RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRÊT DU 14 Janvier 2014
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/04446
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 Avril 2011 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS section RG n° 09/03654
APPELANT
Monsieur [D] [N]
[Adresse 2]
[Localité 1]
comparant en personne,
assisté de Me Johanna ROPARS, avocat au barreau de PARIS, toque : E2075
INTIMEE
SAS PATISSERIE E. LADUREE
[Adresse 1]
59700 MARCQ EN BAROEUL
représentée par Me Christine BORDET LESUEUR, avocat au barreau de CHARTRES
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Novembre 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Guy POILÂNE, Conseiller faisant fonction de Président et devant Mme Caroline PARANT, Conseiller, chargés d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Guy POILÂNE, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Christine ROSTAND, Présidente Pôle 6-9
Madame Caroline PARANT, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Nora YOUSFI, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Guy POILÂNE, Conseiller faisant fonction de Président et par Madame Claire CHESNEAU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
[D] [N] a été engagé par la société PATISSERIE E. LADUREE SAS, le 21 mars 2006, en dernier lieu en qualité de premier barman, agent de maîtrise, suivant un contrat de travail à durée indéterminée.
Il va bénéficier d'une progression rapide aussi bien dans ses fonctions que dans sa rémunération, sans reproches sur son travail.
Par lettre du 15 janvier 2009, il est convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement fixé au 22 janvier 2009.
Suivant une lettre recommandée avec avis de réception du 12 février 2009, il est licencié pour faute grave avec des motifs ainsi énoncés :
' Vous adoptez un comportement incompatible avec l'image de notre établissement et aucunement conforme à vos obligations contractuelles.
Le 20 décembre 2008, vous vous êtes présenté à votre poste de travail sans veste.
Le directeur des opérations France ayant constaté ce manquement en a aussitôt informé le responsable de la restauration des Champs Elysées qui vous a demandé de mettre votre tenue, conformément à vos obligations de 1er barman au sein du Bar Lincoln.
Le 30 décembre 2008, le chef de cuisine a constaté que vous travailliez avec un Ipod branché sur vos oreilles, au sein du Bar Lincoln durant vos horaires de travail.
Vous comprendrez que cette attitude n'est pas en adéquation totale avec l'image de notre maison.
Le 4 janvier 2009, le directeur des opérations France a constaté à nouveau que vous ne portiez pas de veste lors de l'exercice de vos fonctions. Il vous a été demandé une fois de plus d'avoir une tenue conforme à votre activité professionnelle.
Nous prenons acte que vous n'avez pas tenu compte des observations émises par vos responsables sur votre tenue de travail, en date du 20 décembre 2008.
En effet, vous réitérez votre comportement 2 semaines plus tard délibérément en ne portant pas votre veste, contrairement aux consignes applicables au sein de notre société.
Entre temps, vous vous permettez de travailler au sein du bar Lincoln dont vous êtes le premier barman avec un Ipod sur les oreilles. Ce comportement est bien évidemment inadmissible au regard de notre clientèle pour laquelle nous sommes censés offrir une prestation et un service de qualité.
En votre qualité de manager au sein de l'équipe du bar Lincoln, vous êtes tenu d'adopter une attitude exemplaire à l'égard de vos collaborateurs ce qui n'est nullement le cas en l'espèce.
De plus, un des membres de votre équipe dont vous assurez l'encadrement vous a surpris en date du 21 décembre 2008, en train de fumer durant votre service au sein du Bar Lincoln, en compagnie de certaines personnes de votre entourage personnel.
D'une part, vous avez porté atteinte à l'interdiction de fumer entrée en vigueur au 1 er janvier 2008 dans les restaurants que nous respectons au sein de l'ensemble de nos établissements parisiens et notamment au sein du bar Lincoln ouvert depuis septembre 2008.
D'autre part, vous avez par votre action de fumer et de laisser fumer les clients du bar Lincoln même si ces derniers appartenaient à votre entourage personnel, engendré un risque d'incendie au sein de notre établissement qui aurait pu créer des dommages aux personnes et aux locaux.
Enfin, cette attitude non tolérable a porté atteinte de manière significative à notre image de marque et de renommée, ainsi qu'à votre propre image de manager à l'égard de votre collaborateur témoin de vos actes irresponsables.
L'ensemble de ces attitudes répréhensibles et répétées remettent en cause la bonne marche du bar Lincoln qui doit pouvoir compter sur le sérieux de ses collaborateurs et plus particulièrement sur celui des managers de l'équipe du bar.
En effet, compte tenu de votre poste et des responsabilités qui vous incombent en votre qualité de 1er maître d'hôtel , vous êtes tenu d'adopter une attitude exemplaire à l'égard de vos collaborateurs.
Ces agissements sont constitutifs de manquements graves à vos obligations professionnelles et ne nous permettent pas d'envisager la poursuite de nos relations contractuelles.
En conséquence, votre licenciement prendra effet à la première présentation du présent courrier, sans indemnité de préavis ni de licenciement.'
Contestant le bien-fondé de ce licenciement, [D] [N] va saisir, le 23 mars 2009, la juridiction prud'homale , de diverses demandes.
Par jugement contradictoire et de départage du 1er avril 2011, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté [D] [N] de l'intégralité de ses demandes et condamné celui-ci à payer à la SAS PATISSERIE LADUREE la somme de 300 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Appel de cette décision a été interjeté par [D] [N], suivant une lettre recommandée expédiée au greffe de la cour le 28 avril 2011.
Par des conclusions visées le 19 novembre 2013 puis soutenues oralement lors de l'audience, [D] [N] demande à la cour d'infirmer la décision entreprise en son intégralité et, statuant à nouveau, de dire et juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, de constater que la société LADUREE ne rapporte pas la preuve des fautes graves alléguées, de condamner l'employeur à lui verser les sommes suivantes :
* 20 633,49 € dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 2 292,61 € indemnité légale de licenciement,
* 163,75 € rappel de salaire du 14 au 16 février 2009,
* 16,37 € congés-payés afférents,
* 4 585,22 € préavis,
* 458,52 € congés-payés afférents,
* 14 069,32 € préjudice lié à un différentiel de salaire et d'ordonner la remise des documents sociaux conformes ( reçu pour solde de tous comptes, certificat de travail, attestation Pôle Emploi ) sous astreinte de 150 € par jour de retard et par document à compter de la décision à intervenir, outre l'octroi de la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par des conclusions visées le 19 novembre 2013 puis soutenues oralement lors de l'audience, la société PATISSERIE LADUREE SAS demande à la cour de confirmer la décision entreprise et de dire que le licenciement pour faute grave de M. [N] est parfaitement justifié, de le débouter de toutes ses demandes, outre l'octroi de la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur le licenciement :
La lettre de licenciement du 12 février 2009 fixe, par les motifs qu'elle énonce, les limites de ce litige. L'employeur ayant fondé la rupture sur l'existence d'une faute grave, il lui incombe de rapporter la preuve de celle-ci. Il est reproché au salarié de ne pas avoir porté la veste réglementaire, d'avoir utilisé un Ipod sur le lieu de travail et fumé sur ce même lieu malgré l'interdiction légale.
Comme cela a été exposé en tête de cet arrêt, il est indéniable que [D] [N] a eu un cursus professionnel absolument exempt de toute critique au sein de la société PATISSERIE LADUREE SAS comme le démontre la progression également totalement objective de sa classification en peu de temps. Il est donc vain pour l'employeur de soutenir que [D] [N] est un salarié ordinaire et qu'il se prévaut à tort du statut de premier barman qui est le sien au regard de la classification conventionnelle.
Le premier grief porte sur le fait que [D] [N] aurait exercé son emploi à deux reprises en omettant de porter une veste comme l'impose la catégorie de l'établissement et le règlement intérieur au regard de la tenue à respecter dans le rapport avec la clientèle. Ces faits auraient été constatés à deux reprises ( 20 décembre 2008 et 4 janvier 2009) par le directeur des opérations France ( M. [X] ) de la société employeur, sans autre élément confirmatif. De son côté, l'appelant ne conteste pas la réalité des faits mais les explique de manière particulièrement claire. Les constatations de M. [X] qui , en qualité de supérieur hiérarchique, pouvait simplement faire une remarque disciplinaire sur le moment alors qu'il explique avoir demandé à un autre responsable ( M.[P] ) de demander à [D] [N] de mettre sa veste, ont eu lieu à des heures d'ouverture du bar et, à chacune des deux fois, à un moment où [D] [N] devait se livrer à des activités périphériques qu'il avait estimé être plus faciles à exécuter sans veste s'agissant de faire la plonge avant que n'arrivent les clients. A cet égard, force est de constater que [D] [N] n'a pas été vu en train de servir les clients sans veste et qu'aucun client n'a fait de remarques sur ce point. D'ailleurs, en ce qui concerne les faits du 4 janvier 2009, le salarié a remis sa veste sur une simple remarque du responsable du restaurant, toujours vers 11heures du matin après, selon [D] [N], des travaux salissants, dans l'arrière-salle comme le précise le témoin [J], ancien salarié de la société, dont l'attestation n'est pas plus critiquable, en terme de partialité, que celle du directeur des opérations lié évidemment à l'employeur. Ces faits, sans qu'il soit nécessaire de vérifier s'il existe un règlement intérieur applicable, sont réels mais demeurent ponctuels et sans aucune conséquence dommageable pour l'entreprise et ne sauraient revêtir le sérieux nécessaire pour constituer une faute grave ni une cause ordinaire de licenciement.
En ce qui concerne le reproche tenant au fait supposé d'usage d'un Ipod par le salarié sur son lieu de travail, c'est à tort que le premier juge a admis que la date de ce fait, si elle était erronée, devait néanmoins être reçue comme valable en raison de la modification subséquente de cette date par l'employeur. S'il est exact que [D] [N] a admis avoir usé d'un Ipod mais en dehors de tout contact direct avec la clientèle pour l'avoir retiré en entrant dans la salle du bar, en relevant cependant qu'à la date du 30 décembre 2008 il était absent, il ne lui appartient pourtant pas de prouver qu'il est 'innocent' comme le soutient curieusement l'employeur dans ses conclusions d'appel. Il est constant que les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les limites du litige et qu'ils ne peuvent être modifiés alors qu'était précisée leur date. Il est constant sur ce point que le 30 décembre 2008 est une date erronée et que le motif de licenciement n'est pas réel et doit être rejeté pour cette seule raison, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres éléments fournis sur ce même sujet alors que ce grief ( servir les clients avec des écouteurs sur les oreilles ) est dépourvu de pertinence en ce qu'il n'est pas suffisamment objectivé.
En ce qui concerne le dernier reproche visant le fait que le 21 décembre 2008, [D] [N] aurait été surpris en train de fumer une cigarette dans l'établissement, en compagnie de clients, sans précision d'heure. Là aussi, dans une sorte de renversement de la preuve qui incombe au seul employeur en matière de faute grave, il est constaté que c'est le salarié qui recadre lui-même, faisant acte de bonne foi sur ce point, l'événement en le situant après la fermeture du bar au public alors qu'il se trouvait en compagnie de quelques personnes de son entourage proche. Ce faisant, [D] [N] reconnaît avoir fumé une cigarette ce soir là dans le bar, estimant que la température ne permettait pas d'aller fumer à l'extérieur et qu'il devait faire la mise en place pour le lendemain matin. Il affirme, dans sa lettre de contestation postérieure au licenciement, qu'il a veillé personnellement à ce qu'il ' n'y ait aucune cendre, ni aucun mégot déposé dans les poubelles de l'établissement'. La cour considère qu'il s'agit bien d'un fait réel mais isolée dont le salarié reconnaît qu'il en a pris la mesure et que ce fait ne saurait justifier la rupture du contrat de travail puisqu'au regard des circonstances spécifiques qui viennent d'être retenues, il n'a pas eu d'impact sur l'image de l'établissement alors que celui-ci venait d'être fermé et qu'aucun dommage n'en est résulté. Au total, la cour constate que le licenciement de [D] [N] a consisté en un processus précipité d'éviction, les manquements relevés ayant été directement sanctionnés par une rupture du contrat de travail pour faute grave, sans aucune mesure de recadrage ou de sanction ponctuelle alors que certains faits ont été constatés directement par un supérieur hiérarchique. C'est donc à tort que le premier juge a considéré que ce licenciement était légitime et fondé sur des fautes graves, la cour estimant que la rupture ne repose ni sur une faute grave, ni sur aucun motif à la fois réel et sérieux par voie de réformation du jugement entrepris.
Sur l'indemnisation du licenciement illégitime :
Il est réclamé à ce titre une somme de 20 633,49 € .
L'employeur conclut au rejet de cette demande , sans offre subsidiaire.
La cour relève que [D] [N] présentait, au moment du licenciement, une ancienneté de trois années et était âgé de 26 ans. Il explique et justifie avoir été au chômage indemnisé jusqu'en février 2010 et procède à un chiffrage de son manque à gagner pendant cette période ( 14 069,32 € ). La cour considère que les circonstances ayant entouré le licenciement ont relevé d'une éviction brutale sans rapport avec les faits reprochés et péjoratives pour le salarié qui s'est employé valablement à montrer sa bonne foi. En conséquence, il y a lieu de condamner la société PATISSERIE LADUREE SAS à payer à [D] [N] la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail.
Sur la réparation d'un préjudice distinct :
[D] [N] sollicite à tort une somme de 14 069,32 € représentant un différentiel de rémunération pour la période pendant laquelle il a été inscrit à Pôle Emploi postérieurement à son licenciement. En effet, il vient d'être procédé à l'indemnisation des conséquences préjudiciables par l'application des dispositions légales ( L.1235-3 du code du travail ) en tenant compte de l'aspect économique du préjudice subi. Cette demande est rejetée.
Sur l'indemnité compensatrice de préavis et les congés-payés afférents :
Les sommes réclamées à ce titre ne sont pas critiquées quant à leur montant et il y a lieu de condamner la société PATISSERIE LADUREE SAS à payer à [D] [N] les sommes de 4 585,22 € pour le préavis et 458,52 € pour les congés-payés afférents.
Sur l'indemnité légale de licenciement :
Là aussi, le montant n'en étant pas discuté, l'employeur est condamné à payer à [D] [N], au regard de son ancienneté , la somme de 2 292,61 € à ce titre.
Sur un rappel de salaire :
Il doit être fait droit à la demande du salarié concernant les deux jours qui se sont écoulés entre la date à laquelle il a été privé de son poste dans l'entreprise ( 14 février 2009 ) alors qu'il n'a reçu la lettre à effet immédiat que le 16 février 2009. En conséquence, il lui sera accordé, pour ces deux jours, la somme de 163,75 € , outre celle de 16,37 € pour les congés-payés afférents.
Il est observé que ces demandes ne figurent pas dans le dispositif des conclusions de l'appelant mais est cependant retenue en ce qu'elle figure dans les motifs de ces mêmes conclusions.
Sur la remise des documents sociaux :
Il sera fait droit à cette demande hormis en ce qui concerne le reçu pour solde de tous comptes devenu inutile en raison de la présente décision et cette remise aura lieu sans astreinte.
La décision déférée est également réformée en sa disposition concernant l'article 700 du code de procédure civile ( 300 € mis à la charge de [D] [N] ).
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Réforme la décision entreprise en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,
Condamne la société PATISSERIE LADUREE SAS à payer à [D] [N] les sommes suivantes :
- 15 000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail,
- 4 585,22 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 458,52 € au titre des congés-payés afférents,
- 2 292,61 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,
- 163,75 € à titre de rappel de salaire,
- 16,37 € au titre des congés-payés afférents,
Ordonne la remise par la société PATISSERIE LADUREE SAS à [D] [N] d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle Emploi conformes à la présente décision,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute [D] [N] pour le surplus,
Ajoutant,
Ordonne le remboursement par la société PATISSERIE LADUREE SAS à Pôle Emploi des sommes versées par cet organisme à [D] [N] au titre du chômage depuis la rupture et dans la limite de six mois, en application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société PATISSERIE LADUREE SAS à payer à [D] [N] la somme de 1 500 € à ce titre,
Laisse les dépens de la procédure à la charge de la société PATISSERIE LADUREE SAS.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT FF