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29/01/2014 | FRANCE | N°12/08060

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 2, 29 janvier 2014, 12/08060


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 2



ARRÊT DU 29 JANVIER 2014



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 12/08060



Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Avril 2012 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2010033252





APPELANTE



SAS SOCIÉTÉ CARTIER agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège s

is

[Adresse 2]

[Localité 1]



représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

assistée de Me Nicolas BOYTCHEV...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 2

ARRÊT DU 29 JANVIER 2014

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 12/08060

Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Avril 2012 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2010033252

APPELANTE

SAS SOCIÉTÉ CARTIER agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège sis

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

assistée de Me Nicolas BOYTCHEV de la SELARL RACINE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0301

INTIMÉE

SA WARWICK WESTMINSTER prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège sis

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par Me Maher NEMER de la SELARL BOSSU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R295

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 Novembre 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Dominique DOS REIS, Président, chargée du rapport

Madame Denise JAFFUEL, Conseiller

Madame Claudine ROYER, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Emilie POMPON

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Dominique DOS REIS, Président et par Madame Emilie POMPON, Greffier présent lors du prononcé.

La société Cartier a entrepris, à compter de l'année 2004, la rénovation complète de l'immeuble qu'elle occupe [Adresse 1], complétée par celle d'une partie de l'immeuble voisin, [Adresse 2], occupé par la société Warwick Westminster qui y exploite un hôtel de catégorie 4.

Le calendrier des travaux était le suivant :

' du 15 juillet 2004 aux 15 Octobre 2004 : déshabillage des locaux,

' du 15 octobre 2004 au 30 avril 2005 : travaux de démolition et de gros 'uvre,

' du 1er mai 2005 au 12 décembre 2005 : travaux de second 'uvre et décoration intérieure.

Dans le cadre d'un référé préventif initié par la société Cartier, un collège expertal composé de MM. [G], [U] (acousticien) [R] (architecte) [F] (expert-comptable) a été désigné au terme de plusieurs ordonnances de référé, à l'effet de donner un avis sur la responsabilité éventuelle de la société Cartier dans les nuisances vibratoires et sonores consécutives aux travaux mis en 'uvre.

Le rapport final ayant été déposé le 30 décembre 2008, la société Warwick Westminster a, soutenant avoir subi du fait des travaux mis en 'uvre un important trouble anormal de voisinage, assigné la société Cartier par acte extra-judiciaire du 3 mai 2010 complété par conclusions du 10 mars 211, à l'effet de la voir condamner au paiement de la somme de 4.479.664,10 € assortie des intérêts au taux légal à compter de l'assignation, outre la somme de 50.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 13 avril 2012, le tribunal de commerce de Paris a :

- dit la société Warwick Westminster recevable en ses demandes,

- débouté la société Cartier de sa demande reconventionnelle,

- dit que la société Cartier avait commis une faute et causé un trouble anormal de voisinage à la société Warwick Westminster dont il résultait un préjudice financier et commercial ainsi que matériel qu'il lui appartiendrait de réparer en fonction d'une expertise complémentaire,

- avant dire droit sur le quantum de cette réparation, ordonné une expertise et désigné M. [X] [H] à l'effet d'évaluer les préjudices de toute nature subis par la société Warwick Westminster,

- sursis à statuer sur les demandes dans l'attente du dépôt du rapport,

réservé les dépens.

La société Cartier a relevé appel de ce jugement dont elle poursuit l'infirmation, demandant à la Cour, par dernières conclusions signifiées le 6 novembre 2013, de :

Vu la théorie des troubles anormaux de voisinage,

Vu l'article 1382 du Code Civil,

Vu les pièces versées aux débats, en particulier les rapports des différents Experts judiciaires

et leurs annexes,

- A titre principal :

' infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu qu'elle avait commis une faute entraînant un trouble anormal de voisinage et désigné un nouvel expert,

' débouter purement et simplement la société Warwick Westminster de son appel incident, ' rejeter purement et simplement l'ensemble des demandes de la société Warwick Westminster,

- A titre subsidiaire, entériner les rapports d'expertise et retenir :

' au titre des dommages matériels, la somme de 22.559,01 € HT, telle qu'évaluée par l'expert [R],

' au titre des dommages immatériels, la somme de 78.605,55 €, telle que retenue

par l'expert [G], sur la base de l'analyse acoustique et financière de ses co-experts, MM. [F] et [U],

' ordonner la compensation entre les sommes retenues et la provision de 30.000 € déjà perçue par la société Warwick Westminster,

- En tout état de cause, infirmer le jugement entrepris et condamner la société Warwick Westminster à lui restituer ou à lui payer :

' la somme de 30.000 € indûment perçue par le demandeur à titre de provision concernant l'incident du transformateur,

' la somme de 77.720 € réglée au titre des frais d'expertise,

' la somme de 100.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' les entiers dépens.

La société Warwick Westminster prie la Cour, par dernières conclusions signifiées le 31 octobre 2013, de :

Vu les articles 544 et 1382 du code civil, 16 et 568 du code de procédure civile,

- à titre principal, débouter la société Cartier de son appel du jugement rendu le 13 avril 2012 par le tribunal de commerce de Paris ainsi que de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- rejeter toute demande d'évocation des conclusions du rapport [H] et débouter la société Cartier de ses demandes fondées sur ledit rapport,

- subsidiairement, ordonner la réouverture des débats avant toute évocation du rapport [H],

- plus subsidiairement, si la Cour par impossible réformait le jugement du chef de l'expertise ordonnée, condamner alors la société Cartier à lui payer la somme de 4.273.772,95 € à titre de dommages intérêts, déduction faite de la provision de 30.000 €, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

- condamner la société Cartier à lui régler la somme de 205 891,15 HT € au titre des frais de procédure avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

en tout état de cause, condamner la société Cartier à lui payer la somme de 100.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter la société Cartier de ses demandes en paiement de la somme de 30.000 € en remboursement de la provision concernant l'incident du transformateur, des frais d'expertise et de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Cartier en tous les dépens en ce compris les frais d'expertise.

CECI ETANT EXPOSE, LA COUR

Au soutien de son appel, la société Cartier fait valoir qu'elle a mis nombre de mesures en place, dans le cadre de l'expertise judiciaire diligentée et sous le contrôle des experts, à l'effet de minorer la gêne les troubles de voisinage induits par son chantier de rénovation, notamment :

' l'utilisation de matériels adaptés et le moins sonore possible,

' un monitoring

' la mise en place de plages horaires

' la désignation d'un « M. Bruit » ou « M. Bons Offices »,

' un visuel sur palissade,

'l'installation d'une marquise sous les fenêtres du 1er étage de l'hôtel Warwick Westminster,

' la communication chaque semaine et à l'avance du planning des travaux,

ajoutant que les incidents de chantier ont été isolés et limités, que le niveau de bruit admissible selon les normes applicables n'a pas excédé les seuils réglementaires, que la société Warwick Westminster n'établit pas avoir subi un trouble anormal de voisinage et qu'en tout état de cause, ses demandes sont largement excessives au regard des conclusions du rapport de M. [H] qu'elle demande à la Cour de prendre en compte dans le cadre d'une évocation du litige, pour le cas où la Cour retiendrait l'existence d'un trouble anormal de voisinage ;

La société Warwick Westminster affirme avoir subi un grave trouble anormal de voisinage en raison des procédés et techniques de bâtiment mis en 'uvre par la société Cartier, de l'absence de précautions prises pendant la conduite des travaux, des niveaux de bruit dégagés, de la longueur des travaux, de la signalisation gigantesque du chantier, notamment ;

Il convient d'examiner successivement les griefs développés par la société Warwick Westminster dans ses écritures :

Sur le manque de mesures préventives et palliatives indispensables

- ancrage des structures sur le mur mitoyen, de nature à générer des nuisances phoniques. : ce reproche émis par l'expert [G] n'est pas fondé, dans la mesure où l'alternative de désolidarisation solidienne des immeubles des 11 et [Adresse 2], envisagée un temps a été écartée par l'expert [R] en ce qu'elle ne résolvait pas le problème acoustique tout en posant de multiples difficultés à la fois juridiques et techniques, notamment, une perte de surface, sur les six niveaux, de 52,20 m², que la société Cartier, locataire, ne pouvait imposer à son bailleur, ainsi que la réalisation de travaux structurels plus importants que ceux initialement prévus, supposant des travaux préparatoires très lourds, y compris des reprises en sous-'uvre d'une partie de l'hôtel qui devait être mis sur plots anti-vibratiles, travaux d'une durée de plus de trois mois, qui suposait, en outre, la démolition d'une partie des travaux déjà réalisés, augmentant encore les nuisances et risquant d'entraîner des détériorations sur les ouvrages existants, sans même régler, sur le plan acoustique, le problème du bruit aérien, ainsi que l'a fait observer M. [U], expert acoustique ;

- mesures préventives défaillantes ou insuffisantes : ce grief apparaît mal fondé, dès lors que la société Cartier établit que :

* le CCAP afférent aux travaux prévoit en son article III.3 : Dispositions concernant les nuisances de chantier :« L'entreprise devra se conformer aux dispositions de la loi n° 92/ 1444 du 31 décembre 1992 et ses circulaires d'application pour ce qui concerne les dispositions à respecter et les contrôles à réaliser en matière de lutte contre le bruit et autres nuisances, ainsi que tous arrêtés municipaux et préfectoraux. Les prestations y afférant, notamment les frais de contrôle technique, seront pris en charge dans l'acte d'engagement de l'Entreprise. Cette dernière devra répondre, vis-à-vis de l'architecte et du Maître d'ouvrage, de toutes plaintes justifiées qui pourraient être formulées par les Compagnies et Sociétés concessionnaires, par les riverains du chantier ou les services techniques municipaux eu égard aux nuisances constatées par suite du non respect des dispositions contractuelles et des impositions réglementaires d'ordre public ou municipal. Si des mesures particulières devaient être envisagées pour réduire ces nuisances, l'Entreprise devrait les mettre en 'uvre quelles que soient les incidences sur son offre forfaitaire et sur le délai global d'exécution des travaux »,

* le CCTP, lot n°1, Gros 'uvre démolitions structurelles prévoit également, en son article II.6 :

« L'attention de l'Entreprise est attirée sur le fait que les bâtiments objet du présent lot sont mitoyens d'immeubles utilisés bourgeoisement et que notamment, le bâtiment de droite est l'Hôtel Westminster. Les travaux de démolition ne pourront donc se faire qu'entre les horaires clairement définis au CCAP. La désolidarisation des murs et planchers en contact avec les murs mitoyens se fera à l'aide de techniques les plus silencieuses possibles, c'est-à-dire par sciage et croquage. Le marteau piqueur ne pourra être utilisé qu'exceptionnellement au cours de campagnes clairement définies à l'avance »,

* elle a informé la société Warwick Westminster des travaux envisagés dès le mois de mai 2004 et organisé trois réunions successives, au cours desquelles les dirigeants de la société exploitant l'hôtel ont été avertis du projet, de la durée des travaux et du planning prévisionnel ; dès le début des travaux, la société Warwick Westminster a eu communication d'un planning détaillé des travaux de gros 'uvre, puis d'une version complétée dudit planning, reprenant quasiment jour par jour les travaux prévus, leur localisation, et le matériel utilisé,

* un référé préventif a ensuite été initié dès le mois de juin 2004, au contradictoire de toutes les parties, qui a permis à la société Warwick Westminster d'avoir communication de la notice descriptive du projet et du planning prévisionnel de l'opération ; toutes les pièces techniques concernant le projet ont ensuite été communiquées dans le cadre de l'expertise par un dire en date du 25 août 2004,

* les horaires de chantier ont été aménagés, dans la mesure du possible et compte tenu des impératifs contradictoires des riverains, pour tenir compte du confort des clients de l'hôtel, notamment, pendant la période du 1er octobre au 31 décembre 2004, aucun travaux n'ont été réalisés avant 9 h 30, du 1er janvier au 7 mars 2005, les travaux n'ont pas pas débuté avant 8 heures du côté [Localité 2] et avant 9 heures 30 du côté de l'hôtel Westminster, du 8 mars au 11 avril 2005, les travaux bruyants, et plus particulièrement ceux nécessitant l'utilisation d'un BRH, n'ont pas débuté avant 10 heures, et ont été interrompus chaque jour de 12 heures 30 à 14 heures 30 ; par ailleurs, certains travaux (travaux de déplombage, démolition de l'escalier mitoyen) ont été reportés pour tenir compte des contraintes de l'hôtel, pour lui permettre d'organiser des réceptions ou cocktails ; une « Mme Bruit » a été désignée afin de tenter de trouver des solutions de compromis au fur et à mesure de l'avancement du chantier, observation étant faite que les lois et réglements en vigueur autorisent, sauf dérogation, la réalisation des travaux bruyants de 7 heures à 22 heures du lundi au vendredi, et de 8 heures à 20 heures le samedi ; même si les constats d'huissier démentent pour certaines plages horaires les dires de la société Cartier, il n'en reste pas moins que celle-ci a déployé des efforts pour gêner le moins possible le voisinage,

* les mesures palliatives préconisées par les expert [R] et [U] pour réduire les nuisances ont été plus ou moins respectées, notamment relativement à l'utilisation des techniques de démolition les plus silencieuses possibles, à la mise en place d'un monitoring et d'un gyrophare ; c'est ainsi que la société Cartier a utilisé des perceuses non percussions à carbure de tungstène pour certaines prestations, la réalisation de carottages au lieu de marteaux-piqueurs pour les percements de trémies dans les planchers bétons ; quant au refus de mise en place du monitoring préconisé par M. [U], il est imputable au litige relatif au financement de cet équipement, la société Warwick Westminster n'ayant accepté de l'installer dans ses locaux que le 16 février 2005 ; pour sa part, la société Cartier a équipé son chantier d'un gyrophare, dès le 11 mars 2005, en concertation avec M. [U], afin de permettre à chacun des intervenants à l'acte de construire d'adapter ses travaux en fonction du bruit perçu au sein de l'hôtel ; enfin, un coordinateur chargé d'une mission spécifique relative à la gestion des nuisances sonores sur le chantier, M. [B], a été désigné en cette qualité et est intervenu à plein temps sur le chantier dès le mois de mai 2005, avec mission d'intervenir sur la réduction des bruits liés au chantier et le respect des seuils fixés par les experts judiciaires, notamment par la gestion des livraisons, la coordination des interventions corps d'état bruyants, la planification des percements, la mise en place de carottages aux lieu et place de marteaux piqueurs pour les percements de trémies dans les planchers bétons, l'interruption et report de certains travaux, la surveillance quotidienne du chantier ;

Sur les nuisances sonores et les procédés techniques utilisés :

La société Warwick Westminster se prévaut des notes aux parties de l'expert [G] qui stigmatise l'importance des nuisances sonores manifestées, notamment par l'utilisation d'un BRH (Brise Roche Hydraulique) dont l'usage aurait pu valablement être remplacé par un matériel mettant en 'uvre la technique d'yforation (système permettant de découper sans bruit jusqu'à 1,50 mètre de profondeur la maçonnerie ou le béton à l'aide d'une lance thermique) ;

Toutefois, d'une part, il résulte des conclusions de cet expert que sur le plan économique du chantier, le changement de méthode d'outillage, au stade d'avancement des opérations de rénovation, n'était justifié ni techniquement ni financièrement, d'autre part, l'entreprise Detramo, spécialisée dans ce type d'intervention, consultée en cours de chantier sur l'utilisation de ce procédé plus adapté à la démolition de sites industriels l'a fortement déconseillé au vu de la position géographique du bâtiment dans [Localité 3], de la concentration urbaine (bâtiments R+5 et 6 mitoyens), du dégagement très important de fumée, de la mise en 'uvre d'un matériel volumineux pour le traitement des gaz, du risque d'incendie chez les avoisinants, du risque de plaintes des voisins et associations écologiques, de la nécessité d'obtenir une autorisation administrative suspendue, tandis que la Socotec le déconseillait également en ces termes :

« Ainsi que nous vous l'avons indiqué ce matin en rendez-vous de chantier, l'emploi de la lance thermique sur le chantier n'est pas compatible avec les travaux de structure et de reprise à réaliser compte tenu du fort radian de température dégagé lors de la découpe, montée en température tant du béton que des aciers constituant le ferraillage entraînant une dégradation de l'ouvrage conservé nécessitant de ce fait une découpe reportée par rapport aux trémies et ouvrages conservés qui entraîneront de toutes façons l'emploi de marteaux piqueurs pour finition de l'ouvrage et remise à vif des bétons conservés et l'emploi de perforateurs pour ré-ancrage des aciers de reprise des ouvrages en béton à créer. Par ailleurs, nous attirons votre attention sur les risques de pollution extrêmement importants créés par l'emploi de la lance thermique (verrière en partie supérieure interdisant l'évacuation des fumées, l'évacuation s'effectuant alors principalement par les fenêtres sur la [Adresse 3]), ainsi que les dispositions à prendre contre tous risques d'incendie » ;

La société Warwick Westminster n'est donc pas fondée à reprocher à la société Cartier d'avoir retenu, pour les travaux de démolition, l'utilisation d'un BRH, étant observé que cet engin a été employé, pour la fin des travaux de démolition, dans le cadre d'horaires aménagés et très restrictifs, en accord avec les experts ;

Les installations publicitaires

La société Warwick Westminster reproche à la société Cartier d'avoir occulté l'entrée de l'hôtel situé dans immeuble du [Adresse 2], au mépris de l'existence de ses voisins, d'avoir mis en place sur la façade de l'immeuble une énorme boîte représentant un gigantesque « écrin [1] » se développant sur 6 étages, « dans un esprit d'égoïsme triomphant et de mépris affiché pour les voisins et plus particulièrement l'hôtel, qu'en effet, alors que le nom de [1] s'étalait avec magnificence au milieu de la [Adresse 3], l'enseigne de l'Hôtel Westminster était totalement occultée » ; elle affirme que la société Cartier a refusé le devis proposé pour la pose du panneau publicitaire préconisé par M. [G] en prétextant qu'elle préférait le faire réaliser elle-même dans des proportions très réduites et sans prendre en charge la conception facturée par la Société Cité des Arts ;

La société Cartier réplique qu'elle avait accepté de laisser à la disposition des voisins les 2/3 du panneau situé de chaque côté de la palissade et proposé d'y apposer à ses frais le visuel choisi et fourni par leur soin mais que la transmission par la société Warwick Westminster d'une photocopie de mauvaise qualité, ne permettant pas la fabrication à l'identique du panneau publicitaire, ainsi que sa carence à répondre aux relances ultérieures n'ont pas permis d'apposer sur sa palissade un visuel relatif à la présence de l'hôtel ; elle ajoute que, dans le cadre de l'expertise, il avait été envisagé d'installer une marquise sous les fenêtres du 1er étage de l'hôtel pour occulter la vue sur le chantier, à ses frais, mais qu'une fois la fabrication réalisée, la société Warwick Westminster ne lui a jamais fait connaître des dates d'intervention pour assurer la pose de cette marquise ;

Les positions des parties étant contraires en fait sans qu'il soit possible de départager leurs allégations, il suffit de constater que la société Warwick Westminster n'a pas mis à profit les propositions destinées à assurer sa publicité, émises par la société Cartier amiablement ou sous l'égide des experts, qu'elle a estimé inappropriées ou inadéquates, qu'elle ne prouve pas avoir subi un trouble anormal de voisinage réparable du fait de la pose d'un écrin géant sur l'immeuble en travaux, étant observé qu'un établissement de la catégorie de l'hôtel Westminster ne reçoit pas une clientèle de passage attirée par une enseigne dans la rue mais des habitués sur réservations ou des personnes envoyées par des intermédiaires, donc insusceptibles d'être gênées par un habillage original ou inusuel apposé sur la façade de l'hôtel ;

Sur l'incident du transformateur

Consécutivement au découpage d'un mur, réalisé à la scie, par l'entreprise T.D.S. pour découper les murets situés en façade rue, une infiltration d'eau s'est produite le 11 mai 2005 dans le local du transformateur de la société Warwick Westminster qui a été dégradé et l'électricité a été coupée de 18 h 30 à 20 h30 ; la société Cartier refuse de prendre en charge le coût de remplacement de cet ouvrage, dès lors que les experts [O] et [R] ont relevé que le local en cause n'était pas conforme aux exigences réglementaires, n'étant pas étanche ;

Toutefois, la société Cartier, qui est à l'origine par ses travaux de la destruction du transformateur en cause et des troubles induits par cette destruction qui a mis concomitamment en mis en panne les installations d'électricité, téléphonique et informatiques de l'hôtel et provoqué l'intervention des pompiers, sera condamnée à régler à la société Warwick Westminster la somme de 30.000 € correspondant à la provision perçue, dès lors que la somme de 56.441 € HT sollicitée par la société Warwick Westminster pour l'achat et l'installation d'un transformateur neuf ne tient pas compte de la vétusté de l'ancien transformateur ;

Sur le trouble anormal de voisinage

La société Warwick Westminster fait état, du fait des travaux menés par la société Cartier, de nombreuses nuisances, notamment :

- un bruit incompatible avec le repos dû à la clientèle de l'hôtel,

- une poussière insupportable polluant l'atmosphère ;

Or, il est constant que les suites et les chambres situées au-dessus du chantier [1] ont été l'objet, pendant les 18 mois du chantier, de troubles sonores excédant les normes admissibles ou supportables ou les seuils de tolérance ; notamment, l'expert acoustique, M. [U], se référant :

' à l'arrêté du 20 août 1985 « relatif aux bruits aériens émis dans l'environnement pour les installations classées pour la protection de l'environnement » fixant comme niveau limite admissible de bruit à l'intérieur des locaux d'habitation occupés par des tiers 35 dB(A) le jour et 30 dB(A) la nuit,

' au décret n° 95-408 du 18 avril 1995 prévoyant des sanctions pénales pour les bruits de voisinage et plus particulièrement pour les chantiers, en cas de négligence à prendre les précautions appropriées pour limiter le bruit ou de comportement anormalement bruyant,

relate en son rapport que :

« Des émergences importantes ont été constatées dans la plupart des cas et les bruits des marteaux piqueurs occasionnent une gêne incontestable, incompatible avec l'usage des chambres d'hôtel » ,

et, dans sa note du 15 mars 2005, M. [G] rapporte :

«Comme cela était prévisible, l'intervention du BRH, quel que soit l'endroit où il se situe dans le chantier, entraîne des intensités sonores supérieures à 50 dB (A), ce qui a pour conséquence de faire déclencher le gyrophare immédiatement. De cette constatation, on peut tirer les conséquences suivantes : premièrement, les nuisances liées au BRH sont considérables et constatées contradictoirement, deuxièmement, dans la période où le BRH sera utilisé, il est indispensable de neutraliser le gyrophare, puisque l'on sait à l'avance qu'il se déclenchera automatiquement »,

D'autres mesures effectuées par M. [U] le 24 octobre 2004, ont avéré une intensité permanente allant de 50 dB(A) à 60 dB(A), lorsque le chantier était en fonctionnement normal et, lorsque le BRH était utilisé, l'intensité de cet engin se situait entre 60 et 65 dB(A) ; le 30 novembre 2004, le même expert a pu constater « Les niveaux relevés sont élevés. Ils dépassent toujours les niveaux admis dans les locaux d'habitation, sauf pour la perceuse à mèche en carbure de tungstène (qui n'a pas été utilisée) ; les niveaux relevés dépassent presque toujours le niveau admis dans le secteur tertiaire » ;

Ces constatations expertales sont corroborées par les constats d'huissier effectués par M. [Z] qui a pu relever :

- le 22 novembre 2004 entre 15 h 30 et 16 h 45 : l'intensité des bruits se situe entre 45,3 et 92,7 dB(A),

- le 7 décembre 2004 à 15 h 23 et 15 h 45 : les mesures se situent entre 55 dB(A) et 66 dB(A), le plancher vibre à travers la moquette,

- le 13 décembre 2004 à 14 h 32 : les mesures effectuées vont jusqu'à 94,5 dB(A),

de février à avril 2005, après la pose du monitoring,

- le 17 février 2005, des bruits très importants avec des dépassements de 82.2 dB (A) dès 9 heures le matin,

- le 22 février 2005, des bruits très importants avec des dépassements de 67,2 dB (A) dès 9 heures le matin,

- le 24 février 2005, des bruits très importants constants entre 14 h et 18 h, fortes perturbations le matin de 9 h à 10 h et à 11 h 20,

- le 25 février 2005, des dépassements très importants dès 8 h le matin allant jusqu'à 74.4 dB (A), ce jusqu'à 11 h 30 avec des pics de dépassement entre 14 h et 16 h,

- le 28 février 2005, des bruits très importants dès 9 h 30 avec des dépassements allant jusqu'à 65.1 dB (A) entre 11 h et 12 h 30,

- le 3 mars 2005, dès 8 h 30 le matin, des nuisances sonores allant jusqu'à 64.2 dB (A) ;

Il sera encore retenu qu'hormis ces nuisances sonores, la société Warwick Westminster a subi des troubles de divers ordres, entre autres et notamment la pollution par des poussières sur la façade de l'hôtel, qui a nécessité un nettoyage renouvelé des balcons, des huisseries et des vitres de chaque chambre, des perturbations de l'accès de sa clientèle à l'hôtel transformée en mare infranchissable dans la mesure où les eaux de pluie ne s'évacuaient pas dans le caniveau encombré de détritus et gravats dans l'enceinte du chantier, faisant ainsi barrage à l'écoulement des eaux de pluie, qu'elle a encore souffert des travaux destructifs dans le bureau des réservations, mitoyen d'une pièce située au rez de chaussée devenu inutilisable, des fissures dans la trémie d'escalier gauche et dans les chambres 118, 218, 316, 416 et 516, le percement de la trémie d'ascenseur, des dégâts au sol sur la moquette et le filet anti-pigeons, ;

M. [G] conclut ainsi son rapport final :

« Le problème majeur qui a existé dans la rénovation de l'immeuble [1] est essentiellement dû aux nuisances phoniques. Les travaux de structure ont été exécutés quasi correctement, en conformité avec les règles de l'art, mais les engins utilisés pour effectuer les travaux avaient des performances phoniques et vibratoires excessives qui ont entraîné des préjudices pour les habitants des immeubles voisins du chantier et en particulier l'Hôtel WESTMINSTER, qui est un Hôtel de grand luxe.... les émergences constatées sont importantes dans la plupart des cas, et qu'en particulier un tel bruit de marteaux piqueurs de niveaux supérieurs à 50 dB(A) sur de longues périodes, est incompatible avec l'usage de repos ou de sommeil dans une chambre d'hôtel » ;

La société Cartier ne conetste pas la gêne causé à l'hôtel Westminster par la conduite de ses travaux mais estime qu'elle ne revêtait pas un caractère anormal en milieu urbain, alors surtout que même les « plages de bruit intense », telles que décrites par l'intimée et les experts étaient parfois de simples pics et, dans la quasi-totalité des cas, ont été :

- d'une durée inférieure à une heure,

- avec plusieurs heures d'intervalle entre elles,

qu'au surplus, ces bruits ont été en constante diminution, les quatre derniers mois (août-novembre 2005) ayant été principalement consacrés aux travaux de décoration intérieure qui n'ont pu entraîner de gêne significative pour les riverains ;

Toutefois, les constatations expertales ci-dessus reproduites établissent suffisamment le caractère anormal des troubles de toute nature subis par l'hôtel Westminster, même dans un environnement urbain, notamment de par l'intensité des bruits, leur fréquence et leur durée ; à toutes fins, il sera rappelé que la théorie des troubles anormaux de voisinage est autonome et n'est pas subordonnée à la preuve d'une faute de leur auteur ;

Sur l'indemnisation du trouble anormal de voisinage

Cette indemnisation ne peut correspondre aux divers postes de préjudice développés par la société Warwick Westminster alors qu'elle se devait, en tout état de cause, de supporter les troubles normaux de voisinage provoquées par un chantier de rénovation lourde à proximité de son hôtel, en secteur urbain, sans pouvoir en demander réparation ; l'évaluation du dommage à elle causé ne peut donc procéder que des nuisances ayant excédé la norme ;

Le jugement sera réformé en ce que le tribunal a cru devoir désigner un nouvel expert du seul fait de la disproportion constatée entre l'offre subsidiaire de dédommagement de la société Cartier et le montant de la réclamation de la société Warwick Westminster ;

La Cour estime nécessaire d'évoquer sur la réparation du préjudice dans l'intérêt de l'administration d'une bonne justice et sans qu'il soit nécessaire de rouvrir les débats pour inviter la société Warwick Westminster à présenter ses observations alors qu'elle a développé et détaillé ses demandes sur quinze pages d'écritures et qu'il ne sera pas tenu compte du rapport [H], afin de ne pas priver l'intimée du bénéfice du double degré de juridiction ;

Les différents rapports d'expertise produits aux débats et contradictoirement soumis à la discussion des parties peuvent être résumés comme suit :

- l e rapport AXCIO exclut l'existence d'un lien de causalité entre un éventuel trouble anormal de voisinage et le manque à gagner invoqué par la société Warwick Westminster qui ne repose sur aucune analyse incontestable de son chiffre d'affaires, lequel fluctue au gré des circonstances économiques,

- le rapport [F] conforte cette analyse en indiquant « le préjudice ne peut être estimé de façon globale pour l'ensemble des chambres de l'hôtel, de nombreux facteurs exogènes aux désordres ayant pu affecter les performances commerciales de l'établissement et doivent donc être neutralisés ; l'analyse du seul taux d'occupation, fut-il global, ne suffit pas à en tirer une quelconque conclusion, l'effet de la politique tarifaire étant un élément d'analyse incontournable » ; cet expert conteste la pertinence du mode de calcul proposé par l'hôtel, en ce qu'il est fondé sur des postulats et des références totalement inapplicables en la matière, aboutissant à des solutions incohérentes,

- le rapport [G] opère la synthèse des calculs de ses co-experts à l'issue d'une analyse précise, complète et contradictoire des éléments fournis ;

Au vu de ces éléments, le préjudice matériel de la société Warwick Westminster sera estimé, sur la base des conclusions expertales de M. [R], non contestées par la société Cartier sur le quantum, à la somme de 22.559 € ;

Quant au préjudice financier et immatériel de la société Warwick Westminster, MM. [F] et [G] avaient proposé deux options comprises entre 78 K€ et 490 K€ ;

La convergence de ces évaluations expertales prive de toute pertinence les réclamations exorbitantes émises par la société Warwick Westminster, que tous les experts ont écarté en raison de leur manque de cohérence ;

En conséquence, la Cour, tenant compte de la durée et de l'intensité des troubles anormaux de voisinage subis par une société exploitant un hôtel de luxe et de prestige dans un secteur particulièrement recherché de [Localité 3], condamnera la société Cartier à régler à la société Warwick Westminster la somme de 500.000 € toutes causes confondues en réparation de ses divers préjudices immatériels ;

A l'exception de la somme de 30.000 € correspondant à la provision perçue, ces diverses indemnités seront assorties des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, en raison de leur caractère indemnitaire ;

Les conditions d'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ne sont pas réunies au cas d'espèce au bénéfice de l'une ou l'autre des parties qui succombent toutes deux partiellement en leurs prétentions ;

Les frais de l'expertise [H] resteront à la charge de la société Warwick Westminster dans la mesure où le jugement qui l'a ordonnée est réformé sur ce point ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement dont appel en ce qu'il a dit que la société Cartier avait causé un trouble anormal de voisinage à la société Warwick Westminster dont il résultait un préjudice financier et commercial ainsi que matériel,

Le réforme pour le surplus,

Statuant à nouveau et évoquant sur le fond,

Dit n'y avoir lieu à expertise complémentaire sur l'évaluation du préjudice immatériel de la société Warwick Westminster,

Condamne la société Cartier à payer à la société Warwick Westminster les sommes suivantes :

- en deniers ou quittances, 30.000 € au titre de la destruction du transformateur d'électricité,

- 22.559 € en réparation de son préjudice matériel,

- 500.000 € en réparation de son préjudice immatériel et financier,

avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, pour ces deux dernières sommes,

Dit que la société Warwick Westminster supportera les frais de l'expertise de M. [H],

Rejette toute autre demande,

Met à la charge de la société Cartier les dépens de première instance incluant les frais des experts désignés en référé, dit qu'ils pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dit que chacune des parties conservera à sa charge les dépens qu'elle a exposés

en cause d'appel.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 12/08060
Date de la décision : 29/01/2014

Références :

Cour d'appel de Paris G2, arrêt n°12/08060 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-01-29;12.08060 ?
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