RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 7
ARRÊT DU 16 Janvier 2014
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/01819
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 Novembre 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS Section Encadrement RG n° 09/12247
APPELANT
Monsieur [E] [F]
[Adresse 2]
[Localité 2]
comparant en personne
assisté de Me Alexandre PECQUEUR, avocat au barreau de LILLE, toque : 271
INTIMEE
Association CENTRE INTERSERVICES DE SANTE ET DE MEDECINE DU TRAVAIL EN ENTREPRISE (CISME)
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Me Nathalie DAUXERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : G35
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Novembre 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Bruno BLANC, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Patrice LABEY, Président
Monsieur Bruno BLANC, Conseiller
Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Conseiller
Greffier : Madame Laëtitia CAPARROS, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Patrice LABEY, Président, et par Melle Laëtitia CAPARROS, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le CISME ( centre inter services de santé et de médecine du travail en entreprise) est une association à but non lucratif représentative des services inter-entreprises de santé de travail.
Elle a notamment pour mission de représenter des services auprès des pouvoirs publics, les organismes d'employeurs et les syndicats de salariés.
Par contrat à durée indéterminée en date du 31 août 1987, M. [E] [F] a été engagé par l'Association CISME en qualité d'adjoint au directeur général.
À compter du 22 juin 1994, le salarié était appelé à occuper les fonctions de directeur général du CISME. Dans le dernier état des relations contractuelles, il percevait une rémunération mensuelle brute moyenne de 8272,90 euros.
Monsieur [E] [F] s'est vu notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse par courrier recommandé en date du 10 septembre 2009.
Contestant son licenciement, Monsieur [E] [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 25 septembre 2009 des chefs de demandes suivants :
- Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 420 838,47 €,
- Dommages et intérêts pour préjudice moral 50 000,00 €,
- Article 700 du Code de Procédure Civile 2 500,00 €,
- Exécution provisoire .
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par M. [E] [F] du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 17 novembre 2011 qui, après avoir jugé son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et condamné aux dépens. L'Association CISME a été déboutée de sa demande reconventionnelle.
Vu les conclusions en date du 20 novembre 2013, au soutien de ses observations orales, par lesquelles M. [E] [F] demande à la cour:
- d'infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de PARIS le 17 novembre 2011,
- de dire et juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- de condamner l'Association CISME à lui verser les sommes suivantes :
* 374.078,40 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et
sérieuse,
* 65.000,00 euros au titre du préjudice moral et professionnel,
* 12.067,58 euros au titre des frais engagés pour les trois véhicules de fonction,
* 6.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- de débouter le CISME de ses demandes,
- de condamner le CISME au paiement des intérêts judiciaires,
- de condamner le CIMSE au paiement des entiers frais et dépens.
Vu les conclusions en date du 20 novembre 2013, au soutien de ses observations orales, par lesquelles le Centre Inter Services de Santé et de Médecine du Travail en Entreprise (CISME) demande à la cour :
A titre principal ;
- de dire et juger que le licenciement de Monsieur [F] pour cause réelle
et sérieuse est fondé;
- de confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Paris en date du 17 novembre 2011 ;
En conséquence,
- de débouter de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions Monsieur [F],
- de condamner Monsieur [F] à hauteur de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi dans l'attribution d'un 3ème véhicule de fonction,
- de condamner Monsieur [F] à hauteur de 6.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ,
- de condamner Monsieur [F] aux entiers dépens .
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Considérant que la lettre de licenciement qui lie les parties et la juridiction est ainsi rédigée:
" Au vu de la situation, nous sommes contraints de procéder, par la présente, à votre licenciement, dans la mesure où votre comportement professionnel n'est pas en adéquation avec les exigences attachées à votre fonction de Délégué Général du CISME.
Des faits précis et circonstanciés montrent que vous avez gravement manqué à plusieurs reprises aux obligations induites par vos fonctions ; vos agissements fautifs étant de nature à emporter des répercussions très négatives sur le bon fonctionnement et l'action du CISME.
Vous n'avez pas hésité, par le biais de plusieurs courriers, à jeter le discrédit sur un certain nombre d'interlocuteurs internes au CISME mais également extérieurs à notre institution.
Employant un ton scandaleux et volontairement polémique, vous avez tenu de graves accusations à rencontre de la nouvelle Présidence du Service de Santé au travail de Toulouse (AMST). Ainsi, vous n'avez pas hésité, notamment dans un courrier adressé le 18 mai 2009 entre autres au Président de la Commission « Protection sociale » du MEDEF, à qualifier d'« inacceptable » la situation à l'AMST ; « reflet d'une politique qui bafoue la vérité (...), voulue et dirigée par un homme ne disposant d'aucune légitimité réelle pour représenter les entreprises adhérentes du Service » et à solliciter que soit mis un terme « à fa folie destructrice qui s'est emparée de l'AMST» et aux «actions délétères de certains de leurs représentants au niveau local».Ce courrier était notamment adressé en copie au Directeur Général du Travail - monsieur [Z] et au Conseiller technique du pôle «Travail» du ministère du Travail. De graves accusations étaient également émises à l'encontre du MEDEF et de l'UIMM à travers leurs représentants locaux et nationaux telles que, en caractères gras dans le courrier du 18 mai 2009, « Il n'est pas sérieux de prétendre respecter et défendre les Intérêts des Entreprises avec de tels statuts, uniques en France, qui confèrent à une poignée d'individus, hors de tout contrôle patronal et social réel, un pouvoir quasi dictatorial. Ils pourraient prêter à sourire s'ils n'étaient ceux d'une structure dirigée par des personnes appartenant au MEDEF et/ou se recommandant de lui. », ou encore dans un message daté du ]26 mai adressé à l'UIMM en caractère gras dans le texte « j'espère être enfin entendu car J'ai vraiment le sentiment d'être « roulé dans la farine » et que mon épouse est sacrifiée au nom d'intérêts « supérieurs » que Je ne peux partager, en raison du comportement profondément cynique des hommes qui les portent tout en n'hésitant pas à se parer de toutes les vertus. »
Au-delà des personnes, vos propos sont de nature à remettre en cause les institutions patronales elles-mêmes. D'autant que vous avez cru devoir rendre les responsables du Ministère du travail destinataires pour copie de vos correspondances.
Votre comportement et les propos tenus sont inacceptables et incompatibles avec la
mission qui vous est impartie et mettent en danger les intérêts du CISME. Vous avez en particulier adressé au Président de la délégation patronale chargée de négocier la réforme même de notre institution une correspondance décrédibilisant immanquablement l'association dont vous êtes le délégué général.
En outre, et de manière très significative, il est apparu que des décisions importantes;
figurant dans les comptes rendus de relevés de décisions prises par le Conseil
d'administration et dont vous étiez tenu d'assurer l'application n'ont pas été mises en oeuvre témoignant d'un comportement de défiance vis-à-vis du Conseil d'Administration.
Ainsi, nous avons été dans l'obligation de le constater notamment dans les relevés
suivants :
Relevé du 19/1 1/2008 ;
-« Le CISME organise dans les meilleurs délais un travail d'analyse préparant la
modernisation de l'arrêté du 11 juillet 1977 et des autres textes inadaptés ou
inapplicables »
Relevé du 14/01/2009 ;
-« Le Délégué général prévoit la rédaction de délégations de pouvoirs pour : le Médecin conseil, l'Adjoint au délégué général, le responsable juridique »
-« Le CISME organise dans les meilleurs délais un travail d'analyse préparant la modernisation de l'arrêté du 11 juillet 1977 et des autres textes inadaptés ou inapplicables. »
Relevé du 18/03/2009 :
-« Le Conseil d'administration se prononce en faveur d'un élargissement des missions confiées au Docteur [L] [P] chargée d'animer notamment le Groupe des Fiches médico-professionnelles du CISME (ce contratdevait être conclu à compter du 01/07/09)
-« Madame [B] [S] assurera une période de transition avec un contrat CISME à durée déterminée » (avec un départ en retraite au 01/04/09, ce contrat n'a été signé qu'à la rentrée de septembre).
-« une analyse de la situation de la DOCIS est demandée afin d'évaluer ce qu'il convient de faire pour tenir compte de son déficit »
A ce jour, ces décisions n'ont toujours pas fait l'objet d'une mise en ouvre concrète vous incombant eu égard aux missions qui vous sont imparties.
Dans ces conditions, nous avons dans un premier temps notifié notre décision de revoir les missions qui vous ont été confiées et ce afin de préserver les intérêts du CISME.
Un avenant à votre contrat de travail vous a été présenté le 30 juillet 2009 aux termes duquel vous n'aviez plus en charge les activités externes du CISME relatives aux négociations menées au plan national entre les partenaires sociaux et à l'élaboration par le Ministre du Travail des dispositions législatives et réglementaires concernant la réforme de la médecine du travail, En outre, il était expressément prévu que l'exercice de vos missions devait pour l'avenir s'inscrire dans les conditions arrêtées par le Conseil d'administration.
Conformément aux règles applicables, un délai d'acceptation vous a été fixé au 20 août dernier, Vous n'avez pas cru devoir donner de réponse.
Compte tenu de votre refus d'accepter les nouvelles missions proposées adaptées à votre comportement et de l'impossibilité de poursuivre nos relations contractuelles, nous avons été contraints de poursuivre la procédure de licenciement engagée. Vous avez alors été reconvoqué à un entretien préalable fixé au 9 septembre par courrier recommandé du 25 août 2009,
Pour les raisons sus-visées, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Votre préavis d'une durée de trois mois débutera à la date de première présentation de cette lettre. Nous vous informons que nous vous dispensons de l'exécution de votre préavis, ce dernier vous sera toutefois rémunéré aux échéances normales de paie.
Nous vous informons par ailleurs que vous pouvez faire valoir les droits que vous avez acquis au titre du drôit individuel à la formation (DIF) sous réservé d'en formuler la demande avant l'expiration de votre préavis. Vous bénéficiez en effet au titre du DIF d'un volume de 70 heures, vous permettant de financer tout ou partie d'une action de bilan de compétences, de validation des acquis de l'expérience ou de formation, et valorisée par une allocation égaie à 50 % de votre rémunération actuelle, soumise à CSG/CRPS et exonérée de cotisations sociales...";
Considérant, en application de l'article L 1232-1 du code du travail que le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse;
Considérant qu'il ne ressort pas des attributions de la cour de porter une appréciation sur le parcours professionnel de Monsieur [E] [F] ni sur les compétences qu'il a pu développer au bénéfice de son employeur en qualité d'adjoint au délégué général puis, à compter de juin 1994, en qualité de délégué général du CISME;
Considérant que la lettre de licenciement fait notamment grief à Monsieur [E] [F] d'avoir , par le biais de plusieurs courriers, jeté le discrédit sur un certain nombres d'interlocuteurs internes au CISME mais également extérieurs à cette institution ;
Considérant que Monsieur [E] [F] exerçait ses fonctions sous l'autorité du président du CISME; qu' à ce titre il avait notamment en charge d'assurer la représentation du CISME auprès des tiers et de toutes les administrations;
Considérant que Monsieur [E] [F] ne conteste pas être l'auteur des courriers en date des 18 mai et 26 mai 2009;
Que dans le premier courrier, adressé au MEDEF, et en copie , notamment au directeur général du travail au ministère du travail et au cabinet du ministre du travail, Monsieur [E] [F] met en cause le Service de Santé au travail de Toulouse ( dont son épouse a été licenciée ) dans les termes suivants:
" les conditions de licenciement de la directrice de l'AMST sont effectivement intolérables de la part d'un responsable patronal, investi qui plus est de responsabilités des champs très spécifiques de la santé au travail... il n'est pas sérieux de prétendre respecter et défendre les intérêts des entreprises avec de tels statuts , uniquement en France, qui confèrent à une poignée d'individus, hors de tout contrôle patronal et social réel, un pouvoir quasi dictatorial. Ils pourraient prêter à sourire s'ils n'étaient ceux d'une structure dirigée par des personnes appartenant au MEDEF et/ou se recommandant de lui"...Je ne fais pas de l'affaire de [Localité 2], même si elle me touche profondément, "une affaire personnelle".Elle va bien au-delà de la blessure qu'elle nous inflige, à ma femme et à moi-même: elle représente en effet tout ce que nous nous efforçons de combattre depuis des années, dans le cadre du CISME tout particulièrement. Comment imaginer que les organisations patronales conservent le moindre crédit si, par leur silence, elles couvrent des actions délétères de certains de leurs représentants au niveau local'...";
Considérant que de tels propos ne peuvent ressortir d'une liberté d'expression revendiquée par le salarié mais caractérisent un manquement à l'obligation de loyauté des lors que le délégué général ne pouvait se permettre de critiquer l'une des associations que représente le CISME à l'occasion d'un contentieux personnel entre celle ci et l'épouse de Monsieur [E] [F] ;
qu'en effet, il n'appartenait pas à M. [E] [F], en sa qualité de délégué général, de dénoncer celui des adhérents dont l'Association CISME représentait les intérêts et d'opposer ainsi un service de santé aux autorités publiques voire de provoquer une contestation de nature politique;
Considérant qu'au courrier du 18 mai 2009, a succédé un courriel du 26 mai 2009 adressé à l'UIMM, de même nature, dans lequel Monsieur [E] [F] prend à nouveau fait et cause pour son épouse en se départissant de son obligation de loyauté envers le CISME;
Considérant, en conséquence, que le comportement du salarié présentait de graves contradictions avec les fonctions qui lui étaient confiées; que dés lors le licenciement est bien fondé sur une cause réelle et sérieuse et il convient, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs développés dans la lettre de licenciement, de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Sur la demande reconventionnelle de l'Association CISME tendant à la condamnation de Monsieur [E] [F] à lui payer la somme de 10 000 euros " à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi dans l'attribution d'un 3ème véhicule de fonction :
Considérant, s'agissant d'une demande nouvelle présente en cause d'appel, qu'il convient d'abord de noter qu'aucun grief relatif à l'utilisation d'un quelconque véhicule ne figure dans la lettre de licenciement ; que de surcroît aucun élément, visé dans les conclusions , n'est soumis par l' Association CISME à l'appréciation de la cour sur ce point ; qu'il convient donc de débouter l'intimée de ce chef de demande;
Sur les autres demandes :
Considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable que chaque partie conserve la charge de ses frais irrépétibles;
PAR CES MOTIFS :
DECLARE recevable l'appel interjeté par Monsieur [E] [F] ,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant :
DEBOUTE l'Association CISME de sa demande reconventionnelle dommages et intérêts,
DEBOUTE les parties de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Monsieur [E] [F] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
L. CAPARROS P. LABEY