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30/01/2014 | FRANCE | N°11/08319

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 30 janvier 2014, 11/08319


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRÊT DU 30 Janvier 2014

(n° 3 , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/08319



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Mai 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - Section activités diverses - RG n° 10/11514







APPELANTES

Madame [C] [E] [U]

[Adresse 2]

[Localité 1]

comparante en personne, assistée

de Me Zoran ILIC, avocat au barreau de PARIS, toque : K0137





INTIMÉE

SOCIÉTÉ NATIONALE INDUSTRIELLE ET MINIERE SOCIETE D'ECONOMIE MIXTE (SNIM SEM)

[Adresse 3]

[Localité 2]

...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRÊT DU 30 Janvier 2014

(n° 3 , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/08319

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Mai 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - Section activités diverses - RG n° 10/11514

APPELANTES

Madame [C] [E] [U]

[Adresse 2]

[Localité 1]

comparante en personne, assistée de Me Zoran ILIC, avocat au barreau de PARIS, toque : K0137

INTIMÉE

SOCIÉTÉ NATIONALE INDUSTRIELLE ET MINIERE SOCIETE D'ECONOMIE MIXTE (SNIM SEM)

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Patrice MOUCHON, avocat au barreau de PARIS, toque : P0104 substitué par Me Virginie DUBOIS

PARTIE INTERVENANTE :

L'UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DU 2EME ARRONDISSEMENT DE PARIS ( Intervenante volontaire)

[Adresse 1]

[Localité 2]

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 19 décembre 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Renaud BLANQUART, Président

Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère

Madame Anne MÉNARD, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : M. Franck TASSET, lors des débats

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Renaud BLANQUART, Président et par M. Franck TASSET, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

La société SNIM est une société de droit mauritanien, qui dispose de plusieurs filiales, et d'une succursale à [Localité 2]. Il s'agissait à l'origine d'une société française, la MIFERMA, qui a été nationalisée en 1974. Au sein de la succursale de [Localité 2] sont employés, d'une part, des salariés mauritaniens 'expatriés' à [Localité 2], et d'autre part des salariés 'locaux', parmi lesquels Madame [E] [U].

Cette dernière a été embauchée par la SNIP le 6 novembre 1989 en qualité d'assistante commerciale au sein du service achats. A compter du 21 septembre 1999, elle a été promue au poste d'assistance administrative et comptable, statut non cadre. Compte tenu de son salaire de base, de sa prime d'ancienneté et de différentes gratifications, elle a perçu, pour l'année 2011, une moyenne de salaires de 7.870,39 euros.

Les salariés expatriés travaillant au sein de la succursale bénéficient de différents avantages salariaux, pour certains directement liés à leur expatriation, et, pour deux autres, dont ils est soutenu dans le cadre du présent litige qu'ils ne sont pas justifiés par leur situation d'expatriés : il s'agit d'une prime pour services rendus, d'un montant qui varie en fonction des années et d'une prime d'ancienneté de 2% par année d'ancienneté dont les salariés locaux considèrent qu'elle répond à des modalités de calcul plus favorables que celle qu'ils perçoivent eux-mêmes.

C'est dans ces conditions que Madame [E] [U], comme cinq autres salariés 'locaux' a saisi le Conseil de Prud'hommes de Paris afin d'obtenir le paiement de différentes sommes sur le fondement du principe d'égalité de traitement.

Par jugement en date du 10 mai 2011, le Conseil de Prud'hommes de Paris l'a déboutée de toutes ses demandes et condamnée aux dépens.

Madame [E] [U] a interjeté appel de cette décision le 22 juillet 2011.

Le 19 mars 2012, Madame [E] [U] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 29 mars 2012. Elle a été licenciée pour motif économique, le 19 juillet 2012.

Présente et assistée de son Conseil, Madame [E] [U] a, à l'audience du 19 décembre 2013 développé oralement ses écritures, visées le jour même par le Greffier, aux termes desquelles; elle demande à la Cour :

- d'infirmer le jugement entrepris,

- de constater l'existence d'une inégalité de traitement.

- de condamner la société SNIM à lui payer les sommes suivantes :

à titre principal 175.835,03 euros (49 % du salaire de base et ancienneté), ou subsidiairement 125.596,45 euros (35 % du salaire de base et ancienneté), ou plus subsidiairement 53.827,05 euros (15 % du salaire de base et ancienneté), à titre de rappel de salaire lié au non versement de la prime pour services rendus.

à titre principal 17.583,50 euros, ou subsidiairement 12.559,65 euros, ou plus subsidiairement 5.382,71 euros au titre des congés payés afférents.

67.536,14 euros à titre de rappel de salaires lié à la prime d'ancienneté.

6.753,62 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés.

4.959,14 euros à titre de rappel d'indemnité de licenciement.

50.000 euros au titre de la violation des dispositions de l'article L1222-1 du Code du travail.

- d'ordonner sa réintégration en raison du caractère illicite de son licenciement, et condamner l'employeur à lui payer un rappel de salaires de 67.310 euros.

- subsidiairement, de dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et condamner l'employeur à lui payer une somme de 174.432 euros à ce titre.

- plus subsidiairement, condamner l'employeur au paiement du même montant pour non respect de l'ordre des licenciements.

- d'ordonner la rectification des bulletins de salaire sous astreinte de 50 euros par jour de retard, la Cour se réservant la liquidation.

- d'ordonner la régularisation des cotisations sociales auprès de la Caisse Nationale d'assurance vieillesse et de l' ARRCO sous astreinte de 50 euros par jour de retard, la Cour se réservant la liquidation.

- d'ordonner la capitalisation des intérêts.

- de condamner l'employeur au paiement de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle expose qu'outre leurs primes d'expatriation, de logement et de transport directement liées à leurs expatriation, ses collègues mauritaniens perçoivent une prime d'ancienneté de 2 % par an et une prime pour services rendus (PSR)dont le montant est au minimum de 15 % du salaire, et dont le pourcentage varie suivant l'appréciation faite de l'activité du salarié par son supérieur hiérarchique ; que cette disparité de traitement a été soulevée au sein de l'entreprise, et que l'employeur n'a pas été en mesure d'en donner une explication objective.

Elle souligne que les trois salariés expatriés qui bénéficient de la prime pour services rendus bénéficient des mêmes conditions de travail que les salariés français ; qu'aucune règle d'attribution préalablement définie et objective ne permet de justifier de la différence de traitement constatée, et que l'employeur a multiplié, au fil du temps, les explications ; que la prime ne peut se justifier par la situation d'expatriation ou la précarité subie par les salariés concernés, dès lors qu'elle est perçue par tous les salariés mauritaniens, même restés dans leur pays ; que contrairement à ce qui est soutenu, cette prime n'est pas destinée à compenser le faible niveau de rémunération des salariés mauritaniens, mais à récompenser la qualité du service rendu ; que le fait que la rémunération des salariés expatriés ne contrevient pas aux exigence salariales du droit français, notamment en termes d'égalité des salaires, résulte du fait qu'après avoir contrôlé cet élément, l'administration leur a délivré une autorisation de travail ; qu'étant soumis à la convention collective de la métallurgie en raison de leurs contrats de travail en France, les salariés expatriés bénéficient des minima conventionnels ; que certains salariés mauritaniens ont été recrutés directement pour travailler en France, de sorte qu'ils n'ont pas perçu la PSR avant leur arrivée sur le territoire français, et qu'en tout état de cause, il importe peu que la prime ait été contractualisée et maintenue à l'occasion de l'expatriation dès lors que l'origine de l'inégalité de traitement est sans incidence sur l'application du principe d'égalité ; que dès lors qu'une décision prise par la société mauritanienne a des effets sur des salariés travaillant en France et soumis au droit du travail français, elle doit respecter les règles d'ordre public de droit du travail, et notamment le principe d'égalité de traitement.

Elle soutient avoir fait, durant sa carrière, l'objet d'une discrimination liée à son engagement syndical, et, ainsi, n'avoir pas pu accéder aux fonctions d'encadrement auxquelles elle aspirait et en perspective desquelles elle avait fait une formation ; que c'est également en raison de son appartenance syndicale qu'elle a fait l'objet d'un licenciement à l'occasion de la réorganisation de la succursale parisienne, de sorte que son licenciement est illicite.

Subsidiairement en ce qui concerne le licenciement économique, elle expose que la société ne démontre nullement la menace sur la compétitivité dont elle se prévaut pour justifier des mesures de réorganisation mises en place ; que les éléments fournis sont des énonciations générales ; que le développement des actions commerciales en direction de la Chine n'ont absolument pas affecté les résultats de la société, qui n'ont jamais été aussi favorables ; que l'employeur s'est basé sur l'impérieuse nécessité d'être présent en Chine, mais que jusqu'ici aucun bureau n'a été ouvert dans ce pays comme annoncé dans la lettre de licenciement ; que la baisse des prix du minerai de fer annoncée pour 2014, à la supposer établie, toucherait l'ensemble des opérateurs du marché, et ne serait pas par conséquent de nature à nuire à la compétitivité de la SNIM ; que la nécessaire sauvegarde de la compétitivité doit s'apprécier au niveau du secteur dans le monde, alors que les pièces produites ne concernent que le marché européen ; que les quatre licenciements opérés par l'employeur ne sont pas de nature à apporter une solution aux difficultés liées à la concurrence accrue en Afrique, à la baisse du prix du minerai, à l'importance des coûts de production, et aux contraintes liées aux investissements réalisés.

Enfin, elle conteste que l'employeur ait respecté son obligation de reclassement, et soutient qu'il s'est contenté d'adresser, au siège mauritanien, un courrier n'apportant aucune précision relative à ses qualifications, ce qui ne saurait remplir ses obligations à cet égard.

L'UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT est intervenue volontairement à l'instance pour solliciter la condamnation de l'employeur à lui payer une somme de 10.000 euros de dommages et intérêts en raison de la discrimination syndicale commise par l'employeur, et celle de 1.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Réprésentée par son Conseil, la SOCIETE NATIONALE INDUSTRIELLE ET MINIERE a, à l'audience du 19 décembre 2013 développé oralement ses écritures, visées le jour même par le Greffier, aux termes desquelles, elle demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris, de débouter Madame [E] [U] de toutes ses demandes, et de la condamner au paiement d'une somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle expose que, lors de la création de la succursale parisienne en 1978, il a été souhaité que cette entité soit dirigée par un salarié mauritanien, ayant une expérience et une connaissance des services opérationnels de la société ; que la même politique a été mise en place pour les fonctions marketing, d'ingenierie Technico-commerciale et suivi qualité ; qu'à ce jour la succursale compte donc deux salariés expatriés, le Directeur et un ingénieur technico-commercial ; qu'ils perçoivent des primes liées à leur expatriation, et d'autres liées à l'antériorité d'un contrat de travail contenant des dispositions applicables en Mauritanie ; que les salaires des salariés français employés par la structure sont 2,5 à 3 fois supérieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués dans ce type de structure.

Elle fait valoir que la PSR a été créée par la MIFERMA en 1965, au seul bénéfice des salariés travaillant en Mauritanie, afin d'augmenter leur niveau de rémunération particulièrement peu élevé ; qu'à la suite de la nationalisation de cette société, la SNIM a décidé d'intégrer le dispositif de la PSR dans les contrats de travail des cadres et agents de maîtrise travaillant en Mauritanie ; qu'il s'agit, donc, d'une mesure d'application strictement territoriale, qui ne peut bénéficier à des salariés embauchés à l'étranger ; que ces avantages contractuels ne pouvaient être retirés aux salariés venant travailler dans la succursale française au motif qu'ils sont expatriés ; que le maintien des avantages individuels tirés d'une situation juridique pré-existante n'est pas susceptible de constituer une inégalité de traitement ; que les deux salariés expatriés, bien qu'exerçant des responsabilités beaucoup plus importantes que Madame [E] [U] (directeur de la succursale pour l'un, et ingénieur technico commercial, assistant le directeur y compris dans les négociations internationales pour l'autre), et ayant le statut de cadre, ont un salaire de base, hors prime d'ancienneté et avantages liés à l'expatriation, inférieur au sien ; que la prime est versée chaque année en fonction d'un taux pivot fixé par le directeur général de la SNIM.

En ce qui concerne la prime d'ancienneté, elle souligne qu'elle est fixée pour les salariés mauritaniens en fonction de l'article 41 de la convention collective applicable en Mauritanie, et qu'à ce titre, elle est concernée par le principe de territorialité et ne peut s'appliquer aux salariés français.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère aux dernières écritures des parties, visées par le greffier, et réitérées oralement à l'audience.

DISCUSSION

- Sur les demandes formées au titre de l'égalité de traitement

Il résulte du principe 'à travail égal, salaire égal', dont s'inspirent les articles L.1242-14, L.1242-15, L.2261-22.9 , L.2271-1.8° et L.3221-2 du Code du travail, que tout employeur est tenu d'assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre tous ses salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale.

En l'espèce, les demandes ne se fondent pas, à proprement parler, sur une inégalité de salaires, mais sur l'octroi d'avantages à certains salariés, alors que d'autres, placés dans une situation identique au regard du dit avantage, n'en bénéficient pas.

En application de l'article 1315 du Code civil, s'il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe 'à travail égal, salaire égal' de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de traitement, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence.

Les salariés doivent être placés dans une situation identique au regard de l'objet de l'avantage litigieux.

Il n'est pas contesté que les salariés français ne perçoivent pas la prime pour services rendus et la prime d'ancienneté de 2% versée aux salariés expatriés, de sorte qu'il convient de rechercher s'il existe pour chacune de ces différences de traitement une justification objective et pertinente.

Sur la prime pour services rendus

Cette prime, d'un montant minimum de 15 % du salarie de base, a été initialement créée en 1965 par la société MIFERMA, qui était une société de droit français.

La note qui met en place cette prime est adressée au directeur délégué à [Localité 3] en Mauritanie. L'employeur justifie, par la production du contrat de travail d'une salariée embauchée en France au cours de cette période, que cette prime était bien réservée aux salariés mauritaniens, ce qui se justifie par la différence considérable de niveau de vie et de salaire entre les deux pays.

Après la nationalisation de la MIFERMA intervenue en 1974, cette prime a été maintenue dans le contrat de travail des salariés travaillant en Mauritanie exclusivement, comme initialement, et il n'est pas soutenu qu'aucun salarié engagé en France pour y travailler en ait jamais bénéficié.

Il est, en effet, constant que les salariés français et mauritaniens appartiennent à des ordres sociaux différents, dépendant d'un environnement social distinct, à l'origine d'un dispositif contractuel plus favorable aux seconds. Le fait que le taux de la prime puisse, dans une faible mesure, varier en fonction de l'appréciation faite du travail du salarié au cours de l'année, ne remet pas en cause sa finalité première qui est en lien avec le niveau de rémunération des salariés en Mauritanie, dont le salaire moyen est inférieur à 1.000 euros.

Cette prime réservée aux salariés mauritaniens, a ainsi, été intégrée contractuellement dès leur embauche dans la rémunération des salariés ultérieurement mutés en France pour y exercer temporairement des fonctions de direction de la succursale, de direction du marketing, ou d'ingénieur technico commercial. La SNIP verse aux débats les contrats de travail de Monsieur [G] [Q] (engagé en Mauritanie en 1990 et muté en France en 2007 en qualité de directeur du marketing, puis de directeur de la succursale) et de Monsieur [V] (engagé en Mauritanie en 2003 et muté en France en 2006 en qualité d'ingénieur technico commercial). Ces deux salariés sont les deux seuls qui exercent actuellement leurs fonctions au sein de la succursale parisienne. Il est également produit les contrats de travail des deux précédents directeurs de la succursales, Messieurs [O] et [W], dont il résulte qu'aux aussi ont fait l'objet d'une embauche initiale en Mauritanie, avant d'être mutés en France.

Ainsi, il est établi que la prime pour service rendus a été maintenue dans la rémunération des salariés expatriés en raison de leur contrat de travail d'origine, signé en Mauritanie, et de l'insertion, dans ce contrat, d'une prime allouée par la société à l'ensemble de ses salariés travaillant sur le territoire mauritanien. Peu importe, à cet égard, qu'un nouveau contrat de travail ait été signé en France, dès lors que l'employeur ne pouvait priver le salarié expatrié d'une partie de la rémunération qui lui était due en raison de son contrat d'origine.

Il convient, par ailleurs, de comparer les traitements perçus par les salariés français et expatriés afin de déterminer si le motif objectif invoqué pour l'allocation de cette prime aux seuls salariés embauchés en Mauritanie, à savoir la différence de niveau de vie des uns et des autres, est justifié.

Il résulte de leur contrat de travail que Monsieur [G] [Q] a été engagé au salaire de base de 3.000 euros en 2007, et Monsieur [V] au salaire de base de 2.000 euros. Or en 2007 Madame [E] [U], qui était adjointe administrative et comptable percevait un salaire de base de 3.450 euros, alors qu'elle exerçait de bien moindre responsabilités au sein de la société, et percevait en outre un treizième mois.

Au cours de l'année 2011, dernière année d'emploi complète, Madame [E] [U] a perçu une rémunération brute de base, y compris le 13ème mois, de 63.190 euros. Avant le versement de la prime pour services rendus, Messieurs [Q] et [V], qui occupent des postes plus importants que le sien et ont le statut de cadre, percevaient respectivement une rémunération brute de base de 41.330 euros et 34.998 euros (ce non inclus les indemnités directement liées à l'expatriation qui ayant un objet spécifique ne peuvent constituer des éléments de comparaison). Si l'on intègre la prime pour services rendus, Monsieur [V] a perçu 67.109 euros, et Monsieur [Q], directeur de la succursale, a perçu 82.330 euros, soit une différence peu importante, largement justifiée par la différence de situation hiérarchique, étant rappelé que Madame [E] [U] n'occupait pas un emploi de cadre.

Il résulte de ces éléments que la prime litigieuse permet de combler la différence de salaire et de niveau de vie existant entre les salariés engagés en France et ceux initialement engagés par des contrats de travail de droit mauritanien travaillant temporairement en France. La disparité de niveau de vie entre les salariés français et les salariés mauritaniens, même expatriés en France, demeure encore actuellement et, ainsi, le fondement de la prime tel qu'il existait lors de sa mise en place reste d'actualité.

La Cour retient donc que l'employeur justifie de l'existence d'éléments objectifs, pertinents, et matériellement vérifiables qui justifient la différence faite dans l'attribution de cet avantage spécifique, de sorte que Madame [E] [U] sera déboutée de ses demandes de ce chef.

Sur la prime d'ancienneté

Les salariés mauritaniens expatriés perçoivent une prime d'ancienneté de 2% par an, tandis que celle perçue par les salariés français n'est que de 1%, de sorte que sur ce point également Madame [E] [U] forme une demande de rappel de salaire sur le fondement de l'égalité de traitement.

La prime d'ancienneté versée aux salariés mauritaniens, et stipulée dans leur contrat de travail, est prévue par la convention collective du travail mauritanienne, laquelle stipule :

'Article 41 : PRIME D'ANCIENNETE

Tout travailleur bénéficie d'une prime d'ancienneté lorsqu'il réunit les conditions requises, telles que définies ci-après :

- on entend par ancienneté le temps pendant lequel le travailleur a été occupé, de façon continue pour le compte de l'entreprise, quelle qu'ait été le lieu de son emploi.

(...)

La prime d'ancienneté est calculée en pourcentage sur le salaire minimum de la catégorie de classement du travailleur, le montant total de ce salaire étant déterminé en fonction de l'horaire normal de l'entreprise.

Le pourcentage en est fixé à :

- 2 % après deux années d'ancienneté ,

- 2 % par année de service de la 3éme à la 15éme15'' année ;

- 1 % du salaire par année de service à partir de la seizième année avec un

maximum de 30 %'.

Il résulte de ces éléments d'une part que la prime d'ancienneté litigieuse est issue de dispositions de droit du travail propres à la Mauritanie, qui ne bénéficient pas aux salariés français, et surabondamment que la prime étant calculée sur le salaire minimum de la catégorie et plafonnée, il n'est nullement établi qu'elle soit plus favorable que la prime de 1% calculée sur le salaire de base et non plafonnée dont bénéficient les salariés français.

Compte tenu de ces éléments, il existe là encore un élément objectif et pertinent de nature à justifier la différence de calcul des primes d'ancienneté des salariés français et expatriés, de sorte que Madame [E] [U] sera également déboutée de ses demandes de ce chef.

*

Dès lors que la Cour ne retient pas que l'employeur ait manqué à ses obligations dans le calcul des rémunérations de ses salariés, il ne sera pas fait droit à la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

- Sur la discrimination syndicale

Madame [E] [U] expose qu'elle est syndiquée dans l'entreprise depuis 2002, ce dont l'employeur avait parfaitement connaissance.

Elle soutient, en premier lieu, qu'elle n'a pas bénéficié des dispositions conventionnelles qui imposent à l'employeur d'anticiper l'évolution des carrières professionnelles des salariés âgés de plus de 45 ans, par l'organisation d'entretiens périodiques.

Toutefois, l'accord du 4 décembre 2009 (qui institue ce suivi), en limite l'application aux entreprises de plus de 50 salariés. En l'espèce, la SNIM n'emploie que de 12 salariés en France, et les dispositions de droit du travail français sont inapplicables aux salariés employés en Mauritanie. En outre, l'employeur justifie d'actions de formation importantes au bénéfice notamment de Madame [E] [U], qui a pu poursuivre une formation qualifiante en université en 2010 et a bénéficié de 60 heures d'anglais en 2011.

Il n'apparaît, donc, pas que la salariée étaye, sur ce premier point, ses allégations aux termes desquelles elle aurait fait l'objet d'une discrimination dans le cadre de l'adaptation de son emploi.

Elle soutient, en second lieu, qu'elle aurait dû bénéficier d'une évolution de carrière et devenir cadre, mais que le poste pour lequel elle postulait en 2010, et qui était conforme aux diplômes nouvellement acquis, a été attribué à Madame [Z], laquelle avait été recrutée en 2008 en qualité de secrétaire bilingue.

Madame [E] [U] souligne que la volonté de discrimination de l'employeur résulte d'un courriel du responsable administratif à son sujet, où il indique : 'Vu le rôle plutôt négatif qu'elle joue, je n'ai pas l'intention de lui offrir une promotion'.

L'employeur expose que la salariée a eu accès dans le cadre de ses fonctions à différents documents confidentiels qu'elle verse aux débats ; qu'en l'espèce, il était fait référence aux procédures en cours.

Ce courriel, adressé le 1er octobre 2010 à la suite de la transmission de sa demande de promotion à l'issue de l'obtention de son diplôme, est rédigé dans les termes suivants : 'Me préparer les éléments de réponse. Vu le rôle plutôt négatif qu'elle joue, je n'ai pas l'intention de lui offrir une promotion. En plus l'organigramme n'évolue pas en fonction des diplômes obtenus par les uns ou les autres. Le cabinet nous dira ce qui est nécessaire'.

Il apparaît que ce courriel a été adressé un mois après la saisine du Conseil de Prud'hommes par Madame [E] [U] et cinq autres salariés, lesquels ne sont pas syndiqués. Il y est répondu par le directeur administratif et financier dans les termes suivants : 'Noté, il est vrai que l'attitude de certains salariés est surprenante, entamer des actions judiciaires d'un côté et solliciter une promotion de l'autre (...)'.

Il résulte de ces éléments que le directeur de la succursale réagissait, non à l'activité syndicale de Madame [E] [U], mais à son action en justice, laquelle était sans rapport avec la dite activité. Ce courriel seul ne permet pas d'établir que la salariée aurait été l'objet d'une discrimination syndicale dans l'évolution de sa carrière, et il convient de rechercher s'il existait des éléments objectifs motivant la nomination de Madame [Z] sur un poste que l'appelante aurait souhaité obtenir.

Il convient de relever, en premier lieu, que Madame [E] [U] n'a postulé pour le poste litigieux qu'en octobre 2010, à l'issue de sa formation, alors que Madame [Z] avait été promue Technicienne gestion des ventes dès le mois de mai 2010. En outre, Madame [E] [U] ne peut, sans mauvaise foi, soutenir que Madame [Z] avait été recrutée le 2 juin 2008, alors que si son contrat français est récent, elle avait précédemment été recrutée par la SNIM en Mauritanie en 1979, et qu'elle y exerçait des fonctions d'assistante de direction. Elle avait donc dix années d'ancienneté de plus que Madame [E] [U] et avait exercé des fonctions transversales lui donnant une parfaite connaissance de l'entreprise. Elle avait, en outre, la parfaite maîtrise de quatre langues.

Ainsi, il est justifié d'éléments objectifs, exclusifs de toute discrimination, ayant amené l'employeur à promouvoir Madame [Z] au poste de technicienne gestion des ventes.

Enfin, Madame [E] [U] se prévaut de la mention 'syndicaliste' en dessous de son nom, sur le compte-rendu manuscrit réalisé par la salariée du cabinet BERGER, lequel était en charge d'une consultation dans le cadre de la réorganisation de la succursale.

Toutefois, il apparaît que le document litigieux constitue une prise de note rapide lors d'entretiens menés avec les salariés par un cabinet extérieur, dans le cadre d'un audit. Ce document qui ne constitue nullement un rapport, et dont la SNIM indique qu'il a été photocopié à l'insu de son auteur durant une pause, n'émane pas de l'employeur. La fiche réalisée à destination de ce dernier ne mentionne absolument pas l'activité syndicale de Madame [E] [U]. En outre, il n'était pas inutile pour le cabinet d'audit de mentionner 'pour mémoire' cet élément, dès lors qu'il devait nécessairement l'amener à vérifier s'il existait des heures de délégations ou une protection particulière dont il devait être tenu compte dans le cadre de la réorganisation pour laquelle il était missionné.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la Cour ne retient pas l'existence d'une discrimination syndicale à l'encontre de Madame [E] [U], de sorte qu'elle sera déboutée de ses demandes de ce chef en ce compris sa demande de réintégration.

L'intervention du l'union locale CGT est recevable, mais les demandes formées seront rejetées, dès lors que la discrimination syndicale n'a pas été retenue.

- Sur le motif économique du licenciement

En application de l'article L.1233-3 du Code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un motif non inhérent à la personne du salarié, résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ; aux termes de l'article L.1233-16 du même code, la lettre de licenciement doit comporter l'énoncé des motifs économiques invoqués par l'employeur.

En l'espèce, la SNIM expose dans sa lettre de licenciement qu'elle est chargée de l'exploitation et de la commercialisation des ressources minières de la Mauritanie ; que traditionnellement, le marché Européen représentait 95 % de sa production, et que ce taux est tombé à 50 %, en raison, notamment, de la très forte demande de la Chine ; qu'il existe en Europe une forte tension sur les prix et que les principaux acteurs sur le secteur investissent en Afrique, ce qui aura des effets sur sa compétitivité, l'obligeant à s'adapter rapidement ; qu'une baisse des prix est prévisible à échéance de quelques années ; qu'elle a en outre dû réaliser des investissements techniques, qu'elle n'a pu financer qu'à hauteur de 30 % par ses fonds propres et qui l'ont amenée à emprunter ; que le déplacement du marché l'amène à devoir implanter un bureau en Chine ce qu'il est nécessaire de faire à coût constant ; que dans le même temps, le développement des nouvelles techniques d'information et de communication permettent d'effectuer les fonctions support au siège de la société à Nouadhibou, remettant en cause la nécessité de maintenir ces fonctions à [Localité 2], et notamment le poste d'assistance administrative, qui a connu au cours des dernières années une baisse très sensible de son volume, et dont les tâches subsistantes peuvent être transférées à la DRH en Mauritanieou réparties entre les emplois subsistant.

Il résulte de cet énoncé des motifs que la société SNIM ne se fonde pas sur des difficultés économiques, mais sur la nécessité de sauvegarder sa compétitivité, dans un contexte de fortes tension dans le secteur de la métallurgie.

Le contexte de forte concurrence et d'évolution de la localisation des ventes est avéré, et il impose manifestement aux entreprises du secteur, et notamment à la SNIM, qui est un acteur de taille moyenne plus susceptible d'être absorbé par ses concurrents, de réaliser des investissements pour rationaliser sa production et demeurer concurrentielle. La Cour relève toutefois qu'au cours de l'année 2011, la SNIM a réalisé un résultat net de plus de 400 millions d'euros, pour un chiffre d'affaires de plus de 415 milliards d'ouguydas, soit plus de 1 milliard d'euros ; que le tiers de son bénéfice environ a été distribué ; qu'ainsi, elle ne démontre pas que la suppression de quatre postes administratifs dans sa succursale parisienne ait été rendue nécessaire par les investissements qu'elle a réalisés afin notamment d'améliorer la qualité de son minerai.

La SNIM expose, par ailleurs, que compte tenu du déplacement du marché s'étant produit au cours des dernières années, il lui est indispensable d'ouvrir un bureau en Chine, ce qui, dans le contexte économique précédemment rappelé, ne peut se faire qu'à coût constant. Quelque soit la pertinence des arguments développés, relatifs à la nécessité de se positionner au mieux sur le marché Chinois, la Cour ne peut que constater que l'ouverture de ce bureau a été décidée par le Conseil d'administration en 2009, que les licenciement destinés à 'dégager des fonds' pour permettre ces créations de poste ont eu lieu en 2012, et que deux ans plus tard, non seulement ce bureau n'a pas été ouvert, mais que la SNIM ne justifie pas de la moindre démarche pour y parvenir ; qu'elle invoque les démarches administratives complexes imposées par les lois chinoises, mais, dans le même temps, développe longuement le fait que tous ses principaux concurrents ont une antenne locale, ce qui démontre que ces obstacles administratifs ne sont pas insurmontables.

Enfin, la SNIM soutient que la suppression du poste administratif occupé par Madame [E] [U] est la conséquence d'importantes mutations technologiques intervenues au cours des dernières années ; que ses tâches avaient déjà diminué sensiblement à la date de son licenciement, et que ses fonctions résiduelles peuvent désormais être confiées au service achat en Mauritanie, compte tenu de l'amélioration des communications. Elle précise, à cet égard, que les réseaux internet via le satellite Arabsat en Mauritanie remontent à moins de dix ans, et que le câble à fibre optique reliant l'Europe à la Mauritanie remonte à septembre 2011. Si ces éléments techniques sont établis, il n'en reste pas moins que la société SNIM ne verse pas aux débats la moindre pièce pour démontrer que le siège avait commencé depuis plusieurs années à reprendre en main les tâches administratives, que le niveau d'activité de Madame [E] [U] aurait diminué de manière importante au cours des dernières années, et que les tâches qui lui étaient confiées à la date de son licenciement soient désormais confiées à la DRH au siège de la société.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il n'est pas établi que la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise et les mutations technologies aient rendu nécessaire la suppression du poste occupé par Madame [E] [U] , de sorte que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Compte tenu de son âge à la date de son licenciement (53 ans), de son ancienneté (20 ans), et des éléments du dossier dont il résulte qu'elle n'avait pas retrouvé d'emploi au mois de septembre 2013, il lui sera alloué une indemnité de 110.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L1235-3 du Code du travail.

- Sur la demande de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement

Madame [E] [U] soutient que son employeur n'a pas pris en compte pour calculer cette indemnité la moyenne de salaire qui lui était la plus favorable ; qu'il a retenu le salaire des 12 derniers mois, et non celui des trois derniers mois qui lui étaient plus favorables.

Toutefois, l'indemnité conventionnelle, plus favorable que l'indemnité légale en l'espèce, a été calculée en fonction des éléments de salaire dus en vertu du contrat de travail et d'un usage constant ; que c'est donc à juste titre que l'employeur n'a pas pris en compte la gratification exceptionnelle versée à la salariée, de sorte que la demande de rappel de salaire formée par Madame [E] [U] se fonde sur un calcul erroné.

Elle sera donc déboutée de ce chef de demande.

*

Il serait inéquitable de laisser à Madame [E] [U] la charge de la totalité des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés en cause d'appel.

Il lui sera alloué une somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Reçoit l'intervention volontaire de l' UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT.

Confirme le jugement dans toutes ses dispositions.

Y ajoutant, condamne la Société Nationale Industrielle et Minière à payer à Madame [E] [U] les sommes suivantes :

100.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamne la Société Nationale Industrielle et Minière aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 11/08319
Date de la décision : 30/01/2014

Références :

Cour d'appel de Paris K5, arrêt n°11/08319 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-01-30;11.08319 ?
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