La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/01/2014 | FRANCE | N°11/08419

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 15 janvier 2014, 11/08419


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 15 Janvier 2014



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/08419



Décision déférée à la cour : jugement rendu le 01 Avril 2011 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section encadrement - RG n° 10:00409





APPELANTE

Madame [B] [P]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

comparante en personne, assistée de Me Olivier BONGRAND, avocat

au barreau de PARIS, K0136





INTIMÉE

CENTRE DENTAIRE [1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Nicolas MANCRET, avocat au barreau de PARIS, K0061





COMPOSITION DE LA CO...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 15 Janvier 2014

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/08419

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 01 Avril 2011 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section encadrement - RG n° 10:00409

APPELANTE

Madame [B] [P]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

comparante en personne, assistée de Me Olivier BONGRAND, avocat au barreau de PARIS, K0136

INTIMÉE

CENTRE DENTAIRE [1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Nicolas MANCRET, avocat au barreau de PARIS, K0061

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Novembre 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Jacques BOUDY, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Christine ROSTAND, présidente

Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller

Monsieur Jacques BOUDY, conseiller

GREFFIÈRE : Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Christine ROSTAND, présidente et par Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le centre dentaire [1] est une association à but non lucratif qui exerce une activité de dispensaire assurant, avec ou sans rendez-vous, des soins dentaires sur la base du tarif conventionné de la sécurité sociale tout en prenant également en charge les bénéficiaires de la carte CMU.

Mme [B] [P] a été embauchée par le centre dentaire [1] le 19 septembre 2002 en qualité de praticien dentiste, pour une durée de travail hebdomadaire de 15h30.

Par avenant du 2 janvier 2003, cette durée a été portée à 32 heures.

Le centre dentaire employait une trentaine de praticiens dentistes et des assistants, dénommés coordonnateurs référents, avaient pour mission de recevoir les clients puis de les orienter équitablement entre les différents praticiens.

Faisant valoir en particulier qu'elle était victime d'un harcèlement de la part de l'employeur qui avait donné des instructions pour que la répartition des clients se fasse à son désavantage à la fois en nombre mais aussi en raison de la nature des actes pratiqués et qu'il lui était dû diverses sommes à titre de rappels de salaires et de commissions, Mme [B] [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, le 26 juillet 2007 afin de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Le 28 septembre suivant, elle a été convoquée par l'employeur à un entretien préalable à un éventuel licenciement et c'est le 18 octobre suivant que celui-ci lui a notifié son licenciement pour faute grave.

Par jugement en date du 1er avril 2011, le conseil de prud'hommes a débouté Mme [B] [P] de la totalité de ses demandes.

Par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception expédiée le 27 juillet 2011, elle en a interjeté appel.

Devant la cour, Mme [B] [P] conclut à la condamnation du centre dentaire [1] à lui payer les sommes suivantes :

- 42 456 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 4245,60 € au titre des congés payés afférents

- 26 535 € à titre d'indemnité de licenciement

- 202 280 € à titre d'indemnité pour licenciement nul et sans cause réelle ni sérieuse

- 24 873 € à titre de dommages et intérêts en raison de la baisse d'activité subie

- 20 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral dont elle a été victime

- 27 835,58 € à titre de rappel de commissions sur les prothèses CMU pour la période de novembre 2002 à mars 2004 et 2783 € au titre des congés payés afférents

- 72 222 € à titre de rappel de commissions sur les radiographies et 7 222 € au titre des congés payés afférents

- 56 685 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférente aux salaires versés de septembre 2002 à octobre 2007

- 206 307 € à titre de rappel d'heures supplémentaires réalisées de juin 2004 à octobre 2007, outre 20630 € au titre des congés payés afférents

- 5 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile

De son côté, le centre dentaire [1] conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de Mme [B] [P] à lui payer la somme de 5 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I - Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail

À l'appui de sa demande de résiliation judiciaire, Mme [B] [P] invoque un certain nombre de manquements qu'elle impute à son employeur.

1) - Sur les rappels de commissions relatives aux prothèses CMU

Les chirurgiens-dentistes praticiens étaient rémunérés sur la base de commissions calculées sur les actes réalisés.

En ce qui concerne Mme [B] [P], son contrat de travail prévoyait un taux de 20 % sur les prothèses dentaires, de 25 % sur les soins et de 5 % pour les radiographies.

Elle affirme que malgré les prévisions du contrat de travail, elle n'a été rémunérée sur les prothèses dentaires, lorsqu'il s'agissait de prothèses réalisées pour des clients titulaires de la carte CMU, qu'à hauteur de 15 % pendant la période courue de septembre 2002 à mars 2004 de sorte qu'elle resterait créancière de la somme de 28 252 €.

Elle produit aux débats des récapitulatifs informatiques recensant, pour chaque mois, les actes réalisés, le montant encaissé, le taux de commission pratiqué et la somme reversée en conséquence au praticien.

Il en résulte indubitablement, et il n'est pas contesté, que pendant la période considérée, des prothèses dites CMU n'ont donné lieu qu'à un commissionnement pratiqué sur la base d'un taux de 15 %.

À partir de ces récapitulatifs, Mme [B] [P] a calculé, mois par mois, la différence entre la somme qui lui a été reversée et celle qui devait lui revenir, avec un récapitulatif global faisant apparaître en effet une somme de 27 835,58 euros.

Le Centre dentaire [1] se borne à affirmer que ces calculs sont erronés et qu'en réalité, il ne serait dû, au titre de ces commissions, qu'une somme de 13 238,24 € mais force est de constater que face au calcul précis et détaillé de l'appelante, celui-ci n'oppose aucune démonstration et n'explique en aucune façon à quoi correspond le montant dont il se prévaut.

Il oppose également une compensation au titre des commissions sur les radiographies mais ce point sera examiné dans le cadre du second grief invoqué par [B] [P].

Celle-ci est donc bien titulaire d'une créance de 27 835,58 €, outre les congés payés afférents, soit la somme de 2 783 €.

2) - Sur les commissions relatives aux radiographies

Mme [B] [P] fait valoir qu'alors que son contrat de travail prévoyait un taux de reversement de 5 % sur les radiographies, elle a dû constater qu'à compter de septembre 2004 et jusqu'en juillet 2007, plus aucune commission ne lui a été versée.

Elle réclame donc, à titre de rappel, le paiement d'une somme de 72 222 €.

Mais, faute de justification à la fois de la réalité des actes qu'elle affirme avoir accomplis et devant donner lieu à rémunération et du mode de calcul retenu, cette demande doit être rejetée.

De son côté, l'employeur soutient que pour la période antérieure à septembre 2004, il résulte des récapitulatifs produits aux débats que pour la grande majorité des radiographies, Mme [B] [P] a perçu une commission égale à 20 % et non pas de 5 % comme cela était prévu par le contrat de travail, de sorte qu'elle serait redevable d'un indu de 12 633 €.

Mais, si l'examen attentif de ces documents fait apparaître qu'en effet, dans certains cas, il a été appliqué à tort un taux de commissionnement de 20 % au lieu de 5 %, le Centre dentaire [1] ne fournit pas le détail du calcul qui lui permet d'affirmer qu'il serait dû un remboursement de 12 633 €.

Au contraire, Mme [B] [P] présente elle-même un document de calcul, détaillant les rectifications opérées chaque mois et faisant apparaître effectivement un indu de 213,95 euros.

Par ailleurs, l'intimé soutient que cette dernière aurait perçu également, de façon indue, des commissions sur des radiographies qui avaient été réalisées avant que le client ne lui soit attribué, ce qui représenterait donc une somme de 2 359 €.

Mais il suffit de constater que cette assertion ne fait l'objet d'aucune démonstration et que par conséquent, s'agissant d'une simple affirmation, l'existence de cette dette ne peut être retenue.

3) - Sur la compensation

Il résulte de ce qui précède qu'alors que selon l'employeur, Mme [B] [P] serait redevable en définitive, après compensation, d'une somme de 1 664 €, elle est en réalité créancière de la somme de : (27 835,58 + 2783) -213,95 = 30 394,63 €

4) - Sur le respect de la durée légale du travail et les heures supplémentaires

Mme [B] [P] expose qu'à compter du mois de juin 2004, ses horaires de travail représentaient 51 heures 30 par semaine, c'est-à-dire le lundi de 13 heures à 19h30, le mardi, mercredi, jeudi et le vendredi de 9 heures à 13 heures puis de 14 heures à 19h30 et enfin le samedi, de 9 heures à 13 heures puis de 14 heures à 17 heures.

Que cela représentait donc 223 heures par mois alors qu'il résulte de ses bulletins de paie qu'au cours de la période correspondante, elle n'était rémunérée, le plus souvent, qu'à hauteur de 169 heures.

Elle en déduit qu'elle est donc créancière d'un rappel d'heures supplémentaires de 206 307 €, outre les congés payés qui s'y rapportent.

Mais s'il est exact que la réglementation relative à la durée du travail avait bien vocation à s'appliquer et qu'en produisant aux débats un courrier de son employeur du 4 juillet 2007, lui rappelant ses horaires, Mme [B] [P] faisait bien état d'éléments de nature à étayer ses affirmations, c'est néanmoins à juste titre que l'intimé fait valoir que l'intéressée avait bien été payée pour les heures supplémentaires qu'elle affirmait avoir réalisées, en raison même de son mode de rémunération, exclusivement à la commission.

Par conséquent, si le dépassement de l'horaire légal devait donner lieu de la part de l'employeur à des compensations, il ne pouvait pas pour autant justifier le paiement d'heures supplémentaires.

Cette demande sera donc rejetée.

5) - Sur le rappel de congés payés

Mme [B] [P] fait valoir qu'elle est fondée à réclamer le paiement des congés payés concernant l'ensemble de la période pendant laquelle elle a été salariée, au motif que si le contrat de travail prévoyait que sa rémunération incluait les congés payés, cette mention était insuffisante dans la mesure où le contrat devait faire apparaître, distinctement, la majoration du taux des commissions, seule de nature à permettre au salarié de vérifier qu'il avait bien été rempli de ses droits.

Le centre dentaire [1] invoque la prescription de cinq ans prévue par l'article L3245-1 du code du travail, qui renvoie lui-même à l'article 2224 du Code civil et qui est applicable à toutes les créances de nature salariale au motif que cette demande, qui n'avait pas été présentée en première instance, n'avait été formée et n'avait été notifiée à l'intimé qu'aux termes de conclusions déposées lors de l'audience du 18 octobre 2013.

Cependant, si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en va autrement lorsque les deux actions, au cours d'une même instance, concernent l'exécution du même contrat de travail.

Par conséquent, la prescription a été interrompue par l'introduction de la procédure le 30 juillet 2007, date de réception de la convocation devant le conseil de prud'hommes, peu important que cette demande n'ait été formée que par la suite.

Sur le fond, le Centre dentaire [1] rappelle que le contrat de travail prévoyait expressément que le salaire était un salaire annuel brut, congés payés et remboursement du transport inclus et que l'appelante ne démontre en aucune façon en quoi elle n'aurait pas été réglée des congés payés.

Mais, ainsi que le fait valoir Mme [B] [P], cette seule mention est insuffisante et en cas de paiement d'un salaire à la commission, le contrat doit clairement faire apparaître d'une part, le calcul des commissions et d'autre part, le calcul des congés payés.

Par conséquent, faute par l'employeur de démontrer que les congés payés ont été réglés à la salariée, indépendamment des commissions, la demande ne peut qu'être accueillie.

Sur la base du calcul non contesté opéré par l'appelante, il y a lieu de lui accorder, à ce titre, la somme de 56 685 €, portant sur la période de septembre 2002 à octobre 2007.

II - Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au titre des faits susceptibles de caractériser un harcèlement, Mme [B] [P] invoque en premier lieu la circonstance qu'à partir du mois de septembre 2006, l'un des chirurgiens-dentistes du centre médical, le docteur [Y] ainsi que le directeur du centre, le Dr [T] avaient entrepris de procéder à une surveillance étroite de son activité ainsi que de celle de son époux, lui-même dentiste praticien dans le même centre, car ils les soupçonnaient de se livrer à un détournement de clientèle au profit d'un autre centre médical concurrent.

À l'appui de ses allégations, elle produit :

- une attestation de Mme [X] [E], assistante dentaire d'octobre 2006 à août 2007, selon laquelle le docteur [Y] consultait presque tous les jours le logiciel « Visiodent», destiné à enregistrer le dossier des patients et à retracer l'historique des différentes opérations les concernant et avait édité, en février 2007, une liste de patients destinée à accuser Mme [B] [P] d'un détournement de clientèle.

- une attestation de Mme [G] [A], secrétaire médicale, selon laquelle le docteur [Y] lui avait indiqué qu'il établissait une liste de patients détournés vers une autre structure tandis que le docteur [T] lui avait donné pour instruction de ne plus attribuer de nouveaux patients au Dr [P]

Mme [B] [P] fait aussi valoir, en second lieu, que dans le même temps, le directeur de l'établissement, avec l'aide du docteur [Y], avait fait en sorte de réduire le nombre des clients qui lui étaient attribués ou de ne lui attribuer que ceux dont l'état de santé nécessitait les actes les moins rémunérateurs et que de surcroît, il avait formellement interdit aux dentistes référents de lui attribuer de nouveaux clients pendant la période du 10 au 20 février 2007.

Pour le démontrer, elle produit :

- les attestations susvisées aux termes desquelles le docteur [T] avait donné des instructions en ce sens tandis que les dentistes référents avaient évoqué des pressions

- une attestation de Mme [U] [M], secrétaire médicale indiquant que le docteur [T], à l'aide de la liste établie par le docteur [Y], avait interdit d'attribuer de nouveaux clients au Dr [P] et à son mari

- des attestations ou des courriers de certains clients relatant que bien qu'ayant demandé expressément un rendez-vous avec Mme [B] [P], ils s'étaient vu refuser celui-ci et avaient été dirigés vers d'autres praticiens

Sur ces deux points, l'employeur explique que la règle qui devait être observée dans le centre était que la clientèle était répartie entre les différents cabinets dentaires de façon à ce que chaque dentiste puisse disposer du temps nécessaire pour traiter correctement les patients et qu'il fallait éviter qu'un même dentiste effectue le même jour plusieurs actes lourds, tels que des prothèses ou des soins longs, de façon successive, ce qui était nécessairement à l'origine d'un stress et d'une fatigue, mettant ainsi en danger la qualité des soins pour les patients.

Il affirme que Mme [B] [P], ainsi que son mari, avaient mis au point, par un mécanisme de collusion ou en exerçant des pressions sur les dentistes référents, une méthode leur permettant de se faire attribuer les patients qui seraient à l'origine de la rémunération la plus intéressante, c'est-à-dire en particulier, ceux pour lesquels il était nécessaire de faire des prothèses.

Que ce n'est que grâce à la mise en 'uvre du logiciel « Visiodent » qu'il a pu être remédié à cette situation, ce qui a, par voie de conséquence, nécessairement entraîné une diminution du chiffre d'affaires des intéressés.

Il produit en ce sens une attestation du Docteur [H] [C], indiquant avoir, de nombreuses fois, attiré l'attention de la direction sur « les abus anti-confraternels du docteur [L] et du docteur [P] qui, grâce à un réseau de complicités internes, savamment mis en place depuis des années, s'attribuaient un nombre de patients largement supérieur à la moyenne des autres confrères.

Les contrôles, le suivi et les recoupements informatiques, ont permis d'assainir cette situation.

Le protocole de répartition équitable étant devenu la règle à suivre, il s'en est suivi de la part de ces deux confrères, une hostilité manifeste entraînant un climat des plus défavorables dans notre exercice au sein du centre... ».

De la même manière, le docteur [Y] relate que quelques mois après leur arrivée les deux confrères sus-cités « avaient mis en place, avec la complicité des référents en place, un système assez favorable à leurs conditions d'exercice en s'octroyant les cas les plus rémunérateurs au détriment des autres confrères qui ne recevaient que les cas les moins intéressants tant et si bien que leur planning était saturé de patients avec prothèse tandis que les autres praticiens voyaient des grands espaces libres dans leur cahier de rendez-vous ' ».

Le docteur [I] atteste dans le même sens et ajoute que que dès l'arrivée et l'instauration du système « Visiodent » il avait vu enfin son activité reprendre des couleurs et qu'il avait pu enfin apprécier l'équité de l'attribution de cas et travailler dans des conditions plus agréables.

En ce qui concerne les attestations produites aux débats par Mme [B] [P], le centre dentaire [1] produit des éléments qui sont de nature à laisser douter de l'impartialité de celle rédigée en particulier par Mme [E], puisque celle-ci s'était vue adresser par l'employeur plusieurs lettres de mise en demeure et qu'après avoir été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, elle avait quitté l'entreprise au mois de juillet 2007.

Au regard de ces différents éléments, les faits invoqués par Mme [B] [P] ne sont donc pas établis.

Par voie de conséquence, la demande d'indemnisation de la perte de revenus alléguée par l'intéressée sera rejetée.

Mme [B] [P] invoque en troisième lieu, le comportement intrusif et agressif du directeur du centre, le docteur [T], ce comportement ayant connu son paroxysme lorsque celui-ci s'était rendu dans son bureau, le 19 septembre 2007, pour l'en chasser à la suite d'un signalement du cas d'une de ses patientes « détournée par le docteur [Y] ainsi que la facturation de sa part d'actes fictifs » et lorsque, le 21 septembre 2007, il s'était à nouveau introduit dans son cabinet pour fouiller les documents qui se trouvaient sur son bureau.

À l'appui de ses affirmations, elle produit les attestations de:

- M.[R], qui relate que le 8 novembre 2006, vers midi, les soins qui lui étaient prodigués ont été interrompus par la visite surprise du Dr [T], qui avait commencé à agresser verbalement le docteur [P], en l'humiliant et en l'accusant devant lui de fraude sur l'ordinateur et en lui reprochant de ne pas faire assez de chiffre d'affaires

- Mme [N], qui affirme que le 30 mars 2007, alors qu'elle se trouvait dans le cabinet du docteur [P], était entré le directeur de l'établissement qui s'était installé au bureau en disant : « aujourd'hui je ne vais pas bouger d'ici je vais te surveiller » ; que le docteur [P], n'avait pas répondu mais qu'en ce qui la concernait, elle avait fait savoir que la présence d'une tierce personne l'indisposait et qu'alors, le docteur [T], lui avait répondu : « elle ose m'envoyer un courrier en recommandé, vous savez combien elle gagne dans mon centre »

- M. [O] [V], qui précise que le 1er août 2007, le docteur [T] avait fait irruption dans le cabinet du docteur [P], en poussant violemment la porte, ne disant pas bonjour, parlant agressivement à l'assistante et au docteur [P], à propos des fiches de patients

- M. [W] selon lequel, le 21 septembre 2007, alors qu'il se trouvait sur le fauteuil du docteur [P], une personne était entrée violemment dans le cabinet, sans adresser la parole à quiconque et s'était mise à fouiller dans les documents du dentiste qui se trouvait à son bureau pour en emmener certains et qu'il était apparu que cette personne était le directeur du centre dentaire.

Elle verse également aux débats la décision rendue par la Chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des chirurgiens-dentistes le 27 novembre 2012 qui a confirmé la sanction de blâme infligée au docteur [T] par la Chambre disciplinaire de première instance de l'Ordre des chirurgiens-dentistes d'Île-de-France, en relevant qu'il résultait des témoignages probants figurant au dossier que le docteur [T] avait manifesté à plusieurs reprises à l'égard du docteur [L] et de son épouse, notamment à l'occasion d'interventions de sa part dans leur cabinet de soins et devant des patients, un comportement marqué par la multiplication d'invectives et de violences verbales, contraire aux obligations déontologiques qui s'imposaient à lui.

Face à ces éléments, précis et circonstanciés, l'employeur n'oppose aucune discussion et aucun élément en sens contraire.

Ces faits sont donc établis et il n'est pas contestable que, pris dans leur ensemble, ils sont de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Dès lors que par ailleurs, l'employeur n'offre pas de démontrer que ces faits étaient justifiés et répondaient à des nécessités étrangères à tout harcèlement, il ne peut qu'en être déduit l'existence d'un harcèlement moral dont Mme [B] [P] a été victime.

Pour ce motif, la résiliation du contrat de travail doit être prononcée et il n'y aura pas lieu de statuer sur le licenciement postérieur à la demande.

Celle-ci prendra effet à la date du licenciement, c'est-à-dire le 18 octobre 2007.

Lorsque la demande de résiliation judiciaire est considérée comme justifiée, elle produit en principe les effets d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

Mais dans le cas présent, elle produira, nécessairement, les effets d'un licenciement nul, par application de l'article L 1152-2 du code du travail, qui prévoit qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoirs relatés et de l'article L 1152-3 du même code selon lequel toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance, notamment de ce dernier texte, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

III - Sur la réparation du harcèlement moral

Indépendamment des conséquences du licenciement nul, le salarié peut solliciter la réparation du préjudice qu'il a subi en raison du harcèlement moral dont il a été victime.

En l'espèce, il n'apparaît pas injustifié d'accorder à l'appelante, à ce titre, la somme de 10 000 €.

IV - Sur les conséquences de la nullité du licenciement

Il n'est pas contesté que le salaire moyen de référence doit être fixé à la somme de 10 614 €.

Il est donc dû à l'appelante une indemnité compensatrice de préavis, dont le calcul non contesté, correspond à quatre mois de salaire, soit la somme de 42 456 €, outre les congés payés afférents.

De la même façon, en application de la convention collective, qui prévoit une indemnité de licenciement calculée sur la base d'un demi mois de salaire par année d'ancienneté, il est dû à Mme [B] [P], à ce titre, la somme de 26 535 €.

Le salarié dont le licenciement est nul, et qui ne demande pas sa réintégration, a droit, en toute hypothèse, en plus des indemnités de rupture, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire, quels que soient son ancienneté et l'effectif de l'entreprise.

En l'espèce, il sera donc accordé à Mme [B] [P], à ce titre, la somme de 80 000 €.

Il n'apparaît pas inéquitable d'accorder à cette dernière, qui a dû agir en justice pour faire valoir ses droits, une indemnité d'un montant de 3000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

INFIRME partiellement le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en date du 1er avril 2011 ;

PRONONCE la résiliation judiciaire au 18 octobre 2007 du contrat de travail de Mme [B] [P] qui produira les effets d'un licenciement nul ;

En conséquence,

CONDAMNE le Centre dentaire [1] à payer à Mme [B] [P] les sommes suivantes :

- 30 394,63 euros à titre de rappel de commissions

- 56 685 € au titre des congés payés dus pendant la période de septembre 2002 à octobre 2007

- 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral

- 42 456 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 4245,60 euros au titre des congés payés afférents

- 26 535 € à titre d'indemnité de licenciement

- 80 000 € à titre d'indemnité pour licenciement illicite

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes pour le surplus ;

Y ajoutant,

CONDAMNE le Centre dentaire [1] à payer à Mme [B] [P] la somme de 3 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 11/08419
Date de la décision : 15/01/2014

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°11/08419 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-01-15;11.08419 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award