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30/01/2014 | FRANCE | N°10/04893

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 7, 30 janvier 2014, 10/04893


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7



ARRÊT DU 30 Janvier 2014

(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/04893



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Mars 2010 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS Section Commerce RG n° 07/04808





APPELANT

Monsieur [E] [Z] [T]

[Adresse 2]

[Localité 2]

comparant en personne

assisté de Me Rachid

HENOUSSENE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1278







INTIMEE

SAS CHEVY venant aux droits de la SAS LES BOUCHERIES [Localité 3] sous l'enseigne BOUCHERIES CHEVY

[Adresse 1]

[A...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7

ARRÊT DU 30 Janvier 2014

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/04893

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Mars 2010 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS Section Commerce RG n° 07/04808

APPELANT

Monsieur [E] [Z] [T]

[Adresse 2]

[Localité 2]

comparant en personne

assisté de Me Rachid HENOUSSENE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1278

INTIMEE

SAS CHEVY venant aux droits de la SAS LES BOUCHERIES [Localité 3] sous l'enseigne BOUCHERIES CHEVY

[Adresse 1]

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Lin NIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0075

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Décembre 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Patrice LABEY, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Patrice LABEY, Président

Monsieur Bruno BLANC, Conseiller

Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Conseiller

Greffier : Madame Laëtitia CAPARROS, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Patrice LABEY, Président, et par Melle Laëtitia CAPARROS, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS-PROCEDURE-PRETENTIONS

Le 31 juillet 2004,M [C] [T] a cessé son activité pour cause de retraite, alors qu'il était responsable de magasin au sein de la société Les Boucheries [Localité 3], aux droits de laquelle se trouve la SAS Chevy, au coefficient 165 de la convention collective de la boucherie, boucherie-charcuterie et boucherie hippophagique (commerces de détail de boucherie).

Le 25 avril 2007, il a saisi le conseil de prud'hommes et dans le dernier état de ses prétentions a fait les demandes suivantes :

- Indemnité complémentaire de départ à la retraite 3 858,27 €.

- Prime de fin d'année 1.500,43 €.

- Heures supplémentaires et congés payés 126.264,68 €.

- Remise des bulletins de paie rectifiés sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

- Dommages et intérêts travail dissimulé 39.264 €.

- Article 700 du Code de Procédure Civile 4.000 €.

Par jugement du 15 mars 2010, le conseil de prud'hommes de Paris a :

Condamné la SAS société d'exploitation des boucheries Chevy, venant aux droits de la SAS Les Boucheries [Localité 3], à payer à M. [T] les sommes suivantes :

- 1500,43 euros à titre de prime de fin d'année,

- 10 000 euros au titre des heures supplémentaires,

Débouté M. [T] du surplus de ses demandes et la société défenderesse de sa demande reconventionnelle.

M. [T] a régulièrement fait appel du jugement et, dans le dernier état de ses écritures demande à la cour de :

CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SAS d'exploitation des boucheries Chevy à lui payer les sommes de 1 500,43 euros à titre de prime de fin d'année et de 10 000 euros au titre des heures supplémentaires ;

INFIRMER le jugement entrepris en ce non contraire aux condamnations ci-dessus énoncées ;

DIRE que le comportement de la SAS société d'exploitation des boucheries Chevy est contraire à la loyauté contractuelle ;

DIRE nulle et de nul effet la lettre du 21 juin 2004 considérée par la SAS d'exploitation des boucheries Chevy, comme « lettre de départ à la retraite » de M. [T] ;

Y AJOUTANT,

FIXER le salaire mensuel brut à la somme de 6 544 € ;

REQUALIFIER son départ à la retraite comme une mise à la retraite sous contrainte ;

En conséquence, DIRE que cette mise à la retraite s'analyse comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

DIRE le licenciement entrepris nul et de nul effet, au motif de la discrimination constatée en raison de l'âge de M. [T] qui avait au moment de la rupture de son contrat 59 ans ;

CONDAMNER la SAS société d'exploitation des boucheries Chevy à lui payer la somme de 777.427 € à titre de dommages-intérêts pour rupture du contrat de travail représentant 108 mois de salaire et congés payés qu'il aurait dû percevoir ;

ORDONNER sa réintégration dans le mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;

DIRE ET JUGER que faute d'y procéder, M. [T] pourra se prévaloir d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Dès lors, CONDAMNER la société la SA société d'exploitation des boucheries Chevy à lui payer les sommes de :

- 78 528 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 6544 € pour non-respect de la procédure,

- 39 264 € pour licenciement vexatoire,

- 13 088 € d'indemnité de préavis,

- 10 470,40 € à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 94 987,24 € de rappel de salaire en règlement des heures supplémentaires 2002, 2003 et 2004,

- 9 525,70 € au titre de l'indemnité de congés payés sur les heures supplémentaires,

- 21 751 € au titre du repos compensateur,

- 20 737,25 € à titre de prime concernant le travail de nuit,

- 39 264 € à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

DIRE que ces condamnations porteront intérêt légal à compter de l'arrêt à intervenir avec capitalisation des intérêts, dans les conditions de l'article 1154 du Code Civil ;

ORDONNER la remise de l'ensemble des bulletins de salaires et documents administratifs rectifiés, sous astreinte de 150 €, par jour de retard, passé le délai de 30 jours, suivant notification de l'arrêt aux parties ;

CONDAMNER la dite société à lui payer la somme de 5.000 € H.T, en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.

Intimée, la SAS Chevy, venant aux droits de la SAS Les Boucheries [Localité 3], demande à la cour de :

Sur la demande nouvelle relative à la prétendue mise à la retraite forcée et au prétendu licenciement,

Dire et juger que l'effet interruptif de prescription attaché à une demande en justice ne s'étend

pas à une seconde demande différente de la première par son objet,

Dire et juger que la demande de M. [T] portant sur la rupture du contrat est prescrite

Vu l'adage selon lequel « nul ne peut se contredire au détriment d'autrui »,

Déclarer M. [T] irrecevable en ses demandes de voir requalifier le départ à la retraite en mise à la retraite sous contrainte et l' « analyser » comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire même comme un licenciement nul,

Vu la lettre du 21 juillet 2004 de demande de départ à la retraite de M. [T],

Dire et juger que M. [T] est de mauvaise foi,

En conséquence,

Rejeter purement et simplement l'ensemble des demandes de M. [T],

Condamner M. [T] a une amende civile de 3.000 euros et à 20.000 euros pour procédure abusive.

Sur la demande d'indemnité complémentaire de départ à la retraite,

Prendre acte de l'abandon par M. [T] de sa demande d'indemnité complémentaire de départ à la retraite,

A titre subsidiaire, débouter M. [T] de sa demande de paiement d'une indemnité complémentaire de départ à la retraite de 3.858,27 Euros.

Sur la demande de paiement d'une prime de fin d'année,

Constater que tous les salariés de l'entreprise n'ont pas perçus de prime de fin d'année au mois de décembre 2003,

Constater que cette gratification n'est ni constante, ni fixe, ni générale,

Débouter M. [T] de sa demande de paiement d'une prime de fin d'année de 1.500,43 Euros

Sur les prétendues heures supplémentaires effectuées,

Constater que M. [T] ne fournit aucun élément de nature à étayer sa demande,

Constater que les prétendues attestations communiquées par M. [T] sont contradictoires et croisées,

Constater que Madame [M], la caissière, dément formellement les prétendues heures supplémentaires revendiquées,

Constater que M. [T] ne démontre absolument pas qu'il aurait accompli des heures supplémentaires avec l'accord et à la demande de son employeur,

En conséquence, rejeter la demande en paiement de la somme de 126.264,68 Euros au titre de prétendues heures supplémentaires, congés payés et repos compensateurs.

Le débouter des demandes qu'il a formées au titre du prétendu paiement de l'indemnité forfaitaire de 6 mois de salaire (article L 8223-1 du Code du Travail).

Le débouter de toutes autres demandes.

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie à leurs écritures visées par le greffe le 13 décembre 2013 pour M. [T] et le 8 octobre 2013 pour la société Chevy, auxquelles elles se sont référées et qu'elles ont soutenues oralement à l'audience.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la procédure

Considérant qu'à l'audience de plaidoiries du 13 décembre 2013, la cour n'a autorisé aucune note en délibéré ; que le conseil de M. [T] n'a émis aucune réserve, ni protestation en ce qui concerne la pièce 25 communiquée par son adversaire dont l'examen sommaire, qu'autorisait le temps d'audience, lui permettait d'apporter les commentaires qu'il a formulés seulement par courrier du 20 décembre 2013;

Qu'il ne sera donc pas répondu aux notes en délibéré des parties, ni procédé à la réouverture des débats et la pièce 25 ne sera pas écartée des débats ;

Sur la prescription

Considérant que l'article 2262 ancien du code civil, en application avant l'entrée en vigueur de la loi 2008-561 du 17 juin 2008, dispose que toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription puisse opposer l'exception déduite de la mauvaise foi ;

Que selon les dispositions de l'article 2224, issues de la loi 2008-561 du 17 juin 2008, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que lorsqu'une instance a été introduite avant l'entrée en vigueur de la loi 2008-561 du 17 juin 2008, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne qui s'applique également en appel et en cassation ;

Que si, en principe, l'effet interruptif de la prescription attaché à une demande en justice, prévu à l'ancien article 2243 du code civil et à l'article 2242 du code civil, ne s'étend pas à une seconde demande différente de la première par son objet , il en est autrement lorsque les deux actions, au cours d'une même instance, concernent l'exécution du même contrat de travail ; qu'il en résulte que la prescription est interrompue par la saisine du conseil de prud'hommes même si certaines des demandes n'ont été présentées qu'en cours d'instance ou en cause d'appel ;

Qu'en l'espèce, M. [T] ayant saisi le conseil de prud'hommes le 25 avril 2007 d'une demande initiale à l'encontre de son dernier employeur relative à un complément de départ à la retraite le 31 juillet 2004 et donc relative à la fin de son contrat de travail, sa contestation du départ à la retraite qui a mis fin au contrat de travail reste soumise à la prescription trentenaire et est recevable, quand bien même constitue-t-elle une demande nouvelle faite pour la première fois en cours de procédure par voie d'écritures transmise par RPVA le 17 septembre 2013 ;

Que cette demande nouvelle et celles consécutives pour licenciement sans cause réelle et sérieuse seront donc déclarées recevable, la société Chevy étant déboutée de son moyen de prescription;

Sur la rupture du contrat

Considérant que le départ à la retraite du salarié est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ; que lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de son départ à la retraite, remet en cause celui-ci en raison de faits ou de manquements imputables à l'employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de son départ qu'à la date à laquelle il a été décidé, celui-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture du contrat qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits la justifiaient ou dans le cas contraire d'un départ volontaire à la retraite ;

Qu'à l'appui de sa demande de requalification de départ à la retraite en mise à la retraite sous contrainte s'analysant comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse et même nul en raison de la discrimination, M. [T] soutient pour l'essentiel que l'employeur lui a remis le 21 juin 2004 un document contenant une proposition de départ à la retraite qu'il a signé ce qu'il considère comme un abus de blanc-seing, que l'employeur a manqué à son obligation de loyauté en ne l'informant pas de ses droits quant à son indemnisation de départ et au délai congé de deux mois et non d'un mois, que donc la lettre établie le 21 juin 2004 est nulle et qu'en mettant à la retraite son salarié à l'âge de 59 ans, sans faire connaître les droits et obligations de chacun, au détriment de la loi 2003-78115 du 21 août 2003 qui précisait que l'employeur ne pouvait mettre à la retraite u salarié qui n'avait pas atteint l'âge de 65 ans, l'employeur a violé la loi et a commis une discrimination liée à l'âge ;

Que la société Chevy répond en substance que par lettre du 21 juin 2004, M. [T] a clairement exprimé son souhait de partir à la retraite quoi qu'il en prétende en se contredisant et qu'il est d'une très grande mauvaise foi, dans la mesure où il précisait dans ses écritures de septembre 2103 que " la sarl Daguerre serait bien en peine de produire la moindre justification d'une demande de départ à la retraite formulée par M. [T] " ;

Que la lettre recommandée du 21 juin 2004 signée par M. [T] et envoyée par ses soins à l'employeur à cette date avec accusé de réception, selon le bordereau de la poste, est rédigée en ses termes :

" Monsieur le directeur,

J'ai l'honneur de vous informer qu'ayant atteint l'âge de 59 ans, je souhaite partir à la retraite conformément aux dispositions de l'article L 122-6 du code du travail mon ancienneté dans votre entreprise étant de 15 ans, mon préavis d'un mois prendra fin le 31/07/2004.

Il débutera dès présentation de cette lettre.

Je vous remercie, en vertu des dispositions de l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978 de me verser mon indemnité de départ.

Je vous serais obligé de bien vouloir me faire connaître vos intentions au sujet des droits et obligations de chacun, afin que mon départ ponctue dans les meilleurs termes ces 15 années de présence dans votre entreprise " ;

Que cette lettre manifeste de façon claire et non équivoque la volonté de M. [T] de mettre fin au contrat de travail quand bien même il a atteint l'âge de 59 ans ;

Que M. [T] qui procède par affirmation n'établit en rien que la lettre du 21 juin 2004 notifiant son départ à la retraite lui a été remise par son employeur à cette date et qu'il l'a signée sous la contrainte ou que son consentement a été vicié ; que son affirmation est contredite par le fait que la société Chevy a fini par retrouver et produire cette lettre recommandée envoyée par la salarié le 21 juin 2004 avec accusé de réception, après que M. [T] ait écrit que l'employeur serait bien en peine de produire la moindre justification d'une demande de départ à la retraite formulée par M. [T] ;

Que l'existence d'un contentieux relatif à un complément d'indemnité de départ et à une prime de fin d'année ne rend pas équivoque la volonté du salarié de partir à la retraite, dans la mesure où ce contentieux est né près de trois années après le départ du salarié de l'entreprise, que ce complément d'indemnité n'est même plus demandé en appel et qu'il n'est pas justifié, antérieurement au départ, d'une demande en paiement d'une prime de fin d'année ; qu'il en est de même en ce qui concerne la demande au titre d' heures supplémentaires formulées pour la première fois en cours de procédure devant le conseil de prud'hommes ;

Que dans ces conditions, la lettre de M. [T] du 21 juin 2004 constitue bien un départ volontaire à la retraite ; que M. [T] est donc débouté de sa demande de requalification et de ses demandes consécutives ;

Sur les heures supplémentaires

Considérant qu'en l'espèce, l'avenant n°80 du 13 septembre 2001 de la convention collective de la boucherie, boucherie-charcuterie et boucherie hippophagique applicable relatif à l'aménagement du temps de travail applicable dans cette entreprise de moins de 20 salariés jusqu'au 1er octobre 2007, prévoit en son article 4 une majoration de 10% des heures effectuées au-delà de la 35ème heure et jusqu'à la 39ème heure, de 25 % au-delà de la 39ème heure jusqu'à la 47ème heure et de 50 % de la 48ème heure ;

Qu'aux termes de l'article L.3171-4 du Code du Travail , en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; que le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ;

Que si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures supplémentaires, d'étayer sa demande par la production de tous éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en apportant, le cas échéant, la preuve contraire ;

Que la règle selon laquelle nul ne peut se forger de preuve à soi même n'est pas applicable à l'étaiement ( et non à la preuve) d'une demande au titre des heures supplémentaires et que le décompte précis d'un salarié, qui permet à l'employeur de répondre en fournissant les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, est de nature à étayer la demande de ce dernier ;

Que pour étayer sa demande de rappel d' heures supplémentaires de mai 2002 à juillet 2004, M. [T] produit des tableaux précisant jour après jour sa durée de travail le plus souvent de 14 heures par jour, puis mois par mois, et un décompte récapitulatif dans ses écritures, corroboré par plusieurs attestations de salariés sur les horaires de travail habituels dans l'entreprise ( M [U],M [V] engagé en octobre 2003, M [N] et M [Q] sur la période jusqu'en 1998,, M [P] présent de 1995 à avril 2000 ; qu'il résulte de ces attestations concordantes que M. [T] commençait son travail du mardi au samedi à 3 heures pour préparer des commandes de restaurateurs livrées au plus tard à 10 h, puis travaillait la découpe et la préparation des viandes commandées la veille et livrées vers 5 - 6 heures, qu'après une pause de 13h à 15h30 il reprenait le travail jusqu'à 19h30, étant précisé que l'horaire collectif le dimanche était de 6 à 14 heures, le lundi étant le jour de repos hebdomadaire ; que le litige ayant pu opposer M [U] à son employeur, terminé par une simple radiation de l'affaire devant le conseil de prud'hommes, n'est pas de nature à priver de force probante ces attestations concordantes ; que quand bien même les tableaux du salarié auraient été établis pour les besoins de la cause, ils sont suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en apportant, le cas échéant, la preuve contraire ;

Que la société Chevy qui se contente d'affirmer que les attestations ne sont pas sérieuses, que le tableau n'est ni circonstancié ni détaillé, ce qui est inexact, que M. [T] n'a jamais réclamé durant son contrat le paiement d' heures supplémentaires dont l'accomplissement ne lui a jamais été demandé, ne fournit pas les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par M. [T] ; qu'il importe peu que le tableau n'indique ni les heures d'entrée ni les heures de sortie, puisqu'il précise la durée journalière du travail effectif ; que l'employeur qui conclut à de très nombreuses irrégularités concernant le décompte précis du salarié n'en relève finalement qu'une concernant la période du 7 au 24 mai 2004 affirmant que le salarié était alors en congé, alors que vérification faite le salarié a pris seulement 6 jours de congés en mai 2004 ; que Mme [M], caissière de l'entreprise de 1999 à septembre 2003, atteste pour l'employeur que M. [T] n'a jamais fait d' heures supplémentaires non payées et que très régulièrement il se permettait de ne pas venir travailler l'après midi au magasin, ce qui est douteux dans la durée s'agissant d'un responsable de magasin et contredit pas les attestations adverses et qu'enfin, en sa qualité de caissière cette salariée n'avait aucune raison d'être présente avant l'ouverture de la boucherie pour pouvoir sérieusement attester que M. [T] n'était pas présent avant cette ouverture pour réceptionner les livraisons, préparer la viande et les commandes ; qu'au demeurant l'employeur n'établit en rien que ces préparations se faisaient uniquement après l'ouverture du magasin et que M. [T] a bénéficié de compensations des heures supplémentaires conformément à l'article 6 de l'avenant n°80 du 13 septembre 2001 de la convention collective applicable ;

Qu'il doit donc être fait droit à la demande de rappel au titre des heures supplémentaires et de l'indemnité de congés payés afférents d' 1/10, pour les sommes de 29.797,63 € de mai à décembre 2002, 45.168,39 € en 2003, 29.546,91 € de janvier à juillet 2004, sous déduction de la somme de 915,49 € au titre des 6 jours de congés pris du 18 au 23 mai 2004 inclus, soit 28.631,42 € et un total de 103.597,44 € ;

Qu'en application de l'ancien article L 212-5-1 alinéa 3, devenu L 3121-27 du code du travail abrogé le 20 août 2008, après la période en litige, il doit être aussi fait droit à la demande au titre du repos compensateur généré par le dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires réglementaires, à hauteur de la somme de 21.751,75 €, telle que détaillée dans les écritures de l'appelant;

Que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes le 25 avril 2007, conformément à l'article 1153 du code civil, les intérêts dus pour une année produisant aussi des intérêts au taux légal conformément à l'article 1154 du code civil;

Sur l'indemnité pour travail dissimulé

Considérant que l'ancien article L 324-9 alinéa 1 devenu l'article L.8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l'article L.8221-3 du même code relatif à la dissimulation d'activité ou exercé dans les conditions de l'article L.8221-5 du même code relatif à la dissimulation d'emploi salarié ;

Que l'article L.8221-5, 2°, du code du travail dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli ; que toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle ;

Qu'aux termes de l'ancien article L 324-1-1 devenu L.8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L 324-10 devenu L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire ;

Que l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé est due quelle que soit la qualification de la rupture ; que la demande en paiement d'heures supplémentaires n'a pas pour effet de rendre irrecevable la demande en paiement de l'indemnité forfaitaire ; que le montant de l'indemnité forfaitaire doit être calculé en tenant compte des heures supplémentaires accomplies par le salarié au cours des six derniers mois précédant la rupture du contrat de travail ; que cette indemnité qui sanctionne la violation de dispositions légales se cumule avec l' indemnité de départ à la retraite de nature différente ;

Que la caractère répétitif des heures supplémentaires accomplies que ne pouvaient ignorer l'employeur et nécessaires au fonctionnement de l'entreprise et l'absence de mention de toute heure supplémentaire pendant cette période de deux années caractérisent l'intention frauduleuse de l'employeur qui doit donc être condamné à payer à M. [T] une indemnité égale à six mois de salaire, en ce compris les heures supplémentaires, soit la somme de :

- salaire moyen :

mai 2004 salaire brut 2 572,18 € + ( 3 833,57€ - 915,49€) heures supplémentaires 2 918,08 € =

5 490,26 €

juin 2004 ' ' 2 572,18 € + 3 926,76 € = 6 498,97 €

juillet 2004 ' ' 2 572,18 € + 4 155,09 € = 6 727,27 €

Total 18.716,40 €

- indemnité (18.716,40 € x 6 ) = 37.432,80 € ;

3

Que cette somme à caractère indemnitaire produira intérêts au taux légal à compter de cet arrêt;

Sur le travail de nuit

Considérant que l'article 11 de la convention collective nationale, dans sa version antérieure à l'avenant du 10 juillet 2006, prévoit une majoration de 25 % du taux horaire pour chaque heure de travail située entre 21 heures et 5 heures ;

Que M. [T] qui accomplissait 8 heures de travail de nuit hebdomadaire est donc fondé à obtenir une majoration des 872 heures de nuit effectuées pendant les 108 semaines de 2002 à juillet 2004, soit 16.589,25 € ;

Que cette somme qui ressort d'une demande nouvelle faite à l'audience du 13 décembre 2013 produira intérêts au taux légal à compter de cette date, en application de l'article 1153 du code civil ;

Sur la prime de fin d'année

Considérant qu'à défaut pour M. [T] d'établir que la prime de fin d'année était prévu au contrat ou qu'elle ressortait d'un usage dans l'entreprise concernant tous les salariés ou d'une libéralité de l'employeur non dénoncée, il doit être débouté de cette demande ;

Que le jugement est réformé de ce chef ;

Sur les autres demandes

Considérant que la société Chevy qui succombe devra remettre à M. [T], dans les deux mois de la notification du présent arrêt, un bulletin de paie récapitulatif conforme au présent arrêt, sans qu'il soit besoin dès à présent d'assortir cette obligation d'une astreinte, versera à M. [T] la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et supportera les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

DECLARE recevables l'appel et les demandes de M. [T] ;

DEBOUTE la SAS Chevy venant aux droits de la SAS LES BOUCHERIES [Localité 3] de sa demande de prescription ;

REFORME le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 15 mars 2010 sur la prime de fin d'année, le montant des heures supplémentaires et les dommages et intérêts pour travail dissimulé ;

Statuant à nouveau sur ces points,

CONDAMNE la SAS Chevy à payer à M [C] [T] les sommes de :

- 103.597,44 € brut au titre de rappel pour heures supplémentaires de 2002 à 2004 et de l'indemnité de congés payés afférents, avec intérêts au taux légal depuis le 25 avril 2007,

- 21.751,75 € au titre du repos compensateur de mai 2002 à juillet 2004, avec intérêts au taux légal depuis le 25 avril 2007,

- 37.432,80 € à titre d'indemnité pour travail dissimulé avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

DEBOUTE M. [T] de sa demande au titre d'une prime de fin d'année ;

CONFIRME le jugement en ses autres dispositions ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la SAS Chevy à payer à M [C] [T] les sommes de :

- 16.589,25 € brut au titre du travail de nuit de 2002 à 2004 avec intérêts au taux légal à compter du 13 décembre 2013 ;

- 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les intérêts légaux alloués produiront des intérêts au taux légal en application de l'article 1154 du code civil ;

CONDAMNE la SAS Chevy à remettre à M [C] [T], dans les deux mois de la notification du présent arrêt, un bulletin de paie récapitulatif conforme au présent arrêt ;

DEBOUTE les parties de leurs autres demandes ;

CONDAMNE la SAS Chevy aux dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

L. CAPARROS P. LABEY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 10/04893
Date de la décision : 30/01/2014

Références :

Cour d'appel de Paris K7, arrêt n°10/04893 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-01-30;10.04893 ?
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