adresse 1]

[Localité 1]

comparant en personne, assisté de Me Marjana PRETNAR, avocat au barreau de ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRÊT DU 18 Février 2014

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/02755 (et 13/10625 dossier joint)

Décisions déférées à la Cour : jugement rendu le 14 Décembre 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY section encadrement RG n° 09/04085 et jugement rendu le 24 Octobre 2001 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY RG n° 02/31927

APPELANT

Monsieur [X] [P]

[Adresse 1]

[Localité 1]

comparant en personne, assisté de Me Marjana PRETNAR, avocat au barreau de PARIS, toque : E0922

INTIMEE

SOCIETE AIR FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 2]

représentée par Me Aurélien BOULANGER, avocat au barreau de PARIS, toque : T03 substitué par Me Noémie CAUCHARD

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 07 Janvier 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Charlotte DINTILHAC, Présidente

Monsieur Jean-Louis CLEVA, Président

Madame Anne-Marie DEKINDER, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Mademoiselle Sandrine CAYRE, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Madame Charlotte DINTILHAC, Présidente et par Mlle Sandrine CAYRE, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour est saisie de l'appel interjeté par [X] [P] des jugements du conseil de prud'hommes de Bobigny, section encadrement, rendus les 24 octobre 2001 et 14 décembre 2011 qui l'ont débouté de l'ensemble de ses demandes.

FAITS ET DEMANDES DES PARTIES

[X] [P] a été engagé par la société AIR INTER en qualité de pilote à compter du 5 février 1979. Il est devenu commandant de bord le 8 octobre 1987. Le contrat de travail a été transféré à la société AIR FRANCE à compter d'avril 1997.

Par lettre du 10 avril 2007, la société AIR FRANCE a informé [X] [P] qu'en application des dispositions de l'article L.421 - 9 du code de l'aviation civile, il serait appelé à cesser son activité de navigant le 24 décembre 2007 en raison de l'atteinte de la limite d'âge fixée à 60 ans pour l'exercice des fonctions de personnel navigant technique.

[X] [P] a été convoqué à un entretien, fixé au 14 juin 2007, au cours duquel il a exprimé sa volonté d'être reclassé au sol.

Par lettre du 24 août 2007, la société AIR FRANCE lui a fait connaître qu'aucun poste de reclassement au sol, compatible avec ses compétences et son parcours professionnel, n'était disponible et l'a convoqué à un entretien préalable à une éventuelle rupture de son contrat de travail, fixée au 4 septembre 2007.

Par lettre du 12 septembre 2007, la société AIR FRANCE lui a notifié la rupture de son contrat de travail pour atteinte de la limite d'âge avec effet au 31 décembre 2007 après un préavis de trois mois débutant le 1er octobre 2007.

[X] [P] demande à la cour de dire que son licenciement est nul ou, à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse, de condamner la société AIR FRANCE à lui payer des sommes suivantes :

- 670'000 € au titre de l'indemnité pour licenciement nul ou, à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse,

- 163'956 € au titre de l'indemnité de licenciement,

- 8972 € à titre de dommages et intérêts pour privation du droit au DIF,

- 56'885 € au titre de dommages et intérêts spéciaux pour privation du droit à préavis,

- 3588 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société AIR FRANCE demande de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de condamner [X] [P] à lui payer la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE

Il est expressément fait référence aux explications et conclusions des parties visées à l'audience.

L'appel du jugement du 24 octobre 2001 n'est pas soutenu ; ce jugement sera confirmé.

Sur le jugement du 14 décembre 2011 :

Sur la rupture du contrat de travail :

[X] [P] soutient que la rupture de son contrat de travail prononcée sur le fondement des dispositions de l'article L.421 - 9 du code de l'aviation civile serait nulle, ce texte instituant selon lui, une discrimination du fait de l'âge, prohibée au regard des dispositions internationales, communautaires et nationales. Subsidiairement, il prétend que la rupture de son contrat de travail constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que la société AIR FRANCE a manqué à son obligation de reclassement.

[X] [P] demande à la cour d'écarter l'application de l'article L. 421 -9 du code de l'aviation civile tel qu'introduit par la loi du 24 février 1995 et maintenu jusqu'à la loi du 17 décembre 2008, au motif qu'en fixant l'âge limite impératif à 60 ans pour exercer l'activité de pilote de transport aérien public, cette disposition crée une discrimination injustifiée du fait de l'âge, discrimination illicite en ce qu'elle ne constitue pas une mesure appropriée et nécessaire à la sécurité publique et à la protection de la santé, au sens de l'article 2 § 5 de la directive de 2000/78 CE du Conseil du 27 novembre 2000, que cette mesure est disproportionnée au sens de l'article 4 § 1 de ladite directive et qu'elle ne constitue pas non plus une mesure appropriée et nécessaire pour réaliser un objectif de politique sociale au sens de l'article 6 § 1 de cette directive.

La société AIR FRANCE répond que l'article L.421 - 9 n'est pas discriminatoire, les textes internationaux invoqués étant inopérants et aucune contrariété n'existant avec le droit communautaire, la directive 2000/78 CE autorisant les différences de traitement en fonction de l'âge si elles poursuivent un objectif légitime et sont appropriées à l'atteinte de celui-ci. Elle estime ainsi que la fixation d'une limite d'âge est un moyen approprié et nécessaire pour atteindre l'objectif légitime de bon fonctionnement de la navigation aérienne et de sécurité de ses utilisateurs comme de ceux comme de ceux qui y travaillent et qu'elle répond à un objectif politique de l'emploi, de marché du travail et de formation professionnelle afin de favoriser l'embauche des jeunes, de donner des perspectives de progression pour les jeunes pilotes et enfin de permettre la structuration du marché du travail au sein du secteur de l'aéronautique français en prenant en compte le déroulement de la carrière des navigants.

S'il est vrai que des impératifs liés à la sécurité des vols pouvaient être de nature à justifier qu'un âge limite soit mis à l'activité des pilotes assurant le transport de passagers, encore faut-il que les moyens utilisés pour mettre en oeuvre cet objectif soit appropriés et nécessaires. Or non seulement l'aptitude des pilotes de transport public est très contrôlée et vérifiée par un organisme médical national indépendant permettant à la société AIR FRANCE d'apprécier régulièrement, chaque année si les conditions d'aptitude sont remplies, mais encore les recommandations de l'organisation de l'aviation civile internationale et également la réglementation européenne admettent expressément que, sous certaines conditions, l'exercice du métier de pilote de ligne peut se poursuivre après l'âge de 60 ans, prônant notamment un maintien en co-pilotage jusqu'à 65 ans, et enfin la loi du 17 décembre 2008, modifiant l'article L.421 - 9 du code de l'aviation civile, permettant désormais aux pilotes de poursuivre une activité de co-pilotage dans les cinq années suivant leur soixantième anniversaire. Au regard de ces éléments d'appréciation, il apparaît que l'obligation faite aux pilotes de cesser toute activité de vol à 60 ans n'est pas nécessaire à la réalisation de l'objectif de sécurité aérienne pouvant justifier cette mesure.

S'il est aussi vrai par ailleurs que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires, force est de constater que l'article L.421-9 du code de l'aviation civile qui fixait, avant la loi du 17 décembre 2008, cette limite impérative à 60 ans, ne conditionne pas la rupture du contrat du navigant atteint par la limite d'âge de 60 ans à l'embauche obligatoire d'un pilote en contrepartie, ce qui enlève tout caractère nécessaire et approprié à cette mesure étant également relevé que l'obligation de présence d'un co-pilote plus jeune comme prévu par la nouvelle loi du 17 décembre 2008, voire même débutant afin d'achever sa formation, permet de façon tout aussi appropriée de réaliser cet objectif de politique de l'emploi et de déroulement des carrières.

Dans ces conditions, la rupture du contrat de travail opérée en raison de l'atteinte de l'âge de 60 ans d'[X] [P] s'analyse en un licenciement discriminatoire qui est donc nul. Il convient donc d'infirmer le jugement déféré sur ce point.

Sur les demandes d'indemnités :

Le 31 décembre 2007, terme de son contrat, [X] [P] justifie d'une ancienneté de 28 ans et 11 mois. La moyenne de ces trois derniers mois de salaire brut est de 19'320 €, celle des 12 derniers mois de 19'208 €. Le salaire minimum garanti est de 13'663 €.

Il a été pris en charge par Pôle Emploi, après une période de carence de 6 mois, et a perçu des indemnités Assedic à partir du 28 juin 2008 jusqu'au 31 décembre 2010.

Sur l'indemnité de licenciement :

La rupture s'analyse comme un licenciement nul; elle ouvre droit pour [X] [P] au paiement de l'indemnité conventionnelle de licenciement d'un montant de 163'956 € sur la base d'un salaire minimum garanti de 13'663 € par année d'ancienneté plafonnée à 12 mois. Toutefois, il a perçu l'indemnité spécifique de départ prévue par l'article 4.2 du chapitre 7 de la convention d'entreprise du personnel navigant technique d'un montant de 176'570,72 €, due dans l'hypothèse d'une rupture par application de l'article L. 421 - 9 du code de l'aviation civile et qui n'a pas vocation à se cumuler avec une autre indemnité de rupture. [X] [P] n'a droit à aucune indemnité de licenciement dès lors que l'indemnité perçue au titre de l'indemnité spécifique de départ est plus élevée que celle sollicitée.

Sur l'indemnité au titre de la nullité de la rupture du contrat de travail :

[X] [P] sollicite la somme de 670'000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul compte tenu de son ancienneté dans l'entreprise, de sa perte de chance de carrière dont il a été privé pendant 5 années supplémentaires et de sa perte de chance de cotiser et ainsi de bonifier ses droits à pension. Il lui sera alloué en réparation de la totalité de son préjudice résultant des circonstances de la rupture, une indemnité de 250'000 €.

Sur la demande de dommages et intérêts pour privation du droit à préavis du fait de la notification prématurée du licenciement :

[X] [P] prétend que la rupture du contrat de travail ne pouvait lui être notifiée au plus tôt que le 24 décembre 2007, jour de ses 60 ans, seule date à laquelle l'employeur était certain qu'il n'avait aucun poste à lui proposer et que le préavis de trois mois ne pouvait prendre son point de départ au plutôt qu'à compter de cette date. Il sollicite la somme de 56'885 € à titre de dommages et intérêts pour notification prématurée du licenciement dont l'objet était de contourner l'obligation à préavis et celle de rechercher un poste jusqu'à ses 60 ans.

Or aucune disposition oblige l'employeur à attendre le 60 ans de salariés pour lui notifier la rupture de son contrat. [X] [P] sera donc débouté de cette demande.

Sur le droit individuel à la formation :

La lettre de rupture ne comporte pas l'information donnée au salarié de ses droits au titre du droit individuel à la formation en violation de l'article L. 6323 - 19 du code du travail, dont [X] [P] n'était pas privé ne s'agissant pas d'un départ à la retraite de sorte qu'en ne lui permettant pas de bénéficier des dispositions relatives à ce droit, l'employeur a causé au salarié un préjudice qui sera indemnisé par l'allocation d'une somme calculée en application de l'article D.6321-5 du code du travail sur la base de 50 % de la rémunération nette du salarié pour l'année 2007, soit 2070 €.

Il serait inéquitable de laisser à la charge d'[X] [P] les frais irrépétibles qu'il a dû engager ; la société AIR FRANCE sera condamnée à lui verser la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Ordonne la jonction avec le dossier n°13/10625,

Confirme le jugement du 24 octobre 2001 ;

Infirme le jugement du 14 décembre 2011 et statuant à nouveau,

Dit que la rupture du contrat de travail d'[X] [P] par la société AIR FRANCE s'analyse en un licenciement nul,

Condamne la société AIR FRANCE à verser à [X] [P] les sommes suivantes :

- 250'000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 2070 € à titre de dommages et intérêts pour privation de son droit individuel à la formation,

Déboute [X] [P] du surplus de ses demandes,

Condamne la société AIR FRANCE à payer à [X] [P] la somme de 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société AIR FRANCE aux entiers dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 12/02755
Date de la décision : 18/02/2014

Références :

Cour d'appel de Paris K4, arrêt n°12/02755 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-02-18;12.02755 ?
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